L’Évolution Française sous la Troisième République/Chapitre VII

chapitre vii

la france coloniale.

Trois empires coloniaux. — Une tradition nationale. — Obstacles et labeurs d’outre-mer en 1872 et en 1894. — L’Ouest africain. — L’Asie française. — Problèmes d’Indo-Chine. — Erreurs administratives. — Les lenteurs du commerce français. — Question d’éducation.

La nation française travaille à édifier son troisième empire colonial. Le premier fut créé par François ier, Henri iv, Coligny, Richelieu et Colbert, détruit par Louis xiv et Louis xv. Le second, ébauché sous Louis xvi, vit son développement entravé et son avenir compromis par la Révolution et l’Empire. Le troisième est, presque exclusivement, l’œuvre de la République.

La « France extérieure » date de loin ; elle est née des efforts isolés de ces hardis conquérants que poussaient hors des frontières l’esprit d’aventure et d’entreprise, le goût du danger et l’amour de la gloire. C’est une origine très noble. D’autres peuples ont eu, de bonne heure, l’instinct du commerce et le souci légitime de la richesse[1] ; la colonisation a plutôt été, pour le nôtre, une carrière d’audace qu’une carrière d’intérêt ; les Français y ont de tout temps cherché à dépenser leurs forces viriles bien plus qu’à acquérir la fortune ; et nous verrons que cette caractéristique de leur activité coloniale a survécu à la transformation si profonde du caractère national ; aujourd’hui encore, on trouve plus aisément des hommes de bonne volonté pour les missions périlleuses que pour les fondations lucratives.

La période qui s’étend de 1365, époque où déjà quelques établissements existaient en Guinée, jusqu’en 1628, date du premier conflit en terre lointaine avec l’Angleterre, est remplie de faits d’armes extraordinaires, de prouesses individuelles où se marque l’impulsion des instincts primitifs et des ambitions irraisonnées. C’est Jean de Béthencourt qui s’empare des îles Canaries (1402), c’est Jean Cousin qui tente la découverte des Indes orientales (1488). Ce sont Paulmier de Gonneville, Denis de Honfleur, Thomas Aubert, Jean Parmentier, surnommé « Il gran capitano francese », Adalbert de la Ravardière et tant d’autres dont les noms sont presque oubliés. Il y a aussi des vengeurs : tel le brave Ango, qui capture trois cents bateaux et, remontant le Tage, impose la paix à Jean iii de Portugal, coupable d’avoir fait couler des navires français dans les eaux brésiliennes (1539) ; tel encore ce gentilhomme de Mont-de-Marsan, de Gourgues, qui part de Bordeaux avec deux cents hommes, le 2 août 1567, pour venger les neuf cents Français massacrés deux aus plus tôt par les Espagnols, dans la Caroline[2], en immole à son tour près de quatre cents, et revient chez lui le cœur content. Tous ces hommes préparent, sans s’en douter, l’expansion future de la France et promènent, à travers le monde nouveau qui emplit l’horizon, leur splendide insouciance et leur brutalité joyeuse.

François ier en fondant le Havre (1537), marque le premier que cette expansion est « affaire du Roi », ce qui, pour l’époque, veut dire : question nationale. Coligny, plus tard, ne se lasse pas d’organiser des expéditions : il envoie Jacques Cartier au Cap-Breton, Villegageux au Brésil et Jean Ribaud en Floride. Quelques maisons se fondent, quelques sociétés s’organisent pour exploiter les richesses qui se révèlent. Il y en a une en Algérie, vers 1525, qui a pour but la pêche du corail. En 1582, des Normands, chassés de Guinée par les Portugais, unissent leurs efforts et s’établissent à Saint-Louis du Sénégal, et, en 1598, de Chastes, gouverneur de Dieppe, nommé par Henri iv lieutenant général de l’Amérique, forme, avec des gentilshommes de Rouen et de la Rochelle, une compagnie de commerce.

La situation se précise : l’Amérique du Nord a attiré les jeunes audaces comme un aimant, le fer ; elle va devenir le champ clos des convoitises européennes ; à peine Champlain a-t-il fondé Québec (1608) et découvert les Grands Lacs (1614-1615), que sa sécurité est menacée. Les Anglais, établis en Virginie dès l’époque de son premier voyage, ont déjà profité de la régence de Marie de Médicis pour ravager l’Acadie ; en 1628, ils attaquent le Canada. Québec, dont ils s’emparent, est restitué à la paix de Saint-Germain (1632), mais la guerre allumée sur les rives du Saint-Laurent ne cessera plus pendant un siècle et demi.

En 1661, lors de la fondation de Montréal, la Nouvelle-France compte déjà 2,500 Européens environ ; l’année suivante, elle devient possession de la couronne, et la compagnie des cent associés est dissoute. Le gouverneur et les officiers qu’envoie la métropole forment le centre d’une société qui s’étudie aux belles manières et veut être policée ; et, pendant ce temps, les aventuriers, dont la race ne s’éteint pas, dont l’ardeur ne faiblit pas, s’enfoncent dans l’Ouest jusqu’au pied des montagnes Rocheuses ; Louis Jolliet, le Père Marquette explorent l’Arkansas et le Wisconsin ; La Salle descend le Mississipi jusqu’à son embouchure et prend possession de la Louisiane au nom de Louis xiv. La mort de Colbert, en 1683, marque l’apogée de notre empire colonial. Pendant les vingt dernières années, à la Martinique et à la Guadeloupe (conquises de 1625 à 1635 par d’Enambuc et ses compagnons), nous avions ajouté Sainte-Lucie, Saint-Barthélemy, la Dominique et Saint-Domingue[3]. Madagascar, sous le nom d’île Dauphine, était devenue possession de la couronne ; Pondichéry et Chandernagor avaient été fondés, et la Compagnie des Indes réorganisée sur des bases meilleures[4]. Ce fut moins la mort de Colbert que celle du grand empereur mongol, Aureng-Zeb, survenue en 1717, qui causa le déclin de l’Inde française. La puissance d’Aureng-Zeb tenait en respect les négociants anglais, hollandais, portugais ; quand elle se fut évanouie, la compagnie anglaise et la compagnie française se trouvèrent face à face et, devenues puissances territoriales, poussèrent leur rivalité jusqu’à la lutte armée.

En Amérique, ce fut le nombre qui triompha ; nous avions quinze à vingt mille colons, les Anglais, déjà, étaient deux cent mille ; ils profitèrent de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1690), puis de la guerre de la Succession d’Espagne pour tenter de nous réduire ; le traité de Ryswick (1697) laissa les choses en l’état, mais celui d’Utrecht (1713) nous enleva Terre-Neuve, l’Acadie et les territoires de la baie d’Hudson. La France trouvait, du moins, des compensations en Louisiane, où la colonisation progressait, et dans l’île Maurice, qui, abandonnée par les Hollandais[5], était concédée à la Compagnie des Indes (1721) et voyait, sous l’habile gouvernement de La Bourdonnais, les cultures s’étendre sur son sol et sur ses rivages les villes se fonder. Le traité d’Utrecht, d’ailleurs, ne porta pas le découragement parmi les habitants de la Nouvelle- France : De 1713 à 1744, leur nombre s’éleva de vingt-cinq mille à cinquante mille, et, par l’établissement d’une ligne de forts sur l’Ohio, ils se maintinrent en rapports fréquents avec leurs compatriotes louisianais, se réservant, en quelque sorte, pour un avenir plus heureux. Pendant ce temps, de grandes choses s’accomplissaient dans l’Hindoustan, mais il devenait évident que l’insouciance du Roi et de ses ministres et l’ignorante indifférence de l’opinion stériliseraient tous les efforts de nos colons. En 1739, les Mahrattes, sous Ragoglu, leur chef, avaient dû reculer devant Dumas, gouverneur de Pondichéry, auquel, deux ans plus lard, succéda l’illustre Dupleix. Quand éclata en Europe la guerre de la Succession d’Autriche, elle eut, au loin, son contre-coup. Mais Dupleix, renforcé par La Bourdonnais, s’empara de Madras, remporta, avec deux cents Français, la victoire de San Thomé (1747) sur cent mille Hindous, enfin défendit glorieusement Pondichéry contre les Anglais (1748). Cette même année se signa la paix d’Aix-la-Chapelle, et Louis xv, qui faisait la guerre « en roi et non en marchand », rendit Madras !

