Journal d’un écrivain/1877/Mars, IV

IV


LA QUESTION JUIVE


Oh ! n’allez pas croire que je veux traiter la question juive dans son entier. Je prends ce titre parce qu’il est commode. Soulever une question pareille, alors que la Russie renferme trois millions de sujets juifs, — vous n’y pensez pas ! Je ne suis pas de force ! Mais je puis, n’est-ce pas, avoir mon opinion à ce sujet et il paraît que certains juifs commencent à s’intéresser à ma manière de voir.

Je reçois depuis quelque temps de nombreuses lettres où l’on me reproche de « haïr le juif » de « tomber sur le juif », de l’exécrer non comme être vicieux, non comme exploiteur, mais bien comme homme de race juive », parce que « Judas a vendu le Christ »

Notez que ce sont des Israélites civilisés qui m’écrivent ces choses, de ceux qui, au nom de leur civilisation, se vantent d’avoir rompu avec tous les préjugés de leur race, de ne plus accomplir leurs cérémonies religieuses et même de ne plus croire en Dieu. Je dirai ici, entre parenthèse, qu’ils devraient avoir honte, ces Messieurs les « Hauts Juifs » qui défendent leur nation et renient leur Jéhovah de quarante siècles. Pour moi un juif sans Dieu est un être inimaginable. Mais ceci est un thème bien vaste et je le laisse de côté pour l’instant. Ce qui m’intrigue, c’est de ne savoir ni comment ni pourquoi j’ai pu en venir à être compté au nombre des ennemis qui attaquent les Juifs en tant que nation. Messieurs les Hauts Juifs semblent me permettre implicitement d’aborder le juif comme exploiteur ou comme vicieux, mais ce n’est que de la rhétorique, car il est clair qu’il n’y a personne de susceptible et d’irritable comme un juif instruit. Mais où ont-ils été chercher que je haïssais leur race en tant que race ? J’en appelle aux Juifs qui sont en relations avec moi et qui connaissent la fausseté de cette accusation dont j’aimerais à ne plus m’occuper. Est-ce parce que j’appelle parfois un hébreu un Juif ? Je ne vois rien d’injurieux dans ce nom.

Je veux citer quelques passages d’une lettre que m’écrit un Juif très instruit : « …Mais je désirerais savoir une chose que je ne puis aucunement m’expliquer : D’où vous vient cette haine contre le Juif qui se révèle presque à chaque page de votre « Carnet » ? Je serais heureux de comprendre pourquoi vous en voulez tant au Juif et non à l’exploiteur en général. Certes, j’ai souffert des préjugés de ma nation — et peut-être plus qu’un autre, — pourtant je n’admettrai jamais que notre race ait dans le sang cette fureur d’exploitation dont vous parlez. Ne sauriez-vous vous élever jusqu’à cette conception sociale que dans un État quelconque tous les citoyens, du moment où ils supportent les charges de la communauté, doivent être appelés à jouir des mêmes droits, de tous les droits et à subir les mêmes peines en cas d’infractions aux lois ? Pourquoi alors tous les Juifs devraient-ils être limités dans leurs droits et se trouver victimes d’une législation spéciale ? En quoi l’exploitation des étrangers, Allemands, Anglais, Grecs, etc., est-elle plus agréable que l’exploitation des Juifs qui sont sujets russes ? Pourquoi aussi un usurier, un mercanti ou cabaretier russe orthodoxe serait-il meilleur que son confrère juif ? (Et ce dernier agit dans au cercle restreint.) » …

(Ici mon honorable correspondant compare quelques usuriers russes avec d’autres vautours étrangers du même acabit et conclut que le russe ne vaut guère mieux s’il n’est pas pire. Mais qu’est-ce que cela prouve ? Nous sommes d’avis que tous ces industriels ne valent rien du tout.)

« …Je pourrais multiplier les questions de ce genre… Mais quand vous parlez du Juif, vous incluez dans cette appellation toute la masse misérable des Israélites : sur 3.000.000 de Juifs russes, 2.900.000 mènent une existence horrible de privations et de dénuement. Et ils sont de bien meilleures mœurs que votre peuple russe adoré.

Parmi les cent mille autres qui ont reçu de l’instruction, beaucoup se sont fait remarquer, ont rendu des services considérables dans toutes les carrières libérales et autres, par exemple.

(Mon correspondant cite plusieurs noms ; je me borne à reproduire celui des Goldstein, sachant que quelques-uns d’entre eux seront désagréablement affectés en voyant publier qu’ils sont d’origine juive.)

