J. Hetzel (Œuvres illustrées de George Sand, volume 3p. 39-43).
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XI.

LE POISSON D’AVRIL.
La conversation en était là lorsqu’un murmure de chuchotements et de rires étouffés se fit entendre derrière la porte, et les deux demoiselles dont on avait auguré la destinée, se présentèrent, fort peu occupées des châteaux en Espagne que leurs mères venaient de leur bâtir. Malgré les éloges réciproques que ces dames avaient échangés sur le compte de leurs filles, elles n’étaient remarquables par leur beauté, ni l’une ni l’autre. Elvire de Charmois était une grosse personne assez bien faite, fraîche, et vêtue avec recherche, grâce aux soins de sa mère, qui la tenait toujours sous les armes, prête à passer la revue des épouseurs. Mais quelque effort d’imagination que fît madame de Charmois pour échapper à une triste réalité, Elvire ressemblait à M. de Charmois d’une façon désespérante. Elle avait son esprit lourd et commun, et même il semblait que sa physionomie eût hérité de toute la mauvaise humeur que l’un des auteurs de ses jours avait occasionnée à l’autre.


Marie et Elvire.

Marie de Boussac était moins fraîche et moins bien tournée que sa compagne ; mais sans être jolie, elle était infiniment agréable. Pâle, un peu maigre, la taille un peu grêle et voûtée, le menton un peu long, elle n’avait de vraiment beau que les yeux et les cheveux ; mais l’expression de sa physionomie était si pure et si intéressante, son regard et son sourire témoignaient d’une âme si sensible et si généreuse, qu’il était impossible de la regarder et de causer quelques instants avec elle sans la trouver charmante et sans désirer son estime et son affection.

Quoiqu’elle fût souvent rêveuse, elle était fort gaie en cet instant, ainsi que sa compagne, l’ennuyée et pesante Elvire, lorsqu’elles entrèrent dans le grand salon…

— Maman, dit Marie, d’un ton qu’elle s’efforçait de rendre calme et dégagé, mais qui ne savait pas mentir, même en plaisantant, voici deux dames de la ville qui vous demandent de les présenter à leur nouvelle sous-préfette. Et aussitôt parurent deux dames, dont la première s’avança si hardiment et salua d’une façon si ridicule, que les deux demoiselles éclatèrent de rire malgré leurs efforts pour continuer la comédie.

Il n’avait fallu qu’un instant à madame de Boussac pour reconnaître la désinvolture de Claudie, travestie en demoiselle. Mais la grosse Charmois, qui avait la vue basse, et à qui les traits de la soubrette n’étaient pas encore familiers, se leva, fort mécontente de l’accueil impertinent que ces demoiselles, et notamment sa fille, faisaient à une de ses administrées. Elle ne se calma qu’en entendant madame de Boussac dire en riant :

— Tu es ravissante, Claudie, tu as l’air d’une duchesse !…

— De l’Empire ! ajouta la Charmois en se rasseyant… C’était donc là la cause de votre bruyante gaieté, mesdemoiselles ?

— Mesdames, c’est aujourd’hui le 1er avril ! s’écria Marie de Boussac. Nous vous avons servi le poisson de rigueur. C’était notre devoir… et notre droit !

— Vous êtes pardonnées, mes enfants, répondit madame de Boussac. Madame de Charmois a été attrapée, elle a fait la révérence : mais je crois que je le suis aussi, moi, car je ne reconnais pas du tout l’autre dame qui se tient là-bas sans oser montrer son nez. Entrez donc, Madame, qu’on vous regarde.

— Approche donc, toi, cria Claudie… tu vois bien que Madame s’amuse de ça et que ça ne peut la fâcher.



C’était une très-agréable paysanne. (Page 41.)

— Je vous demande bien pardon, ma marraine, dit Jeanne en avançant avec timidité… Je ne me serais jamais permis ça de moi-même… c’est mam’selle Marie qui a voulu absolument nous attifer.

— Comment, c’est Jeanne ? dit madame de Boussac ; je savais bien que ce ne pouvait être qu’elle, et pourtant je ne pouvais pas la reconnaître. Ah ! mais, c’est qu’elle est fort bien !