En 1750, la guerre reprit pour la succession du Dekkan et du Carnatic. Dupleix, La Touche et Bussy écrasèrent la cavalerie mahratte dans quatre combats successifs. Dupleix était puissant ; il avait, avec cinq provinces, formé sur la côte d’Orissa un véritable royaume avec Mazulipatam pour capitale ; le pavillon britannique ne flottait plus sur Madras. Alors les intrigues opérèrent à Versailles ce que les canons n’avaient pu faire en Asie. Louis xv rappela Dupleix (1754), et Godchen, son successeur, signa avec les Anglais un traité par lequel les deux compagnies renonçaient à « leurs possessions » et s’interdisaient d’intervenir désormais dans les affaires de l’Inde. L’année suivante éclata la guerre de Sept ans. À partir de ce moment, les armes françaises sont partout reloulées. Montcalm remporte une seule victoire à Carillon, mais le flot britannique continue de monter ; le héros est défait et tué aux Plaines d’Abraham. Québec capitule et, malgré la belle défense de M. de Lévis, les forts sont réduits les uns après les autres. Pendant ce temps, Clive a pris Chandernagor (1757), Bussy a été fait prisonnier à Vandavachi et l’infortuné Lally-Tollendal, successeur de Godchen, capitule dans Pondichéry (1761).

La paix de Paris est signée en 1763 ; c’en est fait de l’Inde française[6]; les quelques comptoirs que nous rendent nos vainqueurs n’auront plus pour nous qu’une valeur historique ; dans le reste du monde nous perdons le Canada, la moitié de la Louisiane, Saint-Vincent, la Dominique, le Sénégal…

Le premier empire colonial français est à bas ; il n’en reste que quelques bribes éparses ; ce grand effort a échoué, et pourtant la sève coloniale n’est point tarie ; on la sent toute proche, et le gouvernement de la métropole, cette fois, en suivra la poussée avec un intérêt bienveillant. Louis xvi est sur le trône, monarque méconnu dont le destin a paralysé les qualités et mis en relief les défauts. C’est lui qui, dès 1768, envoie au loin Bougainville ; Bougainville qui va reconnaitre les Pomotou, Tahiti, la Nouvelle-Guinée, et qui aura pour successeurs La Pérouse (1787) et d’Entrecasteaux (1791)[7]. Pendant la guerre d’Amérique, le bailli de Suffren remporte la victoire de Madras, reprend Pondichéry[8], et en 1783 le traité de Versailles nous restitue le Sénégal et Tabago. C’est l’époque Beniowski, en faisant à Madagascar ses célèbres essais de colonisation, prépare les voies à notre action future et où l’évêque Pigneau de Behaine négocie, entre Louis xvi et l’empereur Gia-Long, ce singulier traité qui — bien qu’inexécuté — a servi de point de départ à notre établissement en Indo-Chine. L’existence légale des colonies commence en 1792 ; l’Assemblée législative leur accorde le droit de représentation au Parlement. Aussi l’île de France et la Réunion prennent-elles part de bon cœur au grand soulèvement national ; elles organisent une vigoureuse résistance contre les Anglais tandis que Victor Hugues, envoyé aux Antilles par la Convention, parvient à les chasser de la Guadeloupe et de Sainte-Lucie. Napoléon eut-il quelques arrière-pensées coloniales ? En tous les cas, le temps et les forces lui eussent manqué pour s’y appliquer ; pour la seconde fois la politique d’expansion périssait écrasée par la politique continentale ; le traité de Paris de 1814, comme le traité de Paris de 1763, ne laissait de la France extérieure que des ruines. Si les circonstances permettaient de reprendre une troisième fois l’œuvre lointaine, la nation et ses gouvernants sauraient-ils profiter de la leçon, choisir nettement entre l’un et l’autre parti, vouloir d’un vouloir ferme cette paix européenne indispensable à toute entreprise d’expansion coloniale ? Tel était le problème dont le passé avait fixé les termes. Ce passé, il n’était pas inutile de le parcourir du regard et d’en rappeler ici les principales péripéties. Nos colonies constituent l’un des plus puissants liens qui unissent la France d’hier à celle d’aujourd’hui. En travaillant à les rendre grandes et prospères la République est demeurée fidèle aux traditions nationales.

Quand les premières blessures de 1870 se furent cicatrisées et que nous touchâmes à la fin de cette convalescence dont la brièveté surprit et inquiéta nos ennemis, les hommes d’État en qui le pays avait confiance se demandèrent de quel côté il convenait d’orienter son activité renaissante. Plusieurs motifs s’offraient à eux de choisir l’expansion coloniale. Jules Ferry, plus qu’aucun autre, en sentait la nécessité. Il a pris soin de s’en expliquer à la Chambre, un jour qu’on attaquait en sa personne la politique coloniale tout entière[9]. « Dans l’Europe telle qu’elle est faite, disait-il, dans cette concurrence de tant de rivaux qui grandissent autour de nous, les uns par les perfectionnements militaires et maritimes, les autres par le développement prodigieux de leur population, dans un univers ainsi fait, la politique de recueillement et d’abstention, c’est le grand chemin de la décadence… Rayonner sans agir, sans se mêler des affaires du monde, en se tenant à l’écart de toutes les combinaisons, en regardant comme un piège, comme une aventure toute expansion en Afrique ou en Orient, vivre ainsi, c’est abdiquer ! » Tous les États de l’Europe, en effet, se lançaient, les uns après les autres, dans la voie des conquêtes exotiques et de l’agrandissement des horizons commerciaux. S’en abstenir, c’était non seulement faire tort au pays, mais donner aux ennemis de la République l’occasion de la rendre responsable de la stagnation qui en résulterait[10]. D’autre part, les obstacles étaient nombreux et difficiles à franchir. Et d’abord parviendrait-on jamais à intéresser le pays, d’une façon durable, à une entreprise qu’il n’aurait pas le moyen de contrôler jour par jour et dont il lui faudrait attendre longtemps les résultats ? L’indifférence n’avait-elle pas été la cause des insuccès passés ? En somme, une certaine impopularité s’était toujours attachée à la colonisation. Avec Voltaire, on n’avait aperçu dans le Canada que « quelques arpents de neige ». La Louisiane avait excité la verve des Parisiens, et ce pauvre grand Dupleix s’était vu tourner en ridicule, au point, dit un de ses historiens[11], « qu’on faisait sur lui et sur ses projets des contes moraux et des opéras-comiques ». Plus récemment, quelle ferme volonté et quel esprit de suite avaient été nécessaires pour rendre populaire l’armée d’Afrique dont les conquêtes faillirent si souvent être compromises par « les hésitations, les défaillances, les vues bornées, la politique ignorante, étroite ou déclamatoire des Chambres censitaires[12] » ! Ces exemples n’étaient guère encourageants, et, sans prévoir que l’esprit de parti allait faire du Tonkin « le champ clos de nos discordes[13] », on devait s’attendre à une lutte opiniâtre dont l’issue, longtemps peut-être, demeurerait incertaine.

Le premier effet de l’apathie et de l’indifférence de l’opinion par rapport aux colonies, c’est la difficulté de trouver de bons fonctionnaires pour les administrer et de bons colons pour les mettre en valeur. Les Anglais envoient au loin des hommes d’élite, qu’ils revêtent d’une autorité véritable et dont les fonctions sont rémunératrices autant que considérées. Le fonctionnaire colonial français, au contraire, se croit en exil ; sa carrière est peu estimée : il demeure au second plan. Quant au colon, il lui faut une dose d’énergie tout à fait rare pour entreprendre son dur labeur ; et pour y réussir, des hasards particulièrement favorables. Beaucoup de gens prétendent que le Français est, de sa nature, un mauvais colonisateur. Rien n’est moins prouvé[14]. Mais l’éducation qu’il reçoit lui en donne, en tout cas, les apparences. Elle brise son initiative, réprime ses énergies, le forme à la crainte et à l’obéissance, en un mot le façonne au rebours de ce qui convient à un futur colon.

Enfin, avant de se lancer dans les entreprisès coloniales, il importait de savoir ce qu’allait être la politique économique de la République. Si la métropole est libre de choisir entre le protectionnisme et le libre-échange, l’est-elle d’appliquer le régime de son choix à ses dépendances d’outre-mer ? Sans le libre-échange, la plupart des colonies ne peuvent prospérer et beaucoup ne peuvent même exister. « Les industriels de la métropole ne réussissent jamais à alimenter largement le marché dont ils ont écarté leurs concurrents étrangers, et à ne plus vendre que des produits nationaux ; les marchands de la colonie végètent et languissent[15]. » Si les Chambres républicaines étaient amenées à établir des droits protecteurs — et on pouvait, à certains signes, prévoir cette éventualilé, sans être pessimiste — que deviendraient les colonies ?

