L’Abitibi, pays de l’or/Chapitre 20

Les Éditions du Zodiaque (p. 181-192).

Chapitre XX

COMMENT EN UN OR PUR LE
MINERAI SE CHANGE


Le moulin et l’usine d’une mine d’or — L’amalgamation,
que connaissaient déjà les alchimistes
du moyen âge, et la cyanuration —
Le flottage, récompense du devoir
d’état — Grillage et récupérations
incidentes.

Après la visite du sous-sol de Sullivan, l’usinage du minerai, M. Paul-Émile Gagnier m’accompagne et me renseigne encore.

L’usine d’une mine, c’est d’abord un moulin. Le citoyen ordinaire, qui n’est souvent qu’un spéculateur à la bourse, ne manque pas de prendre la partie pour le tout. Il dira, par exemple, que le moulin de la Sullivan est de 150 tonnes, quand, en fait, une partie au moins de ce moulin, celle du bocardage, c’est-à-dire du concassage ou du gros broyage, est de 400 tonnes par jour. On y emploie des concasseurs à mâchoires et des concasseurs giratoires, qui réduisent le minerai en morceaux d’un demi-pouce. Le minerai est mis dans des réservoirs, où l’usine va s’approvisionner, prendre ses cent cinquante tonnes quotidiennes.

Avant l’usinage cependant, il faut broyer encore le minerai, le pulvériser, le réduire en farine très fine, si fine qu’elle passe, dans une proportion d’au moins 80 pour cent, dans un tamis de 200 mailles au pouce, ce qui est un tissu fort serré.

Cette mouture se fait dans des moulins à boulets et dans des moulins à tiges. Ce sont de très gros tambours d’acier dans lesquels se trouvent des boulets ou des tiges d’acier, avec lesquels on verse le minerai. Le tambour roule et le minerai se pulvérise. De cette farine, l’on récupère l’or, par divers procédés.

***

À la Sullivan, deux procédés seulement sont employés : l’amalgamation et la cyanuration.

Un autre procédé s’emploie assez fréquemment, le flottage. C’est le plus simple, mais il n’est pratique que dans le cas de certains types de minerai. Le flottage sert à la mine O’Brien, de même d’ailleurs que le grillage, qui permet la récupération, selon le cas, des sels arsenicaux et de l’acide sulfurique. À la mine O’Brien, on ne récupère que l’arsenic, plus exactement l’arséniate.

Le flottage, que l’on appelle aussi lixiviation, est un procédé extrêmement simple. C’est la femme d’un mineur du Colorado ou du Texas qui l’a, dit-on, découvert, en lessivant les vêtements de travail de son mari. Elle s’aperçut que les bulles de savonnage à la surface de la cuve contenaient des particules de métal jaune, des particules d’or. L’or aspire à monter, dans une cuve savonneuse tout au moins. Les bulles de savon lui servent de ballons. Le procédé, breveté s’il vous plaît, est maintenant employé dans l’industrie. À l’eau savonneuse, pour activer encore le phénomène, on ajoute quelque solution chimique.

Une mère faisait une observation très juste à un groupe d’enfants devant lesquels je racontais les circonstances de la découverte du procédé du flottage : « Vous voyez, mes enfants, l’importance de bien accomplir son devoir d’état. En lavant les vêtements de son mari, cette femme a trouvé de l’or ». Excellente leçon, tirée fort à propos.

***

Les deux procédés en usage à la Sullivan sont l’amalgation et la cyanuration.

Le premier est fort ancien, les alchimistes du moyen âge le connaissaient, savaient les propriétés du mercure de s’amalgamer à divers métaux, notamment à l’or. Mais l’amalgamation n’est pratique et économique que pour le minerai qui contient de l’or à l’état libre. La cyanuration convient mieux pour un minerai, comme le cas se présente, à la mine Sullivan, dont l’or se trouve contenu dans des sulfures : pyrite de fer, pyrotine, chalcopyrite. La cyanuration, c’est la dissolution de l’or du minerai dans une solution de cyanure de sodium ou de potassium. Il en résulte un concentré qui est traité par un procédé de fusion.

Voyons comment les choses se passent à l’usine de Sullivan. Juste avant l’entrée dans les moulins à boulets et à tiges, le tablier sans fin qui amène le minerai du réservoir passe au-dessous d’une série d’électro-aimants qui enlèvent tous les déchets métalliques, morceaux de fer, clous, bouts de broche, etc., dont la présence dans la pulpe à venir serait particulièrement dommageable pour l’amalgamation.

