L’Île de la raison/Acte I
Acteurs de la comédie
modifierLE GOUVERNEUR. PARMENÈS, fils du Gouverneur. FLORIS, fille du Gouverneur. BLECTRUE, conseiller du Gouverneur. UN INSULAIRE. UNE INSULAIRE. MÉGISTE, domestique insulaire. Suite du Gouverneur. LE COURTISAN. LA COMTESSE, sœur du Courtisan. FONTIGNAC, Gascon, secrétaire du Courtisan. SPINETTE, suivante de la Comtesse. LE POÈTE. LE PHILOSOPHE. LE MÉDECIN. LE PAYSAN BLAISE.
La scène est dans l’île de la Raison. ==Acte premier==
Scène première
modifierUN INSULAIRE, LES HUIT EUROPÉENS
Tenez, petites créatures, mettez-vous là en attendant que le gouverneur vienne vous voir : vous n’êtes plus à moi ; je vous ai donné à lui, adieu ; je vous reverrai encore, avant de m’en retourner chez moi.
Scène II
modifierLES HUIT EUROPÉENS, consternés.
Morgué, que nous velà jolis garçons !
Que signifie tout cela ? quel sort que le nôtre !
Mais, Messieurs, depuis six mois que nous avons été pris par cet insulaire qui vient de nous mettre ici, que vous est-il arrivé ? car il nous avait séparés, quoique nous fussions dans la même maison. Vous a-t-il regardé comme des créatures raisonnables, comme des hommes ?
Ah !
J’entends cette réponse-là.
Quant à ce qui est de moi, noute geoulier, sa femme et ses enfants, ils me regardiont tous ni plus ni moins comme un animal. Ils m’appeliont noute ami quatre pattes ; ils preniont mes mains pour des pattes de devant, et mes pieds pour celles de darrière.
Ils ont essayé dé mé nourrir dé graine.
Ils ne me prenaient point non plus pour une fille.
Ah ! c’est la faute de la rareté.
Oui-da, lé douté là-dessus est pardonnavle.
Pour moi, j’ai été entre les mains de deux insulaires qui voulaient d’abord m’apprendre à parler comme on le fait aux perroquets.
Ils ont commencé aussi par mé siffler, moi.
Vous a-t-on à tretous appris la langue du pays ?
Oui.
Bon : tout le monde a donc épelé ici ? Mais morgué ! n’avons-je plus rian à nous dire ? Là, tâtez-vous, camarades ; tâtez-vous itou, Mademoiselle.
Quoi ?
N’y a-t-il rian à redire après vous ? N’y a-t-il rian de changé à voute affaire ?
Pourquoi nous dites-vous cela ?
Avant que j’abordissions ici, comment étais-je fait ? N’étais-je pas gros comme un tonniau, et droit comme une parche ?
Vous avez raison.
Eh bian ! n’y a plus ni tonniau ni parche ; tout ça a pris congé de ma parsonne.
C’est-à-dire ?
C’est-à-dire que moi qu’on appelait le grand Blaise, moi qui vous parle, il n’y a pus de nouvelles de moi : je ne savons pas ce que je sis devenu ; je ne trouve pus dans mon pourpoint qu’un petit reste de moi, qu’un petit criquet qui ne tiant pas plus de place qu’un éparlan.
Eh !
Je me sens d’un rapetissement, d’une corpusculence si chiche, je sis si diminué, si chu, que je prenrais de bon cœur une lantarne pour me charcher. Je vois bian que vous êtes aplatis itou ; mais me voyez-vous comme je vous vois, vous autres ?
Tu l’as dit, paubre éperlan. Et dé moi, que t’en semble ?
Vous ? ou êtes de la taille d’un goujon.
Mé boilà.
Et moi, Fontignac, suis-je aussi petit qu’il me paraît que je le suis devenu ?
Monsieur, bous êtes mon maîtré, hommé de cour et grand seigneur ; bous mé démandez cé qué bous êtes ; mais jé né bous bois pas ; mettez-bous dans un microscope.
Je ne saurais croire que notre petitesse soit réelle : il faut que l’air de ce pays-ci ait fait une révolution dans nos organes, et qu’il soit arrivé quelque accident à notre rétine, en vertu duquel nous nous croyons petits.
La mort vaudrait mieux que l’état où nous sommes.
Ah ! ma foi, ma parsonne est bian diminuée ; mais j’aime encore mieux le petit morciau qui m’en reste, que de n’en avoir rian du tout : mais tenez, velà apparemment le gouverneux d’ici qui nous lorgne avec une leunette.
Scène III
modifierLE GOUVERNEUR, SON FILS, SA FILLE, BLECTRUE, L’INSULAIRE, MÉGISTE, suite du Gouverneur, LES HUIT EUROPÉENS
Les voilà, Seigneur.
Vous me montrez là quelque chose de bien extraordinaire : il n’y a assurément rien de pareil dans le monde. Quelle petitesse ! et cependant ces petits animaux ont parfaitement la figure d’homme, et même à peu près nos gestes et notre façon de regarder. En vérité, puisque vous me les donnez, je les accepte avec plaisir. Approchons.
