CHAPITRE II

Races diverses autres que le Yolof. — Musulmans et Fétichistes. — Le Toucouleur. — Le Peulh. — Le Sarrakholais. — La civilisation du Blanc est sans action sur le caractère du Noir. — Le Kassonké. — La jeune fille Kassonké. — Malinkés et Bambaras. — Le Tirailleur Sénégalais.



Races diverses autres que le Yolof. — Musulmans et Fétichistes. — Je ne veux pas entrer à fond dans le détail des caractères moraux, mœurs, coutumes, etc., de tous les peuples du Sénégal. Je me bornerai à quelques considérations générales, préférant développer davantage tout ce qui se rapporte plus spécialement à l’amour. Je donnerai cependant les caractères anthropologiques et moraux qui différencient les principales races.

On peut d’abord les classer en deux grandes catégories : les Musulmans et les Fétichistes. Les Yolofs, les Sérères, les Toucouleurs, les Peulhs, les Soninkés ou Sarrakholais, sont musulmans ; au contraire, les Bambaras, Malinkés, Mandinghes, Kassonkés sont fétichistes. D’autres races du Sud de la Sénégambie, telles que les Diobas, anciennement fétichistes, deviennent progressivement musulmanes. Avant notre arrivée au Sénégal, les Musulmans étaient en train de conquérir par le sabre les peuples fétichistes, et c’est la civilisation Française qui a brisé dans son élan l’expansion du Mahométisme. De là, la haine que les sectateurs de cette religion nous portent.

Le Toucouleur. — Au-dessus du Oualo, sur la rive gauche du Sénégal, dans le Fouta-Toro et les pays voisins, on trouve le Toucouleur, race excessivement guerrière et pillarde, soldats de l’islamisme. Nous les avons toujours trouvés au premier rang parmi nos adversaires. À leur amour pour la lutte, ils joignent une intelligence très vive, et on en trouve beaucoup dans les cadres des Tirailleurs Indigènes. C’était dans cette race que El Hadj Omar recrutait ses meilleurs soldats, ceux qui lui ont permis de conquérir un grand Empire dans le Soudan ; nous lui en avons enlevé, depuis dix ans, les plus belles provinces.

Les caractères anthropologiques des Toucouleurs diffèrent peu de ceux des Yolofs. Le Toucouleur est plus élancé, mais moins robuste que le Yolof. Il arrive à Saint-Louis avec un simple lambeau de chiffon couvrant sa nudité. Il vit de la charité de ses coreligionnaires et couche sous le premier abri venu, n’ayant ni feu, ni lieu. Il amasse sou par sou tout son gain, jusqu’à ce qu’il ait les vingt francs qui lui sont nécessaires pour l’achat d’un fusil à pierre, qu’on lui délivre avec un petit baril de poudre de traite (du poids de cinq kilos) et une douzaine de pierres à fusil. De plus, il a eu soin de mettre de côté tous les débris de métal qui lui sont tombés sous la main, boutons de portes, morceaux de gros fil de fer, pieds cassés de marmite, etc., tout lui est bon, car avec tout cela le forgeron Nègre fabriquera de grossiers projectiles qui n’ont ni portée, ni précision, mais qui, de près, font des blessures atroces. Beaucoup de soldats Français en ont éprouvé les effets.

Le Peulh. — Il forme une race nombreuse, disséminée entre le Sénégal et le Haut-Niger. D’après le général Faidherbe, les Peulhs seraient originaires de la Basse-Égypte, et descendraient des Hycsos, peuple pasteur, chassés par les Pharaons. Ce sont des musulmans fanatiques, dont El Hadj Omar a tiré un grand parti. Comme leurs ancêtres, ils sont nomades, vivant des produits de leurs troupeaux. Le Peulh est bien en effet d’origine Sémitique ; si ses cheveux ne sont pas lisses, du moins ils tombent en tire-bouchons sur ses épaules. La teinte générale de son corps est d’un brun-rougeâtre, et les muqueuses externes du gland et de la vulve presque aussi claires que celles du Mulâtre. Les traits sont réguliers et il n’a pas le nez épaté des autres Nègres. Le Peulh vient rarement à Saint-Louis et ne se trouve presque pas dans les rangs des Tirailleurs Indigènes, auquel je consacre plus loin quelques lignes.