« … Malheureusement vous ignorez, je le sens, l’histoire du peuple juif pendant quarante siècles. Vous êtes un homme honnête et sincère et vous portez inconsciemment préjudice à nombre de pauvres gens. Car bien entendu, ce ne sont pas les Israélites riches qui craignent la presse, ceux qui reçoivent les grands de ce monde dans leurs salons… »

Voilà les principaux passages de cette lettre. Vraiment dans toute cette année il n’y a eu dans mon « Carnet », aucun article anti-juif méritant d’exciter ce genre de susceptibilité. Remarquez aussi que mon correspondant est bien sévère pour l’infortuné peuples russe. Il est vrai que ce peuple n’a pas toujours été tendre pour Israël, qu’il a conspué sans en laisser une place propre », selon l’expression de Chtchedrine, et cela excuse mon juif. Mais nous voyons ce que les Israélites pensent des Russes. Or, l’auteur de la lettre est un homme instruit et plein de talent, sinon dépourvu de préjugés. Qu’attendre alors des Juifs ignares, — et ceux-là sont légion ? Les Russes ne sont donc pas seuls à blâmer dans la lutte juive-russe.

Je dirai maintenant quelques mots pour ma défense et exposerai mon opinion sur la question. Je répète que je ne suis pas de taille à l’embrasser tout entière, mais enfin je ne suis pas non plus sans avoir mes idées à ce sujet.

PRO ET CONTRA


Il n’est pas facile de connaître complétement l’histoire de quarante siècles, surtout quand il s’agit d’un peuple comme les juifs. Mais pour commencer, je sais ceci : Il n’y a pas au monde une nation qui se soit plainte à un tel point et à chaque instant de ses humiliations, de ses souffrances, de son martyre. On croirait vraiment que ce ne sont pas eux les maîtres de l’Europe, des Bourse, de la politique, des affaires intérieures des États. Mais si l’influence juive n’était pas si forte, il y a longtemps que la question slave serait résolue au profit des Slaves et non pas des Turcs. Je suis sûr que Lord Beaconsfield n’a pas oublié ses origine israélites et qu’il dirige sa politique conservatrice anglaise non seulement au point de vue conservateur mais aussi au point de vue juif.

Mettons que cela soit un propos en l’air, mais je ne puis croire que les juifs soient si martyrisés que cela ; je crois que les paysans russes portent sur leurs épaules un fardeau que les juifs ne porteraient pas.

Mon correspondant susdit m’écrit dans une lettre :

« Avant tout il est indispensable d’octroyer aux juifs tous les droits civils. (Pensez que jusqu’à présent, ils sont privé du droit le plus élémentaire : de choisir librement leur résidence… » Mais, Monsieur mon correspondant, vous qui me dites dans un autre passage de votre seconde lettre que : « vous aimez et plaignez incomparablement plus la masse des travailleurs russes que la classe laborieuse juive » (ce qui est beau de la part d’un juif), pensez que lorsqu’un juif souffrait de ne pouvoir choisir librement sa résidence, 23.000.000 de Russes pâtissaient du servage, ce qui était plus pénible. Je ne crois pas que les juifs les aient plaints alors. À l’Ouest et au Sud de la Russie, on vous répondra qu’à cette époque, comme aujourd’hui, ils poussaient les hauts cris en invoquant leur martyre personnel : « Donnez-nous plus de droits, clamaient-ils, et nous pourrons faire notre devoir envers les autochtones ! » Le Libérateur vint et délivra le Russe autochtone. Qui se jeta sur lui, qui abuse de ses vices pour lui faire suer un peu d’or ? Qui se substitua aux propriétaires ruraux, qui, du moins, tâchaient de ne pas ruiner leurs paysans, quand ce n’eût été que dans leur propre intérêt de possesseurs du sol ? — Le juif se moqua de toute considération : il prit les biens des paysans russes et s’en fut avec. Je sais que les juif vont crier en lisant ces lignes : je ne serai qu’un calomniateur, je ne connaîtrai pas l’histoire des quarante siècles de misères subies par ces anges purs, plus purs que toutes les nations du monde et que mon peuple russe adoré en particulier. Soit ! que les juifs soient plus purs que le reste de l’humanité ! Je lis pourtant dans le Messager de l’Europe que, dans les États du Sud de l’Union américaine, les juifs se sont jetés comme sur une proie sur les quelques millions de nègres libérés et les ont déjà asservis à leur manière en les prenant par leurs besoins d’argent, en mettant à profit l’inexpérience et les vices d’une population à peine hors de tutelle. Et que vois-je dans le Nouveau Temps ? « Les juifs se sont littéralement abattus sur le peuple de Lithuanie ; grâce à l’eau-de-vie, ils s’emparent de tout ce que possèdent les habitants du pays. Les prêtres seuls sont venus au secours des malheureux ivrognes en les menaçant des souffrances de l’enfer et en organisant parmi eux des sociétés de tempérance. » Et à la suite des prêtres se sont levés des économistes, qui commencent à monter des banques rurales pour sauver le peuple des menées des usuriers juifs. Ils installent aussi des marchés dans les villages pour que les pauvres travailleurs puissent acheter les objets de première nécessité à des prix raisonnables et non à des prix juifs.