Mon père, je me charge de cette petite femelle-ci, car je la crois telle.
En voilà un que je serais bien aise d’avoir aussi : je crois que c’est un petit mâle.
Madame, n’abusez point de l’état où je suis.
Ah ! mon père, je crois qu’il me répond ; mais il n’a qu’un petit filet de voix.
Vraiment, ils parlent ; ils ont des pensées, et je leur ai fait apprendre notre langue.
Que cela va me divertir ! Ah ! mon petit mignon, que vous êtes aimable !
Et ma petite femelle, me dira-t-elle quelque chose ?
Vous me paraissez généreux, Seigneur ; secourez-moi, indiquez-moi, si vous le pouvez, de quoi reprendre ma figure naturelle.
Ma sœur, ma femelle vaut bien votre mâle.
Oh ! j’aime mieux mon mâle que tout le reste ; mais ne mordent-ils pas, au moins ?
Ah, ah, ah, ah !…
En voilà un qui rit de ce que je dis.
Morgué ! je ne ris pourtant que du bout des dents.
Et les autres ?
Les autres sont indignés du peu d’égard qu’on a ici pour des créatures raisonnables.
Sire, réprésentez-bous lé mieux fait dé botré royaume. Boilà ce que jé suis, sans mé soucier qui mé gâte la taille.
Vartigué ! Monsieu le Gouverneux, ou bian Monsieu le Roi, je ne savons lequel c’est ; et vous, Mademoiselle sa fille, et Monsieur son garçon, il n’y a qu’un mot qui sarve. Venez me voir avaler ma pitance, vous varrez s’il y a d’homme qui débride mieux ; je ne sis pas pus haut que chopaine, mais morgué ! dans cette chopaine vous y varrez tenir pinte.
Il me semble qu’ils se fâchent : allons, qu’on les remette en cage, et qu’on leur donne à manger ; cela les adoucira peut-être.
Aimable dame, ne m’abandonnez pas dans mon malheur.
Eh ! voyez donc, mon père, comme il me baise la main ! Non, mon petit rat ; vous serez à moi, et j’aurai soin de vous. En vérité, il me fait pitié !
Ah !
Jarnicoton, queu train !
Scène IV
modifierLES INSULAIRES
Voilà, par exemple, de ces choses qui passent toute vraisemblance ! Nos histoires n’ont-elles jamais parlé de ces animaux-là ?
Seigneur, je me rappelle un fait ; c’est que j’ai lu dans les registres de l’État, qu’il y a près de deux cents ans qu’on en prit de semblables à ceux-là ; ils sont dépeints de même. On crut que c’étaient des animaux, et cependant c’étaient des hommes : car il est dit qu’ils devinrent aussi grands que nous, et qu’on voyait croître leur taille à vue d’œil, à mesure qu’ils goûtaient notre raison et nos idées.
Que me dites-vous là ? qu’ils goûtaient notre raison et nos idées ? Était-ce à cause qu’ils étaient petits de raison que les dieux voulaient qu’ils parussent petits de corps ?
Peut-être bien.
Leur petitesse n’était donc que l’effet d’un charme, ou bien qu’une punition des égarements et de la dégradation de leur âme ?
Je le croirais volontiers.
D’autant plus qu’ils parlent, qu’ils répondent et qu’ils marchent comme nous.
À l’égard de marcher, nous avons des singes qui en font autant. Il est vrai qu’ils parlent et qu’ils répondent à ce qu’on leur dit : mais nous ne savons pas jusqu’où l’instinct des animaux peut aller.
S’ils devenaient grands, ce que je ne crois pas, mon petit mâle serait charmant. Ce sont les plus jolis petits traits du monde ; rien de si fin que sa petite taille.
Vous n’avez pas remarqué les grâces de ma femelle.
Quoi qu’il en soit, n’ayons rien à nous reprocher. Si leur petitesse n’est qu’un charme, essayons de le dissiper, en les rendant raisonnables : c’est toujours faire une bonne action que de tenter d’en faire une. Blectrue, c’est à vous à qui je les confie. Je vous charge du soin de les éclairer ; n’y perdez point de temps ; interrogez-les ; voyez ce qu’ils sont et ce qu’ils faisaient ; tâchez de rétablir leur âme dans sa dignité, de retrouver quelques traces de sa grandeur. Si cela ne réussit pas, nous aurons du moins fait notre devoir ; et si ce ne sont que des animaux, qu’on les garde à cause de leur figure semblable à la nôtre. En les voyant faits comme nous, nous en sentirons encore mieux le prix de la raison, puisqu’elle seule fait la différence de la bête à l’homme.
Et nous reprendrons nos petites marionnettes, s’il n’y a point d’espérances qu’elles changent.
Seigneur, dès ce moment je vais travailler à l’emploi que vous me donnez.
