Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Tome 15p. 79-102).


CHAPITRE VII.

LE COMTE ET LA COMTESSE.


C’est lui qui, arbitre des vents qui l’agitent, gouverne la cour ; il en règle le flux et le reflux, en connaît tous les écueils cachés et tous les perfides détours : c’est lui dont le regard abaisse, dont le sourire exalte. Il brille comme un arc-en-ciel… et peut-être son éclat sera-t-il aussi passager.
Ancienne Comédie.


La lutte que la comtesse avait eue à soutenir contre Varney avait répandu sur son front quelque teinte de déplaisir et de confusion ; mais ce nuage fit bientôt place à l’expression de la joie et de l’affection la plus pure, quand, se précipitant dans les bras du noble étranger qui entrait, et le pressant sur son sein, elle s’écria : « Enfin… enfin, te voilà ! »

Varney se retira discrètement quand son maître entra, et Jeannette en allait faire autant, quand sa maîtresse lui fit signe de rester. Elle prit sa place à l’extrémité la plus éloignée de la pièce, et s’y tint debout, toute prête à obéir au premier ordre.

Cependant le comte (car ce n’était pas moins qu’un comte) rendait à son épouse ses caresses avec toute l’ardeur de la passion ; mais il affecta de résister quand elle voulut lui retirer son manteau.

« Laissez, dit-elle, que je vous ôte votre manteau. Je veux voir si vous m’avez tenu parole, et si vous venez dans votre costume de grand comte, comme on vous appelle, et non comme vous l’avez fait jusqu’ici en simple cavalier.

— Tu es bien comme toutes les autres, Amy[1], » dit le comte en se laissant vaincre dans cette lutte enfantine ; « les joyaux, les plumes et la soie sont plus à leurs yeux que l’homme qui les porte… Plus d’une mauvaise épée fait de l’effet dans un fourreau de velours.

— Mais c’est ce qu’on ne peut dire de toi, mon noble comte, » dit son épouse lorsque son manteau tomba par terre et lui fit voir le comte dans le costume d’un prince en tournée : « tu es comme le bon acier, l’acier éprouvé, qui, par sa qualité, mérite, mais dédaigne les ornements extérieurs. Ne crois pas qu’Amy puisse t’aimer davantage sous cette brillante parure, qu’elle ne fit quand elle donna son cœur à l’homme en manteau brun qui se présenta à elle dans les bois de Devon.

— Et toi aussi, » dit le comte en conduisant, avec autant de grâce que de majesté, la belle comtesse vers le fauteuil d’apparat qui avait été disposé pour eux deux ; « et toi aussi, mon amour, tu as mis un costume, qui sied à ton rang, mais qui ne peut ajouter à ta beauté. Que penses-tu du goût de notre cour ? »

La comtesse, en passant devant la grande glace y jeta un regard furtif, et dit : « Je ne sais pourquoi, mais je ne pense plus à ma personne quand je regarde ton image dans cette glace. Assieds-toi là, » ajouta-t-elle quand elle fut près du fauteuil, « comme un être que les hommes doivent honorer et admirer.

— Oui, mon amour, mais à condition que tu partageras ma gloire.

— Non, dit la comtesse, je m’assiérai sur ce tabouret, à tes pieds, afin que je puisse contempler ta splendeur à mon aise, et apprendre pour la première fois comment se mettent les princes. »

Puis avec un étonnement enfantin, que sa jeunesse et la simplicité de son éducation rendaient non seulement excusable, mais même gracieux, étonnement auquel se mêlait une expression délicate de l’affection conjugale la plus tendre, elle se mit à examiner et à admirer des pieds à la tête le noble extérieur et le magnifique costume du personnage qui faisait le plus bel ornement de la cour de la reine vierge d’Angleterre, aussi renommée pour l’élégance de ses courtisans que pour la sagesse de ses conseillers. Le comte regardait avec affection son aimable épouse et jouissait de son admiration sans réserve ; son œil noir et ses nobles traits exprimaient des passions plus douces que la fierté et l’ambition, qui d’ordinaire siégeaient sur son front altier et éclataient dans son regard perçant, et il souriait de la naïveté d’expression avec laquelle elle lui faisait mille questions au sujet des différents ornements qui composaient sa parure.

« Cette courroie brodée, comme tu l’appelles, qui entoure mon genou, dit-il, c’est la Jarretière d’Angleterre, décoration que les rois sont fiers de porter. Voici l’étoile qui s’y rattache, et ici le diamant George, qui est le joyau de l’ordre. Vous avez entendu dire comment le roi Édouard et la comtesse de Salisbury…

— Oh ! je connais toute cette histoire, » dit la comtesse en rougissant légèrement, « et je sais comment la jarretière d’une dame est devenue l’emblème le plus glorieux de la chevalerie anglaise.

— Il l’est encore, dit le comte, et j’ai eu la bonne fortune de recevoir cet ordre honorable en même temps que trois de ses plus illustres membres, le duc de Norfolk, le marquis de Northampton et le comte de Rutland. J’étais le moins élevé en dignité… mais, qu’importe ?… Celui qui veut monter à une échelle doit commencer par le premier échelon.

— Mais cet autre beau collier si richement travaillé, au milieu duquel est suspendu un bijou qui ressemble à un mouton ? Que signifie cet emblème ?

— Ce collier, répondit-il, avec ses doubles fusées entremêlées de cailloux destinés à représenter des étincelles, et qui soutient le bijou dont vous parlez, est l’ordre illustre de la Toison-d’Or, qui appartenait autrefois à la maison de Bourgogne. De grands privilèges, Amy, sont attachés à cet ordre, car le roi d’Espagne lui-même, qui a succédé aux honneurs et aux domaines des ducs de Bourgogne, ne peut pas mettre en jugement un chevalier de la Toison-d’Or sans l’assistance et le consentement du grand chapitre de l’ordre.

— Et cet ordre appartient au cruel roi d’Espagne ? dit la comtesse. Hélas ! mon cher seigneur, il y a de quoi souiller votre noble cœur anglais en portant un pareil emblème. Reportez-vous au temps malheureux de la reine Marie, à cette époque où ce même Philippe régnait avec elle sur l’Angleterre ; rappelez-vous ces bûchers qui furent élevés pour nos plus nobles, nos plus sages prélats… Et vous, qu’on appelle le porte-étendard de la vraie foi protestante, vous vous enorgueillissez de porter les emblèmes d’un tyran papiste tel que le roi d’Espagne !

— Oh, mon amour ! répondit le comte, nous qui ouvrons nos voiles au vent des faveurs de la cour, nous ne pouvons pas toujours déployer les bannières que nous préférons, ni refuser de naviguer sous des couleurs que nous n’aimons pas. Croyez-moi, je n’en suis pas moins bon protestant pour avoir, par politique, accepté l’honneur que m’a fait l’Espagne de m’admettre dans son premier ordre de chevalerie. D’ailleurs il appartient réellement à la Flandre ; et Seymour, Orange et leurs adhérents sont fiers de le voir figurer sur la poitrine d’un Anglais.

— Milord, vous savez mieux que personne ce que vous avez à faire. Et cet autre collier, ce joyau si brillant, à quel pays appartient-il ?

