Éditions de la Toison d’or (p. 96-97).


AH ! VOUS AVIEZ DES « KWARTJES » !


Nous étions très familiarisés avec la faim, et ma mère avait même appris à la manier de façon assez dangereuse.

Un soir, nous étions assis autour d’un bon feu de tourbes : comme nous avions demandé des secours, on nous avait donné des tourbes. De toute la journée, nous n’avions eu d’autre nourriture qu’un petit pain de dix « cents », que ma mère avait partagé en neuf tranches. Elle avait le bébé au sein, et nous causions de ce que nous aurions acheté à manger si nous avions eu un florin.

On frappe à la porte ; je cours ouvrir ; un Monsieur s’arrête à l’entrée.

— Restez donc, petite femme, dit-il gentiment à ma mère ; vous êtes assise avec tous vos enfants autour du feu ? Voici…

Il me remet une pièce d’un florin et part.

Je voulais tout de suite chercher ce dont nous avions parlé : du pain, du café, et des harengs saurs, quand ma mère me dit :

— Donne le florin.

Je le lui donnai, et elle me passa trois pièces d’un « kwartje ». Je regardais, stupéfaite, ces pièces, et levant le regard vers elle :

— Ah ! fis-je, vous aviez des « kwartjes » ?

Elle baissait les yeux en rougissant.

— Oui, tu sais, ces six aunes d’indienne que j’ai reçues de Madame… Eh bien, il me manque quatre aunes pour faire une robe. Cela coûte un « kwartje » l’aune, on a le même dessin au Nieuwendyk. J’ai épargné pour les acheter ; avec ce florin, j’irai les chercher demain.

Je restais hébétée, en répétant :

— Ah ! vous aviez des « kwartjes », des « kwartjes » !

— Allons, morveuse, va chercher du pain.