Scène V
modifierBLECTRUE, MÉGISTE
Mégiste, je vous prie de dire qu’on me les amène ici.
Scène VI
modifierBLECTRUE, seul.
Hélas ! je n’ai pas grande espérance, ils se querellent, ils se fâchent même les uns contre les autres. On dit qu’il y en a deux tantôt qui ont voulu se battre ; et cela ne ressemble point à l’homme.
Scène VII
modifierBLECTRUE, MÉGISTE, suite, LES HUIT EUROPÉENS
Jolies petites marmottes, écoutez-moi ; nous soupçonnons que vous êtes des hommes.
Voyez ! la belle nouvelle qu’il nous apprend là !
Allez, Monsieur, passez à la certitude ; jé bous la garantis.
Soit.
En doutant que nous soyons des hommes, vous nous faites douter si vous en êtes.
Point de colère, vous y êtes sujet : ce sont des mouvements de quadrupèdes que je n’aime point à vous voir.
Nous, quadrupèdes !
Quelle humiliation !
Sandis ! fortune espiègle, tu mé houspilles rudément.
Par la sangué ! vous qui parlez, savez-vous bian que si vous êtes noute prouchain, que c’est tout le bout du monde ?
Maudit pays !
Doucement, petits singes ; apaisez-vous, je ne demande qu’à sortir d’erreur ; et le parti que je vais prendre pour cela, c’est de vous entretenir chacun en particulier, et je vais vous laisser un moment ensemble pour vous y déterminer : calmez-vous, nous ne vous voulons que du bien ; si vous êtes des hommes, tâchez de devenir raisonnables : on dit que c’est pour vous le moyen de devenir grands.
Scène VIII
modifierLES HUIT EUROPÉENS
Qué beut donc dire cé vouffon, avec son débénez raisonnavle ? Peut-on débénir cé qué l’on est ? S’il né fallait qué dé la raison pour être grand dé taillé, jé passérais le chêné en hautur.
Bon, bon ! vous prenez bian voute temps pour des gasconnades ! pensons à noute affaire.
Pour moi, je crois que c’est un pays de magie, où notre naufrage nous a fait aborder.
Un pays de magie ! idée poétique que cela, Monsieur le Poète, car vous m’avez dit que vous l’étiez.
Ma foi, Monsieur de la philosophie, car vous m’avez dit que vous l’aimiez, une idée de poète vaut bien une vision de philosophe.
Morgué ! si je ne m’y mets, velà de la fourmi qui se va battre : paix donc là, grenaille.
Eh ! Messieurs, un peu dé concordé dans l’état présent dé nos affaires.
Jarnigué, acoutez-moi ; il me viant en pensement queuque chose de bon sur les paroles de ceti-là qui nous a boutés ici. Les gens de ce pays l’appelont l’île de la Raison, n’est-ce pas ? Il faut donc que les habitants s’appelaint les Raisonnables ; car en France il n’y a que des Français, en Allemagne des Allemands, et à Passy des gens de Passy, et pas un Raisonnable parmi ça : ce n’est que des Français, des Allemands, et des gens de Passy. Les Raisonnables, ils sont dans l’île de la Raison ; cela va tout seul.
Eh finis, mon ami, finis, tu nous ennuies.
Eh bian ! ou avez le temps de vous ennuyer ; patience. Je dis donc que j’ai entendu dire par le seigneur de noute village, qui était un songe-creux, que ceux-là qui n’étiont pas raisonnables, deveniont bian petits en la présence de ceux-là qui étiont raisonnables. Je ne voyions goutte à son idée en ce temps-là : mais morgué ! en véci la vérification dans ce pays. Je ne sommes que des Français, des Gascons, ou autre chose ; je nous trouvons avec des Raisonnables, et velà ce qui nous rapetisse la taille.
Comme si les Français n’étaient pas raisonnables.
Eh morgué, non : ils ne sont que des Français ; ils ne pourront pas être nés natifs de deux pays.
Cadédis, pour moi, jé troubé l’imagination essellente ; il faut qué cet hommé soit dé race gasconne, en berité ; et j’adopte sa pensée : sauf lé respect qué jé dois à tous, jé prendrai seulément la liberté dé purger son discours dé la broussaillé qui s’y troube. Jé dis donc qué plus jé bous régarde, et plus jé mé fortifie dans l’idée dé cé rustré ; notré pétitessé, sandis, n’est pas uniformé ; rémarquez, Messieurs, qu’ellé va par échélons.
Toujours en dévalant, toujours de pis en pis.
Eh laissons de pareilles chimères.
Eh morgué, laissez-li bailler du large à ma pensée.
Jé bous parlais d’échélons : eh pourquoi ces échélons, cadédis ?
C’est peut-être parce qu’il y en a de plus fous les uns que les autres.
Cet hommé dit d’or ; jé pense qué c’est lé dégré dé folie qui régle la chose ; et qu’ainsi ne soit, regardez cé paysan, cé n’est qu’un rustre.
Eh ! là, là, n’appuyez pas si farme.
