Alphonse Lemerre (p. 84-86).

MARINES

À Joseph Caraguel.

I

marine sombre

La plaine marine s’est attristée
Comme d’un deuil infiniment morne ;
Sous les cieux, noirs de funèbres nuées
Gronde, en sanglots sourds, sa mélancolie sans bornes.

Les vagues sont de lourdes étoffes sombres
Frangées d’argent funeraire
Et les brises du large — véhémentes pleureuses — vocifèrent
Comme sur des Morts gisants aux liquides décombres.


Des Morts glorieux — chers aussi —
Dont les regards se fussent éteints
Comme s’éteignent les claires étoiles au gris matin,
Des Morts emblématiques dont les noms seraient :
Espoir, Courage, Amour, Fierté,
Et que la mer sinistre aurait engloutis.

II

marine claire

À Stuart Merrill.

Le bleu marin, doré de ciel, déroule ses soies lentes
Comme pour un manteau de Vierge byzantine.
Puis ce sont de gracieux rubans, irisés d’eau câline,
Que nulle âpre respiration du vent ne tourmente.

Les crêtes saphirines des vagues sont fondues
De tendresse, au sein de la brillante étendue
Soulevée à peine en paresseux mouvements
D’ailes frissonnantes — comme d’un ramier dormant.

C’est le Pardon joyeux et l’oubli des orages,
Le baiser unissant les éléments candides
Si intimement que — vertigineux mirage —
La mer semble un ciel doux, onduleux et liquide,


Où — telles des nuées — les navires oscillent
— Et le vrai ciel paraît une mer immobile.

III

soir en mer

À Georges Rodenbach.

La mer et le ciel se sont parés
De lueurs rouges, de lueurs roses,
De lueurs pourpres — en chantante gamme

— C’est — comme des linges éclaboussés de sang, parmi des roses,

Ce qui resterait
De quelque galant drame.

Puis, des gemmes enflammées,
Des rubis, des grenats, des coraux
Roulent en colliers dénoués,
Tombent, en guirlandes rompues, du ciel dans l’eau.

Et les feux de l’horizon qui étincelle
Cerclent la mer d’un anneau d’or,
Comme une fiancée redoutable et belle

Qui, charmeresse, se couche dans les dentelles
De l’écume, légères et frêles
Et, respirant doucement — s’endort.