L’Émigré/Lettre 105
LETTRE CV.
à la
Duchesse de Montjustin.
Votre lettre est véritablement un torrent
de morale, ma chère cousine ;
mais ce n’est pas dans votre esprit
qu’est sa source ; c’est madame de Loewenstein
qui vous a sans doute inspiré
l’idée de m’écrire, et c’est à elle
que je répondrai. Partir !… la
quitter !… ce conseil est bien
aisé à donner de sang froid ; néanmoins
je vous obéirai, ou pour mieux dire à
elle. Mais qu’est-il donc arrivé pour
qu’elle me presse si fort ? À peine je suis guéri d’une blessure grave, et je
n’attends, elle le sait bien, qu’une
permission de me rendre à l’armée,
qui ne peut tarder. La complette aversion
ne pourrait aller plus loin que
l’ordre qu’on me donne. J’obéirai,
encore une fois, oui, je m’arracherai
d’auprès d’elle. Il lui en coûte bien
peu de me donner un tel ordre ! mais
elle saura ce qu’il en coûte pour l’exécuter.
Dans trois jours, ma cousine,
j’irai vous voir, et vous dire, adieu,
pour long-temps, pour jamais peut-être !