Léon Tolstoï, vie et œuvre/Partie 6/Chapitre 3

Traduction par Jean-Wladimir Bienstock.
Mercvre de France (tome 3p. 48-72).


CHAPITRE III


« GUERRE ET PAIX ». — APERÇU DE LA LITTÉRATURE CRITIQUE



Nous n’examinerons la littérature critique de Guerre et Paix qu’en tant qu’elle se rapporte à notre étude biographique, car pour nous Guerre et Paix est un des événements de la vie de Tolstoï. Pour décrire cet événement, il nous semble nécessaire de donner l’impression que produisit Guerre et Paix sur les lecteurs en général, et, en particulier, sur les représentants et les guides de ces lecteurs : les critiques littéraires.

Tout d’abord, voyons quelles impressions fit Guerre et Paix sur les amis littéraires de Tolstoï, ce que nous apprendrons des lettres privées de Tolstoï lui-même et de ses amis.

On sait déjà que la publication du roman commença dans le numéro de janvier 1865 du Rousski Viestnik. Les deux premières parties, publiées en 1865 et 1866 furent ensuite éditées à part sous le titre : l’Année 1805. Dès l’apparition de cette édition spéciale, les articles de critique commencèrent à paraître, mais les opinions des amis les avaient devancés. Ainsi V. P. Botkine écrit à Fet, le 14 janvier 1865.

« J’ai commencé à lire le roman de Tolstoï. Comme il observe avec finesse les divers mouvements intérieurs ! C’est étonnant ! Mais bien que j’en aie lu plus de la moitié, l’intérêt du roman ne se dessine pas encore, de sorte que jusqu’ici ce sont les détails seuls qui dominent. En outre, à quoi bon ce débordement de conversations françaises ? Il suffit de dire que la conversation avait lieu en français. C’est complètement inutile et l’impression produite est désagréable. En général, on remarque chez lui une grande négligence de langue. C’est évidemment une préface, le fond d’un futur tableau. Mais quelque intérêt que présentent ces petits détails on ne peut s’empêcher de dire que ce fond prend une trop grande place. »

Tourgueniev ne fut pas gagné du premier coup par cette œuvre hardie qui déroutait son esprit discipliné. Le 25 mars 1868, il écrit à Fet :

« La deuxième partie de 1805 est faible. Comme tout cela est petit et artificiel. Est-ce que Tolstoï n’en a pas assez de ses raisonnements éternels. Suis-je ou non un poltron ? Et toute cette pathologie de la bataille ! Où sont ici les traits de l’époque ? Où est la couleur historique ? Denissov est assez bien décrit : mais cette figure serait bien comme dessin sur un fond, or le fond manque. »

Les lecteurs remarqueront que Botkine reproche à Tolstoï l’abondance du fond et Tourgueniev sa pénurie. Plus tard, dans la lettre à Fet, du 8 juin 1866, Tourgueniev s’exprime encore plus crûment :

« Le roman de Tolstoï est mauvais, non par la contagion des raisonnements, il n’a pas à craindre ce malheur. Le roman est mauvais parce que l’auteur n’a rien étudié, ne sait rien, et que, sous les noms de Koutouzov et de Bagration, il montre de petits généraux contemporains, copiés servilement. »

Tolstoï lui-même reconnaît quelques défauts de son œuvre et écrit à ce sujet à son ami Fet, dont il met l’opinion au-dessus de toutes les autres. Dans sa lettre du 7 novembre 1866, il dit :

« Cher ami Afanassi Afanassiévitch ! Je n’ai pas répondu à votre dernière lettre reçue il y a un siècle, et j’en suis d’autant plus coupable que je me rappelle que, dans cette lettre, vous m’écriviez : « Irritabilis poetarum gens. » Eh bien, ce n’est pas mon cas. Au contraire, je me suis réjoui de votre opinion sur l’un de mes héros, le prince André, et j’en ai tiré pour mon compte beaucoup de choses instructives. Il est monotone, ennuyeux, et, dans toute la première partie, il n’est qu’un homme comme il faut. C’est vrai, mais c’est ma faute et non la sienne. Sauf l’invention des caractères, le mouvement et le choc des caractères entre eux, j’ai encore le plan historique, qui complique extrêmement mon travail, et avec lequel, comme il me semble, je ne parviens pas à m’arranger. C’est pourquoi dans la première partie, je me suis occupé du côté historique, et les caractères restent stationnaires, ne remuent pas. C’est un défaut que j’ai compris clairement par votre lettre et j’espère l’avoir corrigé. Je vous en prie, cher ami, écrivez-moi tout ce que vous pensez de mal de moi et de mes écrits. Ce m’est toujours très utile, et, sauf vous, je n’ai personne. »

Mais à mesure qu’apparaissent les parties suivantes du roman, le lecteur est de plus en plus captivé, et l’opinion des amis change. Tourgueniev écrit à Fet le 12 avril 1869 :

