Joies errantes/Le poème des caresses

Alphonse Lemerre (p. 57-58).

LE POÈME DES CARESSES

Inoubliables baisers qui rayonnez
Sur le ciel pâle des souvenirs premiers !
Baisers silencieux sur nos berceaux penchés !

— Caresses enjouées sur la joue ;
Tremblantes mains des vieux parents, —
Pauvres chères caresses d’antan,

Vous êtes les grandes sœurs sages
Des folles qui nous affolent
Dans les amoureux mirages.

Baisers ingénus en riant dérobés,
Moins à cause de leur douceur souhaités,
Que pour s’enivrer de témérité.


Premières caresses, vacillantes —
Comme, dans le vent âpre,
Des lumières aux lampes ;

Caresses des yeux, caresses de la voix,
Serrements de mains éperdues
Et longs baisers où la raison se noie !

Puis, belles flammes épanouies,
Sacrilèges hosties
Où tout le Dieu vainqueur avec nous communie !

Caresses sonores comme des clochettes d’or,
Caresses muettes comme la Mort,
Caresse meurtrière qui brute et qui mord !…

Baisers presque chastes de l’Amour heureux,
Caresses frôleuses comme des brises,
Toute-puissance des paroles qui grisent !

Mélancolique volupté des bonheurs précaires,
Pervers aiguillon du mystère,
Éternel leurre ! ironique chimère !

Puis, enfin, dans la terre —
Lit dernier, où viennent finir nos rêves superbes, —
Sur notre sommeil, la calmante caresse des hautes herbes.