L’Angleterre au temps de la Restauration/02

L’Angleterre au temps de la Restauration
Revue des Deux Mondes3e période, tome 40 (p. 181-209).
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L’ANGLETERRE
AU
TEMPS DE LA RESTAURATION

II.
LE TRIOMPHE DES CONSERVATEURS.

A History of England from the conclusion of the great war in 1815, by Spencer Walpole ; London, 1878.

Quiconque veut étudier l’histoire avec fruit ne doit pas se contenter du récit des faits, mais plutôt rechercher quelles idées ont prévalu pendant les années qui précédèrent les grands événemens. C’est ce qui a été fait dans la première partie de cette étude[1]. Mais les idées ne gouvernent pas seules les destinées du monde. Souverains et ministres y ont bien leur part. Il n’est pas superflu de passer brièvement en revue ceux qui vivaient à l’époque dont il s’agit ici.


I

À quels hommes appartenait le gouvernement de la Grande-Bretagne lorsque se réveillèrent les opinions libérales ? George III était encore le roi nominal ; atteint de folie, il avait cessé depuis 1811 de prendre aucune part aux affaires. Habitué dès l’enfance à se croire le droit d’imposer sa volonté, esprit étroit, entêté, il avait commencé son long règne sous de fâcheux auspices. Il avait rebuté Pitt, entrepris une guerre désastreuse contre les colonies d’Amérique : ces fantaisies de pouvoir absolu l’avaient rendu impopulaire ; mais, lorsqu’il fut revenu aux principes du régime parlementaire, lorsque surtout la maladie eut éteint le peu qu’il avait eu d’intelligence, ses sujets ne se souvinrent plus que de la décence de sa vie privée, de son dévoûment à la grandeur de l’Angleterre. Il eut un regain de popularité sur ses vieux jours ; la reine Charlotte était la digne épouse de cet honnête monarque. Les scandales de la cour de Versailles vivaient encore dans toutes les mémoires ; George II lui-même avait été grossier et libertin. Les Anglais étaient fiers d’un couple royal qui donnait l’exemple des vertus privées.

Le roi profitait au surplus des défauts que son fils, le prince de Galles, affichait avec trop d’ostentation. M. Spencer Walpole ne le juge-t-il pas avec partialité ? « Ce fut un mauvais fils, un mauvais mari, un mauvais père, un mauvais ami, un mauvais souverain. » La liste est complète des qualités que l’on aurait voulu découvrir en lui et dont l’historien se voit obligé de constater l’absence. Sa seule ambition était de paraître le premier gentilhomme de l’Europe et, en effet, il savait plaire. Il était débauché, il s’enivrait, il parlait un langage inconvenant avec ses compagnons de tous les jours, et pourtant, acteur consommé, il savait captiver un homme de génie comme Walter Scott ou un homme pieux comme Wilberforce. Le pays commença par se fatiguer d’avoir souvent à payer ses dettes ; on avait encore tant d’attachement pour la dynastie que l’on crut l’avenir assuré lorsque son mariage fut annoncé. L’illusion fut de courte durée : il eut une fille, puis il se sépara de sa femme pour toujours ; On sait ce que devint la princesse de Galles. Partie pour l’Italie où elle vivait dans la compagnie familière d’aventuriers de bas étage, elle ne reparut plus que pour réclamer son rang au jour où George IV monta sur le trône. L’unique fruit de cette union malheureuse, la princesse Charlotte, grandit dans l’isolement. De l’époux qu’elle choisirait devait dépendre le sort du royaume-uni. On sait aussi comment périrent les espérances légitimes que le pays avait mises en elle.

À défaut de cet unique héritier, la famille royale comptait de nombreux représentans. George III avait eu quinze enfans, dont douze vivaient encore. Aucun d’eux ne sut conquérir les sympathies du peuple. Le second fils, le duc d’York, marié à une princesse royale de Prusse, n’avait pas d’enfans. Comme général, il échoua dans les Pays-Bas lorsqu’il fut mis à la tête de l’armée anglaise au début des hostilités. Pourtant il remplit, presque toute sa vie durant, le haut emploi de commandant en chef en Angleterre et s’y distingua par de réelles qualités. Aussi dissolu que son aîné, il fut accusé devant le parlement en 1807 d’avoir toléré le trafic des grades par l’intermédiaire d’une de ses favorites et ne s’en justifia pas tout à fait. Le troisième fils de George III, le duc de Clarence, n’avait que des enfans naturels. Le quatrième, le duc de Kent, était célibataire à cette époque. Les cinquième et sixième fils, ducs de Cumberland et de Sussex, s’étaient mariés contre la volonté de leur père. Enfin, le septième, le duc de Cambridge, était célibataire. Des cinq filles, une seule était mariée et n’avait pas d’enfans. Ainsi, dans cette nombreuse famille dont le plus jeune avait près de quarante ans, le seul rejeton auquel le pays s’intéressait était cette princesse Charlotte, que l’on aimait non-seulement pour ses qualités personnelles, mais aussi parce que la couronne serait revenue, à défaut d’elle, à des princes contre lesquels la nation avait de justes griefs.

L’affection populaire que les fils du roi n’avaient pas su conquérir s’était portée sur l’heureux général des dernières guerres. L’illustration de la famille Wellesley était de date récente, puisque son chef, Richard Cowley Wesley, n’avait été élevé à la dignité de pair d’Irlande sous le nom de lord Mornington qu’au milieu du XVIIIe siècle. Le fils de ce premier pair fut fait comte et eut cinq enfans, dont l’aîné, élève brillant d’Eton et d’Oxford, gouverneur général de l’Inde à l’âge de trente-huit ans, vainqueur des Mahrattes et de Tippou-Sahib, reçut le titre de marquis de Wellesley. Lord Wellesley avait montré dans l’Inde de véritables qualités de gouvernement, quoiqu’on lui ait reproché d’avoir mésusé du pouvoir absolu que les circonstances lui attribuaient. De retour dans la mère patrie, il resta toujours au second rang. L’éclat dont le nom de son jeune frère Arthur fut entouré éclipsa bientôt les lauriers qu’il avait lui-même recueillis. On ne peut dire qu’Arthur Wellesley fût né pour la profession des armes, et de fait, après avoir atteint en six ans le grade de lieutenant-colonel, il essaya d’en sortir. La protection de son aîné le fit partir pour les Indes, où ses talens militaires se révélèrent pour la première fois. Rappelé en Europe, ses relations de famille, non moins que ses succès contre les Hindous, l’appelaient à jouer un rôle important dans la lutte contre Napoléon. Ce ne fut cependant qu’en 1809 qu’il obtint le commandement en chef des troupes débarquées en Portugal. Les cinq années qui suivirent sont peut-être le plus bel exemple que l’on puisse trouver dans l’histoire moderne de ce que la prudence et le sang-froid valent à la guerre. Plus encore par son adresse à profiter des fautes de l’ennemi que par des combinaisons stratégiques auxquelles son esprit froid répugnait, le général anglais s’avança peu à peu de Lisbonne à Toulouse. Cette longue série de belles campagnes l’appelait, au retour de l’île d’Elbe, à commander l’armée des Pays-Bas. Quelle que soit l’opinion des hommes spéciaux sur la bataille de Waterloo, on comprend la reconnaissance de la nation anglaise pour celui qui en était revenu vainqueur. Sir Arthur Wellesley était sorti d’Espagne en 1814 avec le titre de duc de Wellington. Ses compatriotes le considérèrent en 1815 comme un sauveur. Les honneurs ne troublèrent point son jugement. On le verra, dans la suite de ce récit, conserver toujours le même calme, la même présence d’esprit. C’est par l’exercice de ces qualités rares, quoique négatives, qu’il resta, longtemps après les triomphes éphémères du champ de bataille et malgré des tendances réactionnaires qu’il ne dissimulait point, le chef obéi du parti aristocratique, l’adversaire respecté des réformes que les whigs voulaient réaliser.

À la mort de William Pitt, lord Grenville avait été le chef d’un cabinet qui s’intitulait, avec plus de présomption que de vérité, le ministère de tous les talens. Le cabinet qui gouvernait la Grande-Bretagne en 1815 aurait pu prétendre être juste le contraire. Aucun des hommes d’état qui le composaient n’a laissé une réputation d’habileté : aucun ministère ne réussit mieux dans ses entreprises. Ce fut, par une autre anomalie, le plus long ministère que l’on vit jamais en Angleterre, car il dura vingt ans, sauf quelques changemens de personnes, et sous trois chefs différens, le duc de Portland, lord Perceval, lord Liverpool. Ce dernier avait pris la direction des affaires en 1812, par rang d’ancienneté en quelque sorte, — il avait toujours occupé des emplois politiques depuis 1793, sauf un court intervalle, — plutôt que par son mérite personnel. Le cabinet de lord Liverpool ne semblait vivre d’abord que parce que ses adversaires ne se souciaient pas de le remplacer ; les succès de Wellington, la paix de 1815, le consolidèrent.

Le lord-chancelier Eldon avait du moins acquis une légitime réputation dans l’exercice de sa profession. C’était un avocat de médiocre famille et de petite fortune que son talent avait amené sur les bancs de la chambre des communes d’abord, ensuite au plus haut emploi de la magistrature. Bien qu’il fût savant juriste, on lui reprocha toujours d’hésiter à conclure. Il était conservateur par-dessus tout, ennemi de toute réforme. On raconte qu’à son début comme premier juge, il eut l’audace, par un coup de tête auquel on suppose que sa femme l’avait poussé, de solliciter du roi la permission de siéger sans perruque. « Non, non, répondit George III, pas d’innovation sous mon règne. » Lord Eldon se le tint pour dit ; de mauvais plaisans prétendirent même qu’il prit ce mot pour devise. Il n’y eut pas un projet de réforme, si grave ou si futile qu’en fût l’objet, auquel il ne s’opposa pendant les vingt-cinq années qu’il fut lord-chancelier.