J’ai lu tout cela et je sais qu’on va me crier que cela ne se passe ainsi que parce que les juifs sont opprimés et misérables que ce n’est que la « lutte pour l’existence ». Mais les Lithuaniens sont encore plus pauvres que les juifs qui les exploitent. Et je ne prends pas les articles du Messager de l’Europe et du Nouveau Temps, pour d’effroyables révélations capable de bouleverser le monde. Si l’on voulait écrire sérieusement l’histoire de cette race, on trouverait par milliers des faits semblables à ceux que racontent ces deux journaux. Ce qui est à remarquer, c’est que si, au moment d’une polémique vous avez besoin d’un renseignement sur le juif, il est bien inutile d’aller fouiller les bibliothèques. Ne bougez pas de votre siège, prenez le journal posé près de vous et, à la seconde ou troisième page, immanquablement, vous trouverez une petite histoire juive : inutile de dire qu’il s’agira toujours de hauts faits du genre de ceux qui viennent d’être rapportés. — Naturellement, on va me répondre que les journalistes sont aveuglés par la haine et qu’ils mentent. Mais alors, si tous mentent par haine « elle doit signifier quelque chose, cette haine universelle », comme s’écria jadis Bielinsky.

Vous demandez à ce que le juif puisse choisir librement sa résidence. Mais le Russe autochtone est-il si libre à ce sujet ! Il y a là-dessus des règlements qui datent de l’époque du servage. Quant aux juifs, il est certain que leur champ d’action s’est bien élargi depuis vingt ans, car on les rencontre aujourd’hui où on ne les avait jamais vus autrefois. Et les juifs se plaignent toujours d’être victimes de la haine et de l’oppression. Je ne connais pas tous les détails, de la vie juive, mais il y a une chose que je puis affirmer : notre peuple n’a pas de haine de parti pris contre les juifs. Si vous entendez dans la rue des gamins ou des ivrognes dire : « Judas a vendu le Christ », la masse du peuple ne hait pas le juif vilainement et injustement. Il y a cinquante ans que je connais le peuple. J’ai même vécu avec lui dans les grandes casernes où il loge, j’ai dormi à côté de lui, sur les mêmes planches. Il y avait parmi nous des juifs, et personne ne les écartait. Quand ils étaient en prière (et quand les juifs prient ils revêtent un costume spécial, poussent des cris, etc.), on ne les dérangeait pas, on ne se moquait pas d’eux. On disait : leur religion leur ordonne de prier ainsi ; et on les approuvait. Les juifs, eux, faisaient bande à part en maintes occasions, refusaient de manger avec les Russes et les regardaient de haut. (Et où cela, mon Dieu ? Au bagne !…) Ils ne cachaient par leur dégoût pour les Russes, pour le peuple autochtone. — Dans l’armée il en était de même. Du reste, renseignez-vous, demandez si l’on a jamais, dans une caserne, offensé le juif en tant que juif dans sa religion, dans ses mœurs. Nulle part vous ne le verrez molesté, dans le peuple pas plus qu’ailleurs. L’homme du peuple remarque que le juif le méprise, s’écarte de lui, se défend de son contact, mais il dit tranquillement : « C’est sa religion qui le veut ainsi », et devant cet argument suprême il pardonne au juif toutes ses offenses. Je me suis demandé souvent ce qui se passerait si, dans notre pays, il y avait 3 millions de Russes et 80 millions de juifs ! Je crois que ces derniers ne laisseraient guère les Russes tranquilles, ne leur permettraient pas de prier en paix, je crois même qu’ils les réduiraient en esclavage. Pis que cela : ils les écorcheraient complètement ! Et quand ils n’auraient plus rien à leur prendre, il les extermineraient, comme ils massacraient les peuples vaincus au beau temps de leur histoire nationale.