— C’est là Jeanne ? pas possible ! s’écria madame de Charmois. Qui donc l’a si bien habillée ?… c’est incroyable comme elle est bien !

— J’y ai mis tous mes soins, répondit mademoiselle de Boussac. J’espère que j’ai réussi.

— Ah ! oui, vous y avez mis du temps, Mam’selle ! dit Jeanne qui s’était patiemment prêtée à cette mascarade. Enfin ça vous a amusée et ça me fait plaisir de vous faire rire un peu. À présent que la farce est jouée, je m’en vas ôter vos beaux habillements, pas vrai ?

— Non, non, pas encore, Jeanne ! oh ! ma chère Jeanne, je t’en prie, reste un peu comme cela. Tenez, maman, regardez-moi cette figure-là ! je parie que vous voudriez me l’avoir donnée au lieu de celle que je porte ?

— Ah ! Mam’selle, vous dites ça pour rire, répondit de la meilleure foi du monde, Jeanne, qui trouvait sa chère jeune maîtresse plus belle que tout au monde.

— Est-ce que c’est une robe à vous, Elvire ? dit madame de Charmois à sa fille, en examinant Jeanne avec son lorgnon.

— Oui, maman, les robes de Marie vont à Claudie, et les miennes à Jeanne, qui est de ma taille.

— Ça me serre diantrement, dit Claudie qui se regardait au miroir, éblouie d’elle-même. Mais, c’est égal, j’voudrais être fagotée comme ça tant seulement tous les dimanches.

Claudie avait grand tort. C’était une très-agréable paysanne et une très-déplaisante demoiselle. Sa coiffe blanche allait fort bien à son visage rondelet, et son jupon court à sa jolie jambe ; mais la robe longue et drapée des femmes de loisir lui enlevait tous ses avantages, et ses cheveux crépus et bas plantés, qui lui donnaient l’air mutin et courageux, obéissaient mal à la coiffure lisse et moelleuse que les dames de cette époque avaient empruntée aux belles Anglaises. Ses manières de franche villageoise avaient un comique gracieux que la robe bleu-céleste de la romantique Marie faisait paraître choquant et même effronté. Enfin la bonne Claudie, dont les formes rondes et mignonnes ne manquaient pas de charme dans la liberté de leurs allures, avait, en cet instant, l’air d’un méchant petit garçon mal déguisé en femme.

Jeanne offrait avec elle un parfait contraste : elle était aussi belle en demoiselle qu’en villageoise ; la vigueur de ses formes n’avait rien de masculin, grâce à son humeur paisible et chaste, qui lui conservait toujours une contenance grave et posée. Son teint de lis et de roses (pour elle cette vieille métaphore était toujours de saison, et il n’y avait soleil ni hâle qui pussent en triompher), paraissait plus pur et plus frais encore avec la robe blanche et la fraise de dentelle ; ses cheveux splendides, que la coiffe avait toujours dérobés aux regards, s’étaient prêtés sous le peigne au goût exquis de mademoiselle de Boussac, et s’arrondissaient en tresses d’or autour de sa tête admirablement conformée. Ses mains, d’un beau modelé, n’avaient eu besoin d’autre cosmétique que le laitage qu’elles pétrissaient tous les jours, pour devenir merveilleuses de blancheur et de souplesse. Il n’y avait que son pied qui fût mal déguisé ; c’était celui d’une statue grecque ; habitué dans l’enfance à marcher nu sur les bruyères, il était trop beau et trop naturel pour se sentir à l’aise dans les souliers étroits et pointus à l’aide desquels les femmes du monde se font des extrémités artificielles qui ne semblent pas appartenir à un corps humain.

— J’avoue, dit mademoiselle de Boussac en la regardant, que je n’ai jamais rien vu d’aussi beau que toi, ma pauvre Jeanne. Le ciel t’aurait créée pour être impératrice, qu’il n’aurait pas fait mieux. — À présent, maman, ajouta-t-elle, nous allons nous promener dans le jardin. Les gens de la ville qui nous verront de loin prendront ces deux déguisées pour des demoiselles arrivant de Paris. Le bruit va se répandre tout de suite que madame la sous-préfette a trois filles, et demain, quand ils n’en verront plus qu’une, ils seront aux champs pour savoir ce que sont devenues les deux autres. Cela fait que toute la ville de Boussac goûtera au poisson d’avril.