— À un pays bien pauvre, mon amour ; c’est l’ordre de Saint-André, rétabli par le dernier des Jacques d’Écosse. Il me fut donné lorsqu’on crut que la jeune reine douairière de France et d’Écosse serait flattée d’épouser un baron anglais ; mais la couronne indépendante d’un baron anglais vaut bien une couronne royale dépendante du caprice d’une femme, surtout d’une femme qui ne possédait que les rocs et les marais stériles du nord.

La comtesse s’arrêta, comme si ce que venait de dire son époux eût éveillé en elle quelque pensée à la fois pénible et touchante ; et comme elle continuait à garder le silence, le comte poursuivit :

« Maintenant, ma bien-aimée, vos désirs sont satisfaits : vous avez vu votre vassal en costume aussi brillant que peut l’être un costume de voyage ; pour les robes d’apparat et les couronnes, elles ne se portent qu’au salon.

— Eh bien ! dit la comtesse, ce désir satisfait, suivant l’usage, en a fait naître un autre.

— Et que peux-tu me demander que je te puisse refuser ? » répondit son époux avec tendresse.

« Je désirais voir mon noble comte visiter cette obscure et mystérieuse retraite dans ce brillant costume de prince ; maintenant je voudrais me trouver dans un de ses salons, et le voir entrer vêtu du modeste manteau brun qu’il portait quand il gagna le cœur de la pauvre Amy Robsart.

— C’est un désir facile à satisfaire, dit le comte ; demain le modeste manteau brun reparaîtra devant vous si vous le voulez.

— Mais irai-je avec vous dans un de vos châteaux, pour voir comment la richesse de votre demeure s’accordera avec votre habillement de paysan ?

— Eh quoi ! Amy, » dit le comte en jetant les yeux autour de lui, « ces appartements ne sont-ils pas décorés avec assez de magnificence ? J’ai donné les ordres les plus illimités, et il me semble que j’ai été assez bien obéi… Mais si tu peux m’indiquer quelque chose qui reste encore à faire, je donnerai sur-le-champ des instructions à cet égard.

— Ah, milord ! vous vous moquez de moi ; la beauté de ces appartements surpasse tout ce que je pouvais m’imaginer, comme elle est au dessus de ce que je mérite ; mais votre femme, mon amour, ne sera-t-elle pas du moins un jour entourée d’un éclat qui ne proviendra ni du travail mécanique de l’artiste qui décore son appartement, ni des riches étoffes et des joyaux dont votre générosité veut bien la parer ? d’un éclat digne du rang qu’elle occupe parmi les dames anglaises, en sa qualité d’épouse avouée du noble comte de l’Angleterre ?

— Un jour… dit le comte ; oui, Amy, mon amour, cela arrivera certainement un jour ; et, sois-en persuadée, tu ne peux pas désirer ce jour plus ardemment que moi. Avec quel plaisir j’abandonnerais les affaires, les soucis et les fatigues de l’ambition, pour passer mes jours honorablement au sein de mes vastes domaines avec toi pour amie et pour compagne ! Mais, Amy, cela ne peut pas être ; et ces tendres mais furtives entrevues sont tout ce que je puis accorder à la femme la plus aimable et la plus aimée.

— Mais pourquoi cela ne peut-il pas être ? » ajouta la comtesse avec le ton de la plus douce persuasion ; « pourquoi ne peut-elle pas commencer dès à présent, cette union plus parfaite, cette union sans interruption que vous dites désirer et que commandent les lois divines et humaines ? Ah ! si vous le désiriez la moitié autant que vous le dites, puissant comme vous l’êtes, qui pourrait empêcher l’accomplissement de vos désirs ? »

Le front du comte s’obscurcit.

« Amy, vous parlez de choses que vous ne comprenez pas. Nous autres, qui usons notre vie dans les cours, nous ressemblons à ceux qui gravissent une montagne de sable ; nous n’osons pas faire halte avant qu’une saillie de rocher nous offre un point d’appui solide pour nous reposer : si nous nous arrêtons plus tôt, nous glissons entraînés par notre propre poids, et nous devenons l’objet d’une dérision universelle. Je suis arrivé très haut, mais je ne suis pas encore assez solidement assis pour suivre mon inclination. Déclarer mon mariage, ce serait préparer ma ruine. Mais, croyez-moi, je parviendrai à un point, et ce sera bientôt, où je pourrai vous rendre justice ainsi qu’à moi. En attendant n’empoisonnez pas notre bonheur actuel en souhaitant ce qui ne peut avoir lieu à présent. Apprenez-moi plutôt si tout ici se fait à votre gré. Comment Foster se comporte-t-il envers vous ? Il se montre toujours respectueux, j’espère ; autrement le drôle me le paierait cher.

— Il me rappelle quelquefois la nécessité de ma solitude, » répondit la comtesse en soupirant ; « mais c’est me rappeler vos désirs, et je suis plutôt disposée à lui en savoir gré qu’à l’en blâmer.

— Je vous ai informée de la triste nécessité qui pèse sur nous, répliqua le comte ; Foster, à ce que j’ai remarqué, est d’une humeur assez désagréable, mais Varney me répond de sa fidélité et de son dévouement. Si pourtant tu as à te plaindre en quoi que ce soit de la manière dont il remplit ses devoirs, il en sera puni.

— Oh ! je n’ai nullement à m’en plaindre, tant qu’il vous sert fidèlement ; et puis sa fille Jeannette est pour moi une compagne fort agréable dans ma solitude : son petit air précisien lui sied parfaitement.

— S’il en est ainsi, dit le comte, celle qui vous donne tant de satisfaction ne doit pas rester sans récompense. Approchez, jeune fille.

— Jeannette, dit la comtesse, venez près de milord. »

Jeannette qui, comme nous l’avons dit plus haut, s’était retirée par discrétion à quelque distance, afin que sa présence ne gênât pas son maître et sa maîtresse dans leur conversation, s’approcha, et quand elle fit sa révérence, le comte ne put s’empêcher de sourire du contraste que l’extrême simplicité de sa mise et sa gravité étudiée formaient avec sa jolie figure et ses deux yeux noirs singulièrement animés en dépit de ses efforts pour garder son sérieux.

« Je vous dois des remercîmenis, ma charmante demoiselle, pour la satisfaction que vos services procurent à milady. » À ces mots il ôta de son doigt une bague de quelque prix, et l’offrit à Jeannette Foster en ajoutant : « Portez cela pour l’amour d’elle et de moi.

— Je suis bien charmée, milord, » répondit Jeannette avec gravité, « que mes faibles services aient été agréables à milady dont personne ne peut approcher sans désirer de lui plaire ; mais nous qui appartenons à la pieuse congrégation de M. Holdforth, nous ne nous soucions pas, comme les élégantes filles du monde, de porter de l’or à nos doigts et des pierres précieuses à notre cou, de même que les femmes vaniteuses de Tyr et de Sidon.

— Oh, oh ! vous êtes un des graves docteurs de la confrérie des Précisiens, aimable Jeannette, et je crois que votre père est un des membres zélés de cette congrégation. Je ne vous en aime que mieux tous les deux, car je sais qu’on a prié et fait des vœux pour moi dans votre assemblée. Du reste, vous pouvez d’autant mieux vous parer d’ornements, mademoiselle, que vos doigts sont charmants et que votre cou est d’une blancheur éclatante. Mais voici ce que ni papiste, ni puritain, ni latitudinaire, ni précisien, n’ont jamais craint ni dédaigné d’accepter : prenez-le aussi, mon enfant, et employez-le comme il vous plaira. »

En disant ces mots il lui mit dans la main cinq larges pièces d’or à l’effigie de Philippe et de Marie.