Tous ces points d’interrogation, toutes ces incertitudes, toutes ces raisons de craindre pour l’avenir ne paralysèrent pas l’activité des « coloniaux ». Ils ont eu foi dans leur œuvre et, secondés par les hardis voyageurs qui servirent d’éclaireurs à nos soldats, ils ont créé une Afrique et une Asie françaises sur lesquelles il est permis de jeter les yeux avec orgueil, bien que ce qui a déjà été accompli soit peu de chose auprès de ce qui reste à faire.

En 1872, nous possédions en Afrique : l’Algérie, où la colonisation militaire rêvée par le maréchal Bugeaud avait complètement échoué, où l’incurie et l’incapacité de l’administration rivalisaient avec la néfaste institution des bureaux arabes pour éteindre toute initiative et arrêter l’essor de toute entreprise privée ; l’Algérie qui pesait sur les finances de la métropole au lieu de les soulager[16], et qui n’avait à son actif que d’avoir formé de bons officiers et entretenu la vigueur des troupes. Nos prétentions sur la Tunisie, sa voisine, avaient été formulées discrètement par la monarchie de Juillet ; la deuxième République et l’Empire s’étaient bornés à n’y point renoncer. Nous avions encore le Sénégal d’où la vie semblait s’être retirée, où, de 1817 à 1854, trente et un gouverneurs s’étaient succédé, n’apportant d’ailleurs aucun plan d’ensemble, aucune visée d’améliorations générales, si bien que sur les réclamations et les plaintes des commerçants bordelais, on avait fini par y envoyer le commandant Faidherbe qui avait rétabli la sécurité, fondé le poste de Médine et construit des ouvrages fortifiés sur le fleuve. Plus bas, vers le sud, des comptoirs français avaient été établis en 1843 à Grand-Bassam et à Assinie sur la côte d’Ivoire. En 1870 les postes avaient été évacués, et c’est un négociant de la Rochelle, M. Verdier, qui, en prenant le titre de résident, avait réussi à conserver Grand-Bassam à la France malgré les efforts du gouverneur de la Côte d’Or anglaise. Plus loin encore, s’étend la Côte des Esclaves, façade maritime du pays dahoméen ; là encore des efforts individuels avaient amené d’heureux résultats, tels que la fondation de Grand Popo (1857), l’établissement du protectorat à Porto-Novo (1863) et enfin la cession de Kotonou par le roi du Dahomey. Puis le protectorat laissé sans organisation ni ressources avait été abandonné ; les Anglais tentèrent même de s’annexer le territoire de Porto-Novo sans y réussir. Enfin un Congo français avait été fondé en 1839 par le commandant Bouët-Willaumez, signant avec le chef Denis un premier traité rendu définitif en 1844 ; en 1849 l’établissement de Libreville avait été créé ; plus tard (1862), notre autorité s’était étendue sur l’Ogooué et sur tout le territoire compris entre ce fleuve et le Gabon ; du Chaillu, Walker, de Compiègne et Marche avaient parcouru le pays. De France, les encouragements leur manquaient ; on ne savait pas ce qu’ils allaient faire « là-bas ». On les suivait peu.

Bien différent est l’aspect de ces mêmes régions, vingt ans plus tard. Derrière le Sénégal un vaste empire est en formation qui se joindra, d’une part, à l’Algérie, et de l’autre au Congo français. C’est en 1879, par la création du poste avancé de Bafoulabé, que cette œuvre gigantesque a pris naissance ; de 1881 à 1887, sous le colonel Borgnis-Desbordes et le commandant Combes, l’œuvre de pénétration s’est poursuivie avec vigueur par la fondation des portes de Badumbé, de Kita, de Bammako, de Koundou, de Niagassola : en 1888, on a atteint Kanani, le port de Tombouctou[17] ; puis le lieuterant-colonel Galliéni et le commandant Archinard ont étendu notre influence jusqu’aux sources du Niger et placé sous notre protectorat les États d’Ahmadou et de Samory. Le Dahomey est entre nos mains. La brillante expédition du général Dodds (1892) s’est terminée par la prise d’Abomey et le renversement d’une dynastie dont le nom seul inspirait la terreur dans la boucle du Niger. Enfin le Congo français s’est, grâce aux efforts de M. de Brazza et de ses collaborateurs, largement développé ; nous y avons acquis, par une série de traités, un grand nombre de territoires hors des limites primitives. Mais alors sont nées les contestations avec les puissances européennes devenues nos voisines. Notre nouvel empire enclave la Guinée portugaise, les comptoirs anglais de Sierra-Leone, la République américaine de Liberia[18], la Côte d’Or britannique, le territoire allemand de Cameroun, et côtoie, sur une longue distance, l’État indépendant du Congo ; sans parler des établissements isolés dont le hasard des circonstances ou la fantaisie des voyageurs a parsemé les rivages de l’Afrique occidentale et sur lesquels flottent les divers drapeaux des nations européennes.

C’est la convention du 5 août 1890 qui a consacré en quelque sorte l’existence de l’Ouest africain français. L’Angleterre et l’Allemagne, en disposant du sultanat de Zanzibar, avaient lésé des droits antérieurs dont l’existence avait été quelque peu oubliée par la France elle-même ; on s’en avisa fort à propos, et des compensations furent réclamées. Elles consistèrent en l’« hinterland » du Sénégal et de la Guinée, avec accès au lac Tchad, qui devenait ainsi le grand carrefour de la civilisation au sein du continent noir. Il y a sans doute quelque puérilité dans ce partage de territoires immenses, incomplètement explorés, mal délimités et que de graves diplomates s’attribuent les uns aux autres en traçant au crayon des lignes droites sur une carte étendue sous leurs yeux. Au lendemain du jour où précisément il venait de se livrer à cet exercice, lord Salisbury raillait agréablement, en public, sa propre manière de faire. Elle n’est pourtant pas aussi anodine qu’elle voudrait le paraître. Ce sont là des annexions « qu’une diplomatie persévérante cultive ensuite comme des germes de réclamations et de titres pour l’avenir[19] ». Les « conquistadores » étaient-ils beaucoup plus ridicules, d’ailleurs, quand, au nom de leur souverain, ils prenaient possession d’une terre ou d’un océan dont ils ignoraient les limites ?

Des négociations habilement conduites ont fait aboutir, en ce qui nous concerne, la plupart de ces difficultés de délimitation[20]. Mais l’Europe a beau se dépenser en efforts pour maintenir la paix entre les agents qui la représentent au pays noir, elle n’y réussit qu’imparfaitement ; ou bien ce sont les missionnaires catholiques et protestants qui, oublieux de leur mission de fraternité chrétienne, arment les unes contre les autres les peuplades soumises à leur influence ; ou bien ce sont des concessionnaires anglais, français, allemands, portugais qui cherchent à se nuire, moins par rivalité commerciale que par jalousie de race. Il arrive que, même entre compatriotes, de déplorables conflits surgissent, et que de mesquines jalousies se manifestent là où l’unité d’action pourrait seule réaliser quelques progrès.

En toutes ses entreprises de conquête et d’exploration, le gouvernement a été bien secondé par l’initiative privée. Le comité de l’Afrique française et d’autres sociétés similaires lui ont apporté le concours le plus louable et le plus désintéressé ; les chambres de commerce, les sociétés de géographie, de grands journaux quotidiens et même de simples particuliers ont fait les frais d’expéditions dont les résultats furent considérables. Mais tous ces sacrifices, tous ces dévouements ont été inspirés par l’amour de la patrie ou de la science ou par l’ambition de faire quelque action généreuse et d’acquérir une notoriété de bon aloi. Or ce sont surtout les entreprises agricoles, industrielles et commerciales qui enrichissent les colonies. Mais si les Français sont prêts à donner leur sang pour la cause de la civilisation ou pour l’agrandissement du domaine national, ils paraissent moins disposés à risquer leurs capitaux pour procurer à leurs nouvelles possessions cette « irrigation » bienfaisante, qui seule en assurera le développement.