« Je viens de terminer le quatrième volume de Guerre et Paix. Il y a des choses insupportables et des choses étonnantes, et ce sont celles-ci qui dominent et qui sont si admirables que jamais personne chez nous n’a rien écrit de meilleur, et je doute qu’il ait été jamais écrit quelque chose d’aussi bien. Les volumes i et iv sont plus faibles que le deuxième et surtout le troisième. Le troisième volume est presque entièrement un chef-d’œuvre. »

Et Botkine écrit au même le 29 mars 1868 :

« Le succès du roman de Tolstoï est, en effet, extraordinaire. Tous le lisent, et non seulement le lisent, mais en sont tout bonnement enthousiastes. J’en suis heureux pour Tolstoï. Mais des gens de lettres et des militaires le critiquent. Ces derniers disent, par exemple, que la bataille de Borodino est très mal décrite ; que le plan donné par Tolstoï est arbitraire et n’est en rien conforme à la réalité. Les premiers trouvent que l’élément contemplatif du roman est très faible, que la philosophie de l’histoire est faible et superficielle, que la négation de l’influence prépondérante de la personne dans les événements n’est qu’un raisonnement mystique. Mais on dit aussi que le talent artistique de l’auteur est hors de discussion. Hier, il y avait chez moi un dîner où se trouvait Tutchev, et c’est l’opinion de toute la compagnie que je vous communique. »

À propos de l’article d’Annenkov, sur Guerre et Paix, Tourgueniev lui écrivit la lettre suivante :

« Baden-Baden, 2 février 1868.

« … J’ai lu et le roman de Tolstoï et l’article que vous lui avez consacré. Je vous dirai sans compliment qu’il y a longtemps que vous n’avez écrit rien d’aussi spirituel et d’aussi vrai.

« Tout votre article témoigne d’un sens critique très fin et très sûr. Il n’y a que dans deux ou trois phrases que se remarquent le vague et l’obscurité de l’expression. Le roman lui-même a provoqué en moi un intérêt très vif. Il y a des dizaines de pages entièrement admirables : tout ce qui est des moeurs, les descriptions (la chasse, la promenade la nuit, etc.). Mais le tableau historique, ce qui précisément enchante les lecteurs, n’est que comédie et charlatanisme. De même que Voroschilov, de Fumée, jette la poudre aux yeux en citant des termes scientifiques auxquels il ne comprend pas un traître mot (ce que les Allemands ne peuvent même supposer), de même Tolstoï frappe le lecteur par le bout des bottes d’Alexandre, le sourire de Spéransky, laissant à entendre qu’il en sait bien d’autres, s’il peut donner de tels détails, tandis que, en réalité, il ne sait que ces détails. C’est un truc et rien de plus. Mais le public s’y est laissé prendre. Il y a aussi beaucoup à dire sur ce qu’on appelle la « psychologie » de Tolstoï. Il n’y a pas de vrai développement dans aucun caractère (ce que d’ailleurs vous avez admirablement observé), mais il y a la vieille manière de transmettre les hésitations, les vibrations du même sentiment, de la même situation, ce que, sans pitié, il met dans la bouche et la conscience de chacun de ses héros : J’aime, mais en réalité, je hais, etc. Que de fois déjà m’ont-elles ennuyé ces réflexions prétendues fines, et ces observations sur ses propres sentiments. On peut penser que Tolstoï ne connaît pas d’autre psychologie, qu’il l’ignore sûrement. Et combien tourmentées ces répétitions obstinées du même fait : le duvet sur la lèvre supérieure de la princesse Bolkonski. Avec tout cela, il y a dans ce roman des choses que personne en Europe, sauf Tolstoï, ne pouvait écrire, et qui ont fait passer en moi un frémissement d’enthousiasme[1]. »

Tourgueniev était pris par le côté extérieur, artistique de Guerre et Paix, mais l’idée même de cette œuvre lui était si étrangère qu’il ne pouvait ne la point condamner.

De Baden-Baden, il écrit, le 13 avril 1869 :

« Je viens de terminer le 4e volume de Guerre et Paix. Il y a des choses remarquables, mais aussi des choses insupportables. C’est un malheur quand un autodidacte, surtout du genre Tolstoï, commence à philosopher. Il inventera un système quelconque, qui, soi-disant, résout tout très simplement, comme par exemple le fatalisme historique, et il écrit. Là où il touche la terre, comme Antée il retrouve de nouvelles forces : la mort du vieux prince, Alpatitch, la révolte au village. Tout cela est admirable[2]. »

Enfin, après l’apparition du 5e volume, Botkine écrit à Fet, le 9 juin 1869.