« Je n’accepterais pas davantage cet or, dit Jeannette, si je n’espérais lui trouver un emploi qui attirât sur nous les bénédictions du ciel.

— Fais-en ce que tu voudras, charmante Jeannette, dit le comte, je le trouverai toujours bon Mais, je te prie, fais-nous servir promptement le souper.

— J’ai invité M. Varney et M. Foster à souper avec nous, milord, » dit la comtesse au moment où Jeannette sortait pour exécuter les ordres du comte ; « m’approuvez-vous ?

— J’approuverai toujours ce que vous faites, Amy, répondit son époux, et je suis d’autant plus charmé que vous leur ayez accordé cette faveur, que Richard Varney est un homme tout à moi, et qui est de moitié dans tous mes secrets conseils. Quant à Antony Foster, pour le présent, je suis forcé de lui donner ma confiance.

— J’ai une grâce à vous demander et un secret à vous apprendre, mon ami, » dit la comtesse d’un ton d’hésitation.

« Remettons cela à demain, mon amour, dit le comte. J’entends ouvrir la porte de la salle à manger ; et comme j’ai cheminé vite et long-temps, un verre de vin ne me sera pas désagréable. »

En parlant ainsi, il conduisit son aimable épouse dans les pièces voisines où Varney et Foster les reçurent en leur faisant les plus profondes révérences, le premier avec la grâce d’un homme de cour, le second à la manière de sa congrégation. Le comte répondit avec la politesse insouciante d’un homme dès long-temps habitué à de semblables hommages, tandis que la comtesse les leur rendit avec une politesse minutieuse qui montrait qu’elle n’y était pas aussi accoutumée.

Le repas qui réunit ces quatre personnages répondait à la magnificence de l’appartement où il était servi ; mais aucun domestique n’y figura. Jeannette seule était là, prête à satisfaire aux demandes des convives ; d’ailleurs la table était si bien pourvue de tout ce qu’on pouvait désirer, que toute son assistance était pour ainsi dire inutile. Le comte et son épouse occupaient le haut bout de la table, Varney et Foster étaient au dessous de la salière, selon la coutume des inférieurs. Ce dernier, intimidé peut-être par une société à laquelle il n’était nullement habitué, ne prononça pas une seule syllabe pendant tout le repas. Varney, au contraire, avec beaucoup de tact et de discernement, soutint la conversation tout juste autant qu’il fallait pour l’empêcher de languir sans avoir l’air de s’en emparer, et entretint au plus haut degré la gaité du comte. Cet homme possédait vraiment toutes les qualités nécessaires pour remplir le rôle qui lui avait été confié : à la discrétion et à la prudence il joignait un esprit singulièrement subtil et inventif. Aussi la comtesse elle-même, toute prévenue qu’elle était contre lui sous beaucoup de rapports, trouvait-elle un vif plaisir à sa conversation, et elle fut plus que jamais disposée à unir ses éloges à ceux que prodiguait le comte à son favori. L’heure du repos étant arrivée, le comte et son épouse se retirèrent dans leur appartement, et le plus profond silence régna dans le château pendant le reste de la nuit.

Le lendemain de bonne heure, Varney remplit auprès de son maître les fonctions de chambellan ainsi que d’écuyer, quoique cette dernière charge fût proprement la sienne dans cette splendide maison où les chevaliers et les gentilshommes de bonne naissance étaient aussi glorieux de remplir ces emplois inférieurs que si c’eût été dans celle du souverain. Les devoirs de ces deux charges étaient familiers à Varney qui, issu d’une famille ancienne, mais ruinée, avait été page du comte quand il était encore dans l’obscurité. Fidèle à son maître dans l’adversité, il avait su lui être non moins utile dans sa rapide et brillante fortune, de sorte que son crédit près du comte reposant sur ses services présents et passés, il était devenu pour lui un confident presque indispensable.

« Aide-moi à mettre un costume plus simple, Varney, » dit le comte en ôtant sa robe de chambre de soie à fleurs, doublée de zibeline, « et mets en lieu de sûreté ces chaînes et ces colliers, » ajoula-t-il en montrant les insignes de ses différents ordres qui étaient sur la table ; « hier soir leur poids me rompait presque le cou. Je suis tenté de ne plus m’en embarrasser. Ce sont des liens que les coquins ont inventés pour enchaîner les fous. Qu’en penses-tu, Varney ?

— Ma foi, mon bon maître, je pense que les chaînes d’or ne sont point comme les autres chaînes : plus elles sont pesantes, plus elles sont agréables.

— Cependant, Varney, je suis presque résolu à briser le lien par lequel elles m’attachent à la cour. Quel poste plus élevé, quelle plus haute faveur peut-il en résulter pour moi que le rang et la fortune où je suis parvenu ?… Qu’est-ce qui a conduit mon père à l’échafaud, si ce n’est son ambition qu’il n’a pas su contenir dans les limites de la raison et de l’équité ? Moi-même, je le sais, j’ai couru aussi des risques ; j’ai été parfois sur le bord de l’abîme : oui, je suis presque résolu à ne plus braver la mer et à m’asseoir tranquillement sur le rivage.

— Pour y ramasser des coquillages avec l’aide de don Cupidon ? dit Varney.

— Que veux-tu dire, Varney ? » reprit le comte avec quelque vivacité.

« Ne m’en voulez pas, milord. Si Votre Seigneurie trouve un tel bonheur dans la société d’une épouse aussi aimable, que, pour en jouir avec plus de liberté, elle veuille renoncer à tout ce qui a composé jusqu’à présent son existence, quelques-uns de ses pauvres serviteurs pourront en souffrir ; mais votre bonté m’a comblé de tant de bienfaits que j’en aurai toujours assez pour me maintenir, tout pauvre gentilhomme que je suis, dans une position digne des hautes fonctions que j’ai remplies dans la maison de Votre Seigneurie.

— Cependant tu parais mécontent de ce que je parle de renoncer à un jeu qui peut finir par notre ruine à tous deux.

— Moi, milord ? assurément je n’ai point de sujet de craindre la retraite de Votre Seigneurie… Ce ne sera pas Richard Varney qui encourra la disgrâce de la reine et les railleries de la cour, quand le plus bel édifice qui ait jamais été fondé sur la faveur d’un prince s’évanouira comme une gelée blanche devant le soleil. J’aurais désiré seulement que vous vous fussiez bien assuré de vous-même avant de faire une démarche sur laquelle il n’y a plus à revenir, et que dans cette vue vous eussiez consulté votre honneur et votre réputation.

— Continue, Varney, continue, dit le comte ; je t’ai déjà dit que je n’avais rien décidé ; d’ailleurs, j’ai le projet de peser le pour et le contre.