Non, encore une fois, il n’y a aucune haine chez le Russe contre le juif. Peut-être éprouve-t-il contre lui une sorte d’antipathie, mais pas partout, dans certaines régions seulement. Parfois, cette antipathie devient très forte, mais il n’y entre aucune haine de race : et je crois que le peuple autochtone n’a pas tous les torts quand il se fâche.


STATUS IN STATU. QUARANTE SIÈCLE D’HISTOIRE


Les juifs accusent les Russes de les haïr d’une haine qu’excitent mille préjugés. Mais si nous ne parlons que de préjugés, croyez-vous que le juif en ait moins que le Russe ? Je vous ai montré par un exemple l’attitude du Slave envers l’israélite, et mes Slaves étaient des gens du peuple. Les lettres dont j’ai parlé proviennent de juifs instruits et que de haine, dans ces lettres, contre la population autochtone !

Voyez-vous, pour exister pendant quarante siècles, c’est-à-dire pendant presque toute la période par nous connue de l’histoire de l’humanité, dans une telle union, dans une telle homogénéité, après avoir perdu son territoire, son indépendance politique et presque sa foi, pour s’être refermé si souvent, toujours fidèle à l’ancienne idée simplement modifiée en apparence, un peuple si vivace, si résistant qu’il soit, n’a pu tenir bon qu’à l’aide d’un status in statu toujours conservé pendant ses dispersons et les persécutions qu’il a subies.

En quoi consiste ce status in statu ? Ce serait très long à exposer ; Mais sans pénétrer jusqu’au fond de la question il est possible de fournir quelques données sur elle.

Le première idée des israélites, c’est qu’ils représentent dans le monde la seule personnalité nationale, — le juif — et que, si d’autres ont l’air d’exister, il n’en faut pas faire cas.

Elle sont comme si elles n’existaient pas : « Aie, au milieu des peuples, une individualité distincte ; sache que tu es le seul peuple de Dieu, extermine les autres ou fais-en des esclaves et exploite-les. Crois en ta victoire finale sur le monde entier. Méprise les autres hommes et n’aie rien de commun avec eux ; Même quand tu seras privé de ta terre et de ta nationalité, même quand tu verras ta race dispersés sur toute la face du globe, crois que tout ce qui t’a été promis se réalisera un jour. D’ici là vis dans l’union avec les tiens  ; sache mépriser et attendre. »Voilà, je crois l’essence de ce status in statu ; il y a sans doute des lois mystérieuses destinées à protéger cette idée.

Vous dites, Messieurs les juifs civilisés, que, s’il y a un vague status in statu, ce sont les persécutions qui l’ont créé, celles du Moyen-Âge et les antérieures ; et qu’il ne procède que de l’instinct de la conservation. S’il a encore un faible effet en Russie, c’est que l’on vous refuse des droits légitimes. Mais je crois que quand même vous obtiendrez l’égalité des droits, vous ne renoncerez pas à ce qui fait votre force. Nul entêtement de l’instinct de conservation n’aurait suffi à vous maintenir homogènes pendant quarante siècles. Les civilisations les plus fortes n’ont pu tenir la moitié de ce temps ; les races qui les avaient fondées se sont fondues avec les autres races. Il y a là quelque chose de profond et d’universel sur quoi l’humanité n’est, sans doute, pas encore en droit de dire le dernier mot. Que le caractère religieux soit dominant dans votre organisation, c’est incontestable : votre providence, sous le nom de Jéhovah, a fait serment de vous conduire à la victoire, — et c’est pour cela que je ne conçois pas un juif sans Dieu. Je ne crois même pas qu’il y ait vraiment des juifs instruits athées.

Tout enfant, j’ai entendu raconter une légende qui veut que les juifs, aujourd’hui encore, attendent la venue de leur Messie, que tous, le plus humble comme le plus haut placé, le plus ignorant aussi bien que le rabbin kabbaliste croient que leur Messie les rassemblera de nouveau, un jour, à Jérusalem et fera tomber tous les peuples à leurs pieds. On ajoutait que c’était pour cela que les juifs choisissaient de préférence le métier de marchands d’or, d’or plus facile à emporter que les biens en terre le jour ou

Le rayon prédit brillera
Où nous rentrerons dans notre vieille patrie de Jérusalem
Avec la cymbale, le tympanon,
Nos trésors d’or et d’argent et l’arche sainte.

