Imprimé par ordre des paillards (p. -31).
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L’Amour paillard, Bandeau de début de chapitre
L’Amour paillard, Bandeau de début de chapitre


III


La Férina, vêtue d’une matinée blanche, toute fanfreluchée de dentelles, sous laquelle sa jolie tête fine et idéale de blonde apparaissait, légèrement pâlie, avec les yeux bleus cernés, les cheveux frisottant avec des mèches rebelles sur le front, attendait, un peu angoissée, à demi-couchée sur une chaise longue, dans son salon Louis XV, écoutant d’une oreille distraite les explications que lui donnait son amant Arthur des Gossins, assis à ses pieds. C’était bien la femme de trente ans, dans toute sa splendeur de formes et de beauté ; elle représentait bien la séduction incarnée pour subjuguer les cœurs et les sens, et devant un tel ensemble de grâces et d’attraits, il fallait qu’un amant fût bien dépourvu d’esprit pour recourir à des éléments étrangers afin d’en animer les chairs.

De temps en temps, elle échangeait un regard furtif et ennuyé avec un jeune homme brun, celui-là même avec qui elle venait d’être surprise enconnée, Alexandre Brollé, l’air fat et satisfait, lequel paraissait taquiner un autre jeune homme, un blond de son âge, son ami Émile Sauton, étudiant, qui n’avait d’yeux que pour une autre femme, une brune assez grande, élancée, accusant aussi la trentaine, la belle Horacine des Tilleuls, l’intime de La Férina, dont on la disait la gamahucheuse. La soubrette entra pour annoncer que les comédiens étaient là, et demander s’il fallait les introduire. À ce moment, La Férina, dans une agitation extrême, se souleva et dit :

— Eh bien, non ! Je ne veux pas de ça ou j’entends que le spectacle soit pour moi seule. Il ne me plaît pas qu’en ma présence vous assistiez à de douteuses exhibitions. Je veux les connaître avant de décider si je les autoriserai un autre jour.

— Mais nous étions d’accord lorsque je t’en ai parlé, intervint Arthur, je t’assure que cela mérite d’être vu.

— Si je dois rougir, il est inutile qu’il y ait des témoins pour le constater. Payez ces gens et qu’il se retirent ; ou laissez-moi seule avec eux.

— Vos caprices, ma chère, sont des ordres, et malgré le plaisir que je me promettais en contemplant de nouveau ces ébats, je suis certain que personne ne s’opposera à ce qu’il n’y ait d’autre spectatrice que vous.

— Margot a raison, appuya Horacine, allons, Messieurs, accompagnez-moi au billard, on carambolera jusqu’à ce qu’elle nous fasse rappeler.

— Retirez-vous avec eux, Arthur.

Les trois Messieurs et Horacine quittèrent La Férina, dite Margot, ou Marguerite pour ses amis ; celle-ci reprit sa posture sur la chaise longue et commanda à Mourette de faire entrer le montreur de plaisirs. Jacques et son monde pénétrèrent, et ne s’étonnèrent pas de ne voir que l’horizontale. La saluant sans embarras, Jacques lui dit :

— Je croyais. Madame, que nous devions traduire nos tableaux devant plusieurs personnes ? Faut-il que nous commencions, ou que nous attendions ?

— Vous pouvez commencer, j’ai tenu à être seule.

— Nous n’en serons que plus flattés et plus encouragés ; de nombreux spectateurs gênent souvent.

La Férina eut un sourire, et, réglant de suite la question de l’indiscrétion commise par la troupe, elle sortit de sa matinée trois billets de banque de cent francs, et les tendit à Jacques, en disant :

— Voilà une part supplémentaire que je vous verse, afin que vous pensiez surtout à vous, en vous rappelant plus tard votre arrivée chez moi.

Jacques les mit dans la poche de sa veste, et s’inclinant, répondit :

— Je commencerai par vous présenter mon monde, et on jouera sous vos yeux : « Amours de femmes ». Cela vous convient-il ?

— Parfaitement.