« Ces jours-ci nous avons terminé Guerre et Paix. Sauf les pages sur la franc-maçonnerie, qui sont peu intéressantes et exposées d’une façon ennuyeuse, ce roman, sous tous les rapports, est admirable. Mais est-ce que Tolstoï s’arrêtera à la cinquième partie ? Cela me semble impossible. Quelle clarté et en même temps quelle profonde analyse des caractères ! Quel caractère que celui de Natacha, et comme c’est bien soutenu ! Oui, tout est admirable dans cette œuvre, tout excite le plus parfait intérêt. Même ses considérations militaires sont pleines d’intérêt, et il me semble que, dans la plupart des cas, il a tout à fait raison. Et puis, comme c’est une œuvre bien russe ! »

Quant aux critiques professionnels, ils se séparèrent en deux camps : les admirateurs enthousiastes de l’œuvre et ses détracteurs féroces. Un certain éloignement de Tolstoï des courants dits « progressistes » n’y fut point étranger. Les leaders progressistes ne pouvaient pardonner à Tolstoï son indifférence envers les questions qui les passionnaient, et la seule apparition de Guerre et Paix dans Rousski Viestnik (bien que Tolstoï ne partageât nullement les opinions de cette revue) à leurs yeux stigmatisait cette œuvre.

Ainsi N. V. Chelgounov écrivait entre autres, sur ce roman : « Heureusement que le comte Tolstoï ne possède pas un talent puissant, qu’il n’est qu’un peintre de tableaux militaires et de scènes de la vie de camp. Si, à la faible sagesse du comte Tolstoï, s’ajoutait la force du talent de Shakespeare, ou même de Byron, il n’y aurait pas sur terre de malédiction assez forte pour lui[3] ».

Dans son ardeur de polémiste, Chelgounov prédisait que cette œuvre serait bientôt oubliée, que déjà elle commençait à l’être. Dans le même article, il écrit :

« À l’apparition du dernier volume de Guerre et Paix, les premiers étaient déjà presque oubliés. En tout cas l’intérêt provoqué par l’œuvre du comte Tolstoï était tombé. Que signifie cela ? Cela s’explique par l’absence de sujet profondément vital, qui seul peut assurer à une œuvre littéraire la durée et l’intérêt toujours croissant, aussi bien pour la critique que pour le public. Or, tel sujet ne se trouve pas dans l’œuvre du comte Tolstoï. Cependant il a la prétention d’y émettre des opinions philosophiques[4]. »

Les faits ont surabondamment infirmé ce jugement pour qu’il nous soit nécessaire d’insister.

Le critique N. N. Strakov, au contraire, n’a pas de termes assez élogieux pour Guerre et Paix :

« … Le tableau complet de la vie humaine.

« … Le tableau complet de la Russie d’alors. Le tableau complet de ce qu’on appelle l’Histoire, et la lutte des peuples. Le tableau complet de ce qui, pour les hommes, est tout le bonheur, la grandeur, la douleur, l’humiliation. Voilà ce qu’est Guerre et Paix[5]. »

Certains critiques étaient malgré eux tellement entraînés par la vérité profonde de l’œuvre qu’ils prenaient comme une offense personnelle certains faits défavorables à leurs héros, et insultaient Tolstoï pour la tournure donnée à son roman. Par exemple, on lui en voulait de n’avoir pas marié Rostov à Sonia ; ou de la façon dont Rostov s’était déclaré à la princesse Marie. Dans la passion avec laquelle ces critiques tombent sur l’auteur de Guerre et Paix, je vois pour lui sa suprême louange. Citons encore quelques extraits de la critique défavorable qui caractérisent le courant des opinions d’une certaine partie de la société d’alors.

A. P. Piatkovski, dans la Revue Niedela, sans attendre la fin de Guerre et Paix, déclare le roman trop long et ennuyeux et termine ainsi son article :

« Sans saisir le trait caractéristique de l’époque d’Alexandre, sans pouvoir apprécier l’importance des personnages historiques principaux, le comte Tolstoï n’a pu condenser son roman et s’est noyé dans des détails sans aucun lien. Il s’est mis à décrire les batailles, les commérages de Moscou, les intrigues de salon et les aventures amoureuses. L’année 1812 occupe déjà un volume entier et le lecteur ne voit pas encore de quoi il s’agit. Il n’y a qu’une seule scène, mise là par hasard, qui jette quelque lumière sur l’histoire de la guerre populaire. Tout le reste est dans le style d’un rapport : Koutouzov, Bagration, la redoute de Schévardine, etc. Grâce à l’absence de plan et de toute conception logique entre les événements racontés, on peut écrire le roman non pas en 4 volumes seulement, mais en 24 volumes. Seulement le lecteur aura-t-il la patience d’attendre la fin ? Du reste, le comte Tolstoï paraît avoir l’intention de ne pas se gêner. On dit qu’il écrit le ve volume, et que ce n’est pas encore la fin[6]. »

Un certain Navalitkhine, dans la revue Dielo (1888, no 6), sous le titre sarcastique : « Le romancier élégant et ses critiques élégants, » écrit à propos de Guerre et Paix :

« Le roman présente une série de scènes révoltantes et malpropres dont l’auteur ne comprend évidemment ni le sens ni l’importance, et qui, par cela, font l’effet d’une série de notes fausses. Il est tellement attendri devant ses héros que chacun de leurs actes, chacune de leurs paroles lui paraissent intéressants.

