L’Ami commun/II/9
IX
TESTAMENT DE L’ORPHELIN
Le lendemain matin de bonne heure, le secrétaire, plongé dans l’affreux marais, était à travailler, lorsqu’on vint lui dire qu’un jeune homme appelé Salop attendait dans le vestibule. Avant de nommer ce personnage, le domestique avait fait une pause décente, pour exprimer que ce nom incongru avait été imposé à sa répugnance par le jeune homme en question, et que si ledit jeune homme avait eu le bon sens et le bon goût d’hériter d’un autre nom il aurait épargné une rude épreuve à la délicatesse du porteur.
« Faites-le entrer, répondit le secrétaire, missis Boffin sera enchantée de le voir. »
On introduisit Salop qui resta près de la porte, révélant à divers endroits de sa personne des boutons aussi nombreux qu’incompréhensibles.
« Je suis bien aise que vous soyez venu, dit Rokesmith, je vous attendais tous les jours. »
Salop expliqua que ce n’était pas l’envie de venir qui lui avait manqué, mais que Johnny étant malade, il avait attendu pour apporter de bonnes nouvelles.
« En ce cas il va mieux ? reprit le secrétaire.
— Non, répondit Salop. » Il secoua fortement la tête, puis exprima cette opinion que l’orphelin avait dû l’attraper des minders. Questionné à cet égard, il répondit que ça lui était venu sur tout le corps et particulièrement sur la poitrine. Pressé de s’expliquer, il raconta qu’il y en avait par endroit que l’on ne couvrirait pas avec une pièce de six pence. Interrogé sur le nom de la maladie, il répliqua que c’était aussi rouge que tout ce qu’il y avait de plus rouge, mais qu’il n’y avait pas de mal à ça, car il fallait que ça fût dehors, et qu’il y aurait du malheur si ça venait à rentrer.
Rokesmith espérait qu’on avait eu recours au médecin. Effectivement, on avait porté Johnny au docteur. « Et qu’a dit celui-ci ? » Réflexion prolongée du pauvre Salop.
« N’est-ce pas la rougeole ? demanda le secrétaire. » Non, c’est quelque chose de plus long que ça, répondit l’autre, qui parut considérer le fait comme honorable pour lui, et pour le petit malade.
« Cela va désoler missis Boffin, reprit le secrétaire.
— Missis Higden l’a bien dit ; c’est pour ça qu’elle m’a pas envoyé, espérant toujours que l’enfant se remettrait.
— Il guérira, je l’espère bien, dit Rokesmith en se retournant.
— Moi aussi ; mais ça dépendra ; il ne faut pas que ça vienne à rentrer. »
Et continuant d’exposer le fait, Salop répéta qu’il ignorait si Johnny l’avait gagné des minders, ou si les minders l’avaient gagné de Johnny. On avait pourtant renvoyé les minders chez eux ; mais ils avaient tout de même été malades. Missis Higden ne faisait pas autre chose que de s’occuper de Johnny, et l’avait nuit et jour sur les genoux. Tout l’ouvrage de la calandre retombait donc sur Salop, qui n’avait pas de temps de reste. En disant ces paroles, l’honnête garçon rougit et rayonna, heureux et fier qu’il était d’avoir pu rendre service.
« Cette nuit, comme je tournais la manivelle, continua Salop, on aurait cru que c’était la respiration de Johnny. D’abord, tous les deux ont ronflé, que c’était superbe ; ensuite la machine a branlé ; après cela elle s’est remise, sans tourner aussi bien ; on aurait dit une crécelle qui allait par secousse. Puis elle a tourné tout doucement, tout doucement, et je ne savais plus si c’était la calandre, ou notre Johnny que j’entendais respirer. Lui-même n’en savait rien ; car chaque fois que la mécanique s’emmêlait et que le bruit devenait plus sourd, il s’écriait : « J’étouffe, grand’mère. » Alors missis Higden le mettait debout, en le tenant dans ses bras, et me disait : « Attends un peu, Salop. » Je m’arrêtais, lui aussi ; puis il se mettait à respirer, moi à tourner, et nous allions tous ensemble. »
À mesure que la description s’était allongée, les yeux et la bouche de Salop s’étaient élargis ; mais quand il eut terminé tout son visage se contracta pour réprimer ses larmes ; puis disant qu’il avait chaud, il s’essuya les yeux du revers de sa manche, et s’en débarbouilla péniblement avec une gaucherie singulière.
