Imprimé par ordre des paillards (p. 32-47).
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L’Amour paillard, Bandeau de début de chapitre
L’Amour paillard, Bandeau de début de chapitre


IV


— Où est Thérèse ? où est Léa ? demanda Jacques avec emportement.

— Elles se sont sauvées toutes les deux, avec un monsieur qui est entré ici, accompagné d’un des jeunes gens de tantôt.

— Vous les avez laissées partir ? Pourquoi ? qu’y a-t-il ? Pourquoi ne les avez-vous pas suivies ?

— Elles n’ont rien dit, répliqua Lina. Nous n’avons remarqué que la colère de Thérèse, quand elle eut ouvert cette porte ! Elle a pris par la main le monsieur, Léa a pris celle du jeune homme, et elles nous ont plantés là sans dire un mot.

— Mais que s’est-il donc passé, pendant que je n’étais pas là ?

— À peine fus-tu sorti, et tandis que nous causions pour tâcher de deviner ce que La Férina pouvait bien te vouloir, qu’un monsieur d’un certain âge apparut, accompagné d’un jeune homme, pas celui que nous avons vu en arrivant. Ils nous complimentèrent, en disant qu’ils avaient assisté à une grande partie de nos jeux, à travers la tenture d’une porte du fond. Cela nous importait peu. Ils se mirent à plaisanter avec nous ; le monsieur âgé complimentait beaucoup Léa, qui l’écoutait avec plaisir, et le jeune homme agissait de même avec Thérèse. Nous ne nous occupions guère de ces manœuvres, tu le sais, puisque cela amorce davantage. Je notais bien cependant qu’ils ne s’adressaient jamais à moi, et qu’ils avaient l’air de dédaigner Antoine ; ils parlaient aussi souvent tout bas à Thérèse. Celle-ci montrait de plus en plus de l’humeur, et elle ne se fâchait pas des très grandes libertés que prenait le jeune homme, lui permettant de peloter ses fesses et de les embrasser. Tout à coup elle courut vers la porte, nous l’entendîmes crier, elle revint comme une folle, et ils s’envolèrent tous les quatre. Où ils sont allés, je n’en sais rien. Nous supposions, avec Antoine, qu’ils allaient te rejoindre dans une autre pièce, et nous attendions qu’on vînt nous chercher, lorsque tu es entré.

— Elles sont parties, elles sont parties, ne cessait de répéter Jacques ! Ah, quel malheur ! Il faut fouiller tout l’appartement, les retrouver si elles sont encore ici. On s’expliquera. Va d’un côté, Antoine, moi, j’irai de l’autre.

— Oui, oui, appuya Antoine : retourne près de La Férina, elle t’apprendra peut-être quelque chose ; moi, je sortirai de ce côté-ci, par où nous sommes arrivés, et je ferai tout le tour de l’appartement.

— Lina restera avec moi, elle m’accompagnera, je ne veux pas me rencontrer seul à seul avec La Férina ; elle a dû comploter l’affaire pour se venger de ce que nous l’avons surprise.

— Tu as raison, approuva Antoine, garde Lina pour parler à cette femme, elle saura mieux le faire que toi.

Antoine jeta sur ses épaules son veston, et, emportant le phonographe, il sortit du côté par où on les avait introduits, tandis que Jacques se dirigeait avec Lina vers le salon voisin, espérant y retrouver l’horizontale.

Espoir déçu : en fait de La Férina, il ne vit que son peignoir gisant sur le tapis ; embarrassé sur la décision à prendre, il hésita à s’aventurer plus loin. Lina n’osait le conseiller. La soubrette Mourette entra à cet instant, et, les apercevant debout au milieu de la pièce, leur dit de retourner dans la chambre où se trouvaient leurs affaires, afin de se revêtir et de partir. Elle venait de remettre à l’autre comédien, de la part de M. des Gossins, le prix qui avait été convenu pour la représentation. Jacques, irrité, lui demanda ce qu’étaient devenues les deux autres femmes de la troupe, et elle répondit qu’elle n’en savait rien, que du reste elles avaient suivi M. Gressac et M. Émile, après avoir repris leur costume de ville à la hâte.

On ne pouvait insister : en somme leur toilette plus que sommaire gênait Lina et Jacques ; il se résignèrent à être ramenés dans la chambre où ils s’étaient préparés pour ce spectacle qui se terminait si mal, et ils y rejoignirent Antoine, déjà aux trois quarts rhabillé.

Évitant de se communiquer leurs observations, ils ne tardèrent pas à être prêts, et ils se retirèrent, ignorant où étaient passées Thérèse et Léa. Qui interroger ? Ils ne doutaient pas que La Férina et Arthur des Gossins refuseraient de les recevoir, de les renseigner, et causer du scandale risquait de compromettre à jamais leur chère entreprise. Ils aviseraient dehors. C’était la première fois qu’une pareille mésaventure leur arrivait.