Lord Sidmouth, secrétaire d’état de l’intérieur, était encore un homme de loi, mais de médiocre capacité. Fils d’un médecin, le docteur Addington, qui avait soigné lord Chatham, il dut à l’intimité de William Pitt d’entrer au parlement et, de là, dans les emplois publics. Il présida la chambre des communes à la satisfaction de tous. On admet en Angleterre que la présidence, par cela même que celui qui l’exerce doit être indépendant de l’esprit de parti, ne conduit pas au ministère. Cependant, par une nouvelle preuve d’affection, Pitt le désigna comme le plus capable d’être son successeur, lorsqu’un désaccord avec George III, au sujet des catholiques, contraignit le cabinet de se démettre en 1801. Addington n’était pas l’homme des grandes conceptions. Il conclut la paix d’Amiens que le premier consul lui offrait ; le pays lui en sut gré. Ce succès l’étourdit ; se croyant de force à compter avec Pitt, il ne réussit qu’à se brouiller avec lui. Après avoir voulu traiter d’égal à égal avec le plus grand ministre qu’ait eu l’Angleterre, Addington, devenu lord Sidmouth comme récompense de ses services, était rentré au second rang dans une administration dont lord Liverpool était le chef.

L’habitude existait alors que le cabinet fût composé pour la majeure partie de membres de la chambre des lords. C’était en quelque sorte une tradition, attestant que l’influence de la chambre héréditaire prédominait, à tel point que, dans le cabinet du duc de Newcastle, au début du règne de George III, il n’y avait eu qu’un seul commoner. La situation avait changé, en ce sens du moins que les capacités se rencontraient plus nombreuses dans la chambre des communes. Le cabinet de 1815 avait d’un côté lord Eldon ; mais il avait de l’autre lord Castlereagh, Vansittart, Bathurst et quelques autres d’aussi peu de réputation. Le premier n’était pas un orateur, c’est incontestable. Tout jeune, il était entré dans le parlement d’Irlande, — l’union des deux royaumes n’eut lieu qu’un peu plus tard, — après une lutte électorale scandaleuse dans laquelle son père, lord Londonderry, se vantait d’avoir dépensé 60,000 livres. En qualité de secrétaire en chef pour l’Irlande, il prit part à un trafic inavouable d’emplois et de fonctions honorifiques en vue de faire consentir les assemblées délibérantes de cette île à l’union complète avec la Grande-Bretagne. Par cet apprentissage peu délicat de la vie publique, son esprit s’était délié ; il avait pris, sous la direction du comte de Liverpool, le portefeuille du foreign office.

Mais Vansittart, chancelier de l’échiquier, n’avait même pas l’adresse vulgaire que donne la pratique des affaires. Ministre des finances d’une nation riche et puissante pendant onze années, il n’eut pas une initiative, il ne sut pas préparer une réforme, alléger un impôt. Soit dans la paix, soit dans la guerre, ayant à faire face à des besoins tout différens, il fut incapable de modifier le budget ainsi que les circonstances l’exigeaient. Bathurst, beau-frère de lord Sidmouth, avait plus de capacité ; comme chancelier du duché de Lancastre, il avait peu d’occasions de le montrer. Robinson, devenu plus tard lord Goderich, chef d’un cabinet éphémère en 1827 et plus tard encore lord Ripon, s’est éteint en 1859 dans une obscurité relative qui laisse à juger du peu de cas que ses contemporains firent jamais de ses mérites. Il était alors vice-président du Board of trade. Tels étaient les hommes sur lesquels le gouvernement devait compter pour défendre sa politique devant la chambre des communes ; de jeunes auxiliaires, attachés à des fonctions subalternes, les assistaient au besoin, et ces jeunes gens s’appelaient Huskisson, Peel, Palmerston ; mais, relégués au second rang par leur âge ou par le caractère modeste de leur situation, ils n’avaient pas encore montré ce dont ils étaient capables.

L’opposition était mieux servie. Lord Grenville et lord Grey la dirigeaient dans la chambre haute, tous deux habiles aux affaires, s’imposant par le caractère et par la capacité. Toutefois il y avait entre eux la divergence d’idées qui tend toujours à séparer en deux fragmens le parti de l’opposition. Grenville, allié de Pitt, ancien premier ministre de Georges III, ne s’était séparé de son illustre parent que sur une question accessoire lorsque le roi avait déclaré qu’il ne confierait jamais un portefeuille à Fox. Ses partisans, les grenvillites, étaient hésitans comme lui, ils tergiversaient dans les occasions graves. La longue domination des tories et la résistance efficace qu’ils opposèrent avec succès aux idées libérales, même lorsque le pays s’y était déjà converti, doivent être attribuées surtout à l’inconsistance de ce tiers-parti qui, avec plus de décision, se serait emparé du pouvoir même avant que la lutte contre l’empereur Napoléon fût terminée. Lord Grey était plus entier ; avec de brillantes qualités oratoires, il s’était attaché, presque dès son entrée dans le parlement, à la grande question de la réforme électorale, il y était demeuré fidèle sans se laisser effrayer par les incidens de la révolution française ; il eut l’honneur de la faire triompher quarante ans après l’avoir proposée pour la première fois.

Dans la chambre des communes, nul n’avait plus de talent que Canning, tour à tour l’adversaire et l’allié de Castlereagh, toujours son ennemi intime. Bon écrivain, orateur éminent, Canning avait tenu une place brillante dans les cabinets de Pitt et du duc de Portland, dont Castlereagh était aussi membre. Un duel entre eux, à la suite d’un débat futile, sembla les séparer pour toujours. Bien que le duel fût alors dans les mœurs anglaises plus qu’à présent, il était au moins singulier de voir deux membres du gouvernement vider une querelle les armes à la main. Canning se fâcha de n’être mis qu’au second rang dans un cabinet dont lord Perceval, son inférieur par le talent et par la réputation, avait la présidence. Sept ans plus tard, en 1816, fatigué de ne plus rien être, il se trouva heureux de rentrer dans le ministère dont lord Liverpool était le chef et lord Castlereagh le ministre des affaires étrangères, avec la situation modeste de président du bureau du contrôle. On a répété, à propos de Canning, le mot de Voltaire : que les hommes réussissent plus par leur caractère que par leurs talens. Doué de qualités éminentes, réputé le plus grand orateur de son époque, il ne s’était encore montré, ni assez prudent ni assez patient pour obtenir le pouvoir auquel il se croyait des droits.

On ne peut dire que la Grande-Bretagne manquât d’hommes d’état à l’époque qui nous occupe, puisque dans l’opposition aussi bien qu’au pouvoir, il y avait des talens remarquables, sinon de premier ordre, mais il leur manquait à tous les qualités singulières qui font que les hommes d’état guident les événemens au lieu de se laisser guider par eux.


II

La paix fut accueillie avec joie d’un bout à l’autre de l’Angleterre. Le pays s’était enrichi pendant une longue période de guerre ; quel degré de prospérité ne devait-il pas atteindre lorsque le commerce serait libre entre toutes les nations du globe et que l’Europe entière allait transformer ses ennemis de la veille en consommateurs ? Avec plus de perspicacité, on aurait deviné que cette prévision ne se réaliserait pas. En Allemagne, en France, en Espagne, la guerre avait eu pour effet, non de supprimer les besoins, mais d’entraver l’industrie, les opérations commerciales ; les usines n’avaient pu s’établir, les ouvriers avaient été enrôlés sous les drapeaux, les navires de la Grande-Bretagne avaient accaparé les transports parce qu’il n’y avait sur la mer de protection que pour eux seuls. La paix conclue, les capitaux enfouis se montrèrent ; la main-d’œuvre s’offrit à bon marché ; les soldats licenciés demandèrent du travail. Les manufacturiers anglais se virent en mesure de fabriquer davantage au moment où leur marché se restreignait par la concurrence.

Aussi bien que les fabricans, les cultivateurs avaient profité de l’isolement que Napoléon avait voulu faire autour des Iles-Britanniques ; obligés de suffire seuls aux besoins d’une population plus nombreuse, ils avaient amélioré leurs instrumens, leurs troupeaux, leurs méthodes de culture. S’ils produisaient plus chèrement, ils vendaient leurs produits à un prix plus élevé ; ils payaient de gros loyers sur la terre sans avoir à s’en plaindre. L’ouverture des ports du continent eut pour premier effet d’abaisser le prix du blé. Il y eut, suivant toute apparence une panique ; les fermiers s’imaginèrent qu’il était impossible de lutter contre la concurrence étrangère ; les baux arrivés à leur terme ne se renouvelèrent pas ; un grand nombre de propriétés restèrent en friche. Du moins, au milieu de la détresse universelle, le pain était à bon marché. L’année 1816 fut bien différente. Humide au printemps, pluvieuse en été, froide à l’automne, elle ne fournit qu’une médiocre récolte. En décembre, le pain coûtait le double de ce qu’il avait coûté au mois de janvier précédent. En même temps, et sans que ces phénomènes économiques aient un lien apparent, l’industrie métallurgique subit une crise telle que la plupart des hauts fourneaux cessèrent de brûler ; comme conséquence, le travail des houillères fut suspendu. Le pain était cher, et d’innombrables ouvriers se trouvèrent sans ouvrage.