« Du commencement à la fin sont glorifiées les orgies, la grossièreté, la stupidité. Quand on lit les scènes militaires, on s’imagine entendre un sous-officier borné et bavard racontant ses impressions dans un village perdu et naïf…[7]. »

De tels articles ont sans doute une importance plutôt psychologique que critique.

À propos de semblables critiques, N. N. Strakov a écrit : « Nos critiques ne désirent nullement agir et penser. Ils sont mécontents quand de nouvelles œuvres les tirent de leur torpeur. Tel fut l’effet produit par l’apparition de Guerre et Paix. Pour plusieurs qui s’occupent avec plaisir à la lecture des derniers numéros des revues contenant leurs propres articles, il était bien désagréable d’apprendre l’existence d’un autre domaine, auquel ils ne pensaient pas et ne voulaient penser, et dans lequel cependant paraissaient des œuvres imposantes de grandeur et de beauté. À chacun est précieux sa tranquillité, l’assurance de sa propre intelligence, l’importance de son activité. C’est ce qui explique ces cris de fureur poussés en particulier contre les poètes et les artistes, et, en général, contre tout ce qui démontre notre ignorance, notre indifférence et notre sottise[8]. »

Examinons maintenant ce qu’ont trouvé dans Guerre et Paix les critiques sérieux, et qui, jusqu’à un certain point, peut expliquer ce qui ne semble pas tout à fait clair dans cette œuvre.

Nous diviserons cette critique en trois parties : artistique, historique et philosophique.

La partie artistique a trait aux caractères, aux divers types, à la marche des sentiments et des événements.

La partie historique comporte deux divisions : l’histoire, en général, et l’histoire militaire.

La partie philosophique s’occupe de l’idée fondamentale, essentielle, de l’œuvre. Ces trois parties s’unissent entre elles, parfois se confondent en quelques traits ou images, et parfois se séparent, et marchent indépendantes l’une de l’autre et parallèlement.

Nous donnerons les spécimens que nous croyons les meilleurs de ces différentes critiques de Guerre et Paix.

Mais pour nous limiter nous n’examinerons que les articles critiques contemporains à l’œuvre elle-même, c’est-à-dire ceux qui datent des années 60. Depuis, bien des articles, et d’excellents, ont été écrits en Russie et à l’étranger sur Guerre et Paix, mais, étant donné notre travail biographique, nous n’en pouvons parler qu’à leur endroit.

Dans le domaine artistique, nous donnerons les spécimens de critique de deux groupes littéraires opposés.

Dans les Annales de la Patrie (Otetchestvennia Zapiski), D. J. Pissarev, dans l’article intitulé : les Vieux seigneurs (no 2, 1866) dit entre autres :

« Le nouveau roman de Tolstoï, qui n’est pas encore achevé, peut être regardé comme l’œuvre modèle sur la pathologie de la société russe. Il y a dans ce roman une série de tableaux brillants et variés, écrits avec le calme d’une majesté épique. La question : Que deviennent les esprits et les caractères humains dans les conditions qui donnent aux hommes la possibilité de se passer des sciences, de l’énergie et du travail ? est posée et résolue.

« Il est possible et même probable que le comte Tolstoï ne s’est pas imposé cette tâche. Il est probable qu’il veut, tout simplement, peindre une série de tableaux de la vie des seigneurs russes au temps d’Alexandre ier. Il voit nettement et tâche de montrer aux autres, dans les plus petits détails, jusqu’aux moindres nuances, les particularités qui caractérisent l’époque et les gens d’alors ; ces gens qui pour lui étaient intéressants ou accessibles à son étude. Il ne veut qu’être véridique et exact. Ses efforts ne tendent pas à soutenir ou à renverser une idée théorique quelconque. Selon toute probabilité, il accorde au sujet de ses recherches, longues et méticuleuses, cette tendresse involontaire et naturelle que ressent d’ordinaire l’historien talentueux pour ce passé plus ou moins lointain qu’il fait revivre. Et peut-être trouve-t-il dans les particularités de ce passé, dans les personnes, les caractères, les conceptions et les habitudes de la société, plusieurs traits dignes d’amour et de respect. Mais précisément parce que l’auteur a dépensé beaucoup de temps, de travail et d’amour à étudier et à représenter cette époque, les images qu’il a créées vivent de leur propre vie. Elles prennent d’elles-mêmes contact avec le lecteur, parlent pour elles-mêmes et l’amènent à des idées et des conclusions auxquelles l’auteur n’a pas songé, qu’il désapprouverait peut-être. »

Plus loin, Pissarev résume admirablement les traits des deux héros, qui représentent deux types psychologiques opposés : Boris Droubetzkoï et Nicolas Rostov. D’un côté le calcul froid, de l’autre la spontanéité.