Et cépendant cé rustre, il est lé plus grand dé nous tous.
Oui, je sis le pus sage de la bande.
Non pas lé plus sage, mais lé moins frappé dé folie, et jé né m’en étonné pas ; lé champ dé vataillé dé l’extrabagancé, boyez-bous, c’est lé grand monde, et cé paysan né lé connaît pas, la folie né l’attrapé qué dé loin ; et boilà cé qui lui rend ici la taillé un peu plus longue.
La foulie vous blesse tout à fait, vous autres ; alle ne fait que m’égratigner, moi : stapendant, voyez que j’ai bon air avec mes égratignures !
En suivant lé dégré, j’arribe après lui, moi, plus pétit qué lui, mais plus grand qué les autres. Jé né m’en étonne pas non plus ; dans lé monde, jé né suis qué suvalterne, et jé n’ai jamais eu lé moyen d’être aussi fou qué les autres.
Oh ! à voir voute taille, ou avez eu des moyans de reste.
Je continue ma ronde, et Spinette mé suit.
En effet, la chambrière n’est pas si petiote que la maîtresse, faut bian qu’alle ne soit pas si folle.
Ellé né vient pourtant qu’après nous, et c’est qué la raison des femmes est toujours un peu plus dévilé qué la nôtre.
À quelque impertinence près, tout cela me paraîtrait assez naturel.
Et moi, je le trouve pitoyable.
Morgué ! tenez, philosophe, vous qui parlez, voute taille est la plus malingre de toutes.
Oui, c’est la plus inapercévable, cellé qui rampe lé plus, et la raison en est bonne ! Monsieur lé philosophe nous a dit dans lé vaisseau, qu’il avait quitté la France, dé peur dé loger à la Vastille.
Vous n’êtes pas chanceux en aubarges.
Et qu’actuellement il s’enfuyait pour un petit livre dé science, dé petits mots hardis, dé petits sentiments ; et franchement tant dé pétitesses pourraient bien nous aboir produit lé petit hommé à qui jé parle. Venons à Monsieur le poète.
Il est, morgué bian écrasé.
Je n’ai pourtant rien à reprocher à ma raison.
Des gens dé botre métier, cependant, lé bon sens n’en est pas célèbre ; n’avez-vous pas dit qué bous étiez en voyage pour une épigramme ?
Cela est vrai. Je l’avais fait contre un homme puissant qui m’aimait assez, et qui s’est scandalisé mal à propos d’un pur jeu d’esprit.
Pauvre faiseux de vars, il y a comme ça des gens de mauvaise himeur qui n’aimont pas qu’on les vilipende.
À vous lé dé, Madame.
Taisez-vous, vos raisonnements ne me plaisent pas.
Il n’y a qu’à la voir pour juger du paquet. Et noute médecin ?
Jé l’oubliais, dé la profession dont il est, sa critique est touté faite.
Bon ! vous nous faites là de beaux contes !
Jé n’interrogé pas Monsieur, dé qui jé suis lé sécrétaire dépuis dix ans, et qué lé hasard a fait naître en France ; quoiqué dé famille espagnolé ; il allait vice-roi dans les Indes avec Madamé sa sœur, et Spinette, cette agréablé fille de qui jé suis tombé épris dans lé voyage.
Je ne crois pas, Monsieur de Fontignac, que vous m’ayez vu faire de folies.
Monsieur, lé respect mé fermé la bouche, et jé bous renvoie à votré taille.
En effet, faut que vous ayez de maîtres vartigos dans voute tête.
Paix, silencé ; voilà notre homme qui revient.
Scène IX
modifierBLECTRUE, UN DOMESTIQUE, LES HUIT EUROPÉENS
Allons, mes petits amis, lequel de vous veut lier le premier conversation avec moi ?
C’est moi, je serai bien aise de savoir ce dont il s’agit.
Morgué ! je voulais venir, moi ; je vianrai donc après.
Allons, soit, qu’on ramène les autres.
Et moi, je ne veux plus paraître ; je suis las de toutes ces façons.
J’ai toujours remarqué que ce petit animal-là a plus de férocité que les autres ; qu’on le mette à part, de peur qu’il ne les gâte.
Scène X
modifierBLECTRUE, LE POÈTE
Allons, causons ensemble ; j’ai bonne opinion de vous, puisque vous avez déjà eu l’instinct d’apprendre notre langue.
Seigneur Blectrue, laissons là l’instinct, il n’est fait que pour les bêtes ; il est vrai que nous sommes petits.
Oh ! extrêmement.
Ou du moins vous nous croyez tels, et nous aussi ; mais cette petitesse réelle ou fausse ne nous est venue que depuis que nous avons mis le pied sur vos terres.
En êtes-vous bien sûr ? (À part.) Cela ressemblerait à l’article dont il est fait mention dans nos registres.
Je vous dis la vérité.
Petit bonhomme, veuille le ciel que vous ne vous trompiez pas, et que ce soit mon semblable que j’embrasse dans une créature pourtant si méconnaissable ! Vous me pénétrez de compassion pour vous. Quoi ! vous seriez un homme ?