Le peuple avait alors trop peu d’instruction pour se rendre compte que cette désastreuse situation n’était pas plus la faute du gouvernement que des patrons. La misère était extrême. À Birmingham, plus d’un tiers de la population recevait l’assistance publique, mais c’était surtout dans les comtés agricoles que la détresse se faisait sentir, au point que, en certaines paroisses, six personnes sur sept vivaient de la taxe des pauvres. Il ne fut plus question dans les journaux que de meurtres, d’incendies, d’émeutes, de pillages des boutiques de bouchers ou de boulangers. Les ouvriers n’étaient pas partout malfaisans. Ceux des houillères imaginèrent de s’atteler à des tombereaux pleins de charbon de terre et de s’en aller ainsi de ville en ville offrir leur marchandise. Les magistrats eurent le bon esprit de faire acheter ce que ces ouvriers nomades apportaient et de les renvoyer contens. La crise fut plus grave dans les villes de manufactures : la populace s’en prit aux métiers, que l’on accusait d’avoir abaissé le taux des salaires. Trente ans auparavant, un pauvre idiot du comté de Leicester, Ned Ludd, avait brisé une machine par jalousie contre ses camarades. Son histoire était restée populaire. En souvenir de lui, ceux qui s’attaquèrent aux métiers reçurent le nom de luddistes. Ils firent beaucoup de mal dans les provinces du centre où l’industrie était déjà développée ; ce qui est pis, les gens mêmes qui les désapprouvaient n’étaient pas bien certains qu’ils eussent tort. La masse du public se laissait encore convaincre que l’introduction des machines dans l’industrie est vraiment un désastre pour l’ouvrier.

Il était inévitable que ces désordres fussent accompagnés d’agitations politiques. L’usage s’était établi déjà de désigner sous le nom de radicaux les hommes d’opinions intempérantes. Dans l’Angleterre du temps présent, les radicaux sont ceux qui ne transigent pas avec leurs principes ; alors, c’étaient des fauteurs de révolutions que redoutait quiconque avait un intérêt à maintenir le régime en vigueur ; c’étaient des écrivains tels que Paine et Godwin, qui parlaient d’abolir toutes les lois existantes ; c’étaient, lorsque Pitt était ministre, les partisans des jacobins à qui l’Angleterre faisait la guerre. En 1816, les radicaux n’étaient, — à part Cobbett, le plus vigoureux pamphlétaire de l’époque, — que des inconnus, sans talent, sans influence, Un orateur de carrefour, Hunt, était le plus notable d’entre eux ; il ne paraît point cependant qu’il ait eu l’initiative et l’audace que doit posséder le chef d’un parti violent. On l’accusa, sur le témoignage d’un délateur dont la bonne foi est contestable, d’organiser des sociétés secrètes, de débaucher les soldats, d’ourdir des complots. Le seul acte apparent qu’il se permit fut de convoquer à Spafields, faubourg de Londres, une réunion de tous les mécontens. L’assemblée, plus bruyante que dangereuse, vota une adresse au prince régent et s’ajourna à trois semaines pour attendre la réponse. Au jour de cette seconde réunion, les esprits étaient plus agités. Hunt eut l’habileté de se tromper d’heure et d’arriver trop tard. En l’attendant, deux énergumènes, Waston, un médecin sans malades, Thistlewood, un agitateur vulgaire, entraînèrent la foule dans les rues de Londres ; une boutique d’armurier fut pillée, un spectateur paisible fut tué ; ce fut tout. Le lord-maire avait pris soin de masser sur différens points des troupes de police qui dispersèrent les émeutiers et arrêtèrent le plus turbulens. Le ministère voulut à toute force poursuivre ces quelques prisonniers pour crime de haute trahison. Le jury, moins effrayé que les représentans de la couronne, les acquitta. En face d’un gouvernement qui voulait être trop sévère, le public se montrait trop indulgent.

Le programme avoué des radicaux n’avait alors rien de bien méchant ; il se réduisait à ceci : le suffrage universel, un parlement annuel élu au scrutin secret, l’allocation d’une indemnité aux membres de la chambre des communes, mais ces revendications se manifestaient dans la rue par des actes répréhensibles. Au jour de l’ouverture du parlement, la voiture du prince régent fut assaillie à coups de pierres. Lords et membres des communes, qu’ils fussent du parti de l’opposition ou du parti ministériel, tous réprouvaient ces excès au même degré ; ils différaient sur le moyen de les réprimer. Les uns soutenaient que cette effervescence s’apaiserait dès que les affaires auraient repris leur allure habituelle ; ils faisaient valoir que l’agitation s’éteignait dans les provinces à mesure que le travail renaissait ; il fallait, à les entendre, être fermes, mais non sévères ; les lois en vigueur suffiraient à contenir les mutins, les autres, au contraire, se croyaient à la veille d’une insurrection générale. On leur avait fait accroire que les insurgés avaient des armes, obéissaient au mot d’ordre de sociétés secrètes. L’acquittement par le jury des émeutiers de Spafields épouvanta même des modérés, tels que lord Grenville, qui était, sinon le chef de l’opposition, du moins le membre le plus écouté dans le parti opposé au ministère. Lord Liverpool et ses collègues demandèrent la suspension de l’habeas corpus ; une large majorité la leur accorda.

La Grande-Bretagne a traversé des crises plus graves depuis un demi-siècle. Les chartistes ont rempli Londres de leurs processions en 1848 ; les fenians ont semblé, en 1866, avoir pour complices la populace de toutes les grandes villes. Cette suspension de la loi dont les Anglais sont si fiers, qui garantit la liberté individuelle, n’a plus jamais été prononcée. Elle l’avait été en 1793, sur la demande de Pitt, au commencement de la guerre contre la France. On l’a pardonné à Pitt, en considération sans doute des gages qu’il avait donnés auparavant au parti libéral ; on a trouvé que les ministres de 1817 étaient coupables d’avoir eu recours à ce moyen. Peut-être leur en a-t-on gardé rancune surtout parce qu’ils en abusèrent. Les chambres votèrent, en même temps et sur la proposition du cabinet, une loi contre les réunions séditieuses. Toute assemblée, n’eût-elle pour objet que de discuter des questions scientifiques ou littéraires, fut interdite. Les sociétés savantes les plus honorables ne furent pas exceptées. Cobbett, fit à sa façon la critique de ce régime arbitraire. Si redoutable qu’il fût, avec le journal à bon marché qu’il venait de créer, le ministère n’osait le poursuivre. Mais Cobbett s’effrayait d’autant plus qu’il était criblé de dettes, et sous le coup des poursuites de ses créanciers non moins que du gouvernement, il partit pour l’Amérique en déclarant qu’il avait peur d’un donjon sans plume, ni encre, ni papier.

Personne ne s’étonnera que ces mesures de rigueur, ces menaces, eussent pour première conséquence d’exciter davantage les esprits. On disait déjà tout haut, au sein des sociétés secrètes, que tous les moyens, même les moyens violens, sont bons pour résister à l’oppression et pour obtenir la réforme du parlement. L’agitation s’accentuait surtout dans les grandes villes. Se voyant empêchées de tenir des réunions publiques, les sociétés secrètes de Manchester résolurent d’envoyer une immense députation à Londres, députation de pauvres gens à qui les meneurs persuadèrent qu’il fallait que chacun emportât sa couverture afin de camper au milieu des champs. Des députations de toutes les grandes villes du Nord devaient se joindre à celle de Manchester ; avant d’arriver à Londres, ils seraient si nombreux que l’armée et la police n’oseraient leur faire obstacle. Cette manifestation pitoyable a été appelée la marche des blanketeers ; ils partirent douze milieu disent les uns, quatre mille seulement disent les autres. À chaque pas, le nombre en diminuait, loin de s’accroître. Des patrouilles enlevèrent les plus bruyans ; les timides se dérobèrent. Quelques centaines allèrent jusqu’à Macclesfield. Épuisés, sans argent, sans pain, ils n’excitaient plus que la pitié ; ils se trouvèrent heureux de rencontrer de bonnes âmes qui les secoururent.

Y eut-il vainement un plan général d’insurrection ? C’est possible, mais la preuve n’en fut faite que par les dépositions suspectes de prétendus complices à la solde de la police. Ces bruits servaient le ministère, à qui les chambres concédèrent que la suspension de l’habeas corpus serait prolongée jusqu’au mois de mars 1818. Lord Liverpool et ses collègues triomphaient dans le parlement ; ils étaient moins heureux devant les tribunaux. À Londres, à York, le jury acquittait les émeutiers poursuivis par l’attorney-général pour crime de haute trahison. L’offense dont ils s’étaient rendus coupables ne parut pas mériter d’être qualifiée si sévèrement. Dans le comté de Derby, une troupe de cinq cents individus, armés de fusils, avait tué un spectateur paisible, mais s’était dispersée à la première sommation. Il y avait meurtre, c’était incontestable, et le jury montra qu’il ! comprenait la gravité du fait, car il condamna les trois principaux chefs à la peine capitale ; mais il ne voulut voir rien de plus grave en ces tentatives insensées.

