L’Émigré/Lettre 050
LETTRE L.
à la
Cesse de Loewenstein.
Le comte de ***, madame la Comtesse,
est mort il y a quatre jours.
J’ai fait venir aussitôt chez moi, sa
pauvre petite Charlotte. On lui a
ce matin, apporté ses habits de deuil,
et vous la trouverez, je crois d’une
charmante figure. La pauvre enfant
ne cesse de pleurer, et de me serrer
dans ses bras. Je suis la seule dans
l’univers, dit-elle, qui prenne intérêt
à elle, et je crois voir une jeune colombe se réfugiant sous l’aile de sa
mère. Que la jeunesse, que l’innocence
ont de charmes ! et lorsque la
sensibilité vient les animer, qui pourrait
résister à leur empire ? Je lui ai
appris ce que le Commandeur faisait
pour elle. Et qui peut l’engager,
dit-elle, à prendre soin de Charlotte ?
Il connaissait donc mon grand-papa ?
Non, ma chère enfant, lui ai-je
dit ; mais c’est un homme noble et
généreux, qui se fait un devoir et
un plaisir de secourir les malheureux,
et sur-tout ceux que distinguent leurs
services, et leur attachement pour
leur prince. — Si cela est ainsi, mon
grand-papa avait bien des droits à ses
bontés ; car il a servi tant que les
Français ont été rassemblés, il n’y
avait pas de jour, qu’il ne pleurât en
songeant à la mort du Roi. Elle doit
partir incessamment, madame la Comtesse, accompagnée d’une femme
sûre qui la remettra entre vos mains.
Comme j’en suis là de ma lettre.
Charlotte, qui était sortie de ma
chambre, vient de rentrer avec un papier
à la main. C’est une lettre qu’elle
a écrite au Commandeur, et que je
joins ici sans être cachetée ; elle vous
préviendra, je crois, en faveur de
cette pauvre enfant ; l’idée vient d’elle
et il n’y a pas une phrase qui lui ait
été dictée. Adieu, madame la Comtesse,
daignez vous charger de remercier
de nouveau le noble et bienfaisant
Commandeur, et lui envoyer la
lettre de Charlotte.