P. F. Fauche et compagnie (Tome Ip. 138-141).
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LETTRE XII.

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Melle Émilie
à
la Cesse de Loewenstein.


Dites je vous prie au Marquis, ma chère Victorine, que je suis très-sensible à l’attention qu’il a eue de me faire partager le plaisir que vous a fait le récit de ses aventures. Que de malheurs il a éprouvés ! de combien de scènes d’horreur il a été spectateur ! On dit que cette terrible Révolution doit parcourir l’Europe. Puissé-je mourir avant de voir dans mon pays exercer autant de barbaries ! J’ai été frappée du ton de vérité qui règne dans le récit qu’il fait des événemens, et la peinture de quelques personnages. J’ai admiré la bonne foi avec laquelle il parle de son attachement à une dame qui a péri si tragiquement. Il est bien clair, comme il en convient, qu’il n’était point amoureux, mais il tâchoit de le persuader à la femme qu’il avait l’air d’aimer. Je suis toujours prête à me mettre en colère contre les hommes, contre les Français sur-tout, lorsqu’il est question d’amour, ou de ce qui en a l’apparence. Il semble qu’ils regardent les femmes comme des hochets dont ils s’amusent. Un jeune homme devait-il donc en France, sous peine d’être ridicule, feindre d’aimer, employer la séduction pour triompher d’une femme, qui souvent aurait sans lui vécu paisiblement dans sa famille. Le Marquis paraît honnête, sensible, vrai, et vous voyez cependant que sans, éprouver le sentiment de l’amour, il s’est efforcé de parler son langage, et il a sans doute fait des sermens qu’il était bien résolu de ne pas tenir. Si cette femme là, comme je le crois, a aimé de bonne foi, quelle amertume aurait empoisonné sa vie lorsqu’elle aurait vu qu’elle avait été trompée ! Je souhaite pour le punir qu’il soit quelque jour bien véritablement amoureux ; qu’il le soit d’une femme honnête et vertueuse, afin qu’il éprouve tous les tourmens d’un amour sans espoir. Mais ne serais-je pas comme Idoménée qui jure aux dieux d’immoler le premier étranger qui s’offrira à sa vue, et c’est son fils qu’il sacrifie sans le savoir. Mes souhaits pourraient troubler le repos de la personne qui m’est la plus chère, vous m’entendez ma chère Comtesse… Je serai toute ma vie bien plus occupée de vous que de moi. Adieu, je vous renvoie votre écrit.

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