Le ministère ne fut pas mieux obéi dans les poursuites qu’il dirigea contre les écrivains. Cobbett avait emporté de l’autre côté de l’Atlantique la verdeur ironique du pamphlétaire ; il avait laissé à ses émules de la presse périodique l’audace des injures et l’intempérance du langage. Les hommes du pouvoir n’étaient pas seuls à se plaindre de là licence des écrivains ; Southey conseillait à ses amis du gouvernement de les déporter tous ; Wilberforce s’indignait de leurs blasphèmes quotidiens. Comme il arrive toujours en pareil cas, ce fut pour une attaque contre le cabinet et non pour une attaque contre les institutions sociales que les premières poursuites eurent lieu. Une feuille obscure osa dire que le ministère avait fait la guerre à la France non pour renverser l’empereur, mais pour dominer les citoyens anglais. Traduit devant le jury, ce journal fut acquitté : sa réputation était faite ; inconnu la veille, il était célèbre le lendemain. Un peu plus tard, un pauvre libraire, Howe, était poursuivi à son tour pour avoir parodié dans un livre les formules de l’église établie. L’attorney-général crut ne pouvoir mieux démontrer combien cette œuvre était impie et scandaleuse qu’en en lisant des extraits devant la cour. Hélas ! les jurés eux-mêmes éclatèrent de rire. Repris par trois fois, devant des tribunaux différens, et pour des passages de son livre qui n’étaient pas les mêmes chaque fois, Howe obtint toujours un verdict de non-culpabilité. Décidément le jury ne voulait pas condamner les pamphlétaires.

L’agitation morale des esprits s’évanouissait avec les causes qui lui avaient donné naissance. La récolte de 1816 avait été déplorable ; par suite le pain avait été cher, le travail rare et mal rétribué. Dès le milieu de 1819, la situation s’améliorait ; le prix du pain redescendait à un taux raisonnable, le commerce redevenait prospère. Malgré la reprise des affaires, le rétablissement de la paix, les finances de l’état étaient toujours le gros souci de chaque session parlementaire. Ceux qui s’étaient imaginé que le budget se retrouverait en équilibre aussitôt la guerre finie étaient loin de compte. Il fallait mettre des garnisons dans les anciennes colonies et surtout dans les nouvelles dont la fidélité était encore douteuse, contenir l’Irlande ; bref une armée de cent quarante-neuf mille soldats et trente-trois mille marins paraissait indispensable. La dépense prévue se maintenait au niveau des recettes, à supposer que celles-ci ne fussent pas réduites. Mais la chambre des communes décidait, sous la pression de l’opinion publique, de supprimer l’impôt sur le revenu, qui rapportait 15 millions de livres par an. Il y avait un moyen bien simple de rétablir l’équilibre après ce sacrifice : c’était de supprimer l’amortissement, qui absorbait chaque année une somme à peu près équivalente. Les ministres n’osèrent le proposer. En 1816, en 1817, en 1818, l’examen du budget se représenta escorté des mêmes embarras. Le chancelier de l’échiquier, Vansittart, homme de routine sans initiative, empruntait d’un côté, sous forme de bons du trésor, ce qu’il lui fallait pour faire d’un autre côté des versemens illusoires à la caisse d’amortissement.

Qu’il y eût abondance ou disette, la question financière était toujours l’embarras du moment. Le comité des finances de 1817 émit l’avis qu’il convenait de supprimer les emplois inutiles. Il était plus facile de le dire que de le faire. Les sinécures richement payées étaient devenues en quelque sorte un organe de gouvernement. Il semblait naturel qu’un homme, après avoir occupé de hautes fonctions publiques, ne rentrât pas dans la vie privée, fût-ce comme simple membre du parlement, sans une dotation qui lui permît de conserver une existence fastueuse. On supprima quelques titres superflus avec les émolumens que l’usage leur attribuait ; par compensation, les chambres accordèrent au roi la faculté de distribuer sous forme de pension viagère la moitié des économies provenant de ces suppressions. L’abus que l’on détruisait d’un côté renaissait à l’instant sous un autre nom.

Troubles intérieurs, embarras budgétaires, telle était la situation politique à la veille des élections générales de 1818. La chambre des communes était impopulaire parce que, sauf la création des caisses d’épargne et quelques votes de fonds pour les travaux publics, elle s’était fort peu occupée des besoins du pays. Le ministère était plus impopulaire encore. Il avait tout fait pour s’aliéner les sympathies de l’opinion, car il avait continué pendant trois années de paix une politique de compression que la guerre même ne justifiait pas, qu’elle excusait tout au plus. Pourtant il n’était pas contesté d’avance que les élections dussent lui être favorables, puisque plus de la moitié des sièges étaient à la disposition soit du gouvernement, soit des pairs qui votaient avec lui. Tout l’intérêt de la lutte se reportait sur une centaine de collèges. En somme, quinze ou vingt candidats de l’opposition l’emportèrent sur ceux du ministère Liverpool. Par malheur, le parti whig perdait ses principaux chefs. Ponsonby, dont le caractère et l’autorité savaient entraîner parfois le parti tout entier, jusqu’aux grenvillites, dans une action commune, Ponsonby était mort depuis quelques mois. Romilly, Horner, mouraient aussi. L’opposition était plus nombreuse ; elle comptait dans ses rangs élargis moins de champions capables de tenir tête au cabinet.

Des élections de cette nature étaient faites pour aviver les réclamations de ceux qui voulaient une réforme parlementaire. Au surplus, les événemens favorisaient de nouveau les agitateurs, car la misère était grande dans les centres manufacturiers. Les ouvriers sans travail commençaient à s’unir en association dans le dessein de peser sur les décisions des patrons ; on pouvait prévoir qu’une fois organisés, ils ne tarderaient pas à manifester leurs tendances politiques. Quelques membres des communes appartenant à la fraction modérée du parti whig prirent eux-mêmes l’initiative d’un projet de réforme. Lord Tavistock, fils aîné du duc de Bedford, ennemi pourtant des doctrines radicales, déposa sur le bureau de la chambre une pétition de dix-huit cents notables de Liverpool qui demandaient à être représentés. Liverpool avait, il est vrai, deux députés, mais nommés par un si petit nombre d’électeurs qu’ils ne pouvaient prétendre être les délégués de la population. L’affaire se présentait bien ; l’intervention d’un député radical lui enleva toutes les chances de réussite qu’elle pouvait avoir. Sir Francis Burdett s’était associé précédemment aux revendications violentes de Hunt et de Cobbett ; au moment où la pétition des habitans de Liverpool fut introduite, il proposa tout un plan de réforme avec le but avoué de proportionner les droits électoraux aux charges que payait chaque citoyen. La chambre n’était pas encore d’humeur à se saisir d’une proposition si hardie ; à peine quelques voix l’appuyèrent-elles ; l’immense majorité vota contre ou même témoigna par l’abstention qu’elle ne voulait pas discuter avec les radicaux.

Lorsque ce résultat fut connu au dehors, l’agitation en faveur de la réforme s’étendit à toutes les grandes villes du royaume. Des meetings monstres se réunirent partout. À Birmingham, le peuple eut une idée bizarre ; ne pouvant nommer up député puisque la loi constitutionnelle ne le permettait pas, on imagina de désigner un avocat législatif qui serait chargé de défendre auprès du parlement les intérêts de la ville. C’était une sorte de pétition vivante que les habitans de Birmingham envoyaient à Londres. Le nouvel élu, sir Charles Wolseley, était un partisan de Burdett ; il prit du reste son titre au sérieux, mais pas pour un long temps, car, s’étant peu après compromis dans une bagarre où un agent de police fut tué, il fut poursuivi pour sédition et condamné par le jury.

Cependant l’idée avait du succès. Manchester résolut de suivre l’exemple de Birmingham, et un meeting fut convoqué à cet effet, au moins d’août 1819, sur la place de Peterloo. On prétend que les assistans étaient au nombre de 50,000 à 60,000 ; ils marchaient en rangs jusqu’au lieu de la réunion, portant des drapeaux où se lisaient des inscriptions séditieuses, mais calmes et même observant un semblant de discipline. Les marchands avaient eu la précaution de fermer leurs boutiques. Peut-être la journée se fût-elle passée sans incidens. Les autorités avaient pris de grandes précautions ; des troupes étaient venues du dehors ; la milice était sous les armes. À peine l’orateur de la foule, Hunt, eut-il commencé son discours que les magistrats du comté voulurent le mettre en arrestation. La police se vit impuissante ; la milice à peine formée en ligne fut culbutée ; les magistrats donnèrent l’ordre à la cavalerie de charger la foule. Ce fut une débandade générale, dans laquelle beaucoup d’individus furent blessés. ; quelques-uns y périrent Le lendemain matin, la ville était rentrée dans le calme le plus parfait.

Les victimes de cette échauffourée étaient nombreuses ; l’affaire devenait grave. De quel côté était la légalité ? Cette question ne se poserait plus en France. En Angleterre où la grande masse du peuple n’avait alors d’autre ressource que les réunions publiques pour faire connaître son opinion, les avis pouvaient être partagés. Le point capital se réduisait à savoir si les magistrats de Manchester s’étaient vus en face d’un meeting illégal. Le lord-chancelier Eldon, — on a dit plus haut qu’il avait le tempérament autoritaire, — n’hésita point. Suivant lui, le nombre crée la force, la force la terreur, la terreur crée l’illégalité. Un autre conseiller de la couronne, lord Redesdale, le prenait sur un ton moins absolu. Une assemblée qui réclame la réforme électorale, disait-il, menace la constitution anglaise, inspire la haine du gouvernement existant : c’est un acte de haute trahison. On lui répondait avec raison qu’un meeting a toujours eu pour but de protester contre telle ou telle loi en vigueur, fit que par conséquent sa doctrine n’allait pas à moins que la suppression de toutes réunions publiques. Le prince-régent adopta, comme le cabinet, l’avis de lord Eldon ; il adressa des félicitations aux autorités civiles de Manchester ainsi qu’aux officiers de la milice ou de l’armée régulière qui avaient rétabli l’ordre dans une circonstance critique. Mais, réflexion faite, les ministres n’osèrent, en faisant le procès de l’orateur Hunt et de ses acolytes, soumettre au jury la question de légalité. Le juge qui dirigeait les débats eut le bon esprit de ne retenir à la charge des accusés qu’une question défait. Étaient-ils coupables d’avoir tenu tête aux magistrats qui voulaient disperser la réunion ? Le jury ne pouvait donner qu’une réponse affirmative. Hunt fut condamné à deux ans et demi, Wolseley à dix-huit mois de prison ; pour les autres, la peine fut encore moins sévère.

