Joies errantes/Le poème de la vigne

Alphonse Lemerre (p. 103-105).

LE POÈME DE LA VIGNE

À Anatole France.

Sur son vaisseau aux mâts fleuris
Dionysos, vers les Indes lointaines,
Cingle parmi
Les vents soumis ;

Et riche du butin conquis
D’or, d’ivoire, d’ambre et d’aromates
Il en rapportera, plus précieuse encore,
La vigne au rire sonore.

Plus tard, ce sera le vin rose
De Chypre, dans les coupes insoucieuses
Qui vacillent aux mains des belles courtisanes
Couronnéesde roses.

Parmi les Vignes de Saaron,
Dont les grappes sont parfumées,

L’Épouse du Cantique des cantiques
S’offrira sublime et naïve
À l’Époux mystique.

Les vins du Rhin, bus dans les hanaps,
Plongeront les somptueux margraves
Dans l’ivresse héroïque et grave
Qui rêve de hauts faits
Par les bardes chantés.

L’Espagne dans les ondes chaleureuses
Des Xérès et des Alicantes
Trouvera la flamme nerveuse et langoureuse
De ses danses affolantes.

Les Falernes, chauffés de soleil
Dans les campagnes latines,
Gardent en leurs rameaux vermeils
Le sang farouche des Messalines.

La vigne française — rouge rose et blonde —
Sera célébrée aux deux bouts du monde.
Cette terre de France, couronnée
De glorieux Passé,
Riche d’Espoir et de belles Chimères
Ne contient-elle pas l’esprit de Rabelais
Et de Voltaire
En ses robustes veines retourné ?


Enfin le champagne à la mousse folle —
Dont le bouchon comme un oiseau s’envole —
Est le diadème d’or, finement perlé,
Au front de la Vigne sacrée.
Son éloquence, passionnée et légère,
Est la fantasque conseillère
Du gracieux amour éphémère

Mais c’est aussi parmi
La pourpre miraculeuse du Vin
Que règne le sang de l’Agneau divin ;
Offert en tendresse infinie
Pour toute la terre.