— Eh bien ! milord, reprit Varney, supposons la démarche faite, la colère royale apaisée, les railleries épuisées, et les larmes essuyées : vous êtes retiré dans un de vos châteaux, assez loin de la cour pour n’entendre ni les plaintes de vos amis, ni la joie de vos ennemis. Nous supposerons aussi que votre heureux rival se sera contenté, ce qui est fort douteux, d’émonder et d’ébranler le grand arbre qui si long-temps lui a intercepté le soleil, et qu’il ne poussera pas les choses jusqu’à vouloir le déraciner tout-à-fait. Eh bien ! le favori de la reine, celui qui portait son bâton de commandement, qui dirigeait ses parlements, n’est plus qu’un baron de province, chassant, ou tirant au faucon, buvant seul avec les gentilshommes du pays, et passant ses vassaux en revue sur l’ordre du haut shérif…

— Varney, c’en est trop ! dit le comte.

— Non, milord, laissez-moi achever le tableau. — Sussex gouverne l’Angleterre ; la santé de la reine s’affaiblit ; un chemin s’ouvre à l’ambition, plus brillant qu’elle n’a jamais pu le rêver… Vous apprenez tout cela au moment où vous êtes assis au coin de votre feu à côté de quelque rustre. Vous commencez alors à songer aux espérances que vous avez abandonnées et à la nullité à laquelle vous vous êtes condamné… et tout cela afin de vous mirer dans les yeux de votre charmante épouse plus d’une fois par quinzaine.

— Varney, c’en est assez. Je n’ai pas dit que cette démarche, à laquelle me pousse le désir d’assurer mon bien-être et ma tranquillité, dût être faite avec précipitation et sans nulle considération du bien public. Je te prends à témoin, Varney, que si je fais le sacrifice de mon goût pour la retraite, ce n’est point par des motifs d’ambition, mais afin de rester à un poste où je pourrai servir mieux que tout autre mon pays quand il en sera besoin. Maintenant demande nos chevaux. Je prendrai, comme autrefois, le manteau de livrée, et je porterai la valise en croupe… Tu seras le maître aujourd’hui, Varney ; ne néglige rien pour écarter les soupçons. Il faut que nous soyons à cheval avant que personne soit levé. Je ne veux que prendre congé de milady, puis je suis prêt. J’impose à mon pauvre cœur une cruelle contrainte, et j’en afflige un autre qui m’est encore plus cher, mais le patriote doit passer avant l’époux. »

Après avoir prononcé ces mots d’un ton mélancolique, mais ferme, il quitta l’appartement.

« Je suis charmé que tu sois parti, pensa Varney ; car, quelque habitué que je sois aux folies des hommes, je n’aurais pu m’empêcher de te rire au nez. Tu peux te lasser, si tu veux, de ton nouveau joujou, de cette jolie fille d’Ève, je ne m’y opposerai pas ; mais ton vieux hochet d’ambition, tu ne t’en déferas pas aussi aisément ; car en gravissant la montagne, milord, il faut que vous traîniez avec vous Varney, et s’il peut vous faire atteindre plus vite le but de ses espérances, il ne ménagera ni le fouet ni l’éperon… Quant à vous, ma jolie dame, qui voudriez être comtesse tout de bon, vous ferez bien de ne pas traverser mes projets, ou bien vous pourriez faire d’un vieux compte un nouveau… « Tu seras le maître, » a-t-il dit. Par ma foi ! il pourra se faire qu’il ait dit plus vrai qu’il ne pensait. Voilà comment celui qui, dans l’opinion de tant d’hommes sensés, peut marcher de front avec Burleigh et Walsingham pour la politique, et avec Sussex pour les talents militaires, devient le pupille d’un de ses serviteurs ; le tout pour une prunelle noire, pour un minois coloré de rouge et de blanc ; et il n’en faut pas davantage pour supplanter son ambition ! Et cependant, si les charmes d’une mortelle peuvent excuser l’égarement d’un personnage politique, milord avait cette excuse à sa droite dans la délicieuse soirée qui vient de s’écouler pour nous. Quoi qu’il en soit, laissons les choses aller leur train, il me rendra puissant, ou je saurai me rendre heureux moi-même ; et quant à ce joli échantillon de la création, si elle ne parle pas de son entrevue avec Tressilian, comme je pense bien qu’elle n’osera le faire, il faudra qu’il y ait échange de discrétion et de services mutuels entre nous, malgré ses dédains… Il faut que j’aille à l’écurie… Fort bien, milord, je vais commander nos chevaux ; mais le temps viendra, peut-être bientôt, où mon écuyer commandera les miens. »

À ces mots, il quitte l’appartement.

Pendant ce temps-là le comte était rentré dans la chambre à coucher pour prendre à la hâte congé de son aimable comtesse ; car il osait à peine s’exposer à une entrevue avec elle, tant il craignait qu’elle ne lui réitérât des demandes auxquelles il lui était difficile de résister, quoique sa dernière conversation avec son écuyer l’eût bien déterminé à ne pas y souscrire.

Il la trouva enveloppée dans une simarre de soie blanche doublée de fourrures ; ses petits pieds, nus encore, avaient chaussé à la hâte une paire de pantoufles ; sa chevelure en désordre s’échappait de sa coiffe de nuit ; en un mot, son unique parure était sa beauté, qui semblait plutôt rehaussée que diminuée par le chagrin qu’elle ressentait de l’approche de la séparation.

« Adieu, ma bien-aimée, adieu, la plus aimable des femmes, » dit le comte en s’arrachant avec peine de ses embrassements, puis retournant encore pour la presser dans ses bras, en revenant une autre fois pour lui donner un dernier baiser et lui dire un nouvel adieu… « Le soleil va paraître sur l’horizon… Je n’ose m’arrêter davantage… Déjà je devrais être à dix milles d’ici. »

Telles furent les paroles qu’il prononça pour couper court à cette pénible entrevue.

« Vous ne voulez donc pas m’accorder ce que je vous demande ? dit la comtesse. Ah ! chevalier déloyal ! jamais dame, les pieds nus dans ses pantoufles, a-t-elle demandé à un brave chevalier quelque faveur que celui-ci lui ait refusée ?

— Demande-moi, Amy, tout ce que tu voudras, je te l’accorderai, répondit le comte ; j’en excepte pourtant, ajouta-t-il, ce qui peut nous perdre tous les deux.

— Eh bien ! dit la comtesse, je ne demande plus d’être reconnue sous un titre qui me rendrait l’envie de toute l’Angleterre… d’être reconnue comme l’épouse du plus brave, du plus noble, du premier et du plus tendrement aimé des seigneurs anglais… Permettez-moi seulement de faire part du secret à mon père chéri ; permettez que je mette un terme à ses alarmes sur mon compte… On dit qu’il est malade, cet excellent vieillard.

— On dit ? » reprit le comte avec vivacité ; « qui dit cela ? Varney n’a-t-il pas fait part à sir Hugh de tout ce que nous pouvons lui dire en ce moment au sujet de votre bonheur et de votre bien-être ? et ne vous a-t-il pas dit que le bon vieux chevalier continuait à se livrer avec la joie d’un homme bien portant à son exercice favori ? Qui a osé vous mettre d’autres idées dans la tête ?

— Oh ! personne, milord, personne. » dit la comtesse un peu alarmée du ton dont cette question fut faite ; « mais cependant, milord, je voudrais m’assurer par mes propres yeux de la santé de mon père.

— Cela est impossible, Amy ; tu ne peux à présent avoir de communication ni avec ton père, ni avec personne de sa maison. Quand même il ne serait pas d’une sage politique de ne pas confier le secret à plus de personnes qu’il n’est nécessaire, nous aurions un motif suffisant de le cacher en cette circonstance. Cet homme de Cornouailles, ce Trevanion, ou Tressilian, quel que soit son nom, fréquente la maison du vieux chevalier, et doit nécessairement être au fait de tout ce qu’on y dit.