Mais pour qu’une idée pareille se conserve, il est nécessaire qu’une tradition secrète persiste. La persécution n’explique pas tout. Les Juifs déclarent que ce n’est pas une raison suffisante pour leur refuser des droits possédés par tous les autres sujets russes. Voyez, disent-ils, ce qui se passe en France : les droits sont égaux pour tous et entendez-vous dire que la crainte du status in statu ait jamais donné l’idée de restreindre en quoi que ce soit les libertés dont jouissent les juifs comme les autres ?

Cela prouve simplement que les israélites sont plus dangereux là où le peuple est peu développé au point de vue des idées économiques. Et, bien entendu, loin d’éclairer les masses avec lesquelles ils se trouvent en contact, les juifs, partout où ils s’établissent, n’ont fait qu’abaisser le niveau moral des populations et les appauvrir matériellement. Demandez en chaque pays aux habitants autochtones ce qui leur paraît être la caractéristique des juifs. La réponse sera unanime. Partout on vous dira : c’est le manque de pitié.

Pendant des siècles ils ont presque littéralement bu notre sang. Toute leur activité se tournait vers ce but : asservir la population autochtone, la placer dans un cruel état de dépendance, tout en observant la lettre des lois du pays. Ils savaient toujours être en bons termes avec ceux qui avaient entre leurs mains le sort du peuple et ce n’est pas à eux de se plaindre du peu de droits qu’ils ont s’ils comparent leur situation a celle des populations autochtones. — Même en France, le status in statu n’a pas été inoffensif. Certes, là-bas, ce n’est pas par la faute seule des juifs que le christianisme est tombé si bas : les habitants ont leur forte part de responsabilité ; en tout cas, dans ce pays comme dans d’autres ; la juiverie a remplacé beaucoup des idées naturelles au milieu par des idées juives.

L’homme, partout et toujours, a trop aimé le matérialisme, a toujours été trop enclin à voir dans la liberté la faculté d’assurer son existence à l’aide d’argent amassé par n’importe quels moyens, mais jamais la chose n’a été aussi flagrante que pendant notre dix-neuvième siècle. « Chacun pour soi », voilà le principe de tous, je ne dis pas des malhonnêtes gens, mais des travailleurs incapables de voler ou de tuer personne. Autrefois on était égoïste et cupide, mais le mauvais instinct était contenu par le christianisme. Aujourd’hui, on élève l’égoïsme et la cupidité au rang de vertus. Eh bien alors, ce n’est pas en vain que les israélites règnent sur les marchés financiers, remuent les capitaux, sont les maîtres du crédit et de la politique internationale. Il est clair que leur règne complet approche. On va me rire au nez et dire qu’il faut que les juifs aient une activité surhumaine pour avoir ainsi bouleversé le vieux monde. Je veux bien, en effet, que les juifs ne soient pas coupables de tout, mais remarquez que le triomphe des leurs a coïncidé avec l’adoption des principes nouveaux. Leur influence a bien dû pousser à la roue.

Nos contradicteurs affirment que les juifs sont, en tant que masse, pauvres partout et surtout en Russie, qu’il n’y a qu’une classe privilégiée d’israélite qui possède, que les neuf dixièmes de la race sont composés d’infortunés qui luttent pour un morceau de pain. Mais cela n’indique-t-il pas qu’il y a là quelque chose d’irrégulier, d’anormal, un vice qui porte son châtiment en lui-même ? Le juif est un intermédiaire ; il fait trafic du travail d’autrui. Le capital, c’est du travail accumulé et le juif aime à remuer des capitaux. — En tout cas, les « hauts juifs » commencent à régner sur l’humanité ; ils ont déjà modifié l’aspect du monde. Les israélites proclament à cor et à cri qu’il y a de bien bonnes gens parmi eux. Eh ! parbleu ! feu James de Rothschild n’était pas un mauvais homme : c’est entendu ! Mais nous ne discutons pas sur le plus ou moins grand nombre de braves gens ici-bas. Nous parlons de l’idée juive qui mène le monde alors que le christianisme a échoué.


MAIS VIVE LA FRATERNITÉ !