Elle s’allongea dans une pose langoureuse, pour bien voir en face cette étrange famille, et Jacques s’agenouillant saisit par le bas la jupe de Lina, qu’il découvrit jusqu’à la ceinture, et dit :

— Je vous présente notre jolie brune Lina, fruit de paradis, fruit de volupté, dont le ventre invite à l’amour, dont la toison ordonne les caresses, dont les cuisses attirent les désirs de l’homme, et dont les fesses de satin sont douces à la main et aux lèvres ! La voyez-vous assez dans sa nudité, dans sa complaisance à me laisser la peloter et la baisoter ? Elle va rester là, ainsi, sous vos yeux, vous montrant sans fausse honte bête tous ses trésors d’amour, pendant que je vous révélerai nos deux autres merveilles. Voici Léa, la timide, la chaste colombe, jeune fleur, non encore tout à fait épanouie par sa grotte non violée. Léa, la jolie fille à la chair déjà appétissante, au fin duvet, aux cuisses déjà fermes et fortes, au derrière rondelet et velouté, qu’on châtie par la fouettée ou qu’on lèche de la langue avec la même volupté. Voyez-la bien dans sa délicate luxure, à côté de Lina, et dites-moi si elles ne sont pas pour dicter les plus fougueuses passions ? Et maintenant, c’est le tour de ma belle Thérèse, l’amante et l’amant, aux nerfs de fer, au ventre éblouissant, aux poils agrippeurs de baisers, au cul splendide et solide, pour lui permettre tous les plaisirs sexuels. Sous sa blouse relevée, elle ne nous cache rien. N’est-ce pas qu’il est difficile de décerner le prix à l’une d’elles, ce qui ne serait plus, belle patronne, si vous preniez rang au milieu de leur groupe, pour former un quatuor de célestes houris ?

— Flatteur ! vous ne dites pas ce que vous pensez, sans quoi ces charmantes beautés vous arracheraient les yeux.

— Par leurs ébats, elles vous prouveront que devant leur âme, il n’existe plus que la beauté immortelle de la femme. Commençons.

Ayant prononcé, il s’assit à la turque sur ses talons, vis-à-vis la chaise longue, et à deux pas de lui s’installa de même Antoine, qui déclencha le phonographe.

Dès les premières notes musicales, Thérèse, laissant retomber sa blouse, s’avança en se dandinant avec grâce au devant de Lina, pour l’inviter aux doux jeux de l’amour. Jacques plaça debout à sa droite Léa toute troussée, en frappant du tambour de basque pour accompagner le motif exécuté par le phonographe. Il tapait tantôt avec sa main libre, tantôt avec les fesses de la jeune fille. Une lente mélopée entraînait Thérèse et Lina ; elles soulevaient leurs atours, et face à face, elles mimaient la danse du ventre, se le tendant, se le rapprochant, se le heurtant. Elles tournaient et retournaient autour l’une de l’autre, et finirent par attirer Léa dans leur jeu ; alors, les fesses et les ventres rivalisèrent de lascivités. Les mains pelotaient, les jambes se recherchaient, les doigts chatouillaient les clitoris ou s’égaraient dans la fente des culs, les lèvres se souriaient ou s’aguichaient, les baisers se distribuaient n’importe où, selon les contorsions des corps. Des accouplements se formaient, pour virer sur place dans un enlacement habile des cuisses, permettant aux cons de s’aspirer ; la luxure se développait par le maniement des étoffes, et La Férina, les yeux fixes, put voir Jacques qui bandait dur derrière son caleçon.

Elle lui sourit, en s’apercevant qu’il la contemplait ; elle lui lança des œillades en dessous, s’impatientant de ce que les trois femmes, au milieu de leurs évolutions, passassent à sa portée pour en être patouillées ou embrassées, agissant de même avec Antoine. Puis le phonographe arrivant au bout de sa plaque, les mimeuses ralentirent leurs mouvements, pour terminer par une pose paillarde très suggestive. Jacques s’apprêtait à annoncer un second numéro, mais La Férina se leva et lui dit :

— Mon cher Monsieur, je désirerais vous dire deux mots en particulier pour la continuation de vos scènes. Venez un instant dans la pièce à côté.

Le montreur de plaisirs s’empressa d’obéir, sans que son personnel s’étonnât de cette sortie, qui se produisait souvent, un spectateur ou une spectatrice ayant à indiquer une fantaisie qu’il désirait voir rendre. La porte refermée, Jacques se trouva dans un second salon un peu plus grand, plongé dans une obscurité relative par l’ameublement de couleur foncée et les épaisses tentures retombées sur les fenêtres. Il distingua cependant les yeux de La Férina qui le fixaient et brillaient comme des escarboucles. Il ne pouvait douter : il agissait sur les sens de la jeune femme. Il tendit les bras, et instantanément elle s’y jeta pour le baiser sur la poitrine, sur les pectoraux, sous les aisselles, murmurant :

— Oh, que tu es beau, et quel homme tu dois être pour avoir inventé de tels tableaux ! Veux-tu m’aimer ? Je mets à la porte mon amant, et cet imbécile d’Alexandre, que j’ai eu le tort d’écouter, et avec qui tu m’as vue ! Ô mon dieu ! te dégoûterais-je, que tu te recules ?