Hélas ! oui.
Eh ! qui vous a donc mis dans l’état où vous êtes ?
LE POÈTE
Je n’en sais ma foi rien.
Ne serait-ce pas que vous seriez déchu de la grandeur d’une créature raisonnable ? Ne porteriez-vous pas la peine de vos égarements ?
Mais, seigneur Blectrue, je ne les connais pas ; ne serait-ce pas plutôt un coup de magie ?
Je n’y connais point d’autre magie que vos faiblesses.
Croyez-vous, mon cher ami ?
N’en doutez point, mon cher : j’ai des raisons pour vous dire cela, et je me sens saisi de joie, puisque vous commencez à le soupçonner vous-même. Je crois vous reconnaître à travers le déguisement humiliant où vous êtes : oui, la petitesse de votre corps n’est qu’une figure de la petitesse de votre âme.
Eh bien ! seigneur Blectrue, charitable insulaire, conduisez-moi, je me remets entre vos mains ; voyez ce qu’il faut que je fasse. Hélas ! je sais que l’homme est bien peu de chose.
C’est le disciple des dieux, quand il est raisonnable ; c’est le compagnon des bêtes quand il ne l’est point.
Cependant, quand j’y songe, où sont mes folies ?
Ah ! vous retombez en arrière.
Je ne saurais me voir définir le compagnon des bêtes.
Je ne dis pas encore que ma définition vous convienne ; mais voyons : que faisiez-vous dans le pays dont vous êtes ?
Vous n’avez point dans votre langue de mot pour définir ce que j’étais.
Tant pis. Vous étiez donc quelque chose de bien étrange ?
Non, quelque chose de très honorable ; j’étais homme d’esprit et bon poète.
Poète ! est-ce comme qui dirait marchand ?
Non, des vers ne sont pas une marchandise, et on ne peut pas appeler un poète un marchand de vers. Tenez, je m’amusais dans mon pays à des ouvrages d’esprit, dont le but était, tantôt de faire rire, tantôt de faire pleurer les autres.
Des ouvrages qui font pleurer ! cela est bien bizarre.
On appelle cela des tragédies, que l’on récite en dialogues, où il y a des héros si tendres, qui ont tour à tour des transports de vertu et de passion si merveilleux ; de nobles coupables qui ont une fierté si étonnante, dont les crimes ont quelque chose de si grand, et les reproches qu’ils s’en font sont si magnanimes ; des hommes enfin qui ont de si respectables faiblesses, qui se tuent quelquefois d’une manière si admirable et si auguste, qu’on ne saurait les voir sans en avoir l’âme émue, et pleurer de plaisir. Vous ne me répondez rien ?
Voilà qui est fini, je n’espère plus rien ; votre espèce me devient plus problématique que jamais. Quel pot pourri de crimes admirables, de vertus coupables et de faiblesses augustes ! il faut que leur raison ne soit qu’un coq-à-l’âne. Continuez.
Et puis, il y a des comédies où je représentais les vices et les ridicules des hommes.
Ah ! je leur pardonne de pleurer là.
Point du tout ; cela les faisait rire.
Hem ?
Je vous dis qu’ils riaient.
Pleurer où l’on doit rire, et rire où l’on doit pleurer ! les monstrueuses créatures !
Ce qu’il dit là est assez plaisant.
Et pourquoi faisiez-vous ces ouvrages ?
Pour être loué, et admiré même, si vous voulez.
Vous aimiez donc bien la louange ?
Eh mais, c’est une chose très gracieuse.
J’aurais cru qu’on ne la méritait plus quand on l’aimait tant.
Ce que vous dites là peut se penser.
Eh ! quand on vous admirait, et que vous croyiez en être digne, alliez-vous dire aux autres : je suis un homme admirable ?
Non, vraiment ; cela ne se dit point : j’aurais été ridicule.
Ah ! j’entends. Vous cachiez que vous étiez un ridicule, et vous ne l’étiez qu'incognito.
Attendez donc, expliquons-nous ; comment l’entendez-vous ? je n’aurais donc été qu’un sot, à votre compte ?
Un sot admiré ; dans l’éclaircissement, voilà tout ce qu’on y trouve.
Il semblerait qu’il dit vrai.
N’êtes-vous pas de mon sentiment ? voyez-vous cela comme moi ?
LE POÈTE
Oui, assez ; et en même temps je sens un mouvement intérieur que je ne puis expliquer.
Je crois voir aussi quelque changement à votre taille. Courage, petit homme, ouvrez les yeux.
LE POÈTE
Souffrez que je me retire ; je veux réfléchir tout seul sur moi-même : il y a effectivement quelque chose d’extraordinaire qui se passe en moi.
Allez, mon fils, allez ; faites de sérieuses réflexions sur vous ; tâchez de vous mettre au fait de toute votre sottise. Ce n’est pas là tout, sans doute, et nous nous reverrons, s’il le faut.
