P. F. Fauche et compagnie (Tome IIp. 39-41).


LETTRE XXXVII.

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Melle Émilie
à
la Cesse de Loewenstein.


J’embrasserais de bon cœur votre oncle pour la lettre qu’il a écrite au Marquis, et pour la manière dont il a parlé de lui. Il y a des fruits qui ont de belles couleurs et qui renferment des sucs empoisonnés ; ses châtaignes sont hérissées d’épines et sous cette enveloppe est un excellent fruit ; il en est de même des hommes ; les dehors les plus agréables, les manières les plus polies ne servent qu’à cacher des vices, tandis que d’excellentes qualités sont couvertes d’écorces grossières. Mais votre oncle n’a pas seulement un bon cœur, il a, souvenez-vous que je l’ai toujours dit, un discernement très-juste ; il arrive avec son bon sens naturel à des résultats auxquels des gens de beaucoup d’esprit ne parviennent qu’après bien des circuits, et tout ce qu’ils ont par dessus lui, c’est de pouvoir en mieux raisonner, c’est d’être en état de pouvoir démontrer avec plus de lumières ; ils ne vont pas plus loin, mais leur marche est méthodique, calculée, assurée. Votre oncle ne ferait pas du Marquis un portrait qui rassemblât toutes ses qualités et leurs nuances ; n’assignerait pas ce qui tient à son caractère, à son ame, à son esprit ; mais il dirait en gros, qu’il a de l’esprit, de la noblesse, et une ame sensible ; enfin il a senti tout cela promptement, comme par instinct, tandis qu’un homme d’esprit, observateur, se rend compte de ce qui le frappe et tire ses conséquences. C’est pour le coup qu’il dirait bien que je m’embrouille dans mes décompositions ; mais il a tout à gagner en vérité, soit à être décomposé, soit à être pris dans son ensemble. Je vois d’ici les yeux qu’a faits votre mari, et j’entends les paroles qu’il n’a pas dites. Adieu, ma Victorine.

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