Alphonse Lemerre (p. 9-11).

JOIES ERRANTES


LA VIE

À Eugène Ledrain.

Elle nous parvient ingénue et rajeunie
Des lointains confins de races abolies.
Les pleurs que versent nos yeux enfantins,
Étonnés par l’éclat des nouveaux matins,
Sont faits des douleurs anciennes ;
Et nos premiers chagrins sont de vieilles antiennes.

Mais, sous les feuillées de Printemps,
Nos rondes tournent, tournent gaîment,
Avec nos âmes de Printemps.

Puis, au ciel dore de l’Été
Fuit le vol vagabond des nuées
Lourdes des orages de nos cœurs éveillés ;


Extases, peines ; male heure et bonne,
Sanglots de joie, enivrements d’orgueil —
L’écho des éternels deuils
Et de l’éternel Espoir à la voix enchantée
En nous résonne.

Toutes les belles fleurs tentent nos mains avides,
Nos pas sont attirés vers l’horizon splendide —
Mais notre pas trébuche aux pierres du chemin
Et les ronces déchirent nos mains.

Au pressoir rouge de l’Automne
Bout le flot mauvais des haineux levains ;
Le tocsin des désastres sonne
Et ruisselle le sang rouge — comme le vin.

Enfin, par l’Hiver glacés,
L’Amour et la Haine fraternellement vont dormir —
Blêmes trépassés —
Sous les neiges sans couleur
Notre cœur se meurt ;
Seules les pâles chrysanthèmes du Souvenir
Se penchent sur notre cœur qui va dormir…


Mais, la minute brève d’une Vie
Contient toute la joie — aussi
Tout le tourment des âges évanouis —
Et le frisson fugace dont notre âme a frémi
C’est le Frisson de l’Infini.