Scène XI
modifierBLECTRUE
Je suis charmé, mes espérances renaissent, il faut voir les autres. Y a-t-il quelqu’un ?
Scène XII
modifierBLECTRUE, MÉGISTE
Faites-moi voir la plus grande de ces petites créatures.
MÉGISTE
Vous savez qu’on les a toutes mises chacune dans une cage. Amènerai-je celle que vous demandez dans la sienne ?
Eh bien ! amenez-la comme elle est.
Scène XIII
modifierBLECTRUE seul
Je veux voir pourquoi elle n’est pas si petite que les autres ; cela pourra encore m’apprendre quelque chose sur leur espèce. Quelle joie de les voir semblables à nous !
Scène XIV
modifierBLECTRUE, MÉGISTE, suite, BLAISE, en cage.
Parlez donc, noute ami Blectrue : eh ! morgué, est-ce qu’on nous prend pour des oisiaux ? avons-je de la pleume pour nous tenir en cage ? Je sis là comme une volaille qu’on va mener vendre à la vallée. Mettez-moi donc plutôt dindon de basse-cour.
Ne tient-il qu’à vous ouvrir votre cage pour vous rendre content ? tenez, la voilà ouverte.
Ah ! pargué, faut que vous radotiez, vous autres, pour nous enfarmer. Allons, de quoi s’agit-il ?
Vous n’êtes, dit-on, devenus petits qu’en entrant dans notre île. Cela est-il vrai ?
Tenez, velà l’histoire de noute taille. Dès le premier pas ici, je me suis aparçu dévaler jusqu’à la ceinture ; et pis, en faisant l’autre pas, je n’allais pus qu’à ma jambe ; et pis je me sis trouvé à la cheville du pied.
Sur ce pied-là, il faut que vous sachiez une chose.
Deux, si vous voulez.
Il y a deux siècles qu’on prit ici de petites créatures comme vous autres.
Voulez-vous gager que je sommes dans leur cage ?
On les traita comme vous ; car ils n’étaient pas plus grands ; mais ensuite ils devinrent tout aussi grands que nous.
Eh ! morgué, depuis six mois j’épions pour en avoir autant : apprenez-moi le secret qu’il faut pour ça. Pargué, si jamais voute chemin s’adonne jusqu’à Passy, vous varrez un brave homme ; je trinquerons d’importance. Dites-moi ce qu’il faut faire.
Mon petit mignon, je vous l’ai déjà dit, rien que devenir raisonnable.
Quoi ! cette marmaille guarit par là ?
Oui. Apparemment qu’elle ne l’était pas ; et sans doute vous êtes de même ?
Eh ! palsangué, velà donc mon compte de tantôt avec les échelons du Gascon ; velà ce que c’est ; ous avez raison, je ne sis pas raisonnable.
Que cet aveu-là me fait plaisir ! Mon petit ami, vous êtes dans le bon chemin. Poursuivez.
Non, morgué ! je n’ons point de raison, c’est ma pensée. Je ne sis qu’un nigaud, qu’un butor, et je le soutianrons dans le carrefour, à son de trompe, afin d’en être pus confus ; car, morgué ! ça est honteux.
Fort bien. Vous pensez à merveille. Ne vous lassez point.
Oui, ça va fort bian. Mais parlez donc : cette taille ne pousse point.
Prenez garde ; l’aveu que vous faites de manquer de raison n’est peut-être pas comme il faut : peut-être ne le faites-vous que dans la seule vue de rattraper votre figure ?
Eh ! vrament non.
Ce n’est pas assez. Ce ne doit pas être là votre objet.
Pargué ! il en vaut pourtant bian la peine.
Eh ! mon cher enfant, ne souhaitez la raison que pour la raison même. Réfléchissez sur vos folies pour en guérir ; soyez-en honteux de bonne foi : c’est de quoi il s’agit apparemment.
Morgué ! me velà bian embarrassé. Si je savions écrire, je vous griffonnerions un petit mémoire de mes fredaines ; ça serait pus tôt fait. Encore ma raison et mon impartinence sont si embarrassées l’une dans l’autre, que tout ça fait un ballot où je ne connais pus rian. Traitons ça par demande et par réponse.
Je ne saurais ; car je n’ai presque point l’idée de ce que vous êtes. Mais repassez cela vous-même, et excitez-vous à aimer la raison.
Ah ! jarnigué, c’est une balle chose, si alle n’était pas si difficile !
Voyez la douceur et la tranquillité qui règnent parmi nous ; n’en êtes-vous pas touché ?
Ça est vrai ; vous m’y faites penser. Vous avez des faces d’une bonté, des physolomies si innocentes, des cœurs si gaillards…
C’est l’effet de la raison.
