L’Émigré/Lettre 113
LETTRE CXIII.

à Madame
La Cesse de Loewenstein.
J’ai fait votre commission, ma chère
sœur, auprès de madame la Duchesse,
et nous n’avons pas eu besoin d’attendre
la réponse du Marquis, il était
chez elle ; j’ai fait part à ce brave
homme des intentions favorables de
notre ami le comte d’Ermenstein ;
il y a été aussi sensible qu’il le doit,
mais un obstacle insurmontable l’empêche
d’accepter d’aussi flatteuses propositions,
et je n’ai rien à répondre.
Son nom, m’a-t-il dit, ne lui appartient
pas mais à toute sa maison, dont il est le chef, et il ne lui est pas permis
de l’enterrer dans l’oubli, d’éteindre
ainsi le souvenir d’une longue suite
d’illustration et de services, enfin son
père vit, et quoique philosophe et peu
attaché aux préjugés de la naissance…
je l’ai arrêté, par parenthèse
sur ce mot de préjugés : dites droits,
monsieur le Marquis, et c’est tout ce
que j’ai eu à reprendre dans son discours.
Mon père ne fera pas, a-t-il
ajouté, le sacrifice qu’on exige ; les
mêmes principes qui le font demander
le porteront à le refuser ; c’est par un
juste attachement à son nom que monsieur
d’Ermenstein désire que le
mari de sa petite-fille le perpétue, le
même motif doit m’empêcher de renoncer
au mien.
Je n’ai rien eu à répondre à un tel raisonnement, et n’ai pu qu’applaudir à la noblesse des sentimens de ce cher Marquis ; malgré mon chagrin de voir manquer une affaire aussi avantageuse pour lui. Le Marquis au resté, m’a plusieurs fois répété que le nom d’Ermenstein était glorieux à porter, et que s’il lui était permis de renoncer au sien, il ne pourrait l’échanger contre un plus illustre. Je me suis étendu alors avec plaisir sur l’antiquité, et la splendeur de la maison d’Ermenstein avec laquelle la nôtre a plusieurs alliances ; je ne lui ai pas même laissé ignorer qu’un célébre généalogiste de l’ordre Teutonique en changeant er en ar, et men en min et stein en ius ce qui n’est pas trop forcé, faisait remonter cette maison au grand Arminius, ou Irmensal.
Je vous prie, ma chère sœur, de faire part au Comte de ce qui s’est passé dans notre entrevue, et de lui dire que je n’ai rien oublié, comme vous le voyez, de ce qui pouvait donner au Marquis une juste idée de la grandeur de sa maison ; parlez-lui aussi de la reconnaissance et des regrets du Marquis, et dites que ce digne homme a parlé de lui avec une haute considération, et avec beaucoup d’estime de la jeune Comtesse. Adieu, ma chère sœur, comptez toujours sur ma tendre affection et embrassez pour moi ma chère nièce.
