L’Anti-Justine ou les délices de l’Amour (1864)/26


L’ANTI-JUSTINE


CHAPITRE XXVI.

D’avis très utiles au lecteur et à l’auteur.

Nous en sommes enfin au temps si souvent renommé des fouteries majeures. Si je les avais rapportées sans préparation, elles auraient étonné. Mais qu’on sache que j’étais sûr en les commençant non-seulement d’avoir pour mes filles deux des trois payeurs qui sollicitaient Vitnègre, mais encore de les faire précéder par la jolie chapelière de la rue Bordet, qui, vendue au plus douteux, devait m’instruire de la moralité de tous les trois ; il était donc essentiel, pour éviter qu’elles ne fussent estropiées, de les faire prodigieusement élargir, en évitant néanmoins de les livrer à trop de déchargeurs. L’on verra comment je m’y prendrai pour cela.

On trouvera dans ce récit un épisode à chaque séance, tant pour varier la scène et reposer l’imagination que pour raconter quelques aventures que j’ai cru devoir supprimer au commencement ; chaque historiette lue ou racontée ne sortira pas du genre. Rien de plus déplacé dans un ouvrage comme celui-ci qu’une dissertation philosophique ; elle devient insipide et par là même dégoûte de la philosophie ; mon but moral, qui en vaut bien un autre, est de donner à ceux qui ont un tempérament érotikon épicé qui les fasse servir convenablement une épouse qui n’est plus belle ; c’est ce que j’ai vu faire à plusieurs hommes qui se servaient pour cela du livre cruel et dangereux de Justine ou les malheurs de la vertu.

J’ai un but important encore : je veux préserver les femmes du délire de la cruauté. L’Anti-Justine, non moins savoureuse, non moins emportée que la Justine, mais sans barbarie, empêchera désormais les hommes d’avoir recours à celle-ci. La publication du concurrent antidote est urgente, et je me déshonore volontiers aux yeux des sots, des puristes et des irréfléchis, pour la donner à mes compatriotes.

L’ouvrage aura deux parties. Après le récit formant la première, succéderont des lettres non moins assaisonnées composant la deuxième.

Les filles de Cupidonnet lui racontent les parties de plaisir que leur faisaient faire leurs entreteneurs, parties où dans le délire de l’ivresse leurs parjures les faisaient quelquefois posséder par douze hommes. Mais toutes ces lettres ne sont pas érotiques ; il en est d’intéressantes pour un autre motif ; tel est celui d’une résurrection, avec la découverte importante de l’origine de Conquette Ingénue et de Victoire Conquette, deux filles que les miennes ont remplacées, ce qui me justifiera d’une certaine chose qui sans doute a déjà effarouché plus d’un lecteur ; je n’en dirai pas davantage là-dessus.

On ne peut trop multiplier les observations sur les scènes que je vais mettre sous la vue du lecteur pour remplacer la Justine et faire préférer l’Anti-Justine. Il faut que celle-ci surpasse l’autre en volupté autant qu’elle lui cède en cruauté ; il faut qu’un seul chapitre lu par un homme, sans l’inspection de la table, lui fasse exploiter sa femme, jeune ou vieille, laide ou jolie, pourvu que la dame ait fait bidet et qu’elle soit bien chaussée.