L’Âme des saisons/Le coup de vent

Veuve Fred. Larcier, Editeur (p. 172-173).
III


LE COUP DE VENT


Je fermai ma fenêtre et j’allumai ma lampe.
Triste, je réfléchis, une main à la tempe :
« Je ferais bien de lire et de rêver un peu...
Mais j’ai le cœur si lourd de larmes, ô mon Dieu !
Pourtant, lisons.» — J’ouvris un livre de voyages.

Il est doux de voguer sur des fleuves sauvages,
Le long des baobabs et des palétuviers,
Tandis que l’on entend des oiseaux singuliers
Mêler leurs gazouillis au rauquement des tigres...


Soudain un coup de vent claqua contre les vitres,
Suivi d’un hurlement lointain et continu.

Alors, ayant rouvert la fenêtre, j’ai vu
La Mort, — j’ai vu la Mort à la claire denture,
Dont le rire incisif insulte la nature,
Sur un cheval aux dents jaunes, au crin flottant,
Passer, bride abattue et le suaire au vent,
Roide, piquant des deux de ses talons de marbre ;
J’ai vu la Mort, parmi les hurlements des arbres,
Sur le fond des nuées aux tons fauves et faux,
Galoper dans l’espace en brandissant sa faux !
Au loin, les peupliers d’Italie aux troncs frêles
Sifflaient et se courbaient en courbes parallèles,
Un saule échevelé dans l’ombre se tordait,
Et la Terre, ayant vu le Monstre, haletait...
 
Il disparut enfin dans la rafale rauque.
Je demeurai longtemps devant la houle glauque
Des feuillages, brisés par un sanglot profond,
Quand tout à coup le vent, sournois et sourd, d’un bond,
— O lugubre présent que la Faucheuse apporte ! —
Engouffra dans ma chambre un vol de feuilles mortes.