Joyeusetés galantes et autres/XIII. — La Normande

Joyeusetés galantes et autresA l’Enseigne du Beau Triorchis (Mlle Doucé) (p. 52-56).

XIII

LA NORMANDE

I



Elle est belle, vraiment, la Normande robuste,
Avec son large col implanté grassement,
Avec ses seins, orgueil et gloire de son buste,
Que fait mouvoir sans cesse un lourd balancement.


Elle est belle, la fille aux épaules solides,
Belle comme la Force aveugle et sans effroi !
Il faut pour l’adorer longtemps des cœurs valides.
À l’épreuve du chaud, de la pluie et du froid.

Les phtisiques amants de nos lâches poupées
Reculeraient devant ce corps rude et puissant,
Dont les mains, aux travaux de la terre occupées,
Montrent au lieu de lis l’âpre rougeur du sang.

Au détour d’un sentier alors qu’elle débouche
Ainsi qu’une génisse errant en liberté,
On croit voir la Cérés indomptable et farouche
Du gras pays normand, si riche de santé.

Regardez-la marcher parmi les hautes herbes.
La fille aux mouvements sauvages et nerveux,
Pendant que sur son front les grands épis des gerbes,
Poussiéreux et serrés, hérissent ses cheveux.

C’est auprès de Bayeux que je l’ai rencontrée,
Dans un chemin couvert, bordé par des pommiers,
Où, la blaude flottante et la jambe guêtrée,
Le nez à l’air rougi, passaient deux gros fermiers.


Elle venait, frappant le sol sec et sonore
D’un mouvement brutal avec ses lourds sabots,
Montrant sa peau hâlée, et pourtant blanche encore,
À travers ses habits composés de lambeaux.

Les branches encadraient sa beauté vigoureuse,
Et celle qui faisait alors ma passion,
Se pendit à mon bras, frissonnante et peureuse,
Comme un chat, à l’aspect terrible d’un lion.

Dis-moi donc, oh ! pourquoi ne t’ai-je pas connue
À l’heure où mes désirs bouillonnaient ? Oh ! pourquoi
N’avoir pas dirigé, fille à la jambe nue,
Tes regards cavaliers et pénétrants vers moi ?

Dans tes baisers brûlants j’aurais puisé la force,
Dans ton solide amour mon cœur se fût trempé,
Car le sang frais qui court sous ta vivace écorce
Est bien rouge et n’est pas d’eau saumâtre coupé.

Jamais je n’aurais su par quels secrets atroces
La race aux yeux câlins peut s’emparer de nous,
Mais, louve au sein gonflé de tendresses féroces,
Je me serais couché sans peur à tes genoux !


Tel je rêvais, devant la masse glorieuse,
À des bonheurs perdus, à des amours nouveaux,
Pendant qu’elle passait, menant, insoucieuse,
Vers le marché voisin des bœufs et des chevaux.

II



Je la revis, c’était jour de foire au village,
Mais en toilette alors, et jetant de grands cris,
Plantée avec ardeur devant un étalage
Où brillait, avant tout, l’article de Paris.

Comme elle me parut gauche et mal à son aise
Dans ses voyants habits des fêtes. Un bonnet
Écrasait de ses plis sa figure niaise,
Où le rire hébété de la brute planait.

Avec son fichu rouge et ses pendants d’oreilles,
Sa taille qu’entourait un ruban de satin,
Avec ses grosses mains à la brique pareilles,
Ah ! quelle répugnante et risible catin !


Alors, vers ta figure étincelante et rose,
Démon capricieux, mon souci le plus cher,
Vers ton sein où ma tête amoureuse repose,
Je tournai doucement mes yeux ivres de chair.

Plus épris mille fois de ta grâce perverse,
Encor mieux fasciné par l’étrange langueur
De ton calme regard que jamais ne traverse
Le moindre éclair jailli des ombres de ton cœur !