Bien différente est la critique de N. N. Strakov. D’abord, il montre les qualités artistiques générales de Guerre et Paix, et parle de la force d’analyse psychologique de l’auteur, de sa capacité de donner en des images vivantes les résultats de cette analyse :

« L’artiste cherche les traces de la beauté de l’âme humaine. Il cherche, dans chaque personnage qu’il peint, cette étincelle divine, dans laquelle se trouve la dignité humaine. En un mot, il tâche de trouver et de définir avec exactitude comment et de quelle façon les aspirations idéales de l’homme se réalisent dans la vie.

« Le comte Tolstoï est un grand maître à voir ce qui se cache dans l’âme de l’homme, sous le jeu des passions, sous toutes les formes de l’égoïsme, des instincts bestiaux, de l’amour-propre, etc.[9]. »


PAGE AUTOGRAPHE DE « GUERRE ET PAIX »
(Fin du 3e chapitre de la 4e partie)

De la psychologie privée, le critique passe à la psychologie nationale. S’appuyant sur la pensée exprimée par un critique de cette époque, A. Grigoriev, à propos de la prépondérance dans la littérature russe d’un type national particulier, humble, simple, qui domine le type brillant et rapace, Strakov voit en Guerre et Paix précisément le triomphe de ce type national :

« Guerre et Paix, cette immense épopée, qu’est-ce, sinon l’apothéose du type russe humble ? C’est ici que le type rapace est vaincu par lui. Sur le champ de bataille de Borodino, les Russes, simples, ont vaincu ce que l’on peut s’imaginer de plus héroïque, de plus brillant, de plus fort, de plus rapace : Napoléon et son armée.

« Tout ce qui est faux, brillant seulement extérieurement, est dénoncé impitoyablement par l’artiste. Sous les dehors élégants de la haute société, il nous découvre un abîme de vide, de basses passions, de sentiments purement grossiers. Au contraire, tout ce qui est simple et vrai, si rude qu’en soit l’aspect, trouve de la part de l’artiste une profonde sympathie. Qu’ils sont banals et vains les salons d’Anna Pavlovna Scherer et d’Hélène Bezoukhov. Quelle poésie, au contraire, dans la vie calme du vieil oncle !

« L’artiste a montré clairement en quoi les Russes voient la dignité humaine, en quoi consiste cet idéal de grandeur, qui est présent jusque dans les âmes faibles et n’abandonne pas les forts, même dans les moments d’égarement et de chute. Cet idéal, l’auteur le définit simplicité, bonté et vérité. La simplicité, la bonté et la vérité ont vaincu, en 1812, la force à qui manquaient ces vertus. Voilà le sens de Guerre et Paix[10]. »

Entre ces deux critiques extrêmes on peut placer celle de Skabitchevsky, qui, dans ses Essais critiques, donne une analyse très poussée de la partie artistique de Guerre et Paix. Il tombe dans l’erreur de comparer Tolstoï à Gogol. Il lui semble que la deuxième partie de Guerre et Paix rappelle, par son incursion dans le domaine philosophique, la triste fin de Gogol. Si, dans la crise religieuse de Tolstoï, qui se manifesta après son grand roman, on peut trouver une certaine analogie avec celle de Gogol, en tout cas, au point de vue artistique, la similitude entre les deux grands écrivains ne saurait se soutenir. Nous tous qui avons connu Tolstoï pendant sa période de crise religieuse pouvons témoigner que la force artistique de Tolstoï n’en a point faibli, que, depuis, elle a acquis, au contraire, plus de clarté et de persuasion.


Au point de vue historique, Guerre et Paix a provoqué également des discussions très variées. En commençant par Tourgueniev, qui n’y voyait qu’un « truc », jusqu’à Piatkovski, qui, dans son article « l’Époque historique dans le roman de L. N. Tolstoï », s’exprime ainsi : « Pour soutenir sa théorie de la stupidité historique et l’appliquer à une série de faits, le comte Tolstoï rassemble et embrouille exprès le plus de faits possibles[11] », nous trouvons une série d’articles critiques de cette époque qui refusent à Guerre et Paix toute importance historique.

À côté de ceux-ci, nous trouvons d’autres critiques, — Ovsianiko-Koulikovsky en tête, qui, dans un de ses articles, donne à Guerre et Paix l’importance historique d’une Iliade, — d’un avis tout différent.

Bien que l’ « Histoire » dans toute son ampleur, ait été touchée dans le roman, il y eut peu de critiques historiques proprement dites de cette œuvre. Les plus importantes et les plus intéressantes émanent du milieu militaire. Parmi ces critiques, de nouveau nous citerons celles qui renferment les jugements les plus sévères et celles qui se plaisent à voir en Guerre et Paix les plus sérieuses qualités.