Le Sarrakholais. — Ce peuple est certainement de race Sémitique et son nom est synonyme d’homme blanc. Nous empruntons au colonel Frey, qui dirigea en 1885-86 une expédition contre les Sarrakholais, soulevés par le marabout Mahmadou Zamine, la description des caractères anthropologiques de cette race :

« Le visage est ovale, les yeux sont grands, bien dessinés, le nez droit, les lèvres minces. L’origine Sémite se révèle encore dans le port de la tête qui est tenue haute, fière, et dans l’harmonieuse proportion des membres, qui sont bien conformés et de longueur convenable. Si l’on examine la jeune fille de race pure, on est encore frappé davantage de la ressemblance de ses traits avec ceux qui caractérisent la race blanche. Son nez est petit, souvent aquilin, aux narines très mobiles, les yeux sont fendus en amande et surmontés de très longs cils, grands, avec une expression étrange de gazelle effarée ; la bouche correcte, parfois gracieuse, laisse voir des dents petites, bien rangées et du plus pur émail ; sa gorge, son buste sont admirables de forme ; ses membres bien proportionnés, un peu grêles peut-être ; ses attaches fines ; avec sa peau bronzée, rougeâtre plutôt que noire, la jeune Sarrakholaise est un petit être qui ne manque ni de charme ni de séduction. Toutefois, à la suite des croisements multiples avec les races Noires, chez un grand nombre de Sarrakholais, les traits se sont dégradés, ont dégénéré et ont emprunté à ces races leurs formes épaissies et grossières.

» Ce qui est demeuré comme un trait caractéristique du peuple Sarrakholais, c’est une intelligence supérieure à celle des autres peuples au milieu desquels il vit, une civilisation plus avancée, une âpreté au gain toute particulière, et surtout un esprit de mercantilisme, une aptitude vraiment extraordinaire pour le commerce, qui ont fait surnommer les Sarrakholais les colporteurs de l’Afrique occidentale.

» Ces colporteurs Sarrakholais fournissent tous les Dioulas, qui sont les caravaniers. Leur pacotille se compose d’un peu de sel, de cotonnades, de poudre et de quelques fusils de traite. Ils brocantent et troquent leurs marchandises en voyageant d’une contrée à l’autre, et quand ils ont acquis quelques gains, ils se font marchands d’esclaves : c’est leur rêve favori. Le Dioula a eu soin, dans cette prévision, de se munir au départ de quelques fers habilement forgés, dont il se servira pour soumettre, réduire les captifs les plus récalcitrants, ceux qui, provenant de prises de guerre, se résignent difficilement à leur sort misérable, succédant à la condition d’homme libre et qui, prompts à la révolte et d’une garde difficile, lui ont été vendus quelquefois pour une poignée de sel. D’autres Sarrakholais, qui n’ont pas un goût assez vif pour la pérégrination, emploient d’autres moyens pour arriver à cette situation tant désirée de chef de case. Dès l’âge de quinze ans, ils se rendent à Saint-Louis, à nos postes, à nos escales. Là, ils accaparent les emplois indigènes les plus lucratifs, les places les mieux rétribuées, et autant que possible celles qui exigent le travail le moins pénible.

» La presque totalité des matelots indigènes (laptots), qui composent au Sénégal l’armement de nos avisos et des chalands des négociants sont Sarrakholais. Les meilleures places de domestiques, de maîtres d’hôtel, d’employés indigènes de commerce, à Saint-Louis, sont occupés par des Sarrakholais. Sur les seize capitaines de rivière, sorte de pilotes dont la situation est très enviée des indigènes, en raison des avantages de toute sorte qu’elle rapporte, quatorze sont Sarrakholais. En revanche, on ne trouve pas un homme de cette race parmi les spahis, et à plus forte raison, parmi les tirailleurs Sénégalais : le service y est trop dur, la solde trop faible. »


D’après le colonel Frey, le peuple Sarrakholais formait, il y a quelques siècles, un vaste Empire au cœur du Soudan, empire dont les débris sont aujourd’hui épars sur le Continent Africain sous les noms de Soninkés, Markankés et Sarrakholais. On en trouve à la fois sur la rive droite et la rive gauche du Sénégal. Nous avons tenu à donner in extenso cette citation, car elle est la réfutation la plus complète du sophisme de la civilisation du Noir du Sénégal par le Blanc.

La civilisation du Blanc est sans action sur le caractère du Noir. — On a vu en 1885-86 la race la plus intelligente, celle des Sarrakholais, en pleine prospérité matérielle, prospérité qu’elle devait en partie à la civilisation Européenne, se lever contre elle comme un seul homme, sur les derrières de la petite colonne Française engagée dans le Haut-Soudan contre Samory. Dans les rangs des révoltés se trouvaient en première ligne d’anciens laptots et employés des négociants de Saint-Louis. D’autre part, cette race connaît l’aversion du Toubab pour tout ce qui touche à l’esclavage, cette plaie de l’Afrique, et le Sarrakholais, qui a souvent vécu dans l’intimité du Blanc, n’hésite pas à se faire marchand d’esclaves. Le fanatisme musulman est pour beaucoup dans la haine qu’il éprouve contre le Blanc chrétien.