Pourquoi dis-je tous cela ? Suis-je un ennemi des juifs ? Est-il vrai, comme me l’écrit une jeune fille qui doit être fort instruite et d’une âme très noble, si j’en juge par sa lettre, est-il vrai que j’attaque si férocement ces pauvres juifs ? Est-il vrai que je les méprise si fort ? Pas le moins du monde ! Tout ce que je demande, c’est-à-dire plus d’humanité et plus de justice, je le demande aussi bien pour les juifs que pour les autres. Et, malgré les objections que j’ai soulevées, je suis prêt à réclamer tous les droits pour les juifs, bien que peut-être ils en aient déjà plus que les autochtones ou du moins qu’ils aient de plus grandes facilités pour en profiter. Mais voici ce qui me passe par la tête : j’admets que notre commune rurale tombe absolument au pouvoir du juif ; je crois que ce sera sa fin. Tous les biens, toute la force, passeront demain au juif et le pauvre paysan sera plus mal traité qu’au temps du sauvage, — que dis-je ? — qu’à l’époque du joug tartare ! Malgré les imaginations de ce genre qui me traversent parfois la cervelle, je répète que je suis tout disposé à réclamer pour les juifs ce qu’ont obtenu les autres et, cela au nom d’un principe strictement chrétien. Je me contredis, alors ? Aucunement. Du côté des Russes je ne vois aucune espèce d’obstacle ; mais il y en a du côté des juifs. Si la question n’est pas encore réglée malgré le désir général, c’est bien plus par la faute des juifs que par celle des Russes. Je vous ai déjà parlé des israélites qui fuyait l’autochtone, qui ne voulait ni le traité en camarade, ni manger avec lui. Le Russe n’en s’en fâchait pas, les excusait au contraire, en invoquant la religion du juif, seule coupable en l’occurrence.

Un israélite, encore, m’a écrit que les siens aimaient beaucoup les Russes, mais s’affligeaient de penser que ces pauvres gens n’avaient pas de religion réelle ; qu’en tout cas, lui, ne comprenait rien aux idées religieuses de notre peuple. Alors un juif instruit trouve inintelligible notre religion ? Quelle sera l’opinion des Juifs illettrés ?

Mais c’est surtout l’arrogance juive qui est pénible pour nous autres Russes. Le Russe n’a pas de haine religieuse contre le juif, bien que ce dernier crie encore à la persécution. Le Russe a souvent élevé la voix en faveur de l’israélite. Mais le juif, lui, quand il juge si sévèrement le Russe, ne prend jamais en considération que notre peuple a été longtemps, et plus que bien d’autre, persécuté et opprimé. Peut-on affirmer que le juif lui-même ne se soit pas ligué bien souvent avec les persécuteurs du moujik ? Le juif a-t-il jamais semblé s’en repentir ? Et c’est lui qui se plaint que le peuple russe l’aime peu !

C’est moi qui demanderais à mes correspondants juifs d’être plus indulgents pour nous.

Il serait à désirer que l’union se fit entre eux et nous, que les accusations que nous portons les uns contre les autres finissent pas s’atténuer. On peut se porter garant de la bonne volonté du peuple russe. Il ne demandera pas mieux de vivre avec le juif sur un pied de fraternité parfaite. Mais sommes-nous sûrs de la réciprocité de la part des juifs ? Que le juif nous montre un peu de sentiment fraternel pour nous encourager !

Je sais qu’il y a parmi les israélites un certain nombre de gens qui ne demanderaient pas mieux que de mettre fin aux malentendus ; et ce n’est pas moi qui tairait cette vérité. Mais jusqu’à quel point sont-ils capables de nous aider dans une œuvre de rapprochement vraiment fraternel ?


UN ENTERREMENT


J’ai, vous le savez, reçu ces temps-ci pas mal de lettres : il y en avait même d’anonymes. Je n’ai pas le temps de parler de toutes, mais je ne voudrais pas passer sous silence une lettre, — nullement anonyme, celle-là, — que m’a adressée une jeune fille juive dont j’ai fait la connaissance à Pétersbourg et qui m’écrit aujourd’hui de M… Avec Mlle L… je n’ai presque jamais abordé la question juive, bien qu’elle me paraisse du nombre des juives éclairées et de bonne foi. Sa lettre se relie très naturellement au chapitre que je viens d’écrire sur ses coreligionnaires. Elle traite la question à un autre point de vue que moi, mais semble apporter un commencement de solution.

Il s’agit de l’enterrement, à M…, du docteur Hindenbourg :

« J’écris ceci, dit-elle, sous une impression toute fraîche. On a enterré ici le docteur Hindenbourg, mort à l’âge de quatre-vingt quatre ans. Comme protestant, on l’a porté d’abord au temple ; puis on l’a conduit au cimetière. Jamais je n’ai vu prodiguer à un cercueil de pareilles marques de sympathie, entendu des paroles de deuil aussi évidemment sorties du cœur. Le docteur est mort si pauvre qu’il n’avait pas laissé de quoi se faire enterrer.