Après un court conseil tenu dans la rue, on se rangea à l’avis de Lina, de rentrer à Asnières, où probablement on aurait des nouvelles des deux fugitives, si toutefois elles n’étaient pas revenues au bercail. Le mouvement de colère auquel avait cédé Thérèse se serait dissipé, et la raison dominant, avec Léa, ayant lâché leurs cavaliers, elles attendaient le retour de la famille au logis.

Hélas ! à Asnières, on ne fut pas plus heureux qu’à Paris. Pas de Thérèse, pas de Léa. Le montreur de plaisirs, tout déconfit, passa une maussade soirée, entre Lina et Antoine, à guetter le bruit des voitures, dans l’espérance que de l’une d’elles descendraient les deux méchantes créatures. Quoi ! pour sa petite peccadille avec La Férina, Thérèse allait-elle ruiner la combinaison voluptueuse si savamment et si habilement créée ? N’était-il pas sous-entendu qu’une certaine tolérance devait régner de part et d’autre, et se fâchait-il lorsqu’un godelureau payant bien pelotait une des trois femmes, en obtenait même quelques mignardises, pour une éjaculation externe qui ne laissait aucune trace susceptible de se transformer en marmot encombrant ?

Ses sens surexcités éprouvaient le besoin du changement : on ne pouvait se plaindre qu’il en abusât, et dans le cas présent, l’érotisme de ses désirs, éveillés par la gentillesse de La Férina, subsistant encore malgré la peine qu’il éprouvait, ne le poussait pas à la gaudriole, témoignant ainsi de l’influence exercée par sa femme sur son cœur et son esprit. Très tard, lorsqu’il se coucha, il ne voulut pas voir le tendre regard de pitié que lui décochait Lina, pour l’inviter à partager sa couche, afin de tâcher d’oublier dans ses bras, avec les joies de la volupté, l’infidèle qui le délaissait. Antoine, plus âgé et de nature moins affectueuse, se tourmentait très superficiellement de la disparition de Thérèse et de Léa, affirmant que leur absence ne se prolongerait pas au delà d’une semaine, et qu’il valait mieux attendre de leurs nouvelles que se désespérer en pure perte.

L’accident devait se produire tôt ou tard ; il se classait dans les risques de l’entreprise. Aujourd’hui il sévissait par la légèreté de Thérèse et de Léa ; demain, rien n’assurait que Lina n’imiterait pas l’espièglerie de ses cousines. De l’indulgence, et beaucoup d’indulgence, les brebis réintégreraient leur foyer, où elles se savaient aimées et chez elles. Chacun se retira pour s’enfermer dans sa chambre. Par une sage organisation de la famille, le mari et la femme possédaient leur chambre particulière, les trois femmes logeant au premier étage, les deux hommes au rez-de-chaussée. Cela permettait de vivre ses fantaisies personnelles et du moment, sans déranger des couples qui eussent couché dans un même lit, car si Thérèse s’accusait si intraitable pour La Férina, elle ne s’offusquait pas quand son mari consacrait une partie de la nuit soit à Lina, soit à Léa.

De trois jours, la maison d’Asnières ne connut une absolue tranquillité ; aucune nouvelle ne parvint des fugitives, et Jacques écrivait en vain à La Férina pour en être reçu et avoir des renseignements sur les ravisseurs de sa femme et de sa belle-sœur. Il n’en obtint aucune réponse. Lina compatissait à son chagrin ; Antoine se confinait dans le jardinage, pour lequel il nourrissait une grande passion. On ne parlait plus d’amour, on ne pensait plus à la volupté, on vivait comme des chastes, on aurait dit que les absentes avaient emporté tout l’esprit paillard de la famille.

Le quatrième jour, on reçut une lettre de Thérèse, qui sema la rage dans le cœur de Jacques. Elle écrivait de Tours qu’elle voyageait avec Léa et les deux jeunes messieurs aperçus chez cette putain de La Férina. Le monsieur mûr n’avait pas convenu longtemps à Léa, et elle l’avait remplacé par un joli garçon qui baisait à merveille. On faisait très bon ménage à quatre, toujours en noce, et Léa n’était plus du tout pucelle. On ne reviendrait jamais plus à Asnières.