— Milord, répondit la comtesse, je ne le crois pas. Mon père a toujours été cité comme un galant homme ; quant à Tressilian, si nous pouvons nous pardonner le mal que nous lui avons fait, je jurerais, par le titre que je dois partager un jour avec vous, qu’il est incapable de rendre le mal pour le mal.

— Je ne m’y fierais pourtant point, Amy, dit le comte ; non, je ne m’y fierais point… j’aimerais mieux mettre le diable dans notre secret que ce Tressilian.

— Et pourquoi, milord ? » dit la comtesse, quoiqu’un peu effrayée du ton de résolution dont il parlait ; « apprenez-moi pourquoi vous pensez tant de mal de Tressilian.

— Madame, répliqua le comte, ma volonté doit être un motif suffisant. Si vous voulez en savoir davantage, considérez que ce Tressilian est ligué contre moi, et avec qui… Il jouit du plus grand crédit près de ce Radcliffe, de ce Sussex, contre lequel j’ai sans cesse à lutter pour me maintenir dans l’esprit de notre soupçonneuse maîtresse, et s’il avait sur moi un tel avantage que celui d’être instruit de notre mariage avant qu’Élisabeth y fût convenablement préparée, je serais exclu de ses bonnes grâces pour toujours… ma faveur et ma fortune seraient probablement perdues : car elle a dans son caractère une touche de celui de son père Henri… et je serais victime, oui victime de son amour-propre offensé et de ses jaloux ressentiments.

— Mais pourquoi, milord, » répéta encore son épouse, « pourquoi avez-vous aussi mauvaise opinion d’un homme que vous connaissez si peu ? Tout ce que vous savez de Tressilian, c’est de moi que vous l’avez appris, et c’est moi qui vous garantis qu’en aucun cas il ne trahira votre secret. Si je lui ai fait tort pour l’amour de vous, je ne suis maintenant que plus intéressée à ce que vous lui rendiez justice. Vous êtes blessé de ce que je parle de lui ; que diriez-vous si je l’avais vu tout récemment ?

— Si vous l’aviez vu, vous feriez bien de tenir cette entrevue aussi secrète que ce qui se dit dans un confessionnal. Je ne veux la ruine de personne ; mais celui qui voudrait s’immiscer dans mes secrets ferait bien de se tenir sur ses gardes. L’ours ne souffre pas qu’on le traverse dans sa course terrible.

— Terrible en effet ! » dit la comtesse en palissant.

« Vous n’êtes pas à l’aise, mon amour, » dit le comte en la soutenant dans ses bras ; « remettez-vous au lit, vous l’avez quitté de trop bonne heure. Avez-vous quelque autre chose à me demander qui ne compromette ni ma réputation, ni ma fortune, ni ma vie ?

— Rien, milord, rien, mon amour, » répondit la comtesse d’une voix faible ; « j’avais quelque chose à vous dire, mais votre emportement me l’a fait oublier.

— Réserve cela pour notre prochaine entrevue, » dit le comte avec tendresse en l’embrassant de nouveau ; « et à l’exception de ces demandes que je ne puis et n’ose t’accorder, il faudra que tes désirs surpassent tout ce que peut produire l’Angleterre et ses dépendances, pour qu’ils ne soient pas accomplis à la lettre. »

En disant ces mots, il lui fit ses adieux définitifs. Au bas de l’escalier il prit des mains de Varney un ample manteau de livrée et un chapeau à larges bords, dont il se couvrit pour se déguiser et cacher entièrement sa figure. Des chevaux pour lui et Varney l’attendaient dans la cour. Quant aux deux ou trois personnes de sa suite, qui connaissaient le secret tout juste assez pour savoir ou soupçonner que le comte avait dans cette maison un rendez-vous avec une belle dame dont ils ignoraient le nom, on les avait fait partir pendant la nuit.

Foster lui-même tenait la bride du coursier peu élégant mais vigoureux, et excellent pour la route, qui devait emmener le comte, tandis que son vieux domestique gardait le cheval plus fin et plus richement harnaché que Richard Varney devait monter en sa qualité de maître.

Comme le comte approchait, Varney s’avança pour présenter la bride à son maître et pour empêcher Foster de remplir cette fonction, qu’il considérait probablement comme un des privilèges de sa charge. Foster parut mécontent de ce qu’on s’interposait ainsi entre son maître et lui, comme pour l’empêcher de lui faire sa cour ; pourtant il céda la place à Varney. Le comte monta à cheval sans dire mot, et, oubliant que son rôle de domestique lui commandait de rester en arrière de son maître supposé, il sortit de la cour d’un air préoccupé, non sans répondre de la main aux signes que la comtesse lui faisait avec son mouchoir d’une des fenêtres de son appartement.

Tandis que ses formes majestueuses s’évanouissaient sous la sombre voûte qui conduisait hors de la cour, Varney dit entre ses dents :

« Voilà une belle politique… le domestique devant le maître ! » Et quand le comte eut disparu, il saisit ce moment pour dire un mot à Foster. « Tu me regardes avec humeur, Antony, comme si je t’avais privé du sourire d’adieu de milord, mais je l’ai engagé à te laisser une meilleure récompense de tes fidèles services. Regarde : cette bourse est remplie de pièces d’or aussi belles qu’en firent jamais sonner le pouce et l’index d’un avare. Oui, compte-les, mon garçon, » dit-il au moment où Foster prenait la bourse avec un sourire forcé, « et ajoute-les à l’aimable souvenir qu’il a donné hier soir à Jeannette.

— Comment cela ! comment cela ! dit Poster, il a donné de l’or à Jeannette ?

— Et pourquoi pas ? les services qu’elle rend à sa belle maîtresse ne méritent-ils pas une récompense ?

— Elle ne le gardera pas, dit Foster, elle me le remettra. Je sais que l’impression que fait sur lui un joli visage est aussi courte qu’elle est profonde ; ses affections sont aussi changeantes que la lune.

— Tu es fou, Foster : ne vas-tu pas te croire assez heureux pour que milord ait jeté les yeux sur Jeannette ? Qui donc voudrait écouter l’alouette quand le rossignol chante ?

— Alouette et rossignol sont tous bons pour l’oiseleur ; et vous, monsieur Varney, vous savez parfaitement faire jouer l’appeau pour attirer les cailles dans les filets. Je ne veux pas pour Jeannette de ces diaboliques attentions avec lesquelles vous avez séduit tant de pauvres fillettes… Vous riez ! Oui, je veux préserver au moins un membre de ma famille des griffes de Satan, vous pouvez y compter… Elle rendra l’or.

— Ou elle te le donnera à garder, ce qui sera la même chose, répondit Varney ; mais j’ai à t’entretenir de quelque chose qui est plus sérieux… Notre maître retourne à la cour de mauvaise humeur contre nous.

— Que voulez-vous dire ? Est-il déjà las de son charmant joujou ?… Il l’a acheté la rançon d’un monarque ; je parie qu’il se repent de son marché.

— Point du tout ; il en raffole et veut quitter la cour pour elle. Alors, adieu nos espérances, nos possessions et notre tranquillité ; les terres de l’Église nous sont reprises, et ce sera un grand bonheur si les détenteurs de ces biens ne sont pas appelés à en rendre compte.

