Éditions de la Toison d’or (p. 60-62).


DÉCEPTION


J’étais invitée à une fête de charité pour enfants. Il était expressément dit que les mères devaient les conduire et venir les reprendre, et, comme il n’y avait pas de vestiaire, emporter les chapeaux et les manteaux. Vous voyez d’ici que ma mère allait lâcher tous ses mioches pour me conduire à une fête ! Si je voulais m’y rendre, je pouvais aller seule. Ce qui m’inquiétait le plus, était mon chapeau : je m’étais mis dans la tête que je serais chassée si on découvrait que ma mère n’était pas là pour l’emporter. Or, je voulais absolument assister à cette fête : Il y avait une tombola ; si j’allais gagner une boîte à coudre, le rêve de toute ma vie ! car, depuis l’âge de six ans, je confectionnais les robes et les coiffures de mes poupées, et le fameux chapeau, sujet de mes transes, je l’avais fait moi-même.

Je m’en fus donc seule, un soir, par une pluie battante. J’entrai avec mon invitation. En ôtant mon chapeau, je le dissimulai, comme une voleuse, sous mon tablier. J’ai le souvenir d’une joie de commande. On nous donna du lait d’anis et des petits pains beurrés ; on nous fit chanter de nombreux Wien Neerlandsch Bloed et des Wilhelmus Van Nassauwen, et dans la cour qu’éclairaient quelques lampions, nous dûmes, par une pluie chaude qui nous faisait fumer comme dans un bain turc, jouer des Patertje, Patertje, langs den kant et des Collin-Maillard. Enfin la tombola !

— Y a-t-il des boîtes à coudre ?

On regardait par les carreaux.

— Oui, là, plusieurs même.

— Ah ! je les vois ; si je pouvais en gagner une !

Et je me tins ce langage : « J’ai douze ans ; il est temps que j’aie une boîte à coudre à moi, pour ne plus recevoir de torgnioles quand j’ai gâché le fil de ma mère. Puis, dans une boîte, il y a tout : un dé, des ciseaux et autres outils. » Ah ! mon tour. Je prends un billet : un Monsieur l’ouvre et dit :

— Trois images.

Et il me cherche trois images, représentant des batailles.

Je ne m’intéressais plus à la fête : pour moi, c’était encore une fois et toujours une déception. Aussitôt la porte ouverte, je filai ; je remis mon chapeau dehors, et je repris mon chemin sous la pluie, seule, à dix heures du soir, par les ponts et les canaux. Arrivée à la maison, je donnai mes images de bataille à un de mes frères et je me couchai en pleurant.