L’Âme des saisons/Matin de septembre

Veuve Fred. Larcier, Editeur (p. 165-168).
I


MATIN DE SEPTEMBRE


Maintenant qu’un matin d’automne calme et clair
Se soulève au-dessus des brumes violettes
Et qu’une fade odeur d’herbe et de poires blettes
Traîne languissamment dans la tiédeur de l’air ;

Maintenant que, parmi les treillages, Septembre
Offre aux frelons fiévreux ses grappes d’encre et d’ambre
Et que, sous la rosée et le soleil, les fleurs
Ont un air de sourire en essuyant leurs pleurs ;


O mon âme, oublions les choses de la vie,
Et même, s’il se peut, bénissons le passé
Qui nous a fait souffrir, mais qui nous a laissé
La candeur et la noble faim, — inassouvie !
 
La Tristesse adorable est là qui tend les bras
— La Tristesse très belle et qui ne trompe pas ! —
Celle qui pleure au fond de la langueur des choses
Et qui descend du ciel en effeuillant des roses...

O mon âme, sois triste et ne te souviens plus !
Vois les convolvulus et les aristoloches
Baigner dans la rosée... Ecoute au loin les cloches
Argentines mouiller de pleurs les angelus...

O mon âme, sois triste et t’apaisant, adore
La Main qui t’a menée en cette bonne aurore,
A travers la souffrance et les sombres émois,
A travers les frissons et les fièvres parfois,

Pour qu’ayant bu ce fiel et mangé cette cendre,
Tu puisses mieux goûter la tristesse des bois
Et, tel un pur jet d’eau, sur les âmes répandre
Un chant mélodieux, mélancolique et tendre.


Oh ! sois triste ! — Vois-tu, si tu n’avais souffert,
Tu ne connaîtrais point la bonté de cette heure,
Ni d’être appariée à l’automne qui pleure,
Ni de languir dans le feuillage jaune et vert.

Et sois bonne ! — Comment rester dans l’amertume
Devant cet horizon qui bleuit et qui fume ?
Comment garder rancune et ne point pardonner
Devant ce pur soleil que Dieu fait rayonner ?
 
Et comment sans tendresse et sans bonnes paroles
Voir les roses pleurer des larmes de rubis
Et Septembre gagner ces premiers cheveux gris
Que les fils de la Vierge accrochent aux corolles ?

Oh ! tu n’espérais plus un semblable matin,
Tissu de soleil tiède et de frileux satin,
Et tu n’attendais plus cette caresse exquise
Des arbres, du soleil, du ciel et de la brise...

Tu n’aurais point ta part du poème azuré
Sans l’ancienne souffrance et sa mélancolie.
Va, n’envions point ceux que la souffrance oublie
Et plaignons les yeux durs qui n’ont jamais pleuré !...


Telle est la vieille loi, que les âmes s’affinent
Sous les coups du Destin qui s’érige en bourreau
Et que les cœurs saignants sont le rouge terreau
Où poussent les beaux vers et les strophes divines !

Car souvent c’est d’angoisse et de sanglots coupés,
Et c’est de pleurs brûlants, et c’est de poings crispés,
Et c’est de rage au fond des sourdes nuits qu’est faite
La chanson qui jaillit des lèvres du poète !

Mais à présent, sois calme, oubliant le passé...
Compatis doucement au ciel violacé,
Sois la garde-malade aux gestes de mystère,
Et t’assieds au chevet de ta mère, la Terre...

L’heure est d’un rythme égal et calme sous l’azur ;
La brise, ayant fermé les ailes, se recueille :
La Terre resplendit ; le silence est si pur
Qu’on entend le soleil glisser de feuille en feuille...
 
Va donc, mon âme, et sois attentive au soupir
Lointain des peupliers, et tendrement accueille,
Puisque te voilà bonne à force de souffrir,
Accueille le parfum des fleurs qui vont mourir...