« C’est malheureux, dit Rokesmith ; il faut que j’aille prévenir missis Boffin ; attendez-moi, Salop. »
Il attendit bouche béante, les yeux fixés sur le papier de la muraille, jusqu’au retour du secrétaire qui ramenait missis Boffin. Derrière eux arrivait Bella, encore plus agréable à voir que le plus magnifique papier.
« Mon pauvre petit John ! s’écria missis Boffin.
— Oui m’ame, répondit Salop.
— Est-ce qu’il est très-mal, très-mal ? demanda la douce créature. »
Voulant être de bonne foi, et trouvant sa franchise en opposition avec la réponse qu’il aurait voulu faire, le pauvre garçon renversa la tête, et jeta un sanglot accompagné d’un reniflement.
« Si mal que cela ! s’écria missis Boffin. Et missis Higden qui ne m’a pas avertie !
— Je crois bien qu’elle a eu peur, m’ame, répondit l’autre avec hésitation.
— Peur de quoi, bonté du ciel ?
— Peut-être, m’ame, reprit humblement Salop, craignait-elle de faire du tort à notre Johnny. La maladie est si coûteuse, et donne tant d’embarras ! Elle a vu tant de gens qu’on renvoyait parce qu’ils étaient maladifs !
— Elle n’a pas pu croire que je refuserais la moindre chose à ce pauvre enfant ?
— Non m’ame ; elle aura craint de lui faire perdre sa position : elle espérait peut-être que vous ne le sauriez pas. »
Il savait bien ce qu’il disait. L’instinct de missis Higden la poussait, ainsi que les animaux, à se faire oublier quand elle était malade, et son idée fixe était de se traîner dans un coin pour y mourir à l’abri de tous les regards. Le sentiment de son devoir, aussi bien que son cœur, ne lui inspirait qu’une chose : prendre l’enfant qui lui était si cher, le cacher comme un criminel, et faire qu’il n’eût pas d’autre secours que les soins dont sa tendresse ignorante, sa patience et son dévouement pouvaient l’entourer.
Les récits honteux que nous lisons chaque semaine de l’année, mylords et gentlemen, les rapports révoltants de l’inhumanité officielle ne passent pas inaperçus du peuple comme de nous autres. De là ces préjugés aveugles, opiniâtres, désastreux, qui paraissent si étonnants à notre munificence, et qui n’ont pas plus de raison d’être, — Dieu sauve la Reine, et confonde leur politique, — pas plus que la fumée n’a de raison de provenir du feu.
« Ce pauvre enfant ne doit pas rester là-bas, reprit missis Boffin ; dites-nous ce qu’il faut faire, mister Rokesmith. »
Il y avait déjà pensé ; toutes les mesures nécessaires pouvaient être prises en moins d’une demi-heure ; il allait s’en occuper, et reviendrait chercher missis Boffin pour la conduire à Brentford. « Emmenez-moi, je vous en prie, dit Bella. » Et Rokesmith fut chargé de se procurer une voiture assez grande pour les contenir tous.
En attendant Salop vit se réaliser, dans le cabinet même du secrétaire, ce rêve fantastique d’un repas composé de viande, de bière, de légumes et de pudding, d’où ses boutons provoquèrent plus que jamais le regard des spectateurs, excepté deux ou trois, qui, vers la ceinture, se cachèrent modestement dans un pli.
Le secrétaire reparut à l’heure dite avec la voiture ; il monta sur le siège, Salop par derrière, et l’on arriva aux Trois-Pies, où missis Boffin et miss Wilfer se rendirent à pied chez missis Higden. Chemin faisant on s’était arrêté devant une boutique de joujoux, et l’on avait acheté ce magnifique cheval dont la description avait touché le cœur de l’ambitieux Johnny. Missis Boffin y avait joint un oiseau jaune, possédant une espèce de cri artificiel ; une arche de Noé, remplie d’animaux ; enfin une poupée revêtue du brillant uniforme des gardes, et que les officiers de ce corps d’élite, eux-mêmes, n’auraient pas distingué de leurs camarades, si elle avait été de grandeur naturelle.