Dans les moulins, au minerai qui se fait broyer, pulvériser, on a ajouté tout de suite une faible solution de cyanure, de façon à ce que la dissolution commence sans tarder. Le minerai, sous forme de pulpe, restera en contact avec le cyanure jusqu’à la fin des opérations. À divers stades, on récupère du concentré, qui va pour une part à l’amalgamation, le reste à la fusion. D’un appareil à l’autre, d’un bassin à un autre bassin, la pulpe, plus ou moins diluée, se transporte par gravité, ce qui est manifestement le moyen de transport le moins coûteux. L’industrie de l’or n’est d’ailleurs pas la seule à le connaître et à s’en servir. Quand il ne reste plus d’or dans la pulpe, ou si peu, 2 ou 3 pour cent tout au plus, le déchet est jeté au lac. Déchet volumineux, quand on considère que, pour une tonne, 2 000 livres de minerai d’une teneur de 10 $, on ne retient qu’un tiers d’once d’or, au prix actuel de l’or, environ 35 $, à peine une demi-once, au prix normal. L’usine rejette à peu près tout ce qu’elle reçoit, ne retient que le vil métal. Mais du vil métal, elle a grand soin.

La pulpe, après s’être fait triturer par des boulets, s’être soumise à l’action non moins énergique des tiges, passe par des trappes en série qui opèrent une séparation. Les trappes sont des sortes de cônes qui utilisent encore le principe de la gravité. Au fur et à mesure que la pulpe se présente, elle rencontre, par en-dessous, un jet d’eau qui fait se séparer l’or natif ou mêlé seulement à du quartz et les sulfures ou pyrites. Il en résulte un premier concentré qui va tout droit à l’amalgamation.

Le reste de la pulpe passe à un classificateur, appareil impressionnant, grande auge inclinée, munie d’une vis ou d’un arbre hélicoïdal. La pulpe non suffisamment pulvérisée va monter, entraînée par l’hélice, le reste s’en va vers des sluices.

Ce qui remonte par l’hélice se déverse de nouveau, partie dans les moulins à boulets, partie dans les moulins à tiges, pour se faire broyer à point, repasse dans les trappes et par le classificateur. Cet appareil, plus intelligent qu’il n’en a l’air, ne laisse avancer que la pulpe suffisamment mastiquée.

Celle qui passe à l’examen du classificateur descend vers des sluices. Ce sont des tables inclinées à petit angle, garnies de couvertures à rainures, genre corduroy. L’or natif et les sulfures qui n’ont pas été récupérés par les trappes se déposent dans les rainures. Les couvertures sont lavées toutes les huit heures et le produit est encore un concentré qui s’en va à l’amalgamation.

***



Il n’y a rien de plus simple que d’opérer l’amalgamation du mercure et de l’or. Il est vraiment inconcevable que les alchimistes moyenâgeux ou médiévaux aient mystifié leurs contemporains, leur aient fait prendre de l’amalgame pour la pierre philosophale. On n’est pas plus naïf ! Nous entendons, naïfs, les contemporains des alchimistes et non pas ces derniers.

On mélange dans un baril, en proportion définie, du mercure avec le concentré qui vient des trappes ou des sluices. On fait rouler le baril pendant quelques heures. Le mercure venant en contact intime avec l’or, l’amalgamation se produit. Le contenu du baril est versé sur des plaques d’argent ou de cuivre enduites de mercure. L’amalgame commencé colle à la table. On le lave à l’eau et le sulfure coule, de même que ce qui reste de gangue quartzeuse. Il ne reste que l’amalgame, dont on forme, en grattant bien les plaques pour ne rien perdre, des boulettes gris fer, qui contiennent 50 pour cent d’or et 50 pour cent de mercure. À la Sullivan, l’amalgamation donne environ deux boulettes par jour, des boulettes grosses comme des œufs de poule, mais pesant peut-être une centaine de fois plus. Plus tard, on distille l’amalgame, dans une cornue en fer, comme les alchimistes du moyen âge faisaient. L’on obtient ainsi de l’or pur tout en récupérant le mercure.

Voilà pour l’amalgamation, qui n’offre rien de particulièrement compliqué.

***

La pulpe, ayant déposé un peu d’or dans les sluices, continue son chemin par et avec gravité. Elle tombe dans de grands bassins, des cuves de 20 à 30 pieds de diamètre, de 10 pieds de hauteur. Un dispositif tourne très lentement dans le fond. La cuve reçoit continuellement de la solution neuve de cyanure de potassium ou de sodium. À la partie supérieure de la cuve, une rigole. La partie la plus liquide de la pulpe s’y déverse. C’est la solution mère de cyanure d’or.