Après l’Afrique et l’Asie françaises, Madagascar constitue la troisième portion importante de notre empire actuel d’outre-mer. Ce n’est pas d’hier, ainsi qu’il est dit plus haut, que datent nos relations avec la grande île africaine. Les Normands s’y établirent, et, il y a près de trois siècles, la Compagnie des Indes y fit des expériences malheureuses[21] ; Colbert s’en occupa sans réussir à y intéresser l’opinion[22]. Les agents français y préparèrent par des fautes sans nombre le massacre de leurs compatriotes (1672), et Louis xiv eut beau décréter l’annexion de Madagascar (devenue l’île Dauphine) par une série d’arrêts qui portent les dates de 1686, de 1719, de 1720 et de 1721, les Malgaches ne se laissèrent point séduire. Les aventuriers réussirent mieux. On se rappelle l’histoire de ce caporal Labigorne qui épousa la reine Béty et réorganisa les relations commerciales entre Madagascar, l’île Bourbon et l’île de France (1750-1767). Après lui vinrent M. de Modave et Béniowski que protégeait d’Aiguillon et que les Malgaches voulurent proclamer roi. La Convention installa un résident à Tamatave[23]. La Restauration s’empara de Tintingue (1829) : Louis-Philippe l’évacua. Aucun gouvernement ne semblait se soucier de faire un effort pour resserrer les liens qui unissaient Madagascar à la France. Mais aucun n’osait les trancher définitivement. Une occasion favorable s’offrit à Napoléon iii, Trois commerçants français établis dans l’île, MM. de Lastelle, Laborde et Lambert, s’étaient acquis une grande situation auprès de la reine Ranavalo et de son fils. L’établissement du protectorat était alors facile, mais l’Empereur, tout occupé de sa politique continentale, voulut mettre l’Angleterre de moitié dans l’affaire qu’on lui proposait. Il y avait longtemps que les Anglais cherchaient une occasion de mettre la main sur Madagascar. En 1816, le gouverneur Farquhar avait avisé le gouverneur de Bourbon qu’il considérait Madagascar comme une dépendance de l’île de France. On l’avait désavoué, tant cette prétention était insoutenable, mais ses agissements avaient été secrètement encouragés. Lord Clarendon, à qui le gouvernement impérial entr’ouvrait ainsi la porte, envoya dans l’île le méthodiste Ellis qui organisa ces missions britanniques où, sous prétexte de propagande religieuse, s’exerça l’action anti-française. Le missionnaire Pickersgill (1877-1881) lui succéda. L’heure était venue d’agir ou d’évacuer. En 1883, l’amiral Pierre s’empara de Majunga et de Tamatave ; l’année suivante l’amiral Miot mit le blocus sur les côtes, cependant que l’amirai Galiber, puis M. Patrimonio menaient avec les Hovas des négociations laborieuses. Les Anglais entretenaient ces derniers dans l’illusion que l’Europe leur était favorable[24] ; aussi rompaient-ils d’eux-mêmes les pourparlers dès qu’ils entrevoyaient la possibilité d’une crise ministérielle en France ou d’un refus par le Parlement des crédits demandés par le gouvernement. Enfin un traité fut signé qui nous cédait la baie de Diégo-Suarez et établissait notre protectorat. L’Angleterre en a reconnu les clauses en 1891 ; mais pour vaincre les dernières résistances des Hovas, leur enlever leurs dernières illusions, établir iadiscutablement la domination française à Madagascar, une expédition a été nécessaire ; elle s’accomplit à l’heure présente[25]. Il n’y a point de doute que la grande île africaine ne puisse devenir, entre les mains d’une puissance sachant exploiter ses richesses, une magnifique source de prospérité. Nous verrons quelles sont les conditions indispensables pour que la colonisation française s’y implante et y réussisse.

Les origines de l’Asie française sont également lointaines. Les premières missions catholiques au Tonkin datent de 1625. En 1684, la Compagnie des Indes le fit explorer par un de ses agents, Le Chappelier ; d’autres de ses représentants s’y succédèrent en 1735, 1748 et 1749. Enfin, en 1787, un traité fut signé à Versailles entre les plénipotentiaires français et le prince royal fils de l’Empereur dépossédé, Gia-Long, assisté de l’évêque d’Adran, Pigneau de Béhaine, instigateur de ce traité. Le roi Louis xvi s’engageait à rétablir sur son trône l’empereur d’Annam qui lui cédait en retour l’archipel de Poulo-Condore, la baie et la ville de Tourane. La Révolution ayant empêché Louis xvi de remplir ses engagements, l’évêque s’en chargea au lieu et place de son souverain. Il fréta des navires, engagea des officiers et des ingénieurs, réorganisa l’armée et la flotte de Gia-Long. Non seulement celui-ci recouvra son héritage, mais il étendit sa domination sur tout le Tonkin où les ingénieurs français édifièrent ces mêmes fortifications dont nos soldats ont dû depuis s’emparer à travers mille périls. La mort du prélat patriote, resté le confident de Gia-Long, marqua le déclin de l’influence française (1798) ; un demi-siècle se passa, et le souvenir de Pigneau de Béhaine était déjà bien effacé lorsqu’en 1858, à la suite du massacre de missionnaires français et espagnols et de l’échec d’une mission pacifique confiée à M. de Montigny, l’amiral Rigault de Genouilly, à la tête d’une expédition franco-espagnole, s’empara de Tourane, puis de Saïgon (1859). En 1862, après quelques victoires de nos armes, assez chèrement achetées d’ailleurs, le célèbre Tu-Duc consentit à signer le traité de Saïgon[26]. Une ambassade envoyée au Cambodge obtint de Norodom l’établissement du protectorat français. Enfin le capitaine Doudart de Lagrée, ayant exploré le cours du Mékong et traversé le Laos, reconnut le Song-Koï ou fleuve rouge pour la voie naturelle par laquelle la pénétration en Chine pouvait s’accomplir[27].

Après la guerre de 1870, la « question du Tonkin » se posa tout de suite ; on ne pouvait l’éluder sans fermer à nos possessions d’Indo-Chine tout débouché vers l’intérieur et sans abandonner à d’autres des avantages précieux qui étaient à notre portée. Un négociant, M. Dupuis, s’installa à Hanoï, où il fut molesté par les Annamites ; cette même année, l’amiral Dupré confia une mission au lieutenant de vaisseau Garnier ; Garnier avait avec lui deux canonnières et cent soixante-quinze hommes ; l’attitude hostile des mandarins l’amena à prendre Hanoï, puis à occuper tout le Delta. Les Annamites alors appelèrent à l’aide les Pavillons noirs, débris des bandes chinoises des Taï-Pings, et dans une attaque de la citadelle d’Hanoï, Garnier fut tué.

L’amiral Dupré était un de ces enthousiastes que le Tonkin a séduits et conquis si complètement. Il écrivait au ministre de la marine le 28 juillet 1873. « Je suis prêt, s’il reste un doute dans votre esprit et dans celui du gouvernement, à assumer toute la responsabilité des conséquences de l’expédition que je projette, à m’exposer à un désaveu, à un rappel, à la perte d’un grade auquel je crois avoir quelques droits. Je ne demande ni approbation, ni renforts : je vous demande de me laisser faire, sauf à me désavouer, si les résultats que j’obtiens ne sont pas ceux que je vous ai fait entrevoir. » Mais le cabinet que présidait le duc de Broglie était peu colonial ; on résolut d’évacuer Hanoï et le Delta et d’accepter la convention dite de 1874 qui établissait un protectorat incomplet et mal défini et entretenait des germes de conflit pour l’avenir[28]. Les résultats de cette convention ont condamné définitivement la politique qui l’avait dictée. Une intervention énergique eût évité bien des maux et épargné bien des pertes ultérieures d’hommes et de capitaux. De 1875 à 1883 ce fut une période ininterrompue de voyages et d’explorations[29], mais l’horizon s’assombrissait ; la cour de Hué se rapprochait du Tsong-Li-Yamen et envoyait à Pékin ambassades et présents. Ce fut en 1882 que le marquis Tseng fit connaître à Paris que la Chine ne regardait pas comme valable la convention de 1874 : il reçut de Gambetta une réponse nette et catégorique que M. de Freycinet renouvela peu après. « La France, dit le ministre, n’a aucune explication à fournir à la Chine. » Par malheur, le parti de la décision ne prévalait pas assez complètement ; on sentait des incertitudes, des hésitations. M. le Myre de Vilers, ayant épuisé tous les moyens de conciliation et voyant la situation s’aggraver, envoya au Tonkin le commandant Rivière qui s’empara d’Hanoï. Pendant ce temps, notre ministre à Pékin, M. Bourée, y faisait agréer un projet de traité créant une zone neutre entre la Chine et l’Annam, et contenant de la part de la France l’engagement de respecter le territoire annamite. On désavoua et l’on rappela M. Bourée : mais il eût fallu appuyer d’autant mieux le commandant Rivière qui, de nouveau, avait conquis le Delta. Les Pavillons noirs étaient des ennemis redoutables ; en France on ne les prenait pas encore au sérieux. Le 19 avril 1883, le commandant Rivière fut tué : 30 morts et 55 blessés tombèrent autour de lui.