C’est l’effet de la raison ? Faut qu’alle soit d’un grand rapport ! Ça me ravit d’amiquié pour alle. Allons, mon ami, je ne vous quitte pus. Me velà honteux, me velà enchanté, me velà comme il faut. Baillez-moi cette raison, et gardez ma taille. Oui, mon ami, un homme de six pieds ne vaut pas une marionnette raisonnable ; c’est mon darnier mot et ma darnière parole. Eh ! tenez, tout en vous contant ça, velà que je sis en transport. Ah ! morgué, regardez-moi bian ! Iorgnez-moi ; je crois que je hausse. Je ne sis pus à la cheville de voute pied, j’attrape voute jarretière.
Oh ! Ciel ! quel prodige ! ceci est sensible.
Ah ! Garnigoi, velà que ça reste là.
Courage. Vous n’aimez pas plus tôt la raison, que vous en êtes récompensé.
Ça est vrai ; j’en sis tout stupéfait : mais faut bian que je ne l’aime pas encore autant qu’alle en est daigne ; ou bian, c’est que je ne mérite pas qu’alle achève ma délivrance. Acoutez-moi. Je vous dirai que je suis premièrement un ivrogne : parsonne n’a siroté d’aussi bon appétit que moi. J’ons si souvent pardu la raison, que je m’étonne qu’alle puisse me retrouver alle-même.
Ah ! que j’ai de joie ! Ce sont des hommes, voilà qui est fini. Achevez, mon cher semblable, achevez ; encore une secousse.
Hélas ! j’avons un tas de fautes qui est trop grand pour en venir à bout : mais, quant à ce qui est de cette ivrognerie, j’ons toujours fricassé tout mon argent pour elle : et pis, mon ami, quand je vendions nos denrées, combian de chalands n’ons-je pas fourbé, sans parmettre aux gens de me fourber itou ! ça est bian malin !
À merveille.
Et le compère Mathurin, que n’ons-je pas fait pour mettre sa femme à mal ? Par bonheur qu’alle a toujours été rudanière1 envars moi ; ce qui fait que je l’en remarcie : mais, dans la raison, pourquoi vouloir se ragoûter de l’honneur d’un compère, quand on ne voudrait pas qu’il eût appétit du nôtre ?
Comme il change à vue d’œil !
Hélas ! oui, ma taille s’avance ; et c’est bian de la grâce que la raison me fait ; car je sis un pauvre homme. Tenez, mon ami ; j’avais un quarquier de vaigne avec un quarquier de pré ; je vivions sans ennui avec ma sarpe et mon labourage ; le capitaine Duflot viant là-dessus, qui me dit comme ça : Blaise, veux-tu me sarvir dans mon vaissiau ? Veux-tu venir gagner de l’argent ? Ne velà-t-il pas mes oreilles qui se dressont à ce mot d’argent, comme les oreilles d’une bourrique ? Velà-t-il pas que je quitte, sauf votre respect, bétail, amis, parents ? Ne vas-je pas m’enfarmer dans cette baraque de planches ? Et pis le temps se fâche, velà un orage, l’iau gâte nos vivres ; il n’y a pus ni pâte ni faraine. Eh ! qu’est-ce que c’est que ça ? En pleure, en crie, en jure, en meurt de faim ; la baraque enfonce ; les poissons mangeont Monsieur Duflot, qui les aurait bian mangé li-même. Je nous sauvons une demi-douzaine. Je repetissons en arrivant. Velà tout l’argent que me vaut mon équipée. Mais morgué j’ons fait connaissance avec cette raison, et j’aime mieux ça que toute la boutique d’un orfèvre. Tenez, tenez, ami Blectrue, considérez ; velà encore une crue qui me prend : on dirait d’un agioteux, je devians grand tout d’un coup ; me velà comme j’étais !
Vous ne sauriez croire avec quelle joie je vois votre changement.
Vartigué ! que je vas me moquer de mes camarades ! que je vas être glorieux ! que je vas me carrer2 !…
Ah ! que dites-vous là, mon cher ? Quel sentiment de bête ! Vous redevenez petit.
Eh ! morgué, ça est vrai ; me velà rechuté, je raccourcis. À moi ! à moi ! Je me repens. Je demande pardon. Je fais vœu d’être humble. Jamais pus de vanité, jamais… Ah… ah, ah, ah… Je retorne !
N’y revenez plus.
Le bon secret que l’humilité pour être grand ! Qui est-ce qui dirait ça ? Que je vous embrasse, camarade. Mon père m’a fait, et vous m’avez refait.
Ménagez-vous donc bien désormais.
Oh ! morgué, de l’humilité, vous dis-je. Comme cette gloire mange la taille ! Oh ! je n’en dépenserai pus en suffisance.
Il me tarde d’aller porter cette bonne nouvelle-là au roi.
Mais dites-moi, j’ons piquié de mes pauvres camarades ; je prends de la charité pour eux. Ils valont mieux que moi : je sis le pire de tous ; faut les secourir ; et tantôt, si vous voulez, je leur ferai entendre raison. Drès qu’ils me varront, ma présence les sarmonnera ; faut qu’ils devenient souples, et qu’ils restient tous parclus d’étonnement.
Vous raisonnez fort juste.
Vrament grand marci à vous.
