L’Âme des saisons/Les litanies des fleurs

Veuve Fred. Larcier, Editeur (p. 174-176).
IV


LES LITANIES DES FLEURS


O fleurs en demi-deuil de mauve et d’amarante,
Fleurs où fleurit le sang de la Terre mourante,
O fleurs d’octobre, fleurs dont les calices las
Tremblent dans les brouillards violets et lilas ;

O fleurs, dans la rosée et l’aurore baignées,
Sous le réseau frileux des toiles d’araignées,
O fleurs où s’alanguit en un frisson vermeil
Le resplendissement suprême du soleil ;


O fleurs, mourantes fleurs, belles entre les belles,
O fleurs qui dans le bleu matin étincelez,
O sanglotantes fleurs dont les larmes ruissellent
En diamants fondants et rubis étoilés ;
 
Bégonias, béants comme des plaies qui saignent,
Dahlias, dont les fleurs de bruine s’imprègnent,
Pétunias meurtris, lassés, violacés,
Traînant péniblement vos rameaux enlacés ;

Et vous, belles-de-jour, ô frileuses lianes,
Dont les feuilles en cœur et les fleurs diaphanes,
Dans le ruissellement lumineux du matin,
Paraissent implorer la grâce du Destin ;

Et vous, prestigieux et mornes chrysanthèmes,
Qui, résumant le ciel autonmal, empruntez
Au Levant le sang rose et les opales blêmes,
Au Couchant le sang noir et les ors veloutés ;
 
Et vous, lobélias, bleuissant les corbeilles,
Vous, asters violets, qui bourdonnez d’abeilles,
Vous, tournesols, où l’or du soleil resplendit,
Vous, sauges, où son sang écarlate jaillit ;


O frêles fleurs en pleurs, ô vierges et martyres,
O fleurs dont les regards adorables expirent,
O fleurs d’amour, ô fleurs de calme et de clarté,
O fleurs de bonne mort et de suavité ;
 
O fleurs dont la douceur intime et sympathique
Caresse les fronts las et les cœurs oppressés,
O fleurs dont la langueur est comme une musique,
O fleurs qui consolez, ô fleurs qui guérissez ;
 
O fleurs que je distingue à peine de mes rêves,
O douces fleurs en qui mes tristesses s’achèvent,
Fleurs qui portez mon âme en vos calices purs
Et l’offrez sanglotante aux baisers de l’azur ;
 
O fleurs, je vous bénis pour la sollicitude
Dont vous avez enveloppé ma solitude,
Je vous bénis, ô belles fleurs, ô bonnes fleurs,
Pour vos baisers, pour vos sourires, pour vos pleurs ;
 
Et je vous loue, ô fleurs miséricordieuses,
Parce que vous avez, devant le soleil pur,
Du geste frêle de vos corolles pieuses
Fiancé ma tristesse à celle de l’azur !