P. F. Fauche et compagnie (Tome IIIp. 183-185).
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LETTRE CIII.

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Melle Émilie
à
La Cesse de Loewenstein.


Vous ne partirez pas, ma chère amie, c’est moi qui vous le dis, et c’est le trouble où vous êtes qui vous inspire cette pensée et vous fait oublier que le Marquis ne peut encore rester long-temps auprès de nous ; rappelez-vous donc qu’il a écrit au prince de Condé pour lui offrir ses services, aussitôt qu’il a eu l’espoir de son rétablissement. Je suis en outre instruite par madame de Montjustin, qu’il doit faire incessamment un voyage pour voir son ami le Président. Prenez donc patience, ma chère Victorine ; personne ne sent mieux que moi la délicatesse des circonstances où vous êtes ; la crainte d’être compromise par des empressemens indiscrets, l’embarras de nuancer ses expressions, de mettre dans ses regards, dans ses manières une mesure qui écarte la jalousie, ne donne point de prise à la malignité ; je sens que tout cela n’est pas sans difficulté, envers un homme aimable, qui a des droits à votre reconnaissance, et que l’amitié de toute votre famille pour lui, vous invite à aimer et à voir sans cesse ; mais aussi quelle femme plus éclairée que vous, plus habituée à la réserve, plus faite enfin pour triompher d’elle-même et en imposer aux autres ! Je lis dans votre cœur, ma chère amie, j’y lis… quoi ? tout ce qu’il renferme… rassurez-vous, je lis aussi dans l’avenir vos triomphes ; les anciens représentaient la vertu sous la forme d’une belle femme armée, ce qui prouve qu’elle ne se signale que par les combats. Point de confidence à votre mère, et point de projet de départ, ma chère amie ; j’irai d’ici à deux jours causer avec vous à fond de tout ce qui vous intéresse. Je vous quitte pour écrire une longue lettre au Baron qui me charge de le mettre à vos pieds ; je quitte, comme disent les dévots, dieu pour dieu quand je vais de ma chère victorine au Baron.

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