Chargés de ces merveilles, ils entrèrent chez missis Higden ; la vieille femme était dans le coin le plus sombre et le plus reculé de la chambre ; elle avait Johnny sur ses genoux.
« Comment va mon cher enfant, Betty ? demanda missis Boffin, en s’asseyant près de la grand’mère.
— Mal, très-mal, répondit missis Higden ; je commence à craindre qu’il ne soit pas plus à vous qu’à moi. Tous ceux qui lui appartiennent sont là-haut ; j’ai dans l’idée qu’ils l’attirent auprès d’eux, et qu’ils ne vont pas tarder à nous le prendre.
— Non, non, dit missis Boffin.
— Sans cela aurait-il sa petite main fermée comme s’il tenait le doigt d’une personne ? Regardez plutôt, » dit la vieille femme en écartant la couverture qui enveloppait l’enfant, et en montrant sa petite main droite qu’il tenait crispée sur sa poitrine. « C’est toujours comme cela, continua Betty ; je ne peux pas m’expliquer pourquoi.
— Pensez-vous qu’il dorme ? demanda missis Boffin.
— Je ne crois pas. Dors-tu, mon Johnny ?
— Non, répondit l’enfant d’un air de douce pitié pour lui-même, et sans ouvrir les yeux.
— C’est la dame, Johnny. Elle apporte le cheval. »
Johnny avait entendu nommer la dame avec la plus complète indifférence ; mais pour le cheval ce fut autre chose ; il ouvrit les yeux, finit par sourire en contemplant ce joujou phénoménal, et voulut le prendre dans ses bras. Mais ce superbe coursier était beaucoup trop grand, et fut posé sur une chaise, où le bambin put le tenir par la crinière, ce dont il se lassa bientôt.
Il avait refermé les yeux ; et missis Boffin n’entendant pas ce qu’il murmurait, la grand’mère approcha l’oreille de ses lèvres, en lui demandant ce qu’il avait dit. Il le répéta deux ou trois fois, et l’on comprit que tout en regardant son cheval il avait aperçu autre chose. Il demandait « le nom de la jolie dame ? » Bella fut d’autant plus touchée de cette question, qu’elle lui rappelait les paroles de son père, et cette soirée de la veille dont elle était encore émue. Ce fut donc par un mouvement plein de naturel qu’elle s’agenouilla devant le cher petit. Elle le serra dans ses bras, et le pauvre bébé lui rendit ses caresses en la regardant avec cette admiration naïve que la beauté inspire à l’enfance.
Missis Boffin, pensant que l’occasion était favorable, posa la main sur le bras de la grand’mère, et de sa voix la plus affectueuse : « Nous sommes venus, lui dit-elle, pour emmener ce cher enfant ; nous le mettrons dans un endroit où il sera mieux soigné qu’ici. Vous comprenez… »
La vieille femme n’en écouta pas davantage ; elle se leva tout à coup ; et les yeux enflammés, se précipita vers la porte, en serrant l’enfant dans ses bras. « Sortez d’ici, cria-t-elle d’un air égaré. Je vois maintenant ce qui vous amène. Non, non, laissez-moi ; je ne veux pas ; je le tuerai plutôt moi-même.
— Écoutez, dit Rokesmith avec douceur ; écoutez, missis Higden ; vous n’avez pas compris.
— Je comprends trop bien au contraire ; je sais ce qu’il en est, monsieur. Je l’ai toujours évité, et je n’en veux pas ; non jamais, ni pour moi, ni pour l’enfant, tant qu’il y aura assez d’eau dans le pays pour recouvrir notre corps, »
L’effroi, la répugnance, l’horreur poussés à leurs dernières limites enflammaient ce visage usé, et lui donnaient une expression de folie, terrible à voir quand même cette vieille femme en eût été le seul exemple. Mais cette folle terreur, mylords et gentlemen, apparaît fréquemment chez un certain nombre de vos semblables.
