L’Éducation des adolescents au XXe siècle/Volume I/II/IV

Félix Alcan (Volume ip. 131-134).

iv

LE DEMI-ENTRAÎNEMENT

Le demi-entraînement ce n’est pas la moitié de l’entrainement ; c’est autre chose.

Qui dit entraînement dit état d’exception vous différenciant temporairement de vos semblables. Le demi-entraînement doit-être permanent et ne pas vous différencier d’eux. Il ne comporte par conséquent ni soins particuliers ni nourriture spéciale, ni répétition régulière de mouvements préparatoires. C’est simplement un état de puissance ; et comme il faut une mesure pour l’apprécier, voici celle que nous adoptons. Le demi-entraîné est l’homme qui peut, à tout moment, substituer à sa journée habituelle une forte journée de travail musculaire sans dommage pour sa santé, sans que, le soir, son appétit ou son sommeil s’en ressentent, sans qu’il éprouve autre chose que de la saine fatigue — ce que le jeune employé, dont nous feuilletions tout à l’heure l’agenda, exprimait en se disant « moulu mais pas fourbu ».

Cet état de demi-entraînement est la conséquence directe de la gymnastique utilitaire.

Nous avons indiqué à quelles conditions, y étant parvenu, on s’y maintient. Toutefois il manque à la recette un élément ; car de faire répéter aux muscles leur leçon ne suffit pas, que ce soit d’ailleurs par vouloir, par occasion ou par attrait. Il faut encore être persuadé qu’on n’accomplit ainsi rien d’extraordinaire. L’homme doit éprouver que l’irruption éventuelle du travail musculaire dans son existence quotidienne n’est pas anormale, mais conforme à l’équilibre fondamental de sa propre nature.

Or une telle idée est sortie de notre entendement. Inconsciemment nous ne l’admettons plus ; de sorte que les partisans eux-mêmes du demi-entraînement répugnent à y voir un état rationnel et propre à se généraliser ; ils le considèrent comme un élément de supériorité mais d’un caractère spécial. Cela revient à le classer parmi les superfluités, et ce qui est superflu se met de côté au premier prétexte. On y renonce aisément tandis qu’on ne se croit pas le droit de renoncer à un attribut général ou à une fonction usuelle de l’humanité.

Si Gladstone avait pensé qu’en abattant des arbres il accomplissait un acte que sa qualité d’homme d’État et d’orateur illustre rendait tout à fait extraordinaire de sa part, il s’en fut probablement déshabitué de bonne heure ; mais il n’y voyait que l’occasion d’un exercice salutaire et, comme tel, il y prenait plaisir, s’assimilant en cette circonstance au bûcheron son voisin et non pas au premier ministre qui l’avait remplacé au pouvoir ou dont lui-même s’apprêtait à recueillir la succession.

Ainsi, l’angle mental sous lequel chacun envisage ce que nous appelons le demi-entraînement importe beaucoup à son excellence et à sa durée. Il en est de ce phénomène comme de bien d’autres, lesquels nécessitent pour se produire un état d’esprit favorable et exigent que, selon l’expression populaire, « on ait la foi ».

Si les adeptes de la secte américaine des Christian Scientists arrivent à se guérir parfois en se persuadant simplement qu’ils ne sont pas malades, on conçoit que la conviction que nous devons et pouvons fournir sans inconvénient une certaine dose de travail musculaire inopiné contribue puissamment à nous la faire fournir.

Par là se trouve en tous cas facilité le geste initial, de tous le plus difficile — et le plus décisif.