Je compléterai la description anatomique du Sarrakholais dans le chapitre relatif à l’organe de la génération dans la race Noire.

Les Kassonkés. — Une autre race d’origine Sémitique, mais plus abâtardie, par son croisement avec le Noir autochtone, est la race Kassonké. Les Kassonkés, ou Kassonkais, sont de grands et beaux hommes, aussi forts et aussi robustes que les Yolofs, dont ils se rapprochent seulement à ce point de vue, car ils sont paresseux. Ils habitent le Natiogo, le Kasso et le Soyo, sur la rive gauche du Haut-Sénégal. Le costume des hommes est assez original : il mérite une description particulière. Comme coiffure, ils ont une sorte de petit bonnet à deux visières pointues qu’ils portent sur le côté, comme nos soldats leur képi. Ils ont un pantalon bouffant à la mode des zouaves, mais plus court et plus ample. Leur costume est complété par un petit boubou tombant jusqu’à mi-jambes. Ce costume, fabriqué en étoffes du pays, est teint en jaune ou en brun. Les femmes sont très jolies, tant qu’elles sont jeunes, mais elles se font, avec de la teinture d’indigo, des piqûres violettes aux lèvres et aux gencives.

Le Kassonké est loin d’être brave comme le Sarrakholais. Il est généralement voleur, paresseux et ivrogne. En sa qualité d’ivrogne, il n’aime pas une religion dont un des principaux préceptes est l’abstention des liqueurs fermentées. Il diffère encore en cela du Sarrakholais, rigide observateur de la loi. Sans être brave, il aime pourtant la guerre ou plutôt le pillage, qui en est la conséquence naturelle chez tous ces peuples ; mais s’il rencontre une résistance sérieuse, il fuit sans vergogne aucune. Il vole surtout les femmes et les enfants qui circulent sans défiance autour des villages, pour les vendre comme esclaves. Un indigène adulte, voyageant seul et sans armes, n’est même pas en sûreté, et risque fort d’être appréhendé par deux ou trois malfaiteurs, qui le conduiront bâillonné à un village voisin pour être vendu comme esclave. Mais le Kassonké a le plus grand respect pour le Blanc, qu’il redoute. Il n’a pas, comme le Yolof, le Toucouleur, cette haine sourde et vindicative du Musulman contre le chien de Chrétien, sentiment qui a fait révolter la race Sarrakholaise, en pleine période de paix et de prospérité. Autour de Médine, en plein pays Kassonké, l’islamisme a bien fait quelques adeptes, mais ils sont peu fervents, et cette religion tend plutôt à y décliner. L’école du marabout n’est guère suivie que par les enfants des traitants Yolofs, établis en grand nombre dans ce poste pour le commerce avec le haut fleuve.

La jeune fille Kassonké. — Une fort jolie description de la jeune Kassonké a été faite dans le Roman d’un Spahi déjà cité, de Loti :


« Fatou-Gaye se chaussait d’élégantes petites sandales de cuir, maintenues par des lanières qui passaient entre l’orteil et le premier doigt, comme des cothurnes antiques. Elle portait le pagne étriqué et collant que les Égyptiennes du temps de Pharaon léguèrent à la Nubie. Par dessus, elle mettait un boubou, grand carré de mousseline ayant un trou pour passer la tête, et retombant en péplum jusqu’au-dessous du genou. Sa parure se composait de lourds anneaux d’argent, rivés aux poignets et aux chevilles, et puis d’odorants colliers de soumarés.

 » Elle était bien jolie, Fatou-Gaye, avec sa haute coiffure sauvage, qui lui donnait un air de divinité Hindoue, parée pour une fête religieuse. Rien de ces faces épatées et lippues de certaines peuplades Africaines qu’on a l’habitude, en France, de considérer comme le modèle générique de la race Noire. Elle avait le type Kassonké très pur : un petit nez droit et fin, avec des narines minces, un peu pincées et très mobiles, une bouche correcte et gracieuse, avec des dents admirables ; et puis, surtout, de grands yeux d’émail bleuâtre, remplis, suivant les moments d’étrangeté grave ou de mystérieuse malice. »


Malinkés et Bambaras. — Les Malinkés et les Bambaras sont des Nègres fétichistes, descendant, d’après le docteur Collomb, de la race Mandinghe, qui aurait pour berceau les bords du Niger. Elle n’a aucun mélange de croisement, et se trouve caractérisée par des lèvres épaisses, un nez très épaté, des cheveux laineux, et un angle facial peu ouvert. On trouve les Malinkés sur les bords du Niger et des affluents supérieurs du Haut-Sénégal, où ils forment la majeure partie de la population.