« Ils m’ont chassée toute ma vie, s’écria missis Higden, ils ne me prendront pas vivante. Non, tout est fini de vous à moi. J’aurais barricadé porte et fenêtre, et me serais laissée crever de faim plutôt que d’ouvrir, si j’avais su ce que vous veniez faire chez nous. »
Mais rencontrant l’honnête et douce figure de missis Boffin, la grand’mère se calma. S’accroupissant alors près de la porte, elle se courba sur son précieux fardeau pour le faire taire, car l’orphelin pleurait. « La peur me trompe peut-être, reprit-elle humblement. Si j’ai tort, dites-le moi, et que le Seigneur me pardonne. Je suis prompte à m’effrayer, je le sais bien ; puis la fatigue et les veilles m’ont affaibli la tête.
— N’en parlons plus, répondit missis Boffin ; c’est une méprise, voilà tout. À votre place, j’aurais senti la même chose et dit les mêmes paroles.
— Que le Seigneur vous bénisse, répliqua la vieille femme en étendant la main.
— Voyez-vous, Betty, reprit l’aimable et compatissante créature, en serrant la main de la vieille mère qu’elle garda entre les siennes, voilà notre intention ; j’aurais dû m’expliquer, et je l’aurais fait d’abord si j’avais été plus sage. Nous voudrions conduire Johnny dans un endroit où il n’y a que des petits malades. Une maison où tout est disposé pour les recevoir ; il y a là de bons médecins, d’excellentes femmes habituées aux enfants, et qui passent leur vie à les soigner et à les distraire.
— Est-il bien vrai que cela existe ? demanda missis Higden avec admiration.
— Oui, ma chère, je vous en donne ma parole ; d’ailleurs vous pourrez le voir, Betty. Si ma maison avait été plus confortable, j’aurais pris chez moi le pauvre trésor ; mais il n’y serait pas bien.
— Emmenez-le où vous voudrez, chère dame, répliqua la grand’mère en baisant la main de missis Boffin. Je ne suis pas tellement endurcie que vos paroles et votre figure ne puissent m’inspirer toute confiance, et je croirai en vous, tant que je pourrai voir et entendre. »
Il fallait se hâter ; Rokesmith pensait avec douleur qu’un temps précieux avait déjà été perdu. Il envoya Salop chercher la voiture, fit envelopper l’enfant, dit à la grand’mère de mettre son chapeau, rassembla les joujoux, expliqua au malade que ces trésors devaient l’accompagner, et fit si bien que tous les préparatifs étaient achevés quand parut la calèche. Une minute après, ils étaient en route, laissant derrière eux le pauvre Salop, qui soulagea son cœur oppressé par un fougueux tournement de sa manivelle.
L’arche de Noé, l’oiseau jaune, l’officier des gardes et le magnifique cheval ne furent pas moins bien accueillis à l’hospice des enfants que leur petit propriétaire ; mais le docteur dit à Rokesmith : « Il y a plusieurs jours que vous auriez dû l’amener ; il est trop tard maintenant. »
On les conduisit néanmoins dans une pièce aérée, où le pauvre Johnny revint à lui-même, soit qu’il se réveillât, soit qu’il sortît d’un évanouissement. Il se trouvait alors dans un bon petit lit, surmonté d’une tablette suspendue à portée de sa main, où étaient rangés l’arche de Noé, l’oiseau jaune et le cheval ; le tout surveillé par le brillant officier des gardes, à la satisfaction non moins grande de sa patrie que s’il eût paradé pour elle.
Une belle image coloriée, placée au chevet de la petite couchette, représentait un pauvre petit malade sur les genoux d’un ange qui devait aimer les enfants. Johnny, chose merveilleuse, était devenu tout à coup membre de la petite famille. Comme lui, tous les autres étaient dans de petits lits bien blancs ; excepté deux d’entre eux qui, assis dans de petits fauteuils, à côté de la cheminée, faisaient une partie de dominos. Tous les malades avaient leur tablette où se voyaient des maisons de poupée, des chiens laineux, pourvus d’un aboiement pareil à la voix de l’oiseau jaune ; des saltimbanques vêtus d’habits mauresques, des ménages de bois, des soldats de plomb, bref tous les trésors de la terre.
