Joyeusetés galantes et autres/XXXVI. — Sentiments chrétiens

Joyeusetés galantes et autresA l’Enseigne du Beau Triorchis (Mlle Doucé) (p. 123-126).

XXXVI

SENTIMENTS CHRÉTIENS
À M. ÉMILE LECLERCQ

Quand un bourgeois est cocu,
Mon cœur, triste d’ordinaire,
Est heureux d’avoir vécu,
Et ce fait le régénère.

Oui ! quand ce con détesté
Sent deux cornes en démence

Pointer dans sa majesté,
J’éprouve une joie immense !

Tout est beau, tout est bien ; l’air
Est chaud comme une caresse
De ce doux être à l’œil clair,
Pour qui ma pine se dresse.

J’ai de féroces besoins
D’aller embrasser sa femme,
Fût-elle entre les sagouins
Les plus immondes, infâme,

Et je l’aime pour avoir,
Elle qui ne pourrait être
Ma femme, fait son devoir
En cocufiant cet être.

Je veux lui crier : « C’est bien !
Certes, quand devant le maire
Tu pris ce pharmacien
Plein d’une tristesse amère,

« Les anges se sont voilés
La face dans leur caserne,

De nuages étoilés,
Que l’œil des esprits discerne !

« Tu devins pareille à lui :
Rouge comme une framboise ;
Ton nez que ronge un ennui
Noir, te dénonçait bourgeoise,

« Et tu ne me semblais plus
Bonne qu’à torcher la merde
De ces mioches joufflus
Faits pour que rien ne se perde !

« Mais voilà que, maintenant,
Ce daim, bête à faire envie,
Voit un trouble surprenant
Dans les choses de la vie,

« Parce qu’on a vu ton cu
Sous ta jupe bienheureuse,
Parce qu’il est convaincu
Qu’on fouille en ta fente creuse,

« Et qu’il devine un passant
Dans ce vagin solitaire,

Qu’il contemplait, s’en pensant
L’unique propriétaire !

« C’est pour cela seulement,
Ô ménageresse extrême,
Pour avoir pris un amant,
Ô bourgeoise ! que je t’aime.

« Pour avoir, dans ce vieux front
Gercé de mille crevasses
Que les ennuis accroîtront.
Planté deux cornes vivaces !

« Parce qu’un sperme offensant
Monte jusqu’à sa narine,
Même du vase innocent
Où tu verses ton urine !

« Femme pleine de vertus,
Va, la tâche est terminée :
Va ! comme le bon Titus,
Sois fière de ta journée ! »