— Toi, me dégoûter ! Mais tu es un trésor de femme, comme il n’y en a pas de pareil ! Ma femme Thérèse, Léa, Lina, s’effacent devant ta beauté. Tout mon sang s’échauffe à te sentir palpiter contre ma poitrine. Ah ! viens vite sur ce sopha, je te montrerai l’effet que je ressens à t’admirer, à t’aimer. Je veux te faire minette, je veux dévorer tes fesses, je veux jouir de ton corps à t’emporter dans l’autre monde.

— Ah, ah, ah, rien que de t’entendre me parler, je deviens folle d’amour ! Viens, viens, fais-moi minette, mange mes fesses, prends-moi toute, toute ! Tiens, vois, je suis belle, bien faite, et pour toi je serai passionnée à te ravir le souffle !

Elle s’écroula sur un sopha, ayant rejeté sur le tapis sa matinée, ne gardant qu’une chemise courte de fine mousseline, qu’elle ramassa prestement sous son cou, pour offrir la nudité de ses chairs aux regards lubriques qui les recherchaient ; elle avait des bas à jour qui s’arrêtaient sous les genoux ; ses cuisses magnifiques offraient de puissantes blancheurs ; son minet, son ventre, ses nichons ronds et fermes se tendaient vers les lèvres de Jacques, qui s’affaissa entre ses jambes, pour fourrer la bouche à son con, à son clitoris, les couvrir de caresses, qui l’excitèrent au point de lui faire lancer les jambes en l’air et de tous côtés.

Alors il dévora vraiment le beau corps de cette femme qui s’abandonnait. Sa langue voyageait dans le vagin, pour de là se précipiter vers la fente du cul ; il la tournait et la retournait pour bien appliquer ses léchées, ses suçons sur tous les points sexuels ; elle se prêtait à toutes ses fantaisies, se pelotonnant en boule, ou s’étendant en croix, les bras et les jambes bien écartés, ou entortillant son cou de ses cuisses. Elle ne songeait plus à rien ; les baisers, les caresses qu’il lui prodiguait, l’enivraient d’une félicité ignorée jusqu’à cette heure ; la volupté les subjuguait dans une longue et langoureuse extase ; leur âme se joignait à la luxure dont ils se repaissaient ; ils erraient loin des étroites exigences de ce monde ; un bonheur inattendu les enveloppait ; il ne se hâtaient pas de se ruer aux affres du coït. Ils allaient enfin commencer l’assaut, mais un cri les arrêta au suprême moment : Thérèse, sur la porte qu’elle avait ouverte, sans qu’ils l’entendissent, s’exclamait :

— Oh ! le cochon, le cochon, il nous trompait !

Elle disparut en refermant la porte avec violence ; Jacques et La Férina, effarés, mais encore dans les bras l’un de l’autre, se regardaient, ne sachant quel parti prendre ; elle posa la bouche sur la sienne, et dit :

— Je voulais chasser tout le monde pour ton amour : laisse-les partir, et reste avec moi.

— C’est ma femme, c’est toute ma famille ; s’ils me manquent, je suis ruiné, perdu, je n’ai plus rien.

— Je te la remplacerai.

— Oh ! non, laisse-moi jouir de ton corps, et puis je les rejoindrai.

— Je ne le veux plus ; tu ne m’auras que si tu renonces à eux.

— Tu es cruelle et méchante ; on ne rompt pas ce qui est uni par le sang et par la chair, et par les intérêts comme par les espérances. Je souffrirais loin d’elle, loin de tous.

— Eh bien, va-t’en ! Je me suis trompée sur ton compte, il ne me plaît plus de te voir, adieu !

Malgré la fièvre de ses désirs, Jacques eût la force de quitter les bras de La Férina, et de retourner dans la pièce voisine. Il n’y trouva qu’Antoine, toujours assis sur les talons, causant avec Lina, debout devant lui.