Texte établi par Alphonse Constantau bureau de la direction de La Vérité (p. 71-75).

XIII

Le bien et le mal.


Frères, bannissez d’abord de votre cœur tout sentiment de haine et de vengeance !

Si la société est mauvaise, tous les membres de la société en souffrent : et les oppresseurs ne sont pas moins malheureux que les opprimés.

Oh ! si le pauvre savait tout ce qu’il y a d’angoisses et de tortures sous les superbes habits du mauvais riche, il en aurait lui-même pitié !

Si les hommes sont mauvais c’est qu’ils ignorent encore le vrai bien, et que comme des enfants ils s’asservissent aux cupidités animales.

Il ne faut rêver d’autres violences contre les méchants que de les contenir comme on contient les malades que la fièvre rend furieux, ou de les guérir malgré eux, comme on fait aux pauvres insensés !

Sans doute qu’il faut s’unir pour résister au mal ; sans doute qu’il faut protester à toutes les heures et à tous les instants ; sans doute qu’il faut repousser la force injuste par la force de la justice.

Mais que ce ne soit pas pour nous venger de ceux qui nous oppriment. Songeons plutôt à les délivrer de leur tyrannie, qui n’est pas moins lourde pour eux que n’est pour nous l’esclavage qu’ils nous imposent !

Ne nous rallions pas au cri de : Mort aux tyrans ! Crions : Mort à la tyrannie ! et que tous hommes soient sauvés.

S’il faut combattre, que ce soit pour conquérir la paix au nom de la justice ! Si jamais il doit lutter encore, du moins le peuple, instruit par la triste expérience d’une révolution avortée, n’ensanglantera plus sa victoire ; car toute vengeance est absurde, et toute pénalité est vicieuse.

Ceux qui font le mal sont des malades dans l’ordre moral. Or, on ne s’irrite pas contre les malades et l’on ne cherche pas à les faire mourir ; on les soigne et on les guérit.

Quand les hommes seront plus sages, la pénalité sera remplacée par l’hygiène morale, et les criminels seront traités dans des hospices spéciaux comme des aliénés ou des enfants malades !

Croyez-vous que, sciemment et volontairement, l’homme puisse jamais choisir le mal, lorsqu’il pourrait faire le bien !

Ce sont les infirmités de l’intelligence qui dépravent la volonté et lui font faire un mauvais choix en la leurrant par l’attrait d’un faux bien !

Tout péché est une chute pour l’âme ! Et la société est une mère brutale et inintelligente quand elle punit ses enfants d’être tombés.

Il faudrait, au contraire, leur tendre la main, les relever et les guérir.

La société devrait prendre le deuil quand le frère a tué son frère, et il faudrait expier ce forfait par des efforts héroïques de charité et de conciliation entre les hommes. Le moyen d’expier un meurtre, ce serait de sauver un homme.

Au lieu de cela, vous savez comment on agit à notre époque d’enfance et de barbarie.

Pour expier un meurtre, on en commet solennellement un second, et pour prouver à l’insensé qu’il n’est jamais permis de tuer son frère, on le tue.

Oh ! pitié profonde pour ces pauvres sauvages qui s’appellent civilisés !

Pitié pour cette société de bourreaux qui torture et démoralise les âmes par la misère, et qui remédie avec la hache aux désordres occasionnés faim !

Pitié profonde pour ces malheureux qui nous maudissent et qui nous croient leurs ennemis, parce que nous voulons les sauver de l’enfer de leurs propres institutions !

Laissons crier ces insensés, et continuons notre œuvre. Guerre implacable aux abus, paix et miséricorde aux hommes !

Sachons bien que céder à l’injustice c’est être complice de l’injustice. Opposons d’abord aux crimes sociaux une résistance passive ; puis, si l’on veut nous contraindre à l’iniquité par la force… on nous trouvera tous ensemble !

Nous sommes sans colère et sans haine, nous sommes forts de nos droits ; nous avons foi en l’avenir et nous sommes déterminés à vaincre, parce qu’il le faut et que le temps en est venu. Ainsi donc, frères qui voulez être nos maîtres, croyez-nous, faites-nous justice et ne nous attaquez pas !

Quant à vous, mes frères et mes sœurs, je n’ai qu’à vous répéter le mot d’ordre du Christ : Simplicité de la colombe dans les fins, prudence du serpent dans les moyens.

Ne vous heurtez pas inconsidérément contre la force, vous seriez brisés : usez la force par l’inertie, et déjouez-la par la ruse.

Pourquoi laisseriez-vous à vos ennemis les avantages d’une lutte intelligente ? Opposez à leur jésuitisme infatigable une adresse plus que jésuitique !

Vous ne devez pas la vérité aux menteurs, vous ne devez pas de confiance aux voleurs, vous ne devez pas de dévouement aux assassins !

Faites pour le bien ce qu’ils font pour le mal. Qui veut la fin veut les moyens !

Ceux qui se laissent battre volontairement trahissent leur propre cause. Eh, pourquoi donc cédériez-vous, si vous avez raison ?