— Mesdemoiselles, pas de plaisanterie où je sois mêlée, je vous en prie, dit madame de Charmois. Dans ma position, je ne puis me permettre de rire avec mes administrés. Ce serait du plus mauvais ton, et les mettrait avec moi sur un pied d’intimité qui ne me conviendrait nullement.

— Et puis cela pourrait les fâcher, ajouta madame de Boussac, faire croire qu’on se moque d’eux, qu’on les traite légèrement, et les gens des petites villes sont horriblement susceptibles. Ainsi, Marie, ne poussez pas cela plus loin, mon enfant.

— C’est vrai, répondit Marie avec douceur. Eh bien ! nous y renonçons bien vite, maman.

— Ah ! bien, voilà tout notre amusement fini ! dit Elvire en reprenant tout à coup son air boudeur ; c’est bien la peine d’avoir passé tant de temps à les costumer ! Maman, vous êtes toujours comme cela. Vous ne voulez jamais qu’on s’amuse ! Si vous n’aviez rien dit, madame de Boussac n’aurait pas songé à nous le défendre.

— Mais puisqu’on vous dit, ma fille, que cela pourrait choquer, et faire naître dès l’abord des préventions contre nous !

— Le beau malheur de choquer des sots ! reprit Elvire, qui était toute rouge de dépit, bien que son ton traînant n’indiquât pas une violence expansive et franche.

Madame de Charmois allait répondre, et la dispute n’eût pas fini de si tôt, lorsque Cadet entra apportant des bougies. Le fils du sacristain Léonard avait fait récemment partie de la nouvelle levée de serviteurs campagnards que, pour raison d’économie, madame de Boussac avait substituée à sa valetaille parisienne. C’était Jeanne, consultée par sa marraine, qui avait indiqué Cadet comme un bon sujet, un garçon à tout faire, comme on dit. Cadet était enchanté de vivre auprès de Claudie, qui était sa camarade de première communion (chez les paysans, aller ensemble au catéchisme établit un lien qui ne s’oublie pas), et de Jeanne, qui avait été sa compagne bienveillante et son guide éclairé dans l’art de faire pâturer les bêtes. Il était un peu lourd, un peu maladroit, cassait beaucoup, faisait mille quiproquos quand on le chargeait de diverses commissions, et n’avait pas encore pu, depuis six mois, élever son intelligence jusqu’à la symétrie du dessert. Au demeurant, laborieux, point ivrogne, probe et de bonne volonté, il se faisait pardonner toutes ses gaucheries, et la grand’dame de Boussac avait pris le parti d’en rire avec Marie, qui le protégeait parce que Jeanne intercédait toujours en sa faveur. Quant à Claudie, elle passait sa vie à le taquiner, à le gronder, à le contrefaire, ce qui, loin de l’offenser, le charmait, et, de son côté, la malicieuse fille eût été désolée de perdre un camarade qui alimentait sa joyeuse humeur par une niaiserie complaisante et une crédulité inaltérable.

Cadet n’avait pas été initié au projet du poisson d’avril. En voyant confusément deux dames de plus au fond du salon, il baissa modestement les yeux : suivant sa coutume, plaça les lumières, attisa le feu, ferma les jalousies, et sortit sans s’apercevoir des rires de Claudie et de mademoiselle Elvire, qui pouffaient, tandis que Jeanne et Marie gardaient parfaitement leur sérieux.

Marsillat entra l’instant d’après, et madame de Boussac, qui le traitait en ami de la maison, consentit tacitement à ce que Marie fît rester les deux fausses demoiselles pour tenter l’épreuve sur lui. Seulement Marie, qui se méfiait du coup d’œil rapide et pénétrant de Léon, poussa les soubrettes dans l’embrasure d’une fenêtre, et se plaça devant elles, avec Elvire, auprès d’une table à ouvrage.