Les Bambaras sont principalement établis sur la rive droite du Niger. Ils offrent les mêmes caractères anthropologiques que les Malinkés, mais ils sont moins grands, plus trapus ; leur jambe est pourvue d’un mollet plus fortement musclé que celui des autres Noirs. Intelligents, vigoureux et braves, ils sont l’objet de la haine et le but des attaques incessantes des peuples musulmans qui les environnent.

Le Malinké est plus élancé, mais moins robuste et surtout moins brave que le Bambara. D’après le colonel Frey, le Malinké, soit par terreur superstitieuse, soit par poltronnerie, ne voyage pas la nuit, à moins qu’il n’y soit contraint par les circonstances : car si, le jour, il peut compter sur son arme, sur son agilité pour braver les périls, il est exposé, dans l’obscurité profonde, à mille dangers auxquels il ne pourra pas toujours se dérober. Dès le coucher du soleil, sa vue éprouve un affaiblissement considérable ; on le dirait frappé de cécité. On attribue ce fait à la consommation immodérée, par le Malinké, de l’allo, feuille desséchée du boabab, et à la faible quantité de sel qu’il consomme.

Le Tirailleur Sénégalais. — Le Tirailleur Sénégalais est un volontaire qui se recrute, moyennant finances, dans toutes les populations du Sénégal. On n’est pas difficile sur la provenance, pourvu que l’homme soit sain et robuste. J’ai fait le service médical dans un bataillon de Tirailleurs à Saint-Louis, et le commandant de ce bataillon m’a assuré que les trois quarts des Nègres de l’intérieur qui venaient s’engager pour trois ans dans les postes du fleuve, d’où on les envoyait au chef-lieu, étaient des esclaves achetés à leurs maîtres, qui touchaient la prime de trois cents francs. Par le fait même de son engagement, le Tirailleur redevient libre à sa libération du service militaire.

J’ai pu, par des soins médicaux donnés aux familles de Tirailleurs, pénétrer dans bien des détails de mœurs. Le colonel Frey a consacré quelques pages à la description du modeste Tirailleur Sénégalais, sans lequel il aurait été impossible de conquérir le Haut-Sénégal et le Soudan.

« Ce corps est formé, « dit-il, » d’éléments empruntés aux différentes races de la Sénégambie, qu’un œil exercé distingue à la simple inspection. Le Toucouleur se reconnaît à sa nature belliqueuse et à son caractère bruyant et vantard ; le Bambara, qui provient le plus souvent de captifs faits sur le Niger, à ses membres robustes, à son tempérament calme ; le Peulh, à ses traits réguliers, à ses jambes grêles et nerveuses et à son extrême agilité ; le Yolof, plus policé que les autres Noirs, à sa nature douce, à ses manières moins rudes.

» Malgré cette diversité de recrutement, les Tirailleurs ont un esprit de corps remarquable. Ce sont de précieux auxiliaires d’une grande intrépidité et pour la plupart d’une réelle bravoure. Le Tirailleur est le véritable soldat de la conquête. Nul mieux que lui n’est apte à faire une marche forcée, à exécuter les coups de main qu’un chef jeune et audacieux peut concevoir et entreprendre. Une fois revêtu de ses grigris (amulettes en cuir) auxquels il n’accorde plus, en réalité, une très grande confiance depuis qu’il a vu tomber sous ses balles nombre de ses ennemis qui en étaient couverts, mais dont il aime néanmoins à se parer en guise d’ornement ; une fois muni de sa peau de bouc, qui contient sa provision de six à sept litres d’eau, de sa besace, qui renferme une poignée de couscous et ses cent vingt cartouches, un chef peut lui demander de marcher vingt heures durant : c’est pour lui un jeu d’enfant. »


Le Tirailleur ne brille pas toujours par une très grande discipline, surtout lorsqu’il se trouve sous les ordres de chefs qui, débarqués de la veille, ignorants de la langue du pays, des mœurs des Indigènes, ne savent pas le commander et le rebutent : de plus, passant chaque année neuf mois sur douze dans la brousse, il faut, pour le conduire, une main ferme, mais aussi une autorité paternelle ; sinon il désertera sans scrupules, avec armes et bagages. Par exemple, le Tirailleur est pillard dans l’âme. Si l’on n’y veillait, même, il en est qui se feraient volontiers détrousseurs de caravanes. Le Tirailleur est l’objet du mépris des traitants, des gens aisés, et en général, de tout musulman. N’est-il pas un mercenaire à la solde des Blancs, un transfuge, presque un renégat ? Lorsqu’il fut question de doter le Sénégal d’une loi qui rendrait le service obligatoire pour les Indigènes, des protestations nombreuses s’élevèrent parmi les Noirs de Saint-Louis : « Nous résisterons à une pareille loi, » s’écrièrent-ils, dussions-nous nous insurger contre l’autorité Française ».