« Il a pratiqué à M… pendant cinquante-huit ans et l’on ne saura jamais tout le bien qu’il a fait pendant ce temps-là. Si vous pouviez Theodor Mikhailovitch, soupçonner quel homme c’était ! Il était médecin-accoucheur et je crois que son nom passera, au moins ici, à la postérité. Il y a déjà des légendes sur lui. Tout le peuple l’appelait son père, l’aimait et le vénérait, mais ce n’est qu’après sa mort qu’on a pu réaliser tout ce qu’il valait. Pendant que la bière était dans l’église, il n’y a eu personne qui n’ait été pleurer sur les restes qu’elle renfermait. Des juives pauvres, surtout, montraient une vraie douleur. Il en avait tant secourues !

« Notre ancienne cuisinière, qui est une femme très pauvre, est venue nous voir et nous a dit qu’à la naissance de son dernier enfant, comme le docteur voyait qu’il n’y avait rien dans la maison, il avait laissé vingt kopecks. Dès qu’elle s’était sentie mieux il lui avait envoyé deux perdrix.

« Appelé une autre fois chez une accouchée également misérable (c’était son genre de clientèle), il s’était aperçu qu’on ne pouvait envelopper l’enfant faute de linge. Il avait retiré sa chemise et son foulard (car il portait un mouchoir de tête), et avait couvert l’enfant.

« Il avait guéri un pauvre bûcheron juif dont la femme vint à tomber malade ; puis ce fut le tour des enfants. Il les visitait deux fois par jour. Quand tout le monde fut sur pied, il demanda au juif : « Eh bien comment vas-tu me payer » ? — Le pauvre homme lui répondit qu’il n’avait plus rien qu’une chèvre qu’il allait vendre. Il vendit cette chèvre quatre roubles qu’il apporta au docteur ; ce dernier les remit à son domestique plus douze roubles qu’il ajouta. Et le domestique, sur son ordre, alla acheter une vache. Le bûcheron, congédié par le docteur, était retourné chez lui. Quel ne fut pas son étonnement en voyant arriver une vache. Le domestique lui expliqua que le docteur pensait que le lait de chèvre était nuisible sa famille.

« L’histoire de sa vie est pleine de traits de ce genre. Il lui arrivait de laisser trente ou quarante roubles chez des pauvres.

« On l’a enterré comme un saint. Tous les pauvres gens ont laissé là leur ouvrage pour suivre son cercueil. Il y a chez les juifs de jeunes garçons qui chantent des psaumes pendant les enterrements. Mais ils ne doivent jamais chanter à l’inhumation d’un homme qui n’appartient pas à la religion israélite. Eh bien, aux obsèques du docteur, les jeunes juifs chantèrent leurs psaumes comme s’ils avaient accompagné l’un des leurs.

« Dans toutes les synagogues on a prié pour son âme. Les cloches de toutes les églises sonnaient pendant les funérailles. Il y eut un orchestre militaire et aussi un orchestre dont les musiciens, — des juifs — avaient été demander, comme un honneur, aux fils du défunt, la permission de jouer pendant la cérémonie funèbre. Tous les pauvres ont donné, qui dix, qui cinq kopecks, les juifs riches davantage, et l’on a commandé une splendide et immense couronne de fleurs naturelles qui a été portée à l’enterrement. Elle était ornée de rubans blancs et noirs sur lesquels, on avait imprimé en lettres d’or, les faits les plus connus de l’existence du docteur, par exemple la fondation d’un hôpital, etc… Je n’ai pas pu lire tout ce qui était imprimé ; mais peut-on énumérer tous ses mérites ?

« Sur sa tombe le pasteur et le rabbin ont parlé de la façon la plus émouvante ; tous deux pleuraient. Lui, gisait là dans la bière découverte, vêtu de son vieil uniforme passé, la tête enveloppée d’un vieux mouchoir. — sa tête de brave homme, — et il paraissait dormir tant son teint était frais. »

UN CAS ISOLÉ


« Un cas isolé, me dira-t-on ! » Eh quoi ! Messieurs, je vais donc être encore une fois coupable, pare ce que, dans un cas isolé, je vois comme un commencement, de solution de toute la question, de cette question juive qui a déjà tenu tout un chapitre de mon Carnet.