Léon Marsillat était fort bien venu au château de Boussac, depuis la maladie de Guillaume. Il avait témoigné alors un grand intérêt à ce jeune homme. Il s’était dévoué obligeamment à lui venir tenir compagnie et faire la lecture deux ou trois fois le jour, durant sa convalescence. Il ne s’était pas rebuté de la froideur languissante avec laquelle le malade avait agréé ses soins. Lorsque Guillaume avait été assez fort pour manifester sa reconnaissance ou son déplaisir, madame et mademoiselle de Boussac avaient remarqué avec surprise qu’il s’était montré de plus en plus froid et contraint envers Marsillat. Il ne lui avait jamais adressé de paroles désobligeantes ; bien au contraire, il l’avait remercié de son dévouement en termes affectueux, mais sur un ton glacé. Puis il avait paru l’éviter, retenir mal un geste d’impatience et de mécontentement quand il le voyait entrer dans la cour et se diriger vers la maison : enfin, il lui était arrivé plusieurs fois de courir à sa chambre et de s’y enfermer, feignant de dormir et ne répondant pas quand Léon venait y frapper doucement, bien que Claudie, qui épiait ou devinait tout, l’eût vu, par le trou de la serrure, lire ou rêver à son balcon.

Marsillat s’était fort bien aperçu de cette disposition peu bienveillante. Il n’en avait tenu compte, feignant de n’en rien voir, ce à quoi l’avait suffisamment autorisé le redoublement d’égards et de prévenances affectueuses de madame de Boussac. La pauvre mère, ne soupçonnant point les motifs de cette antipathie, avait attribué à l’état maladif du cerveau de son fils, l’espèce d’ingratitude dont elle s’efforçait de le justifier, et que cependant elle n’avait osé blâmer ouvertement, les médecins ayant fortement recommandé d’éviter toute émotion et toute contrariété au malade. C’est seulement lorsque Guillaume avait été hors de danger, que madame de Boussac avait fait sortir Marie du couvent, espérant que la société d’une sœur chérie dissiperait la mélancolie du jeune homme. Mais, après quelques jours d’expansion, Guillaume s’était montré plus nerveux, plus bizarre et plus abattu qu’auparavant. C’est alors qu’on s’était décidé à l’envoyer à Marseille rejoindre sir Arthur, qui partait pour l’Italie, et qui demandait, par des lettres pleines d’insistance et d’affection sincère, à se charger de distraire et de surveiller son jeune ami. Marsillat avait offert de conduire ce dernier à Marseille, et cette fois Guillaume avait accepté sa compagnie avec un empressement qu’on avait regardé comme un premier symptôme d’heureuse guérison physique et morale.

De Marseille, Léon avait été s’installer à Guéret, où il se proposait d’exercer sa profession d’avocat, durant quelques années, comme sur un théâtre plus digne de son talent que Boussac, arène obscure de ses premiers et remarquables essais. Mais il revenait fréquemment à Boussac pour voir sa famille, ses amis d’enfance, et donner un coup d’œil à ses propriétés. Il ne manquait jamais d’être assidu au château de Boussac. Il était le conseil obligeant et désintéressé de la famille, la dirigeait habilement à travers ses embarras de fortune ; en un mot, il s’était rendu nécessaire, ce qui lui avait fait pardonner par la châtelaine son peu de respect et d’amour pour un trône et une religion auxquels, au fond de son cœur, la dame de l’empire ne tenait que pour la forme et à cause du nom qu’elle portait. N’ayant plus guère pour primer sa province que ce nom dont on lui tenait plus de compte que sous l’empire, elle se rattachait par là seulement à la restauration.

La grand’dame de Boussac faisait donc à l’avocat libéral et voltairien un accueil très-affectueux, et mademoiselle de Boussac, attentive à complaire à sa mère, le recevait avec une grâce candide, qu’elle s’efforçait de rendre enjouée, comprenant bien que le côté profond de son caractère serait heurté par l’ironie de Marsillat, et ne se sentant pas assez de confiance en lui pour consentir à une discussion sérieuse sur quelque sujet que ce fût. Au fond du cœur, Marie se tenait sur ses gardes avec cet homme que son frère avait paru ne point aimer, et qu’elle voyait sceptique sans savoir qu’il était dépravé. On fermait les yeux là-dessus au château, et on ne prononce pas d’ailleurs le mot de libertin devant les demoiselles.

