L’Âme des saisons/Les jours qui passent

Veuve Fred. Larcier, Editeur (p. 169-171).
II


LES JOURS QUI PASSENT


Les jours, tantôt bruineux et tantôt violets,
Les jours tièdes, les jours mornes, les jours voilés
De mousseline blanche et de taffetas mauve,
Ceux qui luisent du blême éclat d’un crâne chauve
Sous l’averse qui claque et sous le soleil blanc,
Ceux qui baignent dans un brouillard étincelant,
Ceux qui grelottent dans la bruine et qui pleurent,
Ceux qui sommeillent doucement et dont les heures
S’effeuillent comme des corolles de velours,
Les jours navrés, les jours nostalgiques, les jours
Se traînent dans l’effroi des vastes crépuscules,


Vers l’horizon qui fume et les nuées qui brûlent.
Parfois il en est un qui se soulève encor
Voluptueusement, dans un poudroiement d’or,
Et qui, s’illuminant d’un sourire suprême,
Fleurit sous le ciel bleu comme un lourd chrysanthème.
Mais sitôt que le soir, dans les lointains laiteux,
A fait beugler les bœufs qui rentrent deux à deux,
Le jour découragé s’affaisse sur la plaine
Et se laisse mourir en sanglotant à peine…
Oh ! qui dira l’angoisse et le sourd désespoir
Des jours désabusés qui saignent dans le soir !

En ville, on les plaint moins, — bien que toujours, en somme,
Un peu dujourqui meurt sanglote au cœurde l’homme,
Et l’on va et l’on vient comme par le passé.
Pourtant, d’un air vieillot, lamentable et cassé,
Vers six heures du soir, quand les cheminées fument
Et quand les vitres l’une après l’autre s’allument,
La ville, sous la pluie d’argent des carillons,
Tasse frileusement ses toits et ses pignons
Autour du vieux clocher qui coupe de sa flèche
Les nuages saignants qu’un dragon fauve lèche…
 
Mais, aux champs, le chagrin des jours étreint le cœur,
Et s’il arrive que, le soir, un promeneur


Attarde ses pas lents le long d’un pré qui fume ;
S’il hume le parfum végétal de la brume,
S’il entend les perdreaux crisser leurs cris de sang,
Si d’un pied anxieux il écrase en passant
Un de ces champignons énormes et putrides
Qui paraissent pétris d’or et de cantharides,
S’il contemple tantôt les vallons violets
Des prés marécageux, hantés des feux follets,
Et tantôt l’horizon des collines où plane
En longues bandes la fumée des feux de fane,
Tu verrais tout à coup cet homme tressaillir
Devant le ciel zébré de flammes, et pâlir
À cause du silence immense de la Terre
Et parce qu’à travers le tragique mystère
De l’ombre incandescente et du soleil couché,
Les hauts peupliers noirs ont tout à coup bougé !…