La ville de M…, où vivait le docteur, est une grande ville, chef-lieu d’un gouvernement de l’Ouest. Il y a là une masse de juifs, des Russes et des Polonais, des Lithuaniens et des Allemands. Toutes ces nationalités ont réclamé ce brave homme comme étant leur. Lui était un Allemand protestant, aussi Allemand qu’il est possible de l’être. Sa façon d’agir lors de l’achat de la vache est purement germanique ; c’est un trait allemand. D’abord il a inquiété le juif avec sa question : Comment me paieras-tu ? Et, le pauvre diable, en vendant sa chèvre, n’a dû avoir qu’un seul regret, le regret que sa chèvre ne valut que quatre roubles. Ce vieux médecin était pauvre aussi, et s’était bien peu le payer de tous les services rendus à la famille juive. Mais le bon, docteur riait sous cape : Ah ! tu vas voir un de nos tours allemands ! Il dut être parfaitement heureux en pensant que le juif allait avoir une vache au lieu de sa chèvre. Cette joie le rendit peut-être plus dur à la fatigue, plus satisfait encore de se dévouer, la nuit suivante, quand il se trouva au chevet de quelque pauvre juive en couches. Si j’étais peintre, j’aimerais à choisir, comme sujet de tableau, un moment de cette nuit passé là après une telle journée. Le sujet est riche pour un peintre : d’abord la misère trop effroyablement pittoresque de la masure juive. On obtiendrait peut-être avec cela quelques effets humoristiques car l’ « humour, c’est l’esprit du sentiment profond » et j’aime beaucoup cette définition. Avec de la finesse et de l’esprit le peintre pourrait tirer un grand parti du désordre où s’étaleraient tant d’objets misérables, ustensiles de ménage et autres, dans le triste taudis ; et ce désordre amusant nous toucherait tout de suite le cœur, Je vois aussi un intéressant effet de lumière ; la chandelle achève de se consumer et par l’unique fenêtre crasseuse mais parée de givre, voici que pointe le jour nouveau qui sera dur aux pauvres gens. Laissant la mère pour un instant, le petit vieillard fatigué s’occupe de l’enfant, Il l’a pris, mais faute de langes n’a pu l’emmailloter. Il a ôté son vieil uniforme, enlevé sa chemise et l’a déchirée en bandes. Le petit juif nouveau-né s’agite sur le lit ; le chrétien le prend dans ses bras et l’enveloppe de la chemise qu’il a enlevée de sur son propre corps. Voilà Messieurs, la solution de la question juive. Le torse nu du docteur octogénaire, frissonnant à l’humidité du matin, peut figurer en belle place dans le tableau ; j’aperçois aussi le visage de l’accouchée qui regarda son nouveau-né et ce qu’en fait le docteur. Le Christ voit tout cela de là-haut et le médecin le sait : « Peut-être que ce petit juif, un jour, donnera, à son tour, sa chemise à un chrétien, en se souvenant du récit qu’on lui aura fait de sa naissance, » pense en lui-même le vieux docteur, avec une noble naïveté. Cela se réalisera-t-il ? Qui sait ? Pourquoi pas ? Le mieux est de croire, comme le fait le docteur, que cela se réalisera, doit se réaliser.

Un cas unique ! Certes ! Voici deux ans nous apprenions que quelque part, dans le Sud de la Russie, un médecin qui sortait du bain et se hâtait de rentrer chez lui pour déjeuner, fut prié de donner ses secours à un homme qu’on venait de repêcher évanouit dans la rivière — et s’y refusa. Il passa en jugement pour cela. C’était pourtant, peut-être, un homme intelligent au courant des idées nouvelles, un progressiste qui exigeait les mêmes droits pour tous, — en négligeant les cas isolés.

Mais le vieux docteur qui voulait vraiment appartenir à tous, ce cas isolé, a eu toute la ville à ses funérailles. Les Russes, les Allemands et les juifs pleuraient fraternellement sur sa bière. Le rabbin et le pasteur ont parlé, animés du même esprit d’amour et de bonté. À ce moment-là elle était presque résolue, la question juive ! Qu’importe qu’en rentrant dans le train-train quotidien, chacun des spectateurs de la cérémonie soit revenu à ses vieux errements ! Une goutte d’eau finit par creuser une pierre et les « hommes universels » comme le docteur feront la conquête du monde en lui apportant l’union. Les préjugés pâliront à chaque cas isolé, et finiront par disparaître. Sans ces « unités », l’entente universelle ne serait près de se faire. Un brave homme n’a pas besoin d’attendre que toute l’humanité devienne aussi bonne que lui : très peu d’homme comme le docteur Hindenbourg seront de force à sauver le monde tant leur exemple aura de puissance. Et s’il en est ainsi, pourquoi ne pas espérer.