— Madame, dit Marsillat à la châtelaine, je vous annonce une visite. J’ai rencontré, au bas de la côte, une grosse voiture… remplie de graves personnages que je ne connais pas, mais qui m’ont demandé à plusieurs reprises si vous étiez chez vous.

— Une grosse voiture… de graves personnages… s’écria madame de Charmois en jetant un coup d’œil rapide sur la toilette de sa fille.

— Et que vous ne connaissez pas ? ajouta madame de Boussac. Voilà ce qu’il y a de plus étrange, car vous connaissez toutes les personnes du pays, monsieur Léon.

— Vous ne voyez pas, maman, que c’est un poisson d’avril ? dit en souriant mademoiselle de Boussac.

— Ah ! mademoiselle Marie, répondit Marsillat, je ne me permettrais jamais avec vous… ce que vous me faites l’honneur insigne de vous permettre envers moi dans ce moment même.

— Comment cela ?

— Permettez-moi donc de saluer cette dame, reprit Marsillat, qui reconnaissait la nuque hâlée de Claudie sous sa crinière mal domptée.

Et il s’approcha du jeune groupe, faisant, avec un sérieux comique, de grands saluts à Claudie, mais sans la regarder en face, car la beauté de Jeanne et son attitude naturellement noble et calme absorbaient toute son attention.

— Et comment donc que vous avez fait pour me reconnaître si vite, quand Cadet ne m’a pas reconnaissue du tout ? s’écria Claudie en se levant et en se donnant de grands coups d’éventail dans la poitrine.

— Avec quelle grâce elle manie l’éventail ! reprit Marsillat toujours railleur et regardant toujours Jeanne de côté : on dirait d’une beauté andalouse.

— C’est-il des sottises que vous me dites là, monsieur Léon ? demanda Claudie, ne comprenant rien à ce compliment ironique.

Pendant que l’on échangeait des reparties enjouées autour de la table à ouvrage, madame de Charmois, qui avait braqué son lorgnon sur Marsillat, et qui, déjà, avait interrogé à la hâte madame de Boussac sur le nom, la position et la fortune de l’avocat, reconnut, avec ce regard de lynx d’une femme née préfet de police, que ledit avocat, après avoir effleuré du regard la grosse Elvire, n’avait plus daigné y faire la moindre attention, et que, tout en parlant avec Marie et Claudie, il ne détachait pas ses yeux de la belle Jeanne. — Ma chère, dit-elle à madame de Boussac, il est temps de faire finir cette plaisanterie ; il vous arrive du monde. J’ai entendu dans la cour le roulement d’une voiture…

— Eh non ! ma chère, c’est une charrette qui rentre.

— N’importe ! faites sortir ces péronnelles. Je vous demande cela pour moi. Une visite qui vous tomberait dans ce moment-ci me gênerait beaucoup… Et puis, vraiment, ajouta-t-elle en baissant la voix tout à fait, vous avez là une trop belle servante ; cela fait tort à nos filles. Je ne conçois pas que vous gardiez cette Jeanne ayant une fille à marier. Je vois que vous n’y entendez rien, et qu’il faudra que je vous dirige si vous voulez l’établir convenablement. Allons ! vous riez de tout ! Moi, je vais renvoyer à leur poulailler ces demoiselles de contrebande.

La grosse Charmois se leva ; mais, avant qu’elle eût fait un pas, Cadet, tout rouge, tout essoufflé, tout ébouriffé, se précipita dans le salon en criant et en riant à se luxer la mâchoire :

— Madame ! les v’là ! notr’ maîtresse ! Ça les est ! Ça les est ; foi d’homme !

— Mon fils ! s’écria madame de Boussac, qui devina avec le seul commentaire de la tendresse maternelle.

Elle s’élança vers la porte avec Marie, et soudain Guillaume, bousculant Cadet, qui, dans sa joie, perdait la tête et se mettait en travers de la joie d’autrui, se précipita dans les bras de sa mère et de sa sœur. Sir Arthur le suivait, attendant, d’un air heureux et calme, sa part dans les embrassades et les effusions de famille.