A. N. Popov, auteur d’une remarquable Histoire de la guerre de 1812, qui malheureusement n’est pas encore publiée, disait un jour en causant à V. Skabitchevsky :

« Parmi les très importants matériaux historiques que j’ai trouvés, je dois citer Guerre et Paix de Tolstoï. Sans doute, je n’écris pas l’histoire d’après le roman, mais très souvent, voulant éclairer certains événements, je me reporte à Guerre et Paix. J’ai entre les mains beaucoup de documents nouveaux, tout à fait inconnus jusqu’ici, et que Tolstoï, ne connaissait certainement pas. Ces documents jettent un nouveau jour sur des moments très importants. M’appuyant sur ces documents, j’explique certains événements tout autrement qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent par les historiens militaires. Eh bien ! dans Guerre et Paix, je trouve une description de ces événements et leurs commentaires absolument conformes à ceux auxquels je suis arrivé. Me basant sur des données historiques indiscutables je raconte quelque chose, et le comte Tolstoï, qui n’a pas eu ces données, raconte exactement la même chose, guidé seulement par sa clairvoyance artistique, et nos conclusions sont les mêmes. Comment donc ne consulterais-je pas Guerre et Paix[12]. »

Mais tous les militaires n’étaient pas satisfaits de la manière dont Tolstoï avait décrit les campagnes de 1805-1812. Certains critiques militaires paraissaient être offensés, scandalisés, par les descriptions de Tolstoï. Ce furent toujours les vieux généraux qui prirent part à la guerre nationale. Ainsi A. S. Norov écrivit sur un ton offensé un long article, publié dans le Recueil militaire (Voenni-Zbornik), sous le titre Guerre et Paix au point de vue historique et d’après les souvenirs des contemporains.

Un des critiques militaires sérieux de Guerre et Paix, c’est le général Dragomirov, qui fit paraître une série d’articles ayant pour titre : Guerre et Paix au point de vue militaire. Dès les premières lignes de cette étude, se dégage le sens de sa critique, et, comme elles résument l’article, nous nous contenterons de les citer :

« Le roman de Tolstoï est intéressant pour le militaire à un double point de vue : par la description des militaires et des mœurs militaires, et par le désir de tirer quelques conclusions concernant la théorie de la science militaire. Par la description il est incomparable, et ses scènes de la vie militaire peuvent, selon nous, servir de supplément des plus utiles à n’importe quel cours de la théorie de l’art militaire. Quant à ses conclusions, elles ne soutiennent pas la critique, même la plus indulgente, bien qu’elles soient intéressantes en tant que correspondant au degré de développement des opinions de l’auteur sur la science militaire[13]. »

La partie philosophique de Guerre et Paix rencontra peu de sympathie, et encore moins de compréhension, de la part du public.

N. N. Strakov, lui-même, qui commente plutôt qu’il ne critique Guerre et Paix, et qui est très sympathique aux idées exprimées dans le roman, dit qu’il serait préférable que la philosophie de l’histoire fût mise à part dans un traité particulier ; que les idées exprimées y gagneraient en clarté.

Seul le professeur Ovsianiko-Koulikovsky, dans ses récents Essais, a reconnu l’unité de tous les événements de Guerre et Paix (artistiques, historiques et philosophiques), qui se suppléent réciproquement. À ce point de vue, il a écrit une admirable analyse des types populaires et mondains de Guerre et Paix.

Le professeur Karéiev, dans une conférence publique, remontant aux années 80, commit une grave erreur en analysant la philosophie de l’histoire dans Guerre et Paix et la critiquant indépendamment de toute l’œuvre. Naturellement la conclusion de son étude fut négative. S’inclinant devant le réalisme artistique de l’auteur, il lui reprocha son indifférence sociale.

La façon de l’auteur de se rapporter à certains phénomènes sociaux, que Karéiev a baptisée « d’indifférence sociale », est une des manifestations des idées générales qui traversent toute l’œuvre en se reflétant dans chaque événement. Reprocher cela à l’auteur, sans analyser ses idées fondamentales, c’est la même chose que reprocher au constructeur d’avoir fait un toit carré à un bâtiment, sans dire pourquoi il ne fallait pas faire de fondations carrées.

Tolstoï ne lisait jamais les critiques de ses œuvres. Seules les opinions de ses amis personnels, comme nous l’avons vu, l’intéressaient. Parmi ces amis, il faut compter Strakov, bien que Tolstoï n’ait fait sa connaissance qu’après ses critiques sur Guerre et Paix. Il est probable que Tolstoï ne les avait pas lues, il ne connut l’opinion de Strakov qu’après avoir causé avec lui, et il l’exprimait ainsi : « N. N. Strakov a placé Guerre et Paix sur une hauteur à laquelle il s’est tenu. »

Quelques critiques étrangères touchent le côté philosophique de Guerre et Paix, mais elles n’ont commencé à paraître qu’aux années 80, quand, à l’étranger, on connaissait déjà les Confessions, En quoi consiste ma religion, et d’autres œuvres religieuses de Tolstoï. C’est pourquoi les critiques étrangers analysent rarement chacune des œuvres de Tolstoï mais parlent de ses idées générales, confondant les diverses étapes de sa conception du monde.