Tout n’était pas fini, puisque ce verdict ne décidait point si les autorités de Manchester avaient eu tort ou raison de faire charger la foule. Des souscriptions s’ouvrirent à Liverpool et à Londres pour secourir les victimes du massacre de Peterloo, comme on disait déjà. Des officiers de la milice de Manchester furent assignés devant les tribunaux en réparation du dommage que leurs soldats avaient causé à des citoyens inoffensifs ; il est vrai que le jury du comté de Lancastre rejeta ces demandes d’indemnité. Les protestations ne furent pas seulement individuelles. Le conseil communal de Londres, réuni en session au mois de septembre, affirma la légalité du meeting de Peterloo en ajoutant que la conduite des magistrats y avait été blâmable et que toute cette affaire était une atteinte audacieuse à la constitution du royaume. Ce conseil avait le privilège d’obtenir audience du souverain lorsqu’il le réclamait ; il présenta donc au prince régent une adresse rédigée dans le sens de la délibération qui vient d’être racontée. Dans presque toutes les villes de l’Angleterre, de nombreux meetings se prononcèrent dans le même sens. On en avait voulu supprimer un ; cette tentative de résistance avait mis partout le peuple en mouvement. Et que l’on n’imagine point que la populace s’animât seule sur ce sujet. À York, vingt mille personnes s’assemblaient sous la présidence de lord Fitz-William, lord-lieutenant et l’un des plus riches propriétaires du comté. Le meeting de Manchester, source de cette agitation, avait été l’œuvre des radicaux. C’étaient maintenant les whigs modérés qui blâmaient la conduite suivie par le cabinet dans la circonstance et qui prétendaient défendre contre les ministres les privilèges du public.

Il faut convenir que les ministres n’hésitèrent pas. Leur premier acte fut de révoquer lord Fitz-William de ses fonctions de lord-lieutenant. Ils venaient de convoquer le parlement, en disant tout haut que, puisque les lois en vigueur étaient insuffisantes, ils allaient en proposer de plus sévères. Leur situation était très forte dans les deux chambres, car, outre que la majorité numérique leur était acquise, personne ne se souciait de s’allier aux radicaux. Les whigs libéraux étaient perplexes ; l’agitation populaire ne leur inspirait aucune sympathie ; ils auraient voulu des. réformes anodines, sans que presque rien fût changé. Quant aux wighs modérés, Grenville, leur chef, ne leur permit pas de tergiverser. Il avait approuvé Pitt proposant des mesures de rigueur au début de la révolution française : il se souvenait que cela avait réussi ; les circonstances lui paraissaient être les mêmes. Il demandait que lord Liverpool eût le courage de suivre l’exemple de Pitt.

Les mesures proposées par le ministère sont connues dans l’histoire sous le nom des « six actes » de lord Castlereagh, à qui l’on en attribue l’initiative. Le premier interdisait aux citoyens qui ne font point partie de l’armée d’étudier le maniement des armes et de se livrer à des exercices militaires. Le gouvernement voulait par là rendre impossible les processions régulières de milliers d’individus, comme on en avait vu notamment dans la journée de Peterloo. Cette loi paraît bizarre aujourd’hui, surtout en France, où l’on veut même que les enfans apprennent à marcher au pas dès l’école primaire. Le second acte enlevait aux hommes inculpés de conspiration contre l’état le droit d’obtenir une remise jusqu’à la session suivante des assises. Cette proposition était de peu de conséquence : lord Holland eut l’adresse de faire passer un amendement en vertu duquel il y a prescription lorsqu’une année entière s’écoule sans poursuite. Ces deux lois sont restées en vigueur ; l’une est une mesure de police à laquelle personne ne trouve plus rien à redire ; l’autre est plutôt favorable que contraire aux adversaires du gouvernement.

Les autres actes ne sont pas aussi inoffensifs. Les magistrats ont le droit, dans certains comtés, de prescrire des perquisitions pour saisir les armes cachées. Les réunions publiques, ayant pour but de discuter les affaires publiques, sont interdites à tous individus étrangers à la paroisse où se tient l’assemblée : le magistrat local, qui doit être prévenu par avance, a le pouvoir discrétionnaire de les ajourner. Tout pamphlet séditieux ou blasphématoire peut être saisi après une condamnation et nonobstant appel ; de plus, le libraire qui le vend peut être banni du royaume en cas de récidive. Enfin les libelles et autres publications de format restreint sont assujettis au timbre comme les journaux quotidiens.

Ces quatre actes qui suspendaient la liberté de la presse, la liberté des réunions, la liberté individuelle, ne sont pas restés longtemps dans le code anglais. La première année passée, les ministres n’osèrent plus en réclamer l’application. Il avait suffi d’un moment d’affolement pour qu’ils fussent votés. « Je vois du côté du gouvernement, disait Tierney dans la chambre des communes, la détermination évidente de ne recourir qu’à la force. Les ministres ne parlent que de cela, ne rêvent que de cela. Ils n’essaieront ni de pacifier ni de concilier. Ils veulent de la force et rien que de la force. » Tierney aurait pu ajouter que les membres des deux chambres votaient ces lois rigoureuses parce qu’elles ne les atteignaient point. Les journaux dont les classes élevées faisaient leur lecture quotidienne n’en avaient rien à craindre, car une forme décente et modérée était de règle dans la polémique de ces journaux ; mais les feuilles à bon marché que lisaient les ouvriers étaient sous le coup de poursuites incessantes. Les lords et les représentans légaux des communes, les shériffs, les magistrats municipaux, restaient libres de se réunir aussi souvent qu’il leur plaisait ; mais les assemblées populaires étaient interdites. Les lois de 1820 furent au fond la mise en défense de l’aristocratie dirigeante contre les mouvemens populaires qui menaçaient sa toute-puissance. Ne nous hâtons pas trop de l’en blâmer : elle avait été provoquée par une agitation tumultueuse qui ne présageait rien de bon à des gens chez qui les souvenirs de la terreur étaient encore vivans. Elle ne persista pas longtemps au surplus dans cette voie de sévère répression, et les lois draconiennes que lord Liverpool et ses associés lui avaient arrachées tombèrent en désuétude avant d’être virtuellement abrogées.

La menace seule avait produit de l’effet. Les grandes villes se calmèrent ; les polémiques de la presse prirent une allure moins irritante. Cependant l’agitation ne pouvait disparaître tout d’un coup. Dans le nombre des turbulens qui composaient le parti radical, il y en avait quelques-uns que rien ne devait arrêter. Une trentaine d’énergumènes à la tête desquels s’était placé Thistlewood l’un des meneurs du meeting de Manchester, complotèrent d’assassiner tous les ministres à la fois dans une maison où un dîner parlementaire les réunissait. Comme il arrive toujours, l’un des conjurés, qui était à la solde de la police, révéla les détails de l’affaire à la veille de l’exécution. Les cinq plus coupables furent pendus, les autres condamnés à la transportation. Ce complot sanguinaire, qui n’inspira que de l’horreur, parut justifier les lois préventives que le parlement venait de voter.

Ici s’arrête l’une des périodes les plus tourmentées de l’histoire moderne d’Angleterre. Les cinq années écoulées depuis la paix avaient été des années de crise sans exemple. La détresse avait été grande dans les classes ouvrières et agricoles ; les hommes remuans qui, la guerre terminée, s’étaient retrouvés oisifs, avaient rêvé de réformer les institutions de leur pays. Il est de fait que ces institutions, modifiées dans le sens de l’autorité absolue au cours de la longue lutte contre Napoléon Ier, ne répondaient plus aux tendances libérales de la population. Comprimés par les lois de 1820, les agitateurs ne s’entêtèrent pas ; redevenus maîtres des destinées du royaume, les privilégiés ne se crurent pas dispensés d’accorder de bonne grâce les réformes qu’ils avaient refusées devant des manifestations factieuses. Il y eut de part et d’autre de la modération. C’est peut-être le fait dont on puisse faire le plus honneur au peuple anglais.

Sur ces entrefaites aussi, le roi George III était mort le 29 janvier 1820. Il n’était plus depuis longtemps qu’un fantôme. Relégué en dehors des affaires de ce monde par la maladie terrible qui lui enlevait là connaissance de lui-même, il n’inspirait plus que de la pitié, et la pitié s’était transformée en respect. On l’avait haï, lorsqu’il était jeune, autant que souverain le fut jamais. Vieux et infirme, il fut aimé pour ses souffrances et respecté pour ses vertus privées, qui étaient incontestables.


III

George|IV}}, qui succédait à son père, après avoir été pendant neuf ans régent du royaume, n’était ni aimé ni respecté. George II et George III avaient été des hommes, dit Thackeray ; leur héritier ne fut qu’un monarque insignifiant et sans caractère. Pour commencer, la parole appartenait aux ministres que le roi défunt avait laissés en fonctions. Ceux-ci s’empressèrent de dissoudre la chambre des communes, qui, d’après la loi constitutionnelle, devait être renouvelée dans les six mois de la vacance du trône. Les élections furent calmes ; elles ne modifièrent pas la force respective des partis. Le nouveau parlement, aussitôt rassemblé, se trouvait en présence d’une question où la dignité même du souverain était enjeu ; il avait à régler la liste civile de George IV.

