L’Émigré/Lettre 040
LETTRE XL.
à la
Duchesse de Montjustin.
Mille et mille grâces soient rendues
à mon adorable cousine ; à quoi comparer
ma joie ? à celle d’un homme
qui a engagé toute sa fortune sur un
coup de trente et quarante, qui a
trente-neuf pour lui et voit arriver
quarante. Me voilà soulagé d’un
grand fardeau ; mais quelle dextérité
vous avez développée, ma cousine ?
quelle habileté vous avez mise dans
les gradations de votre conversation ? il n’est point d’ambassadeur qui puisse
vous être comparé. Vous avez bien
raison de ne pas me gronder, d’abord
par générosité, ensuite parce que
vous ne me diriez rien qui ne se
soit présenté à mon imagination sous
la plus noire couleur. Vous aimez
la Comtesse ; mais je crois, et ce
n’est point hélas ! pour me vanter,
que je l’aime cent fois plus que
vous ; j’ai donc été cent fois plus
inquiet. Elle m’impute avec raison
l’embarras où elle s’est trouvée, et
réalise les dangers qu’elle a courus
pour m’en rendre coupable. Je ne
fais comment j’oserai reparaître à
ses yeux ; encore si je pouvais lui
demander pardon à genoux, mon
repentir lui donnerait lieu, je crois,
d’exercer cette sublime indulgence
qui la caractérise. Instruite de mes
sentimens, ne doit-elle pas me savoir gré de les avoir contenus,
jusqu’au moment ou elle les a, malgré
moi, découverts. Adieu, ma
chère cousine, il ne me paraissait
pas possible que je vous aimasse davantage,
et je crois cependant que
vous m’êtes plus chère encore depuis
quelques heures.