À la lecture de cette lettre, Jacques parla de partir sur champ pour aller massacrer les misérables. Lina le raisonna, le calma, le câlina. Ses fluides féminins portaient, elle le comprit, elle joua des postures aguichantes. La chair agissait chez Jacques, la réserve des jours écoulés avait emmagasiné des forces viriles ; elle tressaillit de fièvre à ses mains qui se précipitaient sous ses jupes pour la peloter, elle sentit la furie érotique qui se déchaînait à la même seconde, par un effet inconnu d’électricité, chez les deux hommes. Il fallut courir à la pièce qu’on avait aménagée pour les répétitions des tableaux, et exécuter à trois la fameuse danse du ventre. Lina, à la hauteur des circonstances, s’appliqua à exciter les deux hommes l’un par l’autre : les jupes entortillées à la ceinture, les cuisses et les fesses nues, elle tourbillonnait devant Antoine, devant Jacques, approchait le ventre, le cul, en mouvements lascifs et désordonnés, pour attirer la queue la plus vaillante et l’inciter, soit à l’enfiler, soit à l’enculer. Antoine, fatigué par ses cinquante-cinq ans, ne brillait pas pour bander, mais il s’entendait à merveille dans les poses cochonnes, et savait mettre en relief les excellentes dispositions de sa femme, jouissant cérébralement de ses allures friponnes. Si Lina attendait depuis trois jours le coup de queue de Jacques, elle fut amplement dédommagée.

Au milieu des évolutions de la danse du ventre, le ventre mâle et le ventre femelle ne se quittèrent plus, la queue se faufila vers le con, à travers les cuisses qui s’écartaient, et disparut bientôt dans le vagin. Antoine, à deux genoux, soutenait de ses deux bras le corps de sa femme plaqué contre sa poitrine, et lui envoyait des coups de langue au bas des reins et sous la ceinture. Il ne broncha pas tant que Jacques n’eut pas lancé sa décharge.

C’était la reprise des voluptés ; elles se continuèrent durant la journée de cette longue séance et une partie de la nuit. Jacques reconquit son énergie et sa lucidité d’esprit.

Le lendemain, à la première heure, il prenait le train pour Paris, avec une résolution bien arrêtée. Il perdait sa femme à cause de La Férina, celle-ci lui devait une compensation. Il se présenta hardiment chez elle sur les dix heures du matin : le destin le protégeait. Le service était-il occupé en courses, ou était-il négligent, il trouva la porte de l’appartement entrebâillée, ce qui lui permit de s’introduire sans sonner.

Personne dans la galerie, pas plus que la fois précédente. Décidément, La Férina se faisait bien mal garder. Il marcha droit vers le salon où il l’avait gamahuchée ; aucun obstacle ne se dressa pour l’en empêcher ; il traversa un boudoir et se trouva subitement dans la chambre de l’horizontale.

Dormait-elle encore ? On n’avait pas donné le jour, et la lampe de nuit brûlait. Il distingua le lit, et sans hésiter, s’en approcha avec précaution. Que La Férina y fût, et il la baisait ! Il demeura bouche bée, à la vue d’une jolie paire de fesses qui s’agitaient au-dessus d’un corps. Pas possible de douter, le joli duo d’amour s’exécutait sous ses yeux, et la manœuvre plaisait au couple qui ne portait aucune attention à son arrivée.

Jacques reconnut bientôt que La Férina, couchée sur le dos, ouvrait les cuisses au godemiché que maniait de fort experte façon sa belle amie, Horacine des Tilleuls, propriétaire de la superbe paire de fesses qu’il voyait évoluer. Oh ! ces fesses, elles se soulevaient avec méthode, se roulaient, se rabaissaient, se serraient pour imprimer un léger coup des reins, et les deux ventres féminins, se rejoignant, frissonnaient en un doux clapotement des chairs.

Le montreur de plaisirs n’apportait aucune mauvaise grâce à constater que, pour avoir dirigé souvent cette fantaisie entre son ingrate moitié et la gentille Lina, on la vivait ici dans toutes les conditions de postures aguichantes, propres à raviver la fureur de ses sens, si elle se fût éteinte. Cette gaillarde d’Horacine accusait un développement idéal de hanches, et il brûlait du désir d’appliquer une douzaine de gros baisers gloutons sur chacune, non seulement pour témoigner qu’il ne jalousait pas l’excellent travail auquel il assistait en intrus, mais encore pour encourager à le bien continuer.

Le godemiché s’enfonçait avec lenteur dans le con, et en ressortait de même, sur le retrait en arrière du beau cul d’Horacine, qui poursuivait ainsi un habile chatouillement du vagin, tout en branlant d’un doigt savant le clitoris de son amie. Les deux femmes luxuraient sans échanger un mot, certainement très intéressées à fonctionner de leur mieux dans la félicité qu’elles recherchaient. Jacques, toujours très attentif, apercevait de temps en temps les bras de La Férina, qui s’enroulaient à la taille d’Horacine, sur la ceinture qui retenait le godemiché, sans doute pour l’engager à appuyer plus ou moins fortement ; il s’échauffait de plus en plus à contempler un si suggestif tableau, il bandait sous la fièvre du désir, il ne sut observer plus longtemps l’immobilité absolue qu’exigeait son irruption inattendue dans l’appartement, et il poussa un soupir, qui fit retourner la tête à Horacine.