Peut-être verra-t-on là mieux qu’ailleurs ce que conservent de puissance les vieilles coutumes dans un pays qui prétend se gouverner lui-même. Reportons-nous à deux siècles en arrière ; jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les rois d’Angleterre disposaient sans contrôle des revenus publics ; par compensation, ils payaient toutes les dépenses de l’état, et personne n’avait le droit de leur en demander compte. Lorsque, de temps en temps, leur trésor était vide, les communes accordaient des subsides temporaires, sans jamais spécifier l’usage auquel ces sommes seraient employées. Après la révolution de 1688, la chambre n’a plus cette confiance ; elle donne davantage, mais en décidant que c’est destiné à la marine, à l’armée ou au paiement des intérêts de la dette. Les dépenses du gouvernement civil restent seules à la charge des revenus héréditaires que le souverain reçoit sans intermédiaire. À l’avènement de la reine Anne, ces revenus parurent insuffisans ; on y ajouta une somme d’argent annuelle par une loi sur la liste civile, que l’on convint de maintenir en vigueur tant que la reine vivrait. Modifiée à chaque nouveau règne, la liste civile fut fixée à 800,000 livres sterling pour le roi George III. C’était un monarque économe, et pourtant le parlement fut obligé plus d’une fois de payer ses dettes, bien qu’il eût en outre à sa disposition une liste civile écossaise, une liste civile irlandaise et divers impôts, tels que navires ennemis capturés en temps de guerre, épaves, biens de successions vacantes. Les dépenses imputables sur ces ressources étaient au surplus fort nombreuses : emplois diplomatiques, salaires des magistrats, du président de la chambre des communes et d’autres grands officiers d’état, pensions accordées à des individus qui avaient rendu des services à leur pays ou captivé la faveur du monarque.

La chambre de 1820 ayant à débattre la liste civile de George IV, Brougham pensa que le moment était venu de restituer au budget de l’état les dépenses d’intérêt public et de laisser au budget personnel du souverain seulement les dépenses qu’il doit faire pour maintenir son rang. À l’entendre, permettre au roi d’accorder des pensions, de payer sans contrôle les traitemens des diplomates ou des juges, c’était un dernier vestige de monarchie féodale. La réforme indiquée par Brougham était raisonnable, à un tel point même que les ministres en prirent l’initiative onze ans plus tard à la mort de Georges IV. Cependant Canning la combattit avec vigueur et il obtint gain de cause, non point tant parce que les idées soutenues par Brougham étaient prématurées que parce que beaucoup de membres des communes y voyaient une attaque directe contre le roi qui avait joui depuis longtemps, en qualité de prince régent, de la prérogative que cette réforme prétendait lui ravir.

Le roi n’était donc pas sorti sans atteinte du premier débat législatif engagé sous son règne. La querelle scandaleuse qui se ranima peu de jours après entre lui et la princesse Caroline, sa femme, dont il était séparé depuis 1814, ne contribua pas à lui rendre l’estime de ses sujets. Il n’entre dans le plan de ce récit de raconter les événemens contemporains de l’histoire d’Angleterre qu’autant qu’ils se rapportent aux grandes réformes qui modifièrent la politique et presque la constitution de ce pays. Il suffit donc de constater ici que dans le différend conjugal dont le parlement était juge, l’opposition whig et radicale se montra favorable à la princesse Caroline. Celle-ci avait pris pour défenseur Brougham : elle ne pouvait prendre un avocat plus éloquent ; mais elle n’aurait pas été embarrassée de choisir un conseiller plus judicieux. Au surplus, elle ne l’écoutait guère. Un peu enfiévrée de la popularité qu’elle avait acquise soudain, elle ne se rendait pas compte que les acclamations dont on l’accueillait étaient plutôt, une insulte à l’adresse de George. IV qu’un hommage pour elle-même.

» Le ministère ne s’était pas seulement donné le tort d’engager devant le parlement, pour plaire au roi, un projet de divorce qui ne put être mené jusqu’au bout ; il était, pour comble de malheur, partagé sur cette grave question. Le cabinet n’avait dans la chambre des communes que deux orateurs, lord Castlereagh et Canning. Ce dernier avait été admis dans l’intimité de la princesse Caroline, qui, avant de quitter l’Angleterre pour mener en Italie et ailleurs une vie désordonnée, réunissait volontiers dans ses salons de Londres les hommes les plus distingués de l’époque. Sheridan, Byron, Lawrence, Canning, comptaient au nombre de ses hôtes habituels. Canning ne pouvait se faire l’adversaire public d’une princesse qui l’avait honoré de son amitié ; ses collègues le comprirent et le laissèrent libre d’assister à ce grand procès sans y prendre part ; mais la situation était fausse ; lorsqu’il se retira du ministère, quelques mois plus tard, l’existence du cabinet parut si compromise, son impopularité était si bien établie, que Peel, quoiqu’ami du gouvernement, refusa de prendre la place devenue vacante. Au lieu de cet orateur puissant, dont la réputation s’était faite peu à peu et commençait à s’imposer, lord Liverpool ne put trouver d’autre champion que Bathurst, beau-frère de lord Sidmouth, administrateur entendu qui avait occupé précédemment avec talent des postes secondaires, mais incapable de tenir tête à l’opposition dans les luttes de la tribune.

Ce ministère, qui s’était forgé des armes nouvelles pour combattre l’agitation des masses, se voyait presque aussitôt empêché d’en faire usage. Toutes les passions populaires qui s’étaient enflammées les années précédentes sur des projets de réformes radicales se ranimaient en 1820 à propos du procès de la reine. La presse qu’il fallait poursuivre, les réunions publiques qu’il fallait interdire en vertu des six lois de lord Castlereagh, n’avaient plus d’autre programme que d’attaquer la princesse Caroline ou de prendre sa défense. Pour comble d’embarras, le plus agressif des pamphlétaires était cette fois du côté du gouvernement. Un certain Théodore Hook, que des succès comme compositeur de musique et de brillantes qualités d’homme du monde avaient lancé dans les salons à la mode, était devenu, par la protection du prince régent, trésorier de l’Ile Maurice. Soit fraude, soit négligence, il s’était fait révoquer bientôt à la suite d’un déficit considérable, et il était revenu dans la métropole, plus pauvre qu’au départ, prêt à faire de son esprit et de sa plume tout ce qu’il convenait d’en faire pour rétablir sa fortune. La feuille périodique qu’il fonda fut remarquée promptement par la vigueur des attaques dirigées contre la princesse eu contre ses partisans. Ceux-ci ne manquèrent pas d’y répondre, mais avec moins de talent et de succès. Les ministres ne pouvaient traduire devant le jury des écrivains qui prenaient sa défense eût-il voulu poursuivre seulement ceux qui l’attaquaient, il n’aurait pas trouvé de tribunaux disposés à condamner. Ces lois d’exceptions que le gouvernement avait invoquées comme sa sauvegarde devenaient inutiles. À défaut de poursuites intentées au nom du gouvernement, une association libre de gens prétendus bien pensans, de pairs, d’évêques, de tories de toutes classes, essaya de faire leur procès aux auteurs et aux imprimeurs de libelles indécens. Vain effort : à peine eut-on obtenu de légères condamnations contre deux ou trois des plus misérables que personne ne voulut plus faire partie de l’association. Les plus zélés avaient honte de prendre part à cette œuvre de police. La liberté de la presse était vraiment bien entrée dans les mœurs de la Grande-Bretagne, puisque personne ne voulait plus avoir l’air de lui faire obstacle.

Une année s’écoula encore sans amener de changement appréciable dans la politique anglaise, peut-être parce que l’opposition, toujours désunie, était incapable de combiner ses efforts pour une action commune. Peel s’était enfin décidé à entrer au ministère, en qualité de secrétaire de l’intérieur. Une alliance plus étroite s’était établie entre le parti au pouvoir et les grenvillites. Ce n’était pas suffisant pour constituer une administration progressive, pour répondre aux vœux de réformes que la grande majorité du pays ne cessait d’exprimer, lorsqu’un événement imprévu vint motiver un changement plus grave dans le ministère Liverpool qui, sous des noms différens, se perpétuait depuis près de quinze ans presque avec les mêmes hommes, en tous cas avec les mêmes tendances. Lord Castlereagh, — devenu depuis peu lord Londonderry par la mort de son père qui lui avait laissé l’héritage d’un marquisat irlandais, — exerçait une influence prépondérante dans le gouvernement, moins peut-être par ses qualités personnelles que par le relief que les succès de la Grande-Bretagne au dehors donnaient au chef du foreign office. Lord Castlereagh avait été l’un des arbitres de l’Europe au congrès de Vienne ; il avait traité d’égal à égal, dans des conditions, d’intime familiarité, avec les potentats de l’Europe, avec l’empereur François d’Autriche, avec le tsar Alexandre. Tout en défendant avec habileté les intérêts particuliers de son pays, il s’était imbu, dans ces fréquentations, royales, des idées qui y avaient cours. Il s’était convaincu qu’il fallait traiter les radicaux à Londres comme les carbonari à Naples ou les républicains à Paris. Il avait pris l’habitude de penser que les peuples n’ont nul droit d’être consultés sur la forme du gouvernement qui leur convient. Ces tendances des monarques du continent, il les avait appliquées, autant qu’il dépendait de lui, aux affaires intérieures de l’Angleterre après les avoir admises dans le règlement des affaires de l’Europe. Mal secondé par ses collègues à la chambre des communes, lord Londonderry fut presque seul à répondre aux attaques de l’opposition pendant la session de 1822 ; Peel, soit qu’il fût réellement malade, soit qu’il ne voulût pas s’engager à fond au profit d’un ministère ébranlé, ne s’occupait que des affaires de son département. Castlereagh, s’était donc fatigué plus que de coutume, et ses amis observaient avec inquiétude que son esprit était souvent absent. Il prit au sérieux tout à coup des dénonciations anonymes, comme tous les hommes d’état sont exposés à en recevoir, qui l’accusaient de malversations. Les médecins avaient recommandé qu’aucune arme ne fût laissée à sa, disposition. On oublia de lui enlever un canif ; il s’en frappa le 12 août 1822 et mourut le jour même. Il n’avait encore que cinquante et un ans.

