P. F. Fauche et compagnie (Tome Ip. 20-23).
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LETTRE IV.

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La Cesse de Loewenstein
à
Melle Émilie de Wergentheim.


Je suis bien contrariée, ma chère amie, en voyant retarder l’heureux moment où je pourrai vous embrasser, et je suis forcée de paraître gaie, car mon oncle accoutumé à être obéi dans sa maison, craint de ses vassaux, veut étendre son empire sur les esprits et les visages ; il faut rire, avoir l’air content quand on est auprès de lui. Ma mère, que son tendre intérêt pour moi rend attentive à tous ses mouvemens, me fait souvent signe de relever la conversation languissante, de l’amuser, de chanter. Ce serait une gêne insupportable, si la bonté qui le caractérise et la générosité de son ame n’inspiraient le désir de lui plaire, et de contribuer au bonheur d’un homme qui passe sa vie à faire des heureux. Il est fort occupé de notre héros blessé ; mais il faut que je l’appelle par son nom puisque nous le savons. Mon oncle lui a fait des questions sur sa naissance, son grade et ses parens, qui nous ont mis à portée d’être instruits de tout ce qui le concerne. Il a eu soin aussi de faire parler son valet de chambre, qui a confirmé tout ce que son maître avait dit ; il parle avec un enthousiasme touchant de sa bonté, de sa générosité. C’est une très-bonne marque d’être aimé et estimé de ses domestiques ; car enfin ils nous voient de plus près que les autres, et dans ce temps où les Français croient que tous les hommes sont égaux, ce n’est pas peu pour un valet de cette nation de parler de son maître avec respect : il faut qu’il y soit en quelque sorte forcé par ses grandes qualités. Le marquis de St. Alban souffre toujours beaucoup ; il garde sa chambre et nous allons tous les soirs passer deux heures avec lui pour le distraire. Mon oncle se plaît à l’entendre ; il dit qu’il n’a jamais vu un Français si modeste, et je ne puis m’empêcher d’être de son avis, sans connaître autant que lui les Français, parce qu’il ne me paraît pas possible d’avoir des manières plus simples, de parler de soi avec plus de réserve, et des autres avec plus d’indulgence. Il y a deux jours que souffrant moins, il fit l’effort de venir prendre du thé dans le sallon ; il y avait beaucoup d’Étrangers qui étaient venus dîner chez ma mère, et tous en furent infiniment satisfaits. La baronne de Blenem, dont vous connaissez le discernement, dit à ma mère en s’en allant, votre Émigré me paraît fort aimable ; c’est un homme qui ne paraît jamais avoir envie de faire un effet, et qui a le don de fixer l’attention de tous ceux qui se trouvent avec lui. Mon oncle qui l’entendit, lui dit, bravo, madame la Baronne, et cela me rappelle ce que dit un ancien, (je voudrais que ce fût mon ami Plutarque), en parlant je crois de Caton, plus il cherchait à se dérober à sa gloire, et plus elle s’attachait à lui. Adieu, ma chère Émilie, je crains bien que mon voyage ne soit encore retardé.

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