Vous vaudrez mieux qu’un autre pour les instruire ; vous sortez du même monde, et vous aurez des lumières que je n’ai point.
Oh ! que vous n’avez point ! ça vous plaît à dire. C’est vous qui êtes le soleil, et je ne sis pas tant seulement la leune auprès de vous, moi : mais je ferons de mon mieux, à moins qu’ils me rebutiont à cause de ma chétive condition.
Comment, chétive condition ? Vous m’avez dit que vous étiez un laboureur.
Et c’est à cause de ça.
Et ils vous mépriseraient ! Oh ! raison humaine, peut-on t’avoir abandonné jusque-là ! Eh bien ! tirons parti de leur démence sur votre chapitre ; qu’ils soient humiliés de vous voir plus raisonnable qu’eux, vous dont ils font si peu de cas.
Et qui ne sais ni B, ni A. Morgué ! faudrait se mettre à genoux pour écouter voute bon sens. Mais je pense que velà un de nos camarades qui viant.
Scène XV
modifierBLECTRUE, MÉGISTE, BLAISE, FONTIGNAC
Seigneur Blectrue, en voilà un qui veut absolument vous parler.
Scène XVI
modifierBLECTRUE, BLAISE, FONTIGNAC
Sandis ! maître Blaise, n’ai-jé pas la verlue ! Etés-bous l’éperlan dé tantôt ?
Oui, frère, velà le poulet qui viant de sortir de sa coquille.
Il ne tiendra qu’à vous qu’il vous en arrive autant, petit bonhomme.
Eh ! cadédis, jé m’en meurs, et jé vénais en consultation là-dessus.
Tenez, il en sait le moyen, lui ; et je vous laisse ensemble.
Scène XVII
modifierFONTIGNAC, BLAISE
Allons, mon ami, jé rémets lé pétit goujon entré vos mains ; jé vous en récommandé la métamorphose.
Il n’y a rian de si aisé. Boutez de la raison là-dedans ; et pis, zeste, tout le corps arrive.
Comment, dé la raison ! Tantôt nous avons donc déviné juste !
Oui, j’avions mis le nez dessus. Il n’y a qu’à être bian persuadé qu’ou êtes une bête, et déclarer en quoi.
Uné bêté ? Né pourrait-on changer l’épithéte ? Ce n’est pas que j’y répugne.
Nenni, morgué ! c’est la plus balle pensée qu’ou aurez de voute vie.
Écoutez-moi, galant homme ; n’est-cé pas ses imperfétions qu’il faut réconnaîtré ?
Fort bian.
Eh donc ! la bêtise n’est pas dé mon lot. Cé n’est pas là qué gît mon mal : c’était lé vôtre ; chacun a lé sien. Jé né prétends pourtant pas mé ménager, car jé né m’estimé plus ; mais dans la réflétion, jé mé trouvé moins imvécile qu’impertinent, moins sot qué fat.
Bon, morgué ! c’est ce que je voulons dire : ça va grand train. Il baille appétit de s’accuser, ce garçon-là. Est-ce là tout ?
Non, non : mettez qué jé suis mentur.
Sans doute, puisqu’ou êtes Gascon ; mais est-ce par couteume ou par occasion ?
Entré nous, tout mé sert d’occasion ; ainsi comptez pour habitude.
Qu’est-ce que c’est que ça ? Un homme qui ment, c’est comme un homme qui a pardu la parole.
Comment ça sé fait-il ? car jé suis mentur et vavillard en même temps.
N’importe, maugré qu’ou soyez bavard, mon dire est vrai ; c’est que ceti-là qui ment ne dit jamais la parole qu’il faut, et c’est comme s’il ne sonnait mot.
Jé né hais pas cetté pensée ; elle est fantasque.
Revenons à vos misères. Retornez vos poches. Montrez-moi le fond du sac.
Jé mé réproché d’avoir été empoisonnur.
Oh ! pour de ceti-là, il me faut du conseil ; car faura peut-être vous étouffer pour vous guarir, voyez-vous ! et je sis obligé d’en avartir les habitants.
Cé n’est point lé corps qué j’empoisonnais, jé faisais mieux.
C’est peut-être les rivières ?
Non : pis qué tout céla.
Eh ! morgué, parlez vite.
C’est l’esprit des hommes qué jé corrompais ; jé les rendais avugles ; en un mot, j’étais un flattur.
Ah ! patience ; car d’abord voute poison avait bian mauvaise meine ; mais ça est épouvantable, et je sis tout escandalisé.
Jé mé détesté. Imaginez-vous qué du ridiculé dé mon maîtré, il en a plus dé moitié dé ma façon.
Faut bian soupirer de cette affaire-là.
J’en respiré à peine.
Vous allez donc hausser.
Jé n’en douté pas à cé qué jé sens. Suivez-moi, jé veux qué lé prodigé éclaté aux yeux de Spinetté et dé mon maîtré. N’attendons pas, courons ; jé suis pressé.
Allons vite, et faisons que tous nos camarades aient leur compte.