Avant de dire quels changemens suivirent la mort du chef du foreign office, il est utile de résumer brièvement la politique financière du gouvernement depuis que la guerre était finie. Les budgets des premières années de paix s’étaient tous soldés en déficit parce que le chancelier de l’échiquier, Vansittart, s’obstinait à maintenir en vigueur la caisse d’amortissement. Il empruntait chaque année à peu près la somme entière qu’il employait à racheter les rentes anciennes ; chaque nouvel emprunt ayant sa quote-part d’amortissement, cette opération fictive alourdissait de plus en plus le budget ; Une autre question préoccupait beaucoup les financiers. Les billets de la banque d’Angleterre jouissaient du cours forcé depuis longtemps. Prorogée plusieurs fois pendant la durée de la guerre, cette mesure avait enfin été votée pour une durée indéfinie, sous la seule condition que le remboursement des billets en espèces métalliques ne serait obligatoire que six mois après la conclusion de la paix. Les premières années qui suivirent 1815 furent si calamiteuses que l’on craignit, avec raison sans doute, d’exposer la banque à un désastre. Le cours forcé subsistait encore en 1819. Vansittart soutenait qu’il était impossible, d’y renoncer. Cependant l’opinion publique se prononçait avec tant d’énergie pour la reprise des paiemens en espèce que les deux chambres nommèrent des commissions pour l’étude de cette question et que le chancelier de l’échiquier dut se montrer prêt à suivre l’avis qui dominerait dans le parlement. La commission de la chambre des communes avait pour président. Robert Peel, jeune alors et d’autant mieux accueilli qu’il avait pris soin, tout en donnant des preuves d’une incontestable capacité, de réserver son opinion sur toutes les grandes questions du jour. La loi que cette commission prépara et fit voter stipulait que la banque rembourserait peu à peu ses billets et que le cours forcé cesserait tout à fait à quatre ans de délai. La loi était sage, car la banque put devancer ce délai de moitié. La réputation de Peel s’en accrut, en même temps que diminuait l’influence de Vansittart, qui avait retardé cette mesure autant qu’il dépendait de lui.

Il suffit de citer des chiffres pour montrer à quel point l’amortissement pesait sur le budget. L’excédent vrai des recettes était, en 1819, de 2 millions de livres sterling en nombres ronds. Mais l’amortissement normal étant de 15 millions 1/2, le déficit apparent s’élevait à 13 millions 1/2. Ce n’est pas tout ; comme la dette flottante s’était accrue au point qu’il paraissait nécessaire d’en consolider une portion, Vansittart avait convaincu ses collègues qu’il était indispensable de faire un emprunt de 24 millions, dont moitié serait fournie par la caisse d’amortissement elle-même. Ainsi, en pleine paix, avec un excédent de recettes fort régulier, le chancelier de l’échiquier empruntait dans le seul dessein d’aligner un budget de convention, et les fonds de cet emprunt lui étaient fournis en partie par le créancier commode dont il créait lui-même les titres. Tout ou presque tout était fictif dans ces opérations. Chacun le voyait ; un membre obscur du gouvernement, Huskisson, eut le courage de le dire. Huskisson jouait à la chambre des communes un rôle effacé ; dans le gouvernement, où il était commissaire en chef des forêts et des revenus domaniaux, il comptait moins encore cependant les ministres commençaient à reconnaître son mérite, tout en se défiant de lui parce qu’il passait pour partisan des idées nouvelles. Le fait est qu’il s’avouait franchement disciple d’Adam Smith. Si on l’avait cru, on aurait mis de côté tous les expédiens, on aurait racheté les rentes rien qu’avec les excédens réels et laissé la banque d’Angleterre sans protection devant les porteurs de ses billets. Ces idées, au moment où elles furent émises, n’eurent pas le pouvoir de convaincre les membres du cabinet ; il ne leur fallut pas beaucoup de temps pour s’imposer.

Huskisson n’en était pas le seul partisan parmi les tories. Un autre économiste, Hume, se faisait aussi le défenseur des véritables doctrines financières dans la chambre des communes. Revenu de l’Inde après y avoir amassé une grande fortune, quoiqu’il n’eût servi la compagnie que dans les emplois subalternes de médecin et d’interprète, il avait, comme tant d’autres, acheté un siège au parlement. On raconte même que, le seigneur du bourg qu’il représentait ayant fait choix d’un autre candidat, il eut à soutenir un procès pour se faire rendre en partie la somme qu’il avait déboursée. En 1818, il était rentré à la chambre des communes comme l’élu d’une autre circonscription, et il s’était attaché chaque année à obtenir des réductions de dépense. C’était surtout aux sinécures que Hume s’attaquait. Il venait d’obtenir la suppression d’un tiers des emplois de receveurs généraux des impôts ; mais, à vouloir trop entreprendre à la fois, il ne se faisait plus écouter. De même que Huskisson, il travaillait, au détriment de son influence présente, plus pour l’avenir que pour le moment. Ricardo les secondait l’un et l’autre avec une autorité de parole qui s’imposait toujours.

Si la mort de lord Londonderry rendait inévitable un remaniement partiel du ministère, le parti tory était encore trop fort pour que le pouvoir lui fût enlevé. Le nombre des hommes d’état qui pouvaient prétendre à diriger les relations extérieures de la Grande-Bretagne était bien restreint, ou, pour mieux dire, il n’y en avait qu’un dont l’évidente supériorité écartait, tous les concurrens : c’était George Canning. Il venait d’accepter le gouvernement général de l’Inde, comptant sans doute éteindre par cet exil momentané les inimitiés que son caractère lui avait values. De tous ceux qui le détestaient, son pire ennemi était George IV, qui ne voulait point pardonner à Canning l’acte le plus honorable de son existence, son attitude dans le procès de la reine. Ce souverain voyageait en Écosse ; peut-être s’était-il éloigné de Londres avec le secret espoir que, Canning une fois parti pour Calcutta, personne ne lui en parlerait plus. Mais lorsqu’il revint à Windsor, Canning n’avait pas encore quitté l’Angleterre. Les ministres, Wellington lui-même, conseiller toujours influent, s’efforcèrent de persuader au roi que Canning était l’homme de la situation. « Il m’a offensé, » disait George IV. « Sire, répliquait le duc de Wellington, le droit de grâce est l’un des attributs de la royauté. » Le roi, voyant que tout le monde se liguait contre lui, ne cherchait qu’une honnête façon de céder. Le mot lui plut, il se l’appropria. Le nouveau chef du foreign office remplaçait Castlereagh après un interrègne de trois mois. Les whigs qui le connaissaient savaient bien qu’il allait travailler pour eux et préparer leur retour aux affaires. Canning avait pris en même temps la direction de la chambre des communes. Sa supériorité apparaissait telle que personne n’était de taille à la contester, ou plutôt tous acceptaient d’être menés par lui. Bien plus, en présence de lord Liverpool, il prenait le ton et l’autorité d’un premier ministre. Il était donc inévitable qu’il voulût avoir au moins deux ou trois collègues qui lui fussent dévoués. Lord Sidmouth n’avait plus qu’un siège dans le cabinet sans portefeuille ; Bathurst était relégué dans une sinécure, la chancellerie du duché de Lancastre : tous deux consentirent à se retirer tout à fait des affaires. Vansittart était usé ; il ne fut pas difficile d’obtenir qu’il se démît. Huskisson devint président du Board of trade et Robinson chancelier de l’échiquier. Peel restait secrétaire au département de l’intérieur. Bien que peu nombreux, ces changemens équivalaient presque à une révolution. Le gouvernement restait tory de nom ; des réformateurs en avaient pris la direction. On ne fut pas longtemps à s’en apercevoir.

Parmi les réformes que réclamaient les esprits éclairés, la révision du code pénal était l’une des plus pressantes. Ce qu’étaient les lois criminelles, on l’a déjà dit : sévères jusqu’à la cruauté, par conséquent inégales dans l’application. Il n’y avait pas moins de deux cents crimes ou délits punissables de la peine capitale. Les gens de loi à qui l’on parlait de la nécessité d’une révision répondaient gravement que la déportation, même la mort, étaient seules capables d’inspirer de la crainte aux simples voleurs. Romilly, qui s’était fait le champion de la réforme pénale, renouvelait d’année en année des propositions toujours repoussées. Il montrait pourtant, au moyen de statistiques, que la rigueur du code assurait d’une autre façon l’impunité des coupables et que, par exemple, de 1805 à 1817, cent treize individus avaient été condamnés a mort pour des vols d’une valeur inférieure à cinq shillings, mais que tous avaient été graciés. Romilly mourut avant d’être arrivé au but ; Mackintosh entreprit de continuer son œuvre. C’était un juge criminel de la cour de Bombay, revenu comme tant d’autres pour occuper un siège au parlement après s’être enrichi dans l’Inde. Ou s’étonnera sans. doute qu’un magistrat de pays conquis où la force brutale était le plus habituel moyen de gouvernement se soit inspiré d’idées plus humanitaires que les magistrats de la métropole ; mais Mackintosh était un penseur studieux : il avait étudié les législations étrangères, il montrait notamment comme exemple à ses compatriotes le code pénal français, où la peine capitale était réservée pour les crimes qui épouvantent la société.

