L’Abîme (Rollinat)/Le Chat parlant

L’Abîme. PoésiesG. Charpentier et Cie, éditeurs. (p. 227-229).


LE CHAT PARLANT


Par le val hérissé, caverneux et stagnant,
Le crépuscule marche à pas de revenant,
Brouillant l’horizon vide et les routes étroites
Qu’un lent déluge inonde avec ses larmes droites.
Dans une vieille chambre aux meubles non moins vieux
Qui, sous le jour mourant des carreaux pluvieux,
Semblent vouloir conter les mystères qu’ils gardent,
Un ermite et son chat, distraits, s’entre-regardent,
Bizarres, singuliers, fantastiques tous deux,
Au milieu de l’horreur qui s’accroît autour d’eux.


Parfois quelque tison faisant son bruit d’atomes,
D’un rougeoiment furtif éclaire ces fantômes…
Soudain, l’ancien rôdeur des greniers et des toits,
Sybarite profond, désabusé matois
De tous les vains gibiers du vague et du peut-être,
S’exprime de la sorte, en parlant à son maître :

« Ainsi donc, nous avons dûment enseveli
La curiosité comme la turbulence,
Pour goûter côte à côte, au pays du silence,
L’indifférence inerte et le flânant oubli.

« Ayant le gîte sûr et le vivre établi,
Au gré du temps berceur de notre nonchalance,
Nous attendons la mort, si pleins de somnolence,
Que nous dormons déjà le repos accompli. »

Ces paroles du chat mordent le solitaire,
Et voici qu’il frémit ce blasé volontaire
Qui se croyait si bien déraciné de tout ;

Car, à mesure, hélas ! qu’en lui-même il explore,
Il voit distinctement au fond de son dégoût
Des tronçons de regrets se tortiller encore.

— Et tandis que le maître installe son tourment
Et que le chat torpide ébauche un nouveau somme,
Entre la Nuit qui va nourrir inversement
Le calme de la bête et le frisson de l’homme.