Cette fois la répression fut prompte. L’amiral Courbet reçut le commandement d’une division navale et le général Bouët celui des troupes de débarquement. Le bombardement et la prise des forts de Thuau-An, situés à l’embouchure de la rivière de Hué, suffirent à intimider le gouvernement annamite[30] qui demanda la paix. Le traité du 25 août 1883 sanctionna le protectorat de la France sur l’Annam et le Tonkin[31] ; mais alors on se trouva en face de la Chine, qui s’était peu à peu substituée à l’Annam et envoyait maintenant sans s’en cacher des renforts au Tonkin. L’amiral Courbet prit le commandement unique ; nous fûmes vainqueurs à Haï-Dzuong et à Sontay. Au début de 1884, 16,000 hommes arrivèrent de France sous le commandement du général Millot ; Bac-Ninh fut pris le 12 mars, Hong-Hoa le 13 avril, Tuyen-Quan le 1er juin ; on put croire que le traité de Tien-Tsin, signé par M. Fournier le 11 mai, mettrait fin aux hostilités. Il n’en fut rien. La Chine n’est pas un pays centralisé ; l’autonomie provinciale y est grande ; aussi la guerre reprenait-elle sur un point dès que la paix s’établissait sur un autre point : le gouvernement impérial bénéficiait de cette situation et cherchait à la prolonger. On négociait à la fois à Pékin et à Hué, voire même à Pnom-Penh où Norodom éprouvait des velléités de révolte dont l’énergie de M. Thomson eut vite raison[32]. La surprise de Bac-Lé (23 juin) prouva que tout n’était pas terminé ; satisfaction fut demandée à la Chine qui n’accorda rien. C’est alors que l’amiral Courbet pénétrant dans la rivière Min détruisit la flotte chinoise forte de 22 navires et de 2,000 hommes (23 août), puis l’arsenal de Fou-Tchéou[33] (24 août), et exécuta cette merveilleuse descente de la rivière dans laquelle, prenant à revers les postes fortifiés, les batteries, les forts de la passe Mingan, il démantela successivement tous ces ouvrages ; la Chine perdait, en plus de sa flotte et de ses marins, plus de 25 millions de francs ; 10 Français seulement avaient été tués. Kelung, dans l’île de Formose, était en nos mains, et au Tonkin le général Brière de l’Isle s’était emparé des importantes positions de Kep et de Chu. La promulgation par l’Angleterre du Foreign Enlistment Act ne retarda pas nos progrès[34]. Au début de 1885 l’amiral Courbet occupa les îles Pescadores et bloqua le Pé-Tché-Li pendant que le général Brière de l’Isle forçait les Chinois à lever le siège de Tuyen-Quan. Quand on étudie, dans son ensemble, cette belle campagne, toute pleine d’habiletés stratégiques, de vaillances et de victoires, on comprend comment la surprise de Langson, dont les haines de parti en France grossirent si démesurément l’importance, fut impuissante à relever le moral des Chinois ; ceux-ci étaient partout vaincus ; l’incident ne retarda pas la paix : les préliminaires, nous l’avons vu, en furent signés à Paris le 4 avril : le traité définitif, négocié par M. Patenôtre, fut signé à Tien-Tsin le 9 juin : l’Annam et le Tonkin, définitivement soustraits à l’influence chinoise, passaient sous la suzeraineté incontestée de la République française.

Nous avons suffisamment indiqué, à propos de la Tunisie, les écarts de langage, les exagérations, les calomnies, les soupçons auxquels l’esprit de parti s’était laissé entraîner dans la discussion des affaires coloniales ; il est inutile d’y revenir, si ce n’est pour faire remarquer que les succès obtenus en Tunisie ne profitèrent pas au Tonkin ; les « Tonkinois » furent en butte à des attaques d’une violence inouïe et aux accusations les plus mensongères[35]. Puis le temps fit son œuvre, et, devant l’unanimité des témoignages les plus imprévus et les moins suspects, il fallut bien se rendre à l’évidence et reconnaître le Tonkin pour « l’une des parties les plus riches de l’Indo-Chine[36] ». Ses mines, son delta si propre à la culture du riz, ses régions montagneuses où pourraient s’élever d’immenses troupeaux de chevaux, de bœufs et de moutons, son climat salubre, tout contribue à en faire une terre essentiellement favorable à la colonisation. On s’est donc décidé, selon le joli mot de Jules Ferry, à accueillir le Tonkin dans la grande famille française, non sans « le bouder » un peu, et on a consenti à jeter les yeux sur une carte d’Extrême-Orient pour connaître ses limites et deviner ses besoins. Ils y sont inscrits très nettement ; la géographie de ces régions est, en effet, éminemment suggestive et rend claires, à première vue, les rivalités européennes qui y sont en jeu. L’Indo-Chine ne se compose pas seulement du Tonkin, de l’Annam et de la Cochinchine, c’est-à-dire de cette portion de territoire, étroite et peu fertile vers le milieu, large et riche à ses extrémités, que les indigènes ont pu comparer, en toute vérité, à un bâton portant deux sacs de riz. L’Indo-Chine comprend encore, outre le Cambodge qui est sous notre domination, le royaume de Siam et la Birmanie. Ces différents pays sont parcourus par de nombreuses voies fluviales et principalement par quatre grands fleuves, l’Iraouaddy, le Ménam, le Mékong ou Cambodge et le Song-Koï ou Fleuve rouge. Un système montagneux très développé s’étend sur leurs frontières septentrionales, et une question s’y pose qui domine toutes les autres, celle de la pénétration en Chine.

La Chine a toujours été l’objectif des puissances européennes : commerçants, ingénieurs, industriels ont rivalisé de zèle pour s’en faire ouvrir les portes. Longtemps, l’union de l’Europe en face de la Chine fut complète ; les puissances occidentales agissaient de concert et puisaient dans leur entente une grande force devant laquelle l’immobilité chinoise eût fini forcément par céder. Après 1870 les choses changèrent : l’Allemagne et l’Italie entrèrent en scène : il en résulta des diversités d’intérêts qui eurent leur contre-coup en Extrême-Orient ; et comme les mandarins et les privilégiés redoutaient fort l’invasion de la civilisation européenne (le télégraphe et les chemins de fer ne pouvant que diminuer leur pouvoir en fortifiant celui de l’Empereur), la Chine se trouva plus fermée que jamais aux influences d’Occident. Par une sorte d’instinct les puissances évincées cherchèrent à s’établir sur des territoires limitrophes. Les Anglais jetèrent les yeux sur la Birmanie. Outre qu’avec ses montagnes riches en mines, ses plaines fertiles, ses forêts, la Birmanie pouvait devenir entre leurs mains une magnifique colonie, elle leur facilitait l’accès du Yunnam[37]. Nous avions avec le roi Thibô un traité de commerce ; une convention fut signée le 15 janvier 1885 qui confirmait et complétait la convention antérieure. Le mécontentement, en Angleterre, fut très vif, et la conquête de la Birmanie aussitôt décidée. Un ultimatum fut adressé à Mandalay, et une armée anglaise pénétra sur le territoire birman[38]. En France, on en était à une période où les coloniaux bornaient leurs ambitions au Tonkin ; il ne pouvait être question d’intervenir en Birmanie. Mais la Birmanie capturée, les Anglais ne se trouvèrent pas beaucoup plus avancés. Ils voulaient atteindre la ville chinoise de Ssu-Mao, située à la frontière du Yunnam et à l’ouest du Tonkin. On ne le pouvait qu’en construisant une ligne de chemin de fer très coûteuse et en touchant, moralement au moins, à l’intégrité du territoire siamois[39]. La France était en quelque sorte condamnée à intervenir à Bangkok et à y rencontrer l’Angleterre. On sait dans quelles conditions cette intervention s’est produite, comment l’amiral Humann, franchissant la barre du Ménam, est venu imposer au roi de Siam un ultimatum que celui-ci a dû accepter, et comment des négociations se sont ouvertes entre la France et l’Angleterre dans le but de prévenir les conflits redoutables auxquels le contact, les excès de zèle et les ambitions trop ardentes pourraient donner naissance.

Il ne nous appartient pas d’apprécier le bien fondé de certaines réclamations qui se sont produites de part et d’autre, non plus que de louer ou de blâmer la politique suivie dans des circonstances plus récentes encore. L’avenir dira s’il a été sage de faire participer en quelque sorte l’Asie française à des actes de politique exclusivement européenne : il y a là une situation qui peut devenir avantageuse ou dangereuse selon le cours, encore bien imprévu, des événements. Nos possessions d’Afrique touchent à des régions sur lesquelles flottent des pavillons étrangers ; mais l’Asie française est bien autrement exposée ; à proximité de la Chine et du Japon, de l’Australie et de l’Inde anglaise, elle subirait durement les conséquences d’une guerre européenne ; le système d’alliances qui paraît devoir se former en Extrême-Orient est, pour elle, une menace permanente.