— Ce serait notre ruine, » dit Foster le front troublé par la crainte, « et tout cela pour une femme ! Si c’eût été pour le bien de son âme, il n’y aurait rien à dire, et moi-même je désire quelquefois me retirer du monde où je suis comme cloué, et vivre comme un des plus pauvres de notre église.

— C’est ce qui pourra bien arriver, Tony, répondit Varney ; mais je crois que le diable te tiendra peu de compte de ta pauvreté forcée, et que de cette manière tu y perdras toujours. Mais suis mes conseils, et Cumnor-Place te restera… Garde le silence sur la visite de ce Tressilian… n’en souffle mot jusqu’à ce que je te le dise.

— Et pourquoi, je vous prie ? » dit Foster d’un ton de défiance.

« Sot que tu es ! Dans la disposition d’esprit où se trouve milord, ce serait le moyen le plus sûr de le confirmer dans ses projets de retraite que de lui apprendre qu’en son absence un pareil spectre est venu visiter sa femme. Alors il voudrait faire comme ce dragon qui veillait lui-même sur ses pommes d’or ; et toi, Tony, ton rôle serait fini. Un mot suffit au sage… Adieu.. Il faut que je le suive. »

Il fit faire volte-face à son cheval, lui donna de l’éperon, et franchit la voûte pour rejoindre son maître.

« Puisse ton rôle finir aussi, puisses-tu te rompre le cou, maudit complaisant ! dit Antony Foster. Mais je suivrai son avis, car nos intérêts sont les mêmes, et il dispose comme il veut de cet orgueilleux comte. Jeannette pourtant me remettra ses pièces d’or… elles seront employées d’une manière ou d’autre pour le service de Dieu, et je les mettrai à part dans mon coffre-fort jusqu’à ce que je trouve à en faire un usage convenable. Il ne faut pas qu’aucune vapeur contagieuse empoisonne Jeannette… elle restera pure comme une émanation divine, ne fût-ce que pour prier Dieu pour son père… J’ai besoin de ses prières, car je suis dans une passe difficile… D’étranges rapports ont été faits sur mon genre de vie. La congrégation me regarde avec froideur, et quand M. Holdforth a comparé les hypocrites à un sépulcre blanchi, dont l’intérieur est rempli d’ossements humains, il m’a semblé qu’il me regardait. La religion romaine était commode ; Lambourne disait vrai. Un homme n’avait qu’à travailler à sa fortune par tous les moyens qui s’offraient à lui… dire son rosaire, entendre la messe, et se faire absoudre. Ces puritains suivent une route plus difficile et plus dure ; mais j’essaierai… Je vais lire ma bible pendant une heure avant de retourner faire visite à mon coffre de fer. »

Cependant Varney galopait après son maître, qu’il trouva l’attendant à la petite porte du parc.

« Vous perdez du temps, Varney, dit le comte, et le temps passe. Il faut que je sois à Woodstock pour pouvoir quitter avec sûreté mon déguisement ; jusque-là je cours des dangers.

— C’est l’affaire de deux heures ; vous y serez, milord, si vous allez un peu vite, dit Varney : quant à moi, je me suis arrêté pour recommander de nouveau à ce Foster la vigilance et la discrétion, et pour m’informer de la demeure de la personne que je voudrais faire entrer au service de Votre Seigneurie à la place de Trevors.

— Et penses-tu qu’elle soit propre au service de l’antichambre ?

— Elle promet beaucoup, milord, répondit Varney ; mais si Votre Seigneurie voulait continuer sa route, je retournerais à Cumnor, et je l’amènerais à Woodstock avant que vous eussiez quitté le lit.

— Tu sais que je suis censé y dormir d’un profond sommeil en ce moment ; ainsi donc, je te prie, n’épargne pas ton cheval, pour que tu puisses te trouver à mon lever. »

À ces mots, piquant des deux, il continua sa course, tandis que Varney retourna à Cumnor par la grande route, évitant de passer devant le parc. Il descendit à la porte de l’Ours-Noir, et demanda à parler à M. Michel Lambourne. Ce respectable personnage ne tarda pas à paraître devant son nouveau patron ; mais ce fut avec un visage confus.

« Tu as perdu la piste de ton camarade Tressilian, dit Varney ; je le vois à ton air penaud. Est-ce là ton activité, impudent coquin ?

— Morbleu ! dit Lambourne, jamais renard ne fut aussi habilement chassé. Je l’ai vu se terrer ici chez mon oncle. Je me suis attaché à lui comme la cire… je l’ai vu à souper… je l’ai suivi jusqu’à sa chambre, et, presto, il est parti ce matin sans que le garçon d’écurie sache seulement par où…

— Vous m’avez bien l’air de vouloir me tromper, monsieur le drôle ; mais si j’en acquiers la preuve, par mon âme, vous vous en repentirez.

— Monsieur, répliqua Lambourne, le meilleur chien de chasse peut quelquefois se trouver en défaut ; de quoi m’aurait-il servi de laisser échapper notre homme ? Demandez à mon hôte Giles Gosling ; demandez au sommelier et au garçon d’écurie ; demandez à Cécile, à toute la maison si je n’ai pas eu toujours l’œil sur Tressilian tant qu’il a été sur pied. Sur mon âme, je ne pouvais songer à le veiller comme une garde-malade après l’avoir vu se mettre au lit dans sa chambre. Vous en conviendrez sans doute. »

Varney prit en effet des informations dans la maison, qui confirmèrent la vérité de ce qu’avait avancé Lambourne. Tressilian, au dire de tout le monde, était parti au petit jour sans que personne s’y attendît.

— Mais il n’a fait de tort à personne, dit mon hôte, il a laissé sur la table de sa chambre de quoi payer complètement son écot, et même quelque chose de plus pour le domestique, ce qui était d’autant moins nécessaire qu’il a sellé, à ce qu’il paraît, son cheval lui-même sans réclamer l’assistance du garçon d’écurie. »

Convaincu par ces dépositions de la sincérité de la conduite de Lambourne, Varney commença à lui parler de ses projets pour l’avenir et de la manière dont il comptait l’employer, ajoutant que Foster lui avait dit que lui, Lambourne, ne serait pas fâché d’entrer au service d’un grand seigneur.

« Avez-vous jamais été à la cour ? lui demanda-t-il.

— Non, répondit Lambourne ; mais depuis l’âge de dix ans, j’ai constamment rêvé une fois par semaine que j’y étais et que j’y faisais fortune.

— Ce sera de votre faute si votre rêve ne se réalise pas. Avez-vous besoin d’argent ?

— Dame ! répondit Lambourne, j’aime le plaisir.

— C’est une réponse suffisante, et une réponse franche, dit Varney. Savez-vous quelles sont les qualités nécessaires pour servir un courtisan qui songe à s’élever ?

— Je me suis toujours imaginé, monsieur, qu’il fallait avoir l’œil fin, la bouche close, une main prompte et hardie, l’esprit subtil et une conscience endurcie.

— Et la tienne, je suppose, est depuis long-temps endurcie ?

— Je ne me souviens pas qu’elle ait été jamais bien tendre, répondit Lambourne. Quand j’étais jeune, j’ai eu quelques scrupules, mais j’en ai perdu une partie à la guerre, l’autre je l’ai noyée dans les vagues de l’Atlantique.