Vu la pauvreté de cette critique des idées, nous tâcherons d’expliquer brièvement l’importance philosophique de Guerre et Paix au point de vue biographique qui nous intéresse. En d’autres termes, nous tâcherons de décrire le moment de la vie de Tolstoï qui correspond à la création de Guerre et Paix, et nous verrons comment s’expriment ses conceptions d’alors dans les types qu’il a créés, dans les événements qu’il a décrits et dans les idées qu’il a exposées.

La nature ardente et passionnée de L. N. Tolstoï trouvait rarement le repos. Cependant, le travail créateur n’était possible qu’avec une certaine tranquillité d’esprit ; de sorte que nous pouvons suivre ces périodes de calme à l’augmentation de la force créatrice.

Après la période bruyante de la vie à Iasnaia Poliana, à la fin des années 40, Tolstoï part avec son frère pour le Caucase. La merveilleuse nature du Caucase, nouvelle pour lui, et la vie sauvage, guerrière, des Cosaques, l’impressionnent fortement. Une grande partie de ses forces morales se fixe ainsi, sa soif d’impressions se satisfait, il rentre dans la période de calme, et en même temps de création. Paraissent l’Enfance, l’Adolescence, la Jeunesse, les Récits du Caucase et Sébastopol.

Mais les circonstances deviennent autres, les hommes changent, de nouveau les passions bouillonnent et ne trouvent pas satisfaction, et la création s’arrête.

La vie littéraire à Pétersbourg, l’exploitation agricole, le voyage à l’étranger, tout cela le distrait sans l’apaiser. Mais voilà qu’au retour de son second voyage il s’adonne à l’activité pédagogique.

De nouveau, la plupart de ses forces spirituelles se fixent, et la création pédagogique jaillit de lui comme un torrent. Il crée un système pédagogique entier, écrit une série d’articles, édite une revue. Sans doute sa vie morale suit un chemin plus compliqué, plus profond et plus difficile à indiquer. Nous n’en donnons que le schéma.

Souffrant des passions qui le tourmentent il est encore torturé des doutes qui l’assaillent. Une des qualités intellectuelle, très forte, de Tolstoï, c’est l’analyse impitoyable de tous les phénomènes qui l’entourent. Cette analyse appelait ensuite un invincible besoin de synthèse, de conclusion générale, la connaissance du sens de la vie pouvant lui donner l’équilibre des forces morales. Et il ne pouvait le trouver. Rappelons-nous les paroles désespérées des Confessions, qui se rapportent au commencement des années 60.

« Pendant un an je me suis occupé de l’arbitrage territorial, des écoles, de la revue, et j’étais si tourmenté, particulièrement parce que je perdais pied, que je tombai malade, plutôt moralement que physiquement, j’abandonnai tout, et partis dans la steppe, chez les Bachkirs, respirer l’air, boire du koumiss, et vivre de la vie animale. Au retour je me mariai. »

Le besoin du mariage, de la vie de famille, depuis longtemps tourmentait Tolstoï. Il atteint enfin le but de ses rêves.

La vie de famille l’empoigne avec une force extraordinaire, de nouveau fixe ses passions et délivre ses forces créatrices. Et pendant les cinq premières années il crée une œuvre incomparable : Guerre et Paix.

À quel moment de son équilibre moral correspond donc cette œuvre ?

L’arbitrage territorial, l’école, l’exploitation, tout cela rapprochait L. N. Tolstoï du peuple. Il entrait en contact avec lui, de mille manières, étudiait ses mœurs, et, avec un attendrissement particulier, en pénétrait l’âme. Il n’existe pas d’écrivain qui avec tant de force d’analyse et de synthèse artistiques ait créé le type de l’âme russe populaire dans toute sa variété, et dans toute sa grande unité.

C’est cette étude de l’âme du peuple, le désir inextinguible de le peindre, qui, selon nous, constituent une partie de cette force qui créa Guerre et Paix.

Mais au-dessus de ce peuple, auquel aspirait toujours l’âme de Tolstoï, se trouvait une classe, la classe supérieure, dominante, privilégiée, à laquelle appartenait l’auteur lui-même, à laquelle il était lié par plusieurs générations. Il la connaissait et l’aimait comme son propre élément, comme on aime la famille, la maison, le sol natal, et son âme était aussi attirée par la peinture de cette classe des Russes. Il cherchait un phénomène de la vie russe dans lequel se manifestassent les traits les plus caractérisques de l’une et l’autre classes.

Il le trouva dans la guerre de Napoléon.