S’il est impossible de méconnaître la grandeur de l’œuvre coloniale accomplie par la République, il est difficile de n’en pas voir en même temps les côtés défectueux et de n’être pas frappé de ce fait qu’un tel effort aurait dû normalement produire de tout autres résullats. La principale innovation qui ait été introduite dans nos méthodes coloniales, c’est l’application du protectorat. Il a été essayé en Tunisie. Il ne nous y a pas seulement, suivant le mot profond du cardinal Lavigerie, « fait l’économie d’une guerre de religion », il nous a surtout obligés de renoncer à « cet esprit de système, à ce goût des réformes hâtives, des solutions improvisées, à cette manie assimilatrice et révolutionnaire » qui sont, pour les colonies, de pires ennemis que la guerre même et l’hostilité des races conquises. « C’est pour n’avoir su tenir compte ni de la force du passé, ni de la résistance des milieux sociaux, a écrit Jules Ferry[40], c’est pour avoir cru à la vertu universelle et quasi magique de nos lois, de nos institutions, de nos procédés administratifs, que nous avons pris tant de fausses mesures en Algérie. Le protectorat, lui, est modeste ; il n’édifie pas sur une table rase. La métropole, déchargée, grâce à lui, des responsabilités du gouvernement direct, le laisse agir, prendre son temps. Comme on ne lui demande pas de révolution, il n’a pas la tentation d’en faire. C’est dans le milieu même dont la tutelle lui est confiée qu’il est obligé de trouver ses moyens de gouvernement. » On peut assurément conclure que, pour peu que « le protectorat ait des vues arrêtées et suivies et que le système ne change pas aussi souvent que ceux qui ont charge de l’appliquer », cette forme de domination est destinée à devenir « le type préféré de nos acquisitions coloniales ». Mais il est à peine besoin de faire observer combien différent devra être le régime du protectorat, selon qu’on l’applique à ces populations de l’Ouest africain, qui ont du gouvernement et de l’administration une notion si rudimentaire, ou bien aux peuples d’Indo-Chine, chez lesquels le respect des traditions et l’attachement aux vieilles institutions sont si profondément enracinés. Un empire aussi étendu et aussi varié que le nôtre ne peut se gouverner de Paris par le télégraphe ; il est puéril de l’avoir tenté. L’administration métropolitaine a souvent fait preuve d’une ignorance qui n’avait d’égale que sa bonne volonté. Au lieu de considérer l’Asie française comme un tout, elle s’en est tenue longtemps à l’idée des « protectorats séparés », contre laquelle le général de Courcy tenta en vain de réagir. Il en résultait une absence complète de suite dans les idées : chaque résident ou gouverneur général agissait à son gré, laissant tomber en désuétude les clauses des traités de 1884, ou bien s’attachant à les appliquer selon les circonstances ou d’après ses idées préconçues. De 1883 à 1891, il y a eu vingt résidents ou gouverneurs généraux, sept résidents supérieurs en Annam et huit au Tonkin[41]. On les a choisis souvent avec légèreté, mais on a surtout eu le tort, les ayant choisis, de les rappeler trop vite et trop facilement. Quel respect peut inspirer à un peuple qui se fait de l’autorité l’idée que s’en fait le peuple indo-chinois, un homme qui reste, dans la fonction supérieure qu’on lui a confiée, exposé à subir toutes les fluctuations de la politique et auquel un coup de télégraphe, justifié peut-être à Paris, mais incompréhensible à Hanoï, vient enlever subitement son prestige en même temps que son pouvoir ? Ajoutez à cela les rivalités entre civils et militaires, entre la milice et l’armée régulière, et aussi ce détestable préjugé qui a consisté à se priver du concours des mandarins. « Proposer au peuple annamite, soit au Tonkin, soit en Annam, de faire son bonheur en supprimant les mandarins, c’est heurter toutes ses idées, tous les principes introduits dans son esprit par l’éducation[42]. » Du reste, « dans la pratique, on peut constater que la plupart des fonctionnaires, recrutés par nous en dehors des lettrés annamites, valent moins que les autres, sont moins honnêtes, moins consciencieux, dans l’accomplissement de leurs fonctions[43] ». Le protectorat pratiqué en Annam a longtemps « consisté en une sorte de juxtaposition dédaigneuse du gouvernement protecteur au gouvernement protégé ». Les résultats ont été tels qu’on pouvait le prévoir : « mécontentement permanent, misère chez le protégé, déficit budgétaire chez le protecteur, absence de travaux utiles, malaise du commerce, lassitude de la métropole[44] ».

Non contente de tenir ses fonctionnaires sous sa dépendance étroite, l’administration des colonies prétend leur donner les indications les plus détaillées et prévoir, apparemment pour leur en éviter la peine, les moindres éventualités. Il existe une circulaire en date de 1893, adressée aux gouverneurs des colonies, leur prescrivant d’acheter en France tout ce dont ils auraient besoin, avec désignation des villes où les achats doivent être faits : — les briques à Bordeaux et à Marseille, — le porc salé au Havre — la paille et le foin ailleurs. Ainsi « l’Indo-Chine, dont tout le sol est fait de terre à brique et qui produit d’énormes quantités de riz, devait s’approvisionner en France de briques et de riz » ![45] Non seulement on ne pense pas qu’il soit utile à ceux qui appartiennent à l’administration centrale de visiter les colonies, mais on se méfie en général de ceux qui les ont visitées, comme s’ils en avaient nécessairement rapporté des idées subversives, des projets dangereusement audacieux, des vues erronées auxquels échappent ceux qui n’ont point quitté Paris. Il règne dans les bureaux, comme dans toute une portion du Parlement, une sorte d’esprit boulevardier « qui consiste à juger les choses d’Afrique ou d’Asie exactement au même point du vue juridique ou administratif que s’il s’agissait d’une commune de la France métropolitaine ». La concession à une compagnie de colonisation de certains droits sur une vaste étendue de terres incultes cause des sursauts d’indignation comme si l’on parlait « d’aliéner des provinces, telles que la Beauce, la Normandie ou le Languedoc[46] ». Et cette concession, une fois obtenue, ne donne même pas la sécurité aux concessionnaires ; il arrive qu’on la leur retire sous quelque prétexte plus ou moins futile.

L’administration cependant n’est pas seule responsable de l’inertie privée, et si elle fait beaucoup pour entraver le colon et peu pour l’encourager, celui-ci, il faut l’avouer, ne trouve pas en lui-même, en général, les réserves de forces et d’énergie dont il aurait besoin. Il ne trouve pas non plus chez ses compatriotes l’aide qui pourrait suppléer à sa propre insuffisance ; ceci nous amène à dire quelques mots du commerce francais et de ses relations avec les différentes parties du monde.

Ln valeur de nos échanges extérieurs a varié depuis quelques années entre sept et huit milliards[47]. C’est entre l’Angleterre et la France que le mouvement commercial est le plus intense : 1,393 millions en 1894. La Belgique (850 millions), l’Allemagne (635), les États-Unis (513), viennent ensuite ; puis l’Algérie (407), la Russie (305 1/2), l’Espagne (285), l’Inde anglaise (225), l’Italie (219), la République argentine (218), la Suisse (196)[48]. La Chine vient après la Turquie, après le Brésil, après l’Autriche, avec un chiffre à peine supérieur à cent millions. Quant à l’Indo-Chine, elle se tient avec les autres pays d’Extrême-Orient à un rang médiocre. Nous ne faisons pas plus d’affaires avec le Japon qu’avec l’Uruguay et la Colombie réunis (62 millions), moins avec l’Australie (58) qu’avec Haïti (63 millions), moins avec les Indes néerlandaises (environ 23 millions) qu’avec Saint-Pierre et Miquelon (33). Ces chiffres sont concluants ; ils prouvent que, d’une part, le commerce français supporte mal la concurrence et que, d’autre part, il est inhabile à s’ouvrir des débouchés nouveaux, ou à profiter de ceux qui se forment hors de sa portée immédiate. Les armateurs français ne semblent pas non plus s’apercevoir de l’augmentation du trafic maritime. Deux lignes allemandes et sept lignes anglaises avec 226 steamers représentant 530,232 tonnes sillonnent les mers de Chine et du Japon, où la France n’est représentée que par une compagnie subventionnée ; il n’existe pas un seul service de cargo-boats français entre nos principaux ports et l’Extrême-Orient.

