L’Étourdi, 1784/Seconde partie/17

, ou attribué au chevalier de Neufville-Montador.
(p. 90-92).

LETTRE XVII.

Qu’on peut paſſer ſi l’on veut.


LE printemps étant revenu, je fus parcourir les provinces voiſines de celle où j’étais. Marſeille fut ma premiere ſtation. Je ne te décrirai ni la richeſſe, ni la magnificence de la ville, encore moins la beauté du climat ; cela ſerait hors de mon projet, je n’ai que celui ide te raconter toutes les actions de ma vie, & mes aventures. Il ne m’en arriva aucune dans ce pays, où elles ſont cependant moins rares que partout ailleurs, vu le penchant des Provençales pour les amoureux plaiſirs. Soit que cette diſpoſition ait ſon origine dans l’exemple que la mere donne à ſes enfans, & qu’elle ſe perpétue ainſi dans chaque famille, ſoit par les propos libres que les hommes ſe permettent dans la ſociété, ſoit que le climat des provinces méridionales faſſe plus vite éclore le germe de la tendreſſe que la nature a mis dans le cœur de toutes les femmes.

Je voyageai en curieux, fus voir tout ce que je trouvai d’intéreſſant, viſitai tous les beaux monumens, toutes les Égliſes, ſans avoir eu le deſir d’entrer un inſtant dans le temple de la volupté.

Je parcourus avec les mêmes diſpoſitions, & la même exactitude, tout le Languedoc. J’avouerai que l’acqueduc qu’on a conſtruit à Montpellier pour amener l’eau qui ſe diſtribue dans tout les quartiers de la ville, retrace la magnificence & la ſplendeur des monumens que les Romains ſavaient donner à l’ornement & à l’utilité publique. La place du Pérou d’où l’on découvre les Alpes, les Pirenées, & la mer, offre un tableau ſi beau, ſi grand qu’on n’eſt jamais raſſaſſié de l’admirer.

Je retrouvai à Montpellier le Comte de .... qui y était marié & qui l’habitait depuis qu’il avait quitté Paris où je l’avais connu, & avec lequel je m’étais amuſé pluſieurs fois à paſſer pour Anglais, en imitant ceux de cette nation, qui ne ſachant pas bien la langue Françaiſe, en font un baragouin très-plaiſant à entendre. Le Comte me propoſa de jouer ce rôle, & de nous divertir en allant chez trois jeunes perſonnes qui étaient ſœurs, toutes les trois mariées, leur donner des nouvelles de Mylord Gordon qu’elles avaient connu à Montpellier lorſqu’il y était venu changer d’air pour diſſiper ſon ſpleen, & que ce Seigneur, réellement aimable, avait courtiſé. Je l’avais également connu lors de mon ſéjour à Londres.