Ce fut pendant la session de 1819 que Mackintosh introduisit pour la première fois son projet de bill sur la réforme pénale devant la chambre des communes. L’exposé des motifs mis à l’appui de cette proposition était d’un caractère bien anglais. D’autres auraient disserté sur l’étendue et les limites du droit de punir ; il se contenta de présenter une statistique des condamnations à mort prononcées depuis près d’un siècle. L’énumération des crimes et délits passibles de la peine capitale était longue, a-t-on dit : il fit voir qu’il y en avait, dans ce nombre de deux cents et plus, vingt-cinq seulement auxquels le dernier supplice eût été appliqué en soixante-quinze ans. La loi en vigueur était donc tout au moins inutile pour les autres, puisque le juge avait cessé d’en faire usage. Bien des gens disaient, il est vrai, que mieux vaut laisser une loi tomber en désuétude que de l’abolir par un acte formel. Mackintosh s’appuyait sur la grande autorité de Bacon pour soutenir qu’une loi que l’on conserve dans le code alors qu’elle n’est plus observée infirme le respect dû à la justice, énerve l’autorité du gouvernement tout entier. Soumise à l’examen d’un comité spécial, trois fois repoussée par l’une ou par l’autre chambre, la proposition était encore représentée par son auteur en juin 1822. Le ministère reconstitué après la mort de Castlereagh n’était pas d’humeur à risquer son avenir sur une question dont l’intérêt était en réalité secondaire. Toutefois Peel fit écarter le bill proposé par un simple motif de procédure parlementaire et, peu. de jours après, avec l’esprit d’à-propos dont il fit preuve en d’autres circonstances, il présenta un projet conforme aux principes revendiqués par Mackintosh. Ce fut voté, et même voté sans débat par la chambre des lords, où lord Eldon, qui était encore chancelier, n’osa pas y faire opposition, par égard pour le cabinet dont il faisait partie.

Le moment était favorable aux réformes, puisque les ministres eux-mêmes étaient disposés à en prendre l’initiative. Le premier budget présenté par Robinson, le nouveau chancelier de l’échiquier, fut uni acte significatif. Son prédécesseur, Vansittart, dissimulait la situation réelle sous les chiffres fictifs de l’amortissement, Robin ? son fit comme si cette institution n’existait pas ; ayant en balance un excédent de recettes de 7 millions, il proposa des suppressions ou des réductions d’impôts, comme un acte de bienvenue à l’adresse surtout des agriculteurs, dont la situation avait été misérable par l’effet des dernières récoltes, puis le reste fut destiné à racheter des rentes. Aucun économiste n’avait d’objection à faire contre cette diminution de la dette consolidée au moyen de fonds sans emploi ; tout au plus pouvait-on soutenir qu’il eût été plus habile de les consacrer à réduire d’autres impôts. Il était nécessaire aux projets de Robinson et de Huskisson de conserver un excédent de recettes dans le budget, car ils allaient commencer une réforme commerciale d’une bien autre importance. L’acte de navigation encore en vigueur, qui datait de Cromwell, réservait aux navires anglais le transport des marchandises importées dans les Iles-Britanniques. Depuis la conclusion de la paix, les Américains, les Portugais, en menaçant de représailles, avaient obtenu que cette loi serait abolie en ce qui les concernait. Huskisson se fit autoriser à conclure avec toutes les puissances. étrangères qui y consentiraient des traités de réciprocité en vertu desquels les navires des états contractans étaient soumis au même régime. Puis, dans les sessions suivantes, les prohibitions sur les objets de manufacture exotique furent abolies ou les droits de douane excessifs réduits à des droits protecteurs très modérés. Une loi sur les coalitions rendit aux ouvriers la liberté de débattre avec les patrons le taux des salaires. Fut-ce simple coïncidence, ou plutôt, comme le soutinrent les économistes, un effet de ces mesures libérales, il est incontestable que la Grande-Bretagne jouit en 1824 et 1825 d’une prospérité exceptionnelle. Toutes les professions, l’agriculture, le commercer l’industrie, en profitèrent également.

Cette prospérité ne devait pas se prolonger longtemps. Par l’effet de la confiance générale, les affaires avaient pris un essor extraordinaire ; le commerce importait des marchandises ou les manufactures en fabriquaient au-delà des besoins du jour. Les banques s’étaient engagées en d’innombrables opérations qui ne pouvaient toutes réussir. Au premier symptôme d’embarras ; une crise éclata, comme il arrive toujours, en pareille circonstance. Ce fut encore l’agriculture qui souffrit le plus de ce désastre, par cette seule raison sans doute que les lois lui faisaient un régime à part. Les droits de douane sur le blé variaient alors d’une saison à l’autre, suivant l’échelle mobile des mercuriales. Personne n’en était content, ni les cultivateurs qui se prétendaient ruinés par la concurrence étrangère ni les consommateurs qui se plaignaient de payer le pain trop cher. Huskisson se disait prêt à présenter un projet de loi plus rationnel sur le commerce des céréales, et il est vraisemblable qu’il eût réussi à le faire voter malgré l’opposition du vieux parti tory. qui redoutait tout changement. Mais la chambre des communes, élue en 1819, était au dernier terme de son existence. Les ministres ne purent que se faire autoriser à introduire avec le bénéfice d’un tarif réduit quelques milliers de tonnes de blé qui se trouvaient entreposées dans les ports. Puis les élections générales eurent lieu pendant l’été de 1826.

Il fut évident alors que le parti tory, que diverses circonstances avaient maintenu au pouvoir presque sans interruption depuis plus de quarante ans, se désagrégeait. Les membres les plus éminens du cabinet étaient des libéraux, plus rapprochés de s’entendre avec les whigs qu’avec leurs propres partisans. On le vit bien sous le feu des élections, Il y avait alors dans le gouvernement un homme encore jeune qui remplissait depuis 1811 avec autant de modestie que de talent les fonctions de secrétaire de la guerre : c’était Palmerston. Relégué volontairement au second rang lorsque des ministres qui ne le valaient point se maintenaient au premier, absorbé tout entier par les travaux obscurs d’un emploi qui intéressait au plus haut degré la sécurité de l’Angleterre, il avait toutes raisons de compter que les électeurs de l’université de Cambridge lui resteraient encore fidèles. Mais il n’avait pas caché ses sympathies pour les idées nouvelles. Le lord chancelier Eldon, l’attorney-général Copley, lord Bathurst et d’autres membres de l’administration, le combattirent ouvertement. Il faut dire que lord Liverpool ne s’associa pas à cette cabale, et que Wellington et Peel, bien que guidés par des motifs différens, la blâmèrent l’un et l’autre. Au reste, lord Palmerston triompha de ses adversaires : on peut comprendre dans quelle disposition d’esprit il sortit de la lutte, et juger quels sentimens il dut éprouver dès lors pour ce qu’il appelait le « stupide vieux parti tory. »

Ces partisans de la résistance perdaient presque en même temps l’un de leurs plus fermes appuis : le duc d’York, l’aîné des frères du roi, l’héritier présomptif du trône, qui s’était déclaré l’adversaire de toutes réformes, mais qui remplissait avec beaucoup de tact et d’habileté les fonctions de commandant en chef de l’armée. Cette dignité donnait tant d’importance, même en temps de paix, au personnage à qui elle était conférée, qu’il semblait qu’elle dût revenir toujours à un membre de la famille royale. La situation militaire du duc de Wellington était cependant si haute que personne ne pouvait imaginer qu’un autre que lui dût être commandant en chef, le titulaire actuel ayant disparu ; il fut en effet nommé. Quoique rattaché par ses opinions, par ses tendances, à la fraction politique la moins libérale, il inspirait à tous par son caractère et par l’indépendance de son esprit une confiance telle que les whigs ne pouvaient qu’accueillir avec faveur une nomination qui associait ce grand citoyen aux actes du gouvernement.

Les événemens favorables à l’évolution libérale se précipitaient. Au commencement de l’année 1827, lord Liverpool, que les divisions survenues entre ses collèges commençaient à dégoûter du pouvoir, fut frappé d’apoplexie. Il n’avait pas soixante ans ; les soucis d’une vie d’affaires l’avaient épuisé. Peu d’hommes d’état ont eu une carrière plus brillante. Chef du foreign office, il avait conclu la paix d’Amiens ; il était encore du cabinet qui fournit à Wellington les moyens de soutenir la lutte en Espagne et de gagner la bataille de Waterloo ; pour finir, il resta premier ministre quinze années durant. On ne peut dire qu’il ait jamais eu une politique personnelle, une allure décidée. Partisan de la sainte-alliance avec Castlereagh, il en fut l’adversaire avec Canning ; Sidmouth, qui blâmait la réforme pénale, et Peel, qui la proclamait nécessaire, eurent l’un après l’autre son appui. Vansittart et Robinson furent ses collègues dans l’administration des finances avec des principes radicalement opposés. Lord Liverpool a été l’homme d’une époque de transition. Rendons-lui cette justice qu’il ne résista pas beaucoup plus qu’il ne fallait aux réformes que réclamait l’opinion publique. Il est fâcheux pour sa mémoire qu’il ait été le dernier des premiers ministres avant l’ère nouvelle qui a donné à la Grande-Bretagne le plus haut degré de richesse et de prospérité.


H. BLERZY.

  1. Voyez la Revue du 15 juin.