Au cours de son voyage autour du monde, M. Ernest Michel a eu avec un ingénieur français, M. Bonjean, à la filature de coton de la Pétropolitana, un intéressant entretien qu’il a résumé en ces termes[49] : « Les machines françaises, me dit M. Bonjean, sont plus chères, mais la fabrication est meilleure et, à la longue, elles procurent encore une économie ; mais il est difficile de traiter avec les maisons françaises, car elles sont lentes ou chicaneuses et, en tout cas, elles manquent d’esprit pratique. Vous voyez ces dessins : ils représentent les machines montées et les machines démontées avec les numéros d’ordre à chaque pièce. Si j’ai besoin d’une pièce de rechange, je n’ai qu’à écrire à Manchester en indiquant simplement le numéro, et la pièce m’arrive par le premier navire : mais s’il s’agit d’une maison française, rien de semblable. Je suis obligé de dessiner la pièce, de bien donner la dimension, et souvent on aura besoin de nouvelles explications qui font perdre des mois, et à la fin la pièce arrive peut-être incomplète ou mal adaptable. J’aurais eu cent fois l’occasion de faire d’importantes commandes en France, soit pour les chemins de fer, soit pour l’industrie ; j’ai échoué : quand je télégraphiais, on mettait un mois à me répondre, parce que tel inspecteur ou tel autre était en voyage, et en attendant l’occasion d’une affaire était manquée. Quand je demandais les prix ou les devis, on me répondait qu’on ne pouvait les donner de suite, et on les envoyait six mois après. Par contre, lorsque je vais chez l’Américain du Nord ou chez l’Anglais, il me montre les modèles, et je choisis. Si j’en veux un autre, il me le fait sans retard : il me donne le devis. Les hommes intelligents et sérieux ne manquent pas en France : il est certain que s’ils connaissaient ce qui se passe par le monde, ils organiseraient mieux leurs affaires, s’affranchiraient un peu du fonctionnarisme et de la routine et se mettraient en mesure de lutter avantageusement sur les divers points du globe avec l’industrie de leurs voisins. Jusqu’à ce jour, le Français reste chez lui et réduit le monde à l’Europe. »

Tout ce passage était à citer ; il constitue une critique, malheureusement trop fondée, de l’industrie française, qui conserve sans doute sur les marchés d’Europe sa grande situation, mais ne fait pas suffisamment d’efforts pour s’assurer les débouchés nouveaux que les pays étrangers et la France coloniale ont mis à sa portée. L’industrie et le commerce français sont restés timides, lents à se mouvoir, inquiets et routiniers. En attendant que les réformes déjà accomplies aient porté leurs fruits, que d’autres réformes plus considérables soient reconnues nécessaires, ne pourrait-on, sans crainte, laisser agir l’initiative et les capitaux étrangers ? L’important est de ne pas permettre que l’état de stagnation s’établisse dans une colonie, et surtout dans une colonie jeune et qui pouvait être prospère. On l’a dit : aux yeux du peuple protégé, le peuple protecteur ne peut légitimer son intervention que par l’enrichissement et la mise en valeur du pays. Il y a sans doute quelque danger à abandonner à des mains étrangères de grands espaces territoriaux ou bien la direction des principales industries[50], des plus importantes maisons de commerce ; il y a un inconvénient à ce que l’argent importé du dehors soit de l’argent étranger. Néanmoins, ce sont là des dangers auxquels on peut parer, des inconvénients qu’on arrive à neutraliser. L’important, encore une fois, c’est que la vie, la vie intense, la vie d’action, d’entreprise, de nouveauté, d’audace, circule à pleins bords à travers la colonie. En France, tous les « coloniaux » s’accordent maintenant pour reconnaître que tel est le but non encore atteint et sur lequel doivent se concentrer leurs efforts. Le troisième empire colonial français est constitué ; il a été bien conçu et bien conquis ; il reste à le mettre complètement en valeur. On y parviendra au moyen d’une large décentralisation et d’un retour à une politique économique plus libérale. On y parviendra aussi en donnant aux fonctionnaires l’indépendance et la stabilité, en renonçant à imposer aux indigènes notre législation compliquée, en cherchant à former les futurs colons à l’indépendance et à l’initiative. C’est une œuvre de longue haleine ; c’est, par-dessus tout, une œuvre d’éducation.