— Tu as donc servi dans les Indes ?

— Dans les Indes orientales et occidentales, répondit notre candidat, sur mer et sur terre. J’ai servi le Portugal et l’Espagne, la Hollande et la France, et j’ai fait la guerre pour mon propre compte avec une bande de braves garçons qui soutenaient qu’au delà de la ligne on ne savait pas ce que c’était que la paix.

— Tu peux être utile à milord et à moi, ainsi qu’à toi-même, » dit Varney après un moment de silence ; « mais fais attention que je connais le monde, et réponds-moi franchement : peux-tu être fidèle ?

— Si vous ne connaissiez pas le monde, ce serait mon devoir de dire oui sans plus, et de le jurer sur ma vie, sur mon honneur, etc. Mais comme Votre Honneur paraît préférer la vérité dite tout bonnement, aux déguisements de la politique, je vous réponds que je puis être fidèle jusqu’au pied de la potence ; oui, même jusqu’à la corde, si je suis bien traité, bien payé… mais non autrement.

— À tes autres qualités tu joins sans doute, » dit Varney d’un air railleur, « le talent de paraître grave et religieux quand les circonstances le demandent ?

— Il ne me coûterait rien de vous répondre oui ; mais pour vous parler franchement, je dois dire non. Si vous avez besoin d’un hypocrite, vous pouvez prendre Antony Foster, qui depuis son enfance est obsédé par une espèce de fantôme appelé religion, quoique au fait cette feinte piété finisse toujours par devenir d’un grand profit. Mais je n’ai pas ce talent-là.

— Hé bien ! reprit Varney, si tu n’as pas d’hypocrisie, as-tu un cheval ici à l’écurie ?

— Oui, monsieur, répondit Lambourne, et un cheval qui franchira les haies et les fossés comme les meilleurs chevaux de chasse de milord. Lorsque je fis une petite faute à Shorter’s-Hill, et que j’arrêtai un ancien nourrisseur dont les poches étaient mieux garnies que le cerveau, mon cher petit alezan me tira d’affaire, en dépit du tapage et des cris.

— Selle-le donc sur-le-champ et suis-moi. Laisse tes habits et ton bagage à la garde de ton hôte, et je te conduirai dans une maison où, si tu n’améliores pas ta condition, ce ne sera pas la faute de la fortune.

— De tout mon cœur, dit Lambourne, je suis à cheval dans un instant. Allons, coquin de garçon d’écurie, selle mon cheval sans perdre de temps, si tu fais le moindre cas de la vie. Jolie Cécile ! prenez la moitié de cette bourse pour vous consoler de mon départ précipité.

— Corbleu ! dit le père, Cécile n’a que faire de tes cadeaux… Pars, Michel, récolte de la grâce, si tu peux, quoique, je le pense bien, tu ne vas pas dans un pays où elle pousse.

— Mon hôte, dit Varney, faites-moi donc voir cette Cécile dont j’ai tant ouï vanter la beauté.

— C’est une beauté un peu brûlée du soleil, dit mon hôte, admirable pour résister à la pluie et au vent, mais peu faite pour plaire à des galants aussi difficiles que vous. Elle garde la chambre et ne peut supporter la vue éblouissante des courtisans.

— Fort bien, que la paix soit avec elle ! mon cher hôte : nos chevaux s’impatientent, nous vous souhaitons le bonjour.

— Mon neveu s’en va donc avec vous, monsieur ?

— Oui, c’est son intention, répondit Varney.

— Vous avez raison, complètement raison, mon neveu, reprit mon hôte ; je vous le répète, vous avez raison. Tu as un joli cheval, à présent prends garde que le licou ne te joue un mauvais tour ; ou si tu viens à recevoir ton immortalité de la corde, ce qui est assez vraisemblable d’après ton intention de suivre ce gentleman, je t’engage à te faire pendre le plus loin que tu pourras de Cumnor ; là-dessus, bon voyage. »

Sans plus tarder, l’écuyer du comte et sa nouvelle recrue montèrent à cheval, laissant l’hôte continuer à son aise ses sinistres adieux, et ils s’éloignèrent avec tant de rapidité que leur conversation demeura suspendue jusqu’à ce qu’une côte qu’ils eurent à monter leur permît de la reprendre.

« Ainsi donc, dit Varney, tu es content d’entrer au service d’un personnage de la cour ?

— Oui, mon digne monsieur, si mes conditions vous conviennent autant que me plaisent les vôtres.

— Et quelles sont vos conditions ?

— Si je dois avoir les yeux ouverts sur les intérêts de mon maître, il faut qu’il ferme les siens sur mes défauts.

— Oui, pourvu qu’ils ne soient pas trop visibles.

— Adopté. Ensuite, si j’abats du gibier, il faut que j’aie les os à ronger.

— Rien de plus juste, pourvu que vos supérieurs soient servis avant vous.

— Fort bien ! Il ne me reste plus qu’une chose à régler, c’est que si j’ai quelque démêlé avec la justice, mon patron devra me tirer d’affaire : ceci est un point capital.

— C’est encore fort juste, si ces démêlés ont eu pour cause le service de ton maître.

— Pour les gages, etc., dit Lambourne, je n’en parle pas ; c’est sur mes profits secrets que je compte vivre.

— Ne crains rien, tu auras de beaux habits et assez d’argent pour te divertir avec les plus cossus de ta classe ; car tu entres dans une maison où l’on a, comme on dit, de l’or par-dessus les yeux.

— Cela me convient parfaitement. Il ne reste plus qu’à me dire le nom de mon maître.

— Mon nom est Richard Varney.

— Mais le nom du noble lord au service duquel vous allez me faire entrer ?

— Comment, coquin, te crois-tu trop grand seigneur pour m’appeler ton maître ? Je te permets d’être insolent avec les autres ; mais ne t’avise jamais de l’être avec moi.

— Je vous demande pardon ; mais vous m’avez paru familier avec Foster, et comme je suis avec lui sur le pied de la familiarité…

— Tu es un rusé coquin, à ce que je vois. Écoute-moi. Je dois, il est vrai, te faire entrer dans la maison d’un grand seigneur, mais ce sera principalement moi que tu serviras, et ce sera de moi que tu dépendras… Je suis son écuyer… Tu sauras bientôt son nom… c’est un personnage qui mène le conseil et qui gouverne l’État.

— Diable ! ce doit être un excellent talisman pour découvrir des trésors cachés.

— Oui, pour qui en userait avec discrétion ; mais remarque bien : si tu voulais t’en servir toi-même, tu pourrais faire surgir un démon qui te réduirait en poussière.

— Suffit ; je m’en tiendrai à mon rôle… »

Les deux voyageurs reprirent alors la course rapide que leur conversation avait interrompue, et arrivèrent bientôt au parc royal de Woodstock. Cet ancien domaine de la couronne était bien différent de ce qu’il avait été quand il était la résidence de la belle Rosamonde et le château des amours secrètes et illicites de Henri II, et bien plus différent encore de ce qu’il est aujourd’hui. Blenheim-House rappelle les victoires de Marlborough, non moins que le génie de Vanburgh, si décrié de son temps par des hommes d’un mérite bien inférieur au sien. C’était, sous le règne d’Élisabeth, un vieux château en mauvais état, et qui depuis long-temps n’était plus honoré de la présence du souverain, au grand détriment du village voisin. Les habitants cependant avaient adressé plusieurs pétitions à la reine pour la supplier de les favoriser quelquefois de la visite de leur souveraine ; et c’était le motif apparent de la visite qu’avait faite à Woodstock le noble seigneur que nous avons déjà fait paraître devant nos lecteurs.