Voyant que, dans son admiration placide, Johnny murmurait quelque chose, la garde qui était près de lui s’inclina pour entendre ce qu’il disait. Le pauvre bébé voulait savoir si tous les enfants qui se trouvaient là étaient ses frères et sœurs ? On lui répondit affirmativement. Si c’était le bon Dieu qui les avait mis tous ensemble ? Même réponse affirmative. S’ils allaient tous guérir ? Bien certainement ; et l’on ajouta qu’il serait du nombre.
La parole était si peu développée chez Johnny, même quand il se portait bien, que maintenant il ne s’exprimait guère que par monosyllabes ; il n’en fut pas moins compris.
Mais il fallait le nettoyer, l’arranger, lui appliquer le traitement qu’il devait suivre, et bien que tout cela fût exécuté avec plus de soin et d’adresse que tout ce qui avait été fait pour lui depuis qu’il était au monde, on l’aurait fatigué, sans une circonstance merveilleuse qui l’absorba complétement. Rien moins que l’apparition sur sa petite table de tous les animaux du globe, qui se dirigeaient vers l’arche dont il était possesseur : l’éléphant à la tête du cortège, la mouche à l’arrière-garde. Le ravissement qu’un tout petit frère, couché dans le lit voisin, et qui avait la jambe cassée, éprouva de ce spectacle en augmenta singulièrement l’effet ; puis le sommeil les prit tous les deux au milieu de cette extase.
« Vous ne craignez pas de laisser ici le cher trésor ? dit tout bas missis Boffin à la grand’mère.
— Non, madame ; je le fais bien volontiers ; et que de reconnaissance ! oh ! merci de tout mon cœur. »
Elles embrassèrent l’enfant, et partirent. Missis Higden reviendrait le lendemain matin ; la chose était convenue. Elle ignorait, ainsi que missis Boffin, ces paroles du docteur : « maintenant il est trop tard. »
Rokesmith, qui était dans la triste confidence, sachant que cette démarche serait agréable à l’excellente femme qui avait été la seule joie de l’enfance de John Harmon, revint dans la soirée, afin de juger de l’état du petit malade que l’on appelait ainsi en mémoire de celui qui n’était plus.
Si tous les membres de la petite famille que Dieu avait rassemblée n’étaient pas endormis, tous du moins étaient tranquilles. Le pas léger d’une femme allait d’un lit à l’autre, et à la lueur assoupie des lampes on voyait passer un visage calme et doux. Çà et là une petite tête se soulevait pour être embrassée, car les pauvres petits étaient caressants ; et le baiser reçu, la petite tête se laissait recoucher sans mot dire.
Le petit frère à la jambe cassée gémissait ; il s’agita pendant quelques minutes, puis il tourna les yeux vers la tablette voisine, afin de revoir tout le personnel de l’arche, et s’endormit en regardant l’éléphant. Restés sur les tablettes dans la position où ils se trouvaient quand le sommeil avait surpris leurs possesseurs, les joujoux, dans leur innocent désordre, semblaient représenter les rêves des chers bambins.
Le médecin lui-même était revenu. Il avait trouvé Rokesmith près de Johnny ; et tous les deux ils regardaient le pauvre bébé d’un air compatissant.
« Qu’est-ce que tu veux ? demanda le secrétaire, en aidant le pauvre ange qui cherchait à se soulever.
— Lui, tout, » murmura Johnny.
Le médecin était habile à deviner les enfants. Il prit le cheval, l’oiseau jaune, l’officier, toutes les bêtes de l’arche, et les posa sur la tablette du petit voisin. Johnny sourit faiblement, il s’allongea comme s’il voulait dormir, puis se soulevant sur le bras qui le soutenait, il chercha de ses lèvres la figure de Rokesmith, et balbutia : « Un baiser pou’ la jolie dame. »
Ayant ainsi légué tout son avoir, et mis ses affaires en ordre, l’orphelin quitta ce monde après avoir dit ces mots.