  1. Voir le livre si remarquable de M. Leroy-Beaulieu sur la Colonisation chez les peuples modernes.
  2. Ribaud, de Dieppe, envoyé par Coligny en Floride, avait baptisé la terre qu’il visita du nom de Caroline, en hommage au roi Charles ix.
  3. Des boucaniers français s’étaient établis à Saint-Domingue. Colbert eut l’intelligence de les protéger.
  4. Henri iv avait fondé en 1604 une compagnie de commerce pour l’Hindoustan. La Compagnie des Indes avait été créée par Richelieu : elle occupa en 1642 l’île de la Réunion.
  5. Les Hollandais lui avaient donné le nom de Maurice de Nassau. Sous la domination française elle devint l’île de France.
  6. Quelques Français, soldats de fortune, essayèrent encore, avec l’aide des princes natifs, d’arrêter les progrès des Anglais : les uns, simples aventuriers qui ne cherchaient qu’à s’enrichir, comme le général Perron et La Martinière ; d’autres, véritables patriotes, comme ce Raymond, ancien officier de Lally, qui avait organisé à l’européenne un corps d’armée pour le Nizam en 1795  ; il avait dix-huit mille hommes instruits à la française et portant les couleurs de la République. Raymond périt en 1798, assassiné par ses ennemis à la cour du Nizam : ce fut la fin de l’influence française à Hyderabad : il y est enseveli et honoré comme un demi-dieu.
  7. La Pérouse découvrit les îles des Amis, les îles Norfolk, aborda à Botany-Bay et mourut à Vanikoro. D’Entrecasteaux parcourut les mêmes archipels à sa recherche et aborda à la terre de Van Diemen.
  8. Pondichéry, restitué à la paix de Paris, nous avait échappé de nouveau.
  9. C’était le 25 juillet 1885, peu de mois après la chute du cabinet Jules Ferry : il s’agissait des crédits de Madagascar dont la demande n’avait pas été retirée par M. Brisson, le nouveau président du conseil.
  10. « Je comprends bien les partis monarchiques, continuait Jules Ferry dans le discours cité ci-dessus, quand ils s’indignent de voir la République française prétendre à faire autre chose que de la politique de réserve, de pot-au-feu, passez-moi l’expression ; ils ne nous dissimulent pas qu’ils estiment qu’une politique capable de vastes desseins et de grandes pensées est l’apanage de la monarchie : un gouvernement démocratique, à leurs yeux, est un gouvernement rabaissant toutes choses, la politique comme le reste. »
  11. M. de Saint-Priest.
  12. Jules Ferry, Le Tonkin et la mère patrie.
  13. Id.
  14. Tocqueville a écrit, dans la Démocratie en Amérique, t. ii, ces lignes qui demeurent vraies, aujourd’hui encore : « J’ai vu moi-même, au Canada, l’Anglais, maître du commerce et de l’industrie, s’étendre de tous côtés et resserrer le Français dans des limites trop étroites. » Mais les Canadiens sont placés dans des conditions d’infériorité réelle par la compression morale et intellectuelle qu’ils subissent.
  15. J. Chailley-Behr, La colonisation de l’Indo-Chine.
  16. D’après le rapport présenté au Sénat par M. Pauliat pour le budget de 1891, l’Algérie, de 1830 à 1888, a coûté un peu plus de 5 milliards et rapporté 1,260,018,754 francs ; en 1891, ajoutait le rapporteur, elle coûte plus de 86 millions : or avec 46 millions par an, l’Angleterre administre ses colonies, c’est-à-dire un sixième du globe et 300 millions d’habitants.
  17. Le colonel Bonnier est entré à Tombouctou en 1894.
  18. La République de Liberia a été créée dans une pensée à la fois philanthropique et intéressée : on croyait qu’elle deviendrait un grand centre d’émancipation matérielle et intellectuelle pour les noirs du Soudan, et qu’en même temps elle attirerait à elle les noirs des États Sudistes d’Amérique ; en les « rapatriant », on résolvait alors d’une manière pacifique cette question nègre qui pèse sur l’avenir des États-Unis. Mais les nègres n’ont aucune envie de quitter l’Amérique, et le calcul a échoué.
  19. Discours prononcé au Sénat le 5 avril 1895 par M. Hanotaux, ministre des affaires étrangères.
  20. Parmi les conventions les plus récentes on peut citer la convention franco-allemande du 4 février 1894 qui a fixé la frontière entre le Cameroun et le Congo français et la convention du 14 août 1894, entre la France et l’État indépendant du Congo, intervenue à la suite des réclamations qu’avait soulevées de la part de la France la convention anglo-congolaise du 12 mai de la même année. Il y était stipulé que l’Angleterre « prenait à bail » certains territoires congolais, entre autres une bande large de vingi-cinq kilomètres, allant du lac Tanganika au lac Albert-Édouard. On conçoit l’importance d’une pareille stipulation.
  21. Les représentants de la Compagnie, Pronis, Étienne de Flacourt, ne surent pas se faire accepter par les habitants ; ce dernier surtout leur devint odieux par sa sévérité. Réorganisée par le maréchal de la Meilleraye, la Compagnies fit à Madagascar une nouvelle tentative infructueuse. En 1671 la Compagnie rendit l’île au roi de France.
  22. Colbert tenta par une innovation originale de créer un courant d’opinion en faveur de Madagascar. Il répandit des brochures et fit faire des annonces alléchantes. Il organisa même une souscription en tête de laquelle s’inscrivirent le Roi et les princes.
  23. Il est à remarquer que, malgré les difficultés que rencontrait la Convention à l’intérieur et sur les frontières, elle trouva le temps de s’occuper des colonies et ne songea jamais à les abandonner. Le « sentiment colonial » n’existait point parmi les conventionnels préoccupés surtout de rester fidèles à leurs principes, de supprimer l’esclavage et d’émanciper l’humanité partout où ils le pouvaient. Néanmoins il y eut quelque mérite de leur part à s’occuper, en cette époque si troublée, du sort de terres lointaines qu’ils eussent pu émanciper sans pour cela se croire obligés de concourir à leur défense. Ce fut assurément le principal titre de gloire de la Convention que cette préoccupation de ne rien perdre du territoire national et d’en préserver partout l’intégrité.
  24. En 1882 le gouvernement Hova avait envoyé à Paris son ministre des affaires étrangères. Ce fonctionnaire, trompé sur l’attitude des autres puissances et croyant exécuter un coup de théâtre retentissant, rompit brusquement les négociations et partit un soir pour Berlin ; il eut le regret et la surprise de s’y voir éconduit.
  25. Rien ne prouve mieux le revirement qui s’est fait dans l’opinion en matière d’expéditions coloniales que l’unanimité avec laquelle ont été votés certains crédits et l’enthousiasme qui a présidé à l’embarquement des troupes du corps expéditionnaire de Madagascar. Déjà le retour triomphal du général Dodds après l’expédition du Dahomey avait indiqué un changement dans les dispositions de l’esprit public.
  26. Par ce traité, les trois provinces de Mytho, de Bien-Hoa et de Saïgon, et l’archipel de Poulo-Condore, nous étaient cédés ; les trois autres provinces de la Basse-Cochinchine furent occupées en 1867.
  27. Le capitaine de Lagrée mourut au Yunnam en 1868.
  28. Le Président de la République reconnaissait la souveraineté de l’empereur d’Annam et son entière indépendance vis-à-vis de toute puissance étrangère et s’engageait à lui donner, en cas de besoin, secours et appui. L’Empereur s’engageait en retour à conformer sa politique extérieure à celle de la France et à ne jamais signer de traités politiques sans en avoir préalablement informé le gouvernement français : diverses clauses de détail dont certaines étaient avantageuses pour le commerce complétaient ce traité, mais sans rectifier le caractère vague et confus des clauses principales.
  29. Il est à remarquer que jemais conquête lointaine ne fut mieux préparée au point de vue de la connaissance du pays : mais les récits des voyageurs laissaient en général l’opinion indifférente, en France, alors qu’en Angleterre on suivait nos progrès avec une attention jalouse et inquiète.
  30. Tu-Duc venait de mourir, laissant le trône à Hiep-Hoa, qui peu après fut empoisonné et remplacé par Kien-Phuoc.
  31. Le traité sanctionnait en outre le droit pour la France d’occuper les forts de Thuan-An, l’annexion de la province du Binh-Thuan à nos possessions de Cochinchine et la remise entre nos mains des douanes annamites.
  32. Norodom traînait en longueur l’exécution des réformes promises et refusait de laisser établir une union douanière avec le reste de l’Indochine. M. Thomson le força à céder ; l’esclavage fut aboli définitivement et le régime de la propriété individuelle enfin constitué.
  33. Voir Maurice Loir, L’escadre de l’amiral Courbet, 1 vol.
  34. Cet acte interdisait aux belligérants de se ravitailler en vivres, munitions et charbon dans les ports de l’Empire britannique ; sous couleur de neutralité, cette mesure ne pouvait gêner que les Français : le gouvernement y obvia en créant des dépôts de charbon à Obock, Mahé et Pondichéry.
  35. On prétendit dans la presse, dans les livres et même à la tribune de la Chambre que l’expédition avait coûté un milliard et demi et 36,000 hommes. Or au 1er décembre 1889 les dépenses s’élevaient exactement à 334,802,379 francs, et la perte d’hommes, de 1883 à 1889, atteignait un total de 9,067. (Voir Jules Ferry, Le Tonkin et la mère patrie.)
  36. J.-L. de Lanessan, L’expansion coloniale de la France, 1 vol. Paris, 1886. Voir aussi les articles publiés par le prince Henri d’Orléans.
  37. L’Irrouaddy est navigable depuis Rangoon à son embouchure jusqu’à Bhamo situé sur la frontière méridionale du Yunnam, à 500 kilomètres au nord de Rangoon.
  38. Il est impossible de ne pas remarquer l’analogie entre l’expédition de Birmanie et celle du Tonkin : le peu d’enthousiasme de l’opinion, l’importance de la lutte, la durée des hostilités, la lenteur de la pacification interrompue par une série d’échecs, le chiffre des troupes qui prirent part aux deux expéditions, tout concourt à rendre cette analogie saisissante, jusqu’aux Dacoïts, qui jouèrent en Birmanie le rôle des Pavillons noirs au Tonkin. Sur un seul point il y a eu divergence ; en Angleterre, l’opinion demeura calme, discuta froidement l’opportunité des mesures prises, et n’entrava en rien la liberté d’action du gouvernement et de ses représentants.
  39. Le royaume de Siam n’est pas homogène comme l’Annam et le Cambodge ; il comprend bon nombre de principautés plus ou moins indépendantes de la cour de Bangkok.
  40. Préface écrite par Jules Ferry pour le livre de M. Narcisse Faucon, sur La Tunisie.
  41. J.-L. de Lanessan, La colonisation française en Indo-Chine.
  42. J.-L. de Lanessan, La colonisation française en Indo-Chine.
  43. Id.
  44. Id.
  45. J.-L. de Lanessan, La colonisation française en Indo-Chine.
  46. Paul Leroy-Beaulieu, Les Compagnies de colonisation. — Journal des Débats (7 mars 1895).
  47. En 1894, l’ensemble n’a pas dépassé 6,928 millions et demi, alors qu’il avait atteint 8,190 millions en 1890 et 8,838 millions en 1891.
  48. En 1889, les relations commerciales avec l’Espagne se traduisaient par un mouvement d’échanges de 550 millions ; avec la Suisse, de 332 millions ; avec la Grèce, de 55 millions ; il est impossible de ne pas noter ces fâcheux effets des ruptures douanières qu’a amenées le retour à la politique protectionniste.
  49. À travers l’hémisphère sud, par Ernest Michel. 1 vol. Paris, 1887
  50. Étudiant la loi de progression des diverses races qui se trouvent représentées en Algérie à l’heure actuelle, M. Tirman a calculé que dans vingt ans l’Algérie compterait 395,000 Français contre 440,000 étrangers (Italiens et Espagnols principalement) et 5 millions d’indigènes ; dans quarante ans, 710,000 Français pour 940,000 étrangers et 7 millions d’indigènes ; dans soixante ans, 1,280,000 Français contre 2 millions d’étrangers et 10 d’indigènes. L’Algérie se trouvera-t-elle compromise en tant que terre française par le fait de la prépondérance de citoyens étrangers sur son sol ? Il est permis d’en douter, du moment que ces citoyens n’auront pas tous la même nationalité et appartiendront à des pays d’origine aussi différents que l’Espagne et l’Italie. De même, il serait puéril de voir un danger dans la participation des Mauritiens à l’œuvre de colonisation à Madagascar, et d’autant mieux que ceux-ci ont conservé, sous la domination britannique, des sympathies françaises