L’Âme des saisons/Nocturne

Veuve Fred. Larcier, Editeur (p. 177-180).
V


NOCTURNE


Il fait trop tiède pour la saison. On dort mal
Par ce temps lourd, sucré d’un parfum tropical.
Le vent, que le grelot de la pluie accompagne,
Tambourine à ma vitre une danse d’Espagne.
Comme il pleut! Comme il pleut! Il y aura demain
De grands étangs, pareils à des miroirs d’airain,
Et sûrement, dans l’herbe, au pied des noirs mélèzes,
D’énormes champignons couleur de terre glaise...
C’est drôle à quoi l’on songe en glissant peu à peu
Au sommeil !... — A présent, finissons, s’il se peut,


Et dormons. — Mais d’où vient qu’en l’absence de lampe
La nuit ait des clartés de grisaille et d’estampe ?...
Las ! On dort mal, les yeux ouverts. Cela suffit.
Il est sot de muser et d’écouter au lit
L’horloge de la mort qui bat dans la muraille...
 
Tumulte. Des chevaux piaffent. On ferraille.
De la lumière. Cris. Un tremblement blafard.
Est-ce qu’on assassine un homme quelque part ?...
Non. C’est une voiture. Ecoute... Elle est passée.
Elle a dû cahoter longtemps sur la chaussée
Où son œil rouge était seul à luire à travers
La solitude de la pluie et des bois verts...
(Il y a cependant des chats maigres qui rôdent.
Ils font beaucoup de tort au gibier. Ces maraudes
Félines font saigner les perdreaux grelottants.
Il y avait aussi des voleurs, dans le temps...)
Il ne pleut plus. — C’est stupéfiant, le silence !
Il ne se tait jamais tout à fait, quoi qu’on pense.
Il chuchote. On entend quelque chose toujours.
L’espace est une mer de bruits profonds et sourds,
Et quand les bruits qui sont à la surface meurent,
On dirait que Dieu parle et que les anges pleurent...
Jadis, lady Macbeth entendit cette voix,
Chacun de nous l’entend dans l’ombre quelquefois,


Et notre orgueil subtil reste court d’arguties
Devant les mots confus qu’elle nous balbutie.
Heureux le sage qui, dans un calme profond,
Ecoute le silence en se voilant le front !
 
La nuit doit être bien avancée, — et je veille !
Je dormirais, n’était ce tintement d’oreilles...
Mais non, ce sont les cris des oiseaux, dans le vent...
O ces oiseaux lointains !... J’y ai pensé souvent.
Ils vivent dans le Nord, par delà la Hollande,
En un pays de brume et presque de légende
Où des saules légers tremblent le long de l’eau...
Ils vivent à travers des blancheurs de halo...
Parfois, de l’eau qui dort en des vapeurs de rêve,
Leur bec jaune, d’un geste allègre et sec, enlève
Une anguille au museau cauteleux et méchant,
Un gardon dont le ventre est écaillé d’argent,
Une tanche olivâtre aux visqueuses nageoires...
Le soir, ils vont dormir sous les racines noires.
Ils vivent tout l’été dans ce décor frileux,
Parmi les nénuphars blancs et les iris bleus.
Mais tous les ans ils nous reviennent à l’automne,
Avec un gargouillis de flûtes monotones
Gouttant de leurs becs plats qui mâchent le brouillard...
Ils dardent, on ne sait vers où, leur vol hagard.


Sont-ce des échassiers ou bien des palmipèdes ?
On ne sait pas au juste... Ah ! comme ils nous obsèdent,
Ces oiseaux fabuleux que l’on n’a jamais vus
Et qui fendent la nue avec leurs cous tendus !...
— Il fait trop chaud. La nuit pèse sur les feuillages...
La Terre au loin s’étend sous les fauves nuages...
— Au nom du Ciel, tâchons de fermer un moment
Les yeux ! — Il recommence à pleuvoir doucement.