Celle-ci le vit et bondit à bas du lit, en proie à une folle colère ; La Férina la suivit, et les deux femmes lancèrent des regards très courroucés au montreur de plaisirs, qui balbutia :

— Ne vous fâchez pas, attendez que je vous explique…

— Que faites-vous ici, vous ? clama La Férina, lui coupant la parole ; qui vous a permis d’entrer dans ma chambre ?

— Pardonnez-moi, Madame, je ne voulais pas vous déranger, vous troubler ; le souvenir de votre bienveillance de l’autre jour…

— Ah oui, ma bienveillance ! Parlons-en, elle m’a bien servie ! Elle est cause que je suis brouillée avec mon amant Arthur des Gossins et que votre sale femme m’a enlevé mon petit amoureux, Alexandre Brollé. Tout ça ne m’apprend pas comment vous vous trouvez dans ma chambre ! On ne s’introduit pas ainsi chez les gens ! Je vais sonner pour qu’on vous emmène chez le commissaire de police. Vous veniez pour me voler, pour m’assassiner peut-être !

— Moi ! moi !

— Sait-on qui vous êtes, avec le métier que vous faites ? Vous m’avez déjà assez porté malheur, pour que je me défie de votre présence dans ma chambre.

Jacques n’avait pas le beau rôle ; Horacine se débarrassait rapidement de son godemiché, passait une chemise de nuit, posée sur un fauteuil, au pied du lit. La Férina leva le bras pour presser le bouton électrique ; il retint sa main, et murmura :

— Ne soyez pas méchante ; est-ce ma faute si tout cela est arrivé ? Dites-moi où je puis retrouver ma femme, et vous reprendrez votre amoureux, si vous y tenez. C’est la première fois que je suis victime d’un tel désagrément. Moi, dans les scènes où mes femmes se montrent, je ne cherche qu’une chose, être agréable aux autres, aux vrais viveurs, en gagnant largement mon existence, et il est bien laid, bien déshonnête, qu’on m’ait enlevé ma femme et ma belle-sœur. Chacun s’arrange comme il peut pour manger son pain, lorsqu’on n’a pas la chance de naître d’un papa ayant le sac. Vous avez été bonne et j’espère que vous le serez encore : vos exploiteurs sont les miens, il convient de ne pas nous nuire mutuellement. Pourquoi sonner vos domestiques ? Pourquoi m’accuser de vous vouloir du mal, alors qu’au contraire… mais ça suffit.

— Vous avez été trop curieux, intervint Horacine.

— Eh, Madame, ne l’auriez-vous pas été à ma place ? Supposez-vous qu’un homme ne resterait pas ému devant… ce que vous affichiez ! Songez que ce joli jeu auquel vous vous livriez avec votre amie, bien des fois je l’encourageais entre ma femme et ma cousine. Ah ! on s’aimait bien dans notre cambuse ; on rigolait de la… farce avec les autres.

Il eut une larme à l’œil ; mais la détente survenait, les deux femmes trahissaient moins d’emportement, bien mieux elles paraissaient s’intéresser à ses paroles, il comprit qu’il pouvait se risquer, et il murmura :

— Le jeu vous eût été bien plus agréable, si vous l’aviez pratiqué d’après notre expérience. Ainsi, par exemple, tandis que vous baisiez votre amie avec le godemiché, croyez-vous que vous n’auriez pas mieux joui, si j’étais intervenu pour vous planter ce joli petit oiseau dans le trou du cul ? Avouez qu’il se présente mieux que votre imitation en caoutchouc ?

— Il fallait l’essayer, grand nigaud.

— L’occasion est-elle perdue ?

— Tout à fait, répliqua sèchement La Férina. Je ne sonnerai pas, mais vous allez vous retirer tout de suite. Je ne puis pas vous donner des nouvelles de votre femme ; mais rendez-vous chez M. Gressac, rue de Longchamps, c’est avec lui qu’elle est partie d’ici, et il doit être furieux qu’on l’ait plaqué. Il vous aidera peut-être. Maintenant, filez, je ne veux pas vous voir davantage. Je suis meilleure que je ne le devrais.

— Non, non, vous êtes cruelle.

— Filez, et ne me parlez pas. Je suis très vindicative. Allez-vous en, je ne veux rien savoir. En somme, je vous rends service, et j’avais juré de vous faire le plus de mal que je pourrais.

Il eut beau prier, supplier, il n’en obtint rien de plus.