Varney et Lambourne entrèrent au galop, sans nulle cérémonie, dans la cour du vieux château, qui présentait ce matin-là un air animé qu’il n’avait pas offert depuis deux règnes. Les officiers de la maison du comte, ses domestiques en livrée et ses gardes, allaient et venaient avec toute la bruyante insolence des gens de leur profession. On entendait les hennissements des chevaux et les aboiements des chiens ; car milord, en venant inspecter le château, s’était naturellement muni de tout ce dont il avait besoin pour chasser dans un parc qui passait pour avoir été le premier, de toute l’Angleterre, qu’on eût enclos de murs, et qui était pourvu de bêtes fauves dont le repos n’avait pas été troublé depuis longtemps. Un grand nombre d’habitants du village, espérant un heureux résultat de cette visite extraordinaire, rôdaient autour de la cour et attendaient la sortie du haut et puissant seigneur. Leur attention fut excitée par l’arrivée précipitée de Varney : — C’est l’écuyer du comte, — se dirent-ils entre eux, tandis qu’ils cherchaient à mériter ses bonnes grâces par leur empressement à ôter leur bonnet et en s’avançant pour tenir la bride et l’étrier au favori de Sa Seigneurie ainsi qu’à son compagnon.

« Éloignez-vous un peu, messieurs, dit Varney avec hauteur, et laissez les domestiques remplir leurs fonctions. »

Les paysans mortifiés se retirèrent aussitôt, tandis que Lambourne, attentif à imiter les airs de son supérieur, éloignait plus durement encore ceux qui lui offraient leurs services. « Retire-toi, paysan, va-t’en au diable, et laisse ces coquins de valets faire leur devoir.

Tandis qu’ils donnaient leurs chevaux aux domestiques et qu’ils s’avançaient vers le château avec un air de supériorité qu’une longue habitude et la conscience de sa noblesse rendaient naturel à Varney, et que Lambourne cherchait à imiter de son mieux, les pauvres habitants de Woodstock se disaient tout bas les uns aux autres : « Que Dieu nous délivre de ces insolents valets ! Si le maître leur ressemble, le diable peut les emporter tous, et il n’aura que ce qui lui est dû.

— Silence, mes bons voisins ! dit le bailli, retenez votre langue entre vos dents… nous en saurons davantage tout à l’heure… Mais jamais lord ne sera aussi bien accueilli à Woodstock que le fut le vieux roi Henri, tout fier qu’il était ; si de sa royale main il administrait quelques coups de fouet à un homme, il lui jetait ensuite à la face une poignée de pièces d’argent à son effigie, pour servir de baume au mal qu’il lui avait fait.

— Que la paix soit avec lui ! dit l’auditoire ; il se passera du temps avant que la reine Élisabeth nous donne des coups de fouet.

— C’est ce dont il ne faut pas juger, reprit le bailli. Patience, mes bons voisins, et consolons-nous en songeant que nous méritons une pareille faveur de la part de Sa Majesté. »

Cependant Varney, suivi de près par son nouveau serviteur, s’avançait à travers l’antichambre, où des personnages plus notables que ceux qu’il avait laissés dans la cour attendaient la sortie du comte, qui était encore dans sa chambre. Tous firent leur cour à Varney, avec plus ou moins de déférence, suivant leur rang, ou l’urgence de l’affaire qui les amenait au lever du noble lord. À la question générale : « Quand milord paraîtra-t-il, monsieur Varney ? » celui-ci faisait de courtes réponses, comme par exemple : « Ne voyez-vous pas mes bottes ? J’arrive d’Oxford, et je n’en sais rien. » Mais la même question lui ayant été faite d’un ton plus élevé par un personnage de plus d’importance : « Je vais le demander au chambellan, sir Thomas Copely. » Le chambellan, que distinguait sa clef d’argent, répondit que le comte n’attendait que le retour de M. Varney pour descendre, mais qu’il voulait auparavant causer avec lui dans son cabinet. Varney salua donc la compagnie et en prit congé pour entrer dans l’appartement de son maître.

Il y eut pendant quelques minutes un murmure d’attente, qui cessa enfin quand les battants d’une porte située au fond de la salle s’ouvrirent, et que le comte entra précédé par son chambellan et par l’intendant de sa maison et suivi de Richard Varney. Son noble maintien et ses nobles traits n’avaient rien de cette insolence qui éclatait chez ses serviteurs ; ses politesses, il est vrai, étaient proportionnées au rang de la personne à qui elles étaient adressées ; mais le plus mince individu de ceux qui étaient présents avait part à ses gracieuses attentions. Les informations qu’il prit au sujet de l’état du château, sur les droits de la reine, sur les avantages et les charges que pouvait occasionner son séjour dans sa résidence royale de Woodstock, semblaient prouver qu’il avait examiné attentivement le contenu de la pétition des habitants, et qu’il avait à cœur de servir leurs intérêts locaux.

« Maintenant, que le Seigneur bénisse sa noble personne ! » dit le bailli, qui s’était glissé dans la salle de réception : « il a le visage un peu pâle ; je gagerais qu’il a passé toute la nuit à parcourir notre mémoire. Maître Toughyarn, qui a mis six mois à le rédiger, disait qu’il faudrait une semaine pour le comprendre ; voyez si le comte n’en a pas saisi la substance en vingt-quatre heures ! »

Le comte les assura qu’il engagerait la reine à honorer quelquefois Woodstock de ses visites, dans ses tournées royales, afin que la ville et ses environs pussent tirer de sa présence et de sa faveur les mêmes avantages dont ils avaient joui sous le règne de ses prédécesseurs ; en attendant, il se réjouissait d’être l’interprète de ses gracieuses intentions en leur annonçant que, pour favoriser le commerce et encourager l’industrie de ses sujets bourgeois de Woodstock, Sa Majesté avait résolu d’établir dans leur ville un marché pour les laines.

Cette bonne nouvelle fut suivie des acclamations, non seulement des notables de l’endroit, qui avaient été admis dans la salle d’audience, mais même des paysans qui attendaient dans la cour.

Les magistrats du pays présentèrent au comte, en fléchissant le genou, les franchises de la corporation de Woodstock, accompagnées d’une bourse remplie de pièces d’or, qu’il tendit à Varney, et qu’à son tour celui-ci partagea avec Lambourne, comme un avant-goût des profits de son nouveau service.

Bientôt après, le comte et sa suite montèrent à cheval pour retourner à la cour, au milieu des acclamations des habitants de Woodstock, qui faisaient retentir les échos des vieux chênes des cris de : Vive la reine Élisabeth ! vive le comte de Leicester ! L’urbanité et la courtoisie du comte rendirent un peu de popularité, même aux gens de sa suite, dont la conduite hautaine avait d’abord nui à leur maître, et on cria : Vivent le comte et ses braves serviteurs ! tandis que Varney et Lambourne, chacun à son rang, chevauchaient fièrement à travers les rues de Woodstock.


  1. Abréviation d’Amélie. a. m.