Nous dirons subséquemment ce qu’il advient de la pulpe restée dans le fond des cuves. Voyons tout de suite le sort de la solution mère de cyanure d’or.

On la clarifie à travers un filtre en toile, puis on l’envoie à la précipitation, qui consiste à ajouter de la poussière de zinc et d’autres ingrédients ou réactifs qui feront précipiter l’or dans des sacs, des sacs qui ont l’air de bas de laine. Le bas de laine convient bien à l’or. C’est le procédé dit de cyanure d’or et de zinc. Le concentré nouveau se dirige vers la raffinerie. On lui adjoint des fondants (silice, borax, carbonate de sodium), on le chauffe dans un four qui donne de très hautes températures : les impuretés et le zinc s’oxydent ; elles se vaporisent ou sont entraînées dans la scorie formée durant la fusion, Fusion et oxydation terminées, la scorie, beaucoup moins dense que le métal précieux, surnage. Il est alors facile d’enlever cette scorie et de verser l’or fondu dans des moules en forme de briques.

***

La boue épaisse, restée dans de grands bassins, qui a donné la solution mère de cyanure d’or ? Elle n’est pas restée dans ces bassins, mais s’est transportée dans d’autres bassins, avec un nouvel apport de cyanure et d’eau. Ces nouveaux bassins sont dits cuves Pachuca, du nom de leur inventeur, d’origine espagnole ou mexicaine.

Les cuves Pachuca sont reliées entre elles par un jeu de robinets et de pompes. Des agitateurs circulent dans chaque cuve et, par pression d’air, provoquent des bouillonnements. On renforce la solution et la solution se déverse dans un appareil qui classifie encore, qui épaissit ; une rigole reçoit ce qui surnage, une solution pauvre de cyanure d’eau, qui va dans des bassins de réserve pour retourner dans le circuit, en reprenant au commencement tout à fait.

La pulpe n’est pas encore abandonnée. On la pompe à travers un filtre et l’excédent de liquide, solution de plus en plus pauvre de cyanure d’or, est retournée dans le circuit. La pulpe est alors devenue très épaisse. Un râteau rotatif la brise, on y ajoute de l’eau pour obtenir un liquide crémeux, qui passe par un filtre à tambour. On extrait alors tout ce qui peut rester de solution de cyanure d’or, solution encore plus pauvre que la précédente. On la rejette dans le circuit.

Enfin la pulpe devenue trop épaisse pour couler est diluée dans de l’eau et rejetée dans le lac. Ce sont les résidus stériles, les tailings, car ce mot est maintenant admis dans le vocabulaire des techniciens français. Les tailings sont la poudre de ce qui servait de gangue à l’or ; quartz, tourmaline, granodiorite, andésite, parfois de la chlorite et aussi des sulfures broyés fins. Le lac de Montigny, l’ancien Kienawisik des Algonquins, les reçoit et s’en fait un nouveau lit.

Y aurait-il une utilisation pour cette matière minérale pulvérisée ? Dans la région minière, on s’en sert assez souvent pour couvrir des courts de tennis.

***

Quant à l’or, une fois par mois, on le coule en petites barres, en forme de briques. La Sullivan produisait en 1937 deux briques d’or par mois, ce qui représentait alors une valeur d’environ 70 000 $. Pour obtenir ces deux briques, pesant ensemble environ 125 livres, il fallait traiter au delà de 4 500 tonnes de minerai. Une mine d’or, c’est comme la montagne qui accouche d’une souris : 9 000 000 de livres de minerai pour avoir 125 livres de métal jaune. Encore Sullivan a-t-elle du minerai riche.

Et tout l’or produit par les mines, la loi le veut ainsi, s’en va à la Monnaie d’Ottawa, qui le paie en billets de la Banque du Canada, au prix du métal précieux sur le marché.

Les propriétaires des mines n’ont pas le droit de divertir une parcelle de l’or qu’ils produisent. La loi l’interdit. D’ailleurs, à quoi cela servirait-il ? L’or n a plus cours. Le métal précieux n’a d’autre utilisation pour son producteur canadien que l’achat de papier-monnaie. Celui-ci a bien son utilité toutefois, car le papier canadien, malgré son cours forcé, n’est pas déprécié sur les diverses places monétaires du monde, bien au contraire il fait généralement prime partout, à Londres, à Paris comme à New-York.

Voilà qui relève toutefois de la circulation fiduciaire et non de l’industrie minière de l’or, de sa production, de son extraction du sol et de son traitement au moulin et à l’usine.