À l’intérêt des traits caractéristiques de la société russe et du peuple russe, se joignait encore l’intérêt historique, et ce travail absorba toutes ses forces créatrices.

La vie du peuple est représentée par Tolstoï comme un élément puissant, comme un océan qui tantôt reflète le ciel, tantôt rompt toutes digues. Elle s’exprime dans les mouvements en masses des peuples et dans les types individuels touchants, parmi lesquels il suffit de citer d’un côté, Platon Karetaiev, de l’autre, Koutouzov, qui, par un instinct particulier, devinait la direction de cette force élémentaire et savait en tirer parti.

La vie de la société supérieure est présentée par Tolstoï avec une profondeur psychologique extraordinaire. Il fait pour ainsi dire l’analyse anatomique et chimique de ses éléments. En même temps qu’il dénonce le vide, la vanité, la criminalité de toute cette classe, il crée des types chez lesquels la conscience morale atteint ses degrés suprêmes, auxquels l’auteur s’éleva lui-même dans les meilleurs moments de sa vie morale.

Le prince André, et Pierre Bezoukov, l’un froid sceptique, l’autre rêveur naïf, par des voies diverses, sont amenés à Dieu. Avec une sincérité et une vérité extraordinaires, l’auteur présente en eux divers aspects et divers moments de son âme. Tolstoï, qui toujours aspira à la plus haute vérité religieuse, ne la reconnaissait pas encore nettement et ses héros ne la reconnaissent pas non plus. L’un par la souffrance, par la mort, l’autre par le contact avec la vie du peuple, toujours vraie, c’est pourquoi divine, sont amenés au sentiment joyeux de la proximité de la divinité, qui cependant reste cachée pour eux derrière un voile impénétrable.

À ces idées d’ordre spirituel exprimées dans Guerre et Paix, il faut joindre des idées d’un caractère plutôt extérieur, objectif, historique.

Dans son article intitulé : Quelques mots à propos de Guerre et Paix, Tolstoï dit, entre autres, en examinant les divers points sur lesquels il donne des explications :

« La considération la plus essentielle pour moi touche l’importance minime qu’ont, selon moi, sur les événements historiques, les personnages que nous appelons les grands hommes. En étudiant l’époque si tragique où abondent des événements considérables si proches de nous, époque dont les traditions si diverses sont encore vivantes, je suis arrivé à la certitude que les causes des événements historiques qui s’accomplissent sont inaccessibles à notre entendement…

« L’événement où se sont entre-tués des millions de gens, où un demi-million d’hommes périrent, ne peut avoir pour cause la volonté d’un seul homme : de même qu’un seul homme ne peut à lui seul saper une montagne, de même un seul homme ne peut forcer cinq cent mille hommes à mourir. »

En développant de pareilles pensées dans ses Chapitres philosophiques, Tolstoï fait la critique des méthodes historiques anciennes et nouvelles de Gibbons à Buckle. Donnant de nouvelles définitions de la liberté, de la volonté, de la nécessité, il impose à la science historique d’étudier et de définir les lois selon lesquelles s’accomplit le mouvement de l’humanité.

Si l’on ajoute à cela l’art de peindre tous les phénomènes de la vie humaine, depuis les mouvements de l’âme à peine perceptibles jusqu’à ceux des armées de cent mille hommes qui s’entrechoquent dans la terrible bataille de Borodino, nous aurons une idée de la grandeur de cette œuvre qui, pensons-nous, est l’un des événements les plus considérables de la vie de L. N. Tolstoï.

Mais cette vie était si remplie, si variée, et si puissante que, malgré la grande quantité de forces absorbées par la création de cette œuvre, elle se manifeste encore dans plusieurs faits, moins importants, dont nous allons maintenant parler.

  1. Eugène Bogoslovsky. Tourgueniev et Léon Tolstoï. Tiflis, 1894, p. 41.
  2. Ibid.
  3. Œuvres de Chelgounov, vol. ii, p. 392 ; St-Pétersbourg, 1895.
  4. Œuvres de Chelgounov, vol. ii, p. 367 ; St-Pélersbourg, 1895.
  5. N. N. Strakov, Articles critiques, p. 348. St-Pétersbourg, 1895.
  6. Zélinski, Littérature critique sur Tolstoï, tome v, pp. 196-198.
  7. Zélinski, Littérature critique sur Tolstoï, t. v, pp. 208-211.
  8. N. N. Strakov, Articles critiques, p. 232.
  9. N. Strakov, Articles critiques sur I. S. Tourgueniev et L. N. Tolstoï. Pétersbourg, 1895, pp. 246-265.
  10. N. N. Strakov, Articles critiques, pp. 312-339.
  11. N. N. Strakov, Articles critiques, pp. 312-339.
  12. Comte L. N. Tolstoï, Essais de V. Soloviev. Niva, 1879, p. 854.
  13. Dragomirov, Guerre et Paix au point de vue militaire. St-Pétersbourg, 1868.