J. Hetzel (Œuvres illustrées de George Sand, volume 3p. 43-46).
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XII.

UN GENTLEMAN EXCENTRIQUE.

J’espère que je vous ai tenu parole, dit sir Arthur aux dames de Boussac, lorsque les premiers transports furent apaisés. Je vous le ramène aussi frais, aussi aimable et plus robuste qu’avant sa maladie.

En effet, Guillaume était devenu tout à fait un beau jeune homme. Il avait fait le matin un peu de toilette pour donner de la joie à sa mère en lui montrant la meilleure mine possible. Ses yeux brillaient du pur bonheur qu’on éprouve à se retrouver au sein de sa famille après une assez longue absence. Il ne cessait d’embrasser sa mère, de baiser tendrement les mains de sa sœur, de serrer dans ses bras sir Arthur, en le leur présentant comme son sauveur, son meilleur ami, son véritable médecin ; il faisait même un accueil des plus affectueux à Marsillat, contre lequel il paraissait avoir abjuré ou plutôt oublié ses anciennes préventions. Présenté aux dames de Charmois, il avait su dire des paroles d’un aimable à-propos pour féliciter sa mère et sa sœur de leur arrivée. Enfin, tout le monde le trouvait charmant, et même la grosse sous-préfette l’eût désiré moins joli garçon, cet avantage de la beauté rendant, selon elle, les jeunes gens plus difficiles, en fait de fortune, dans le choix d’une épouse.

Quant à sir Arthur, elle le dévorait de son lorgnon, et, ne pouvant se lasser d’admirer sa belle figure et sa noble prestance, elle pensa moins d’abord à en faire son gendre qu’à regretter pour elle-même de n’avoir pas vingt ans de moins.

Jeanne et Claudie étaient restées debout dans leur coin, ne se souvenant plus qu’elles étaient déguisées, l’une ébahie à la vue de ces beaux Messieurs si bien habillés ; l’autre attendrie de la joie de sa marraine, et surtout de sa jeune maîtresse, ne pensant ni à se faire voir ni à se cacher, oublieuse d’elle-même, suivant sa coutume. « Comme ce grand Monsieur parle drôlement ! disait Claudie surprise de l’accent britannique très-prononcé de sir Arthur. — Tu vois bien qu’il parle anglais ! lui répondit d’un air avisé Cadet, qui s’était rapproché d’elle.

— C’est donc ça de l’anglais ? reprit Claudie ; ça se comprend bien tout de même.

— Ce Monsieur est un Anglais ? dit Jeanne à son tour ; et, conservant contre les enfants d’Albion un effroi et un ressentiment enracinés dans le cœur de nos paysans depuis quatre siècles, elle s’étonna qu’il eût l’air d’un chrétien plus que d’un démon.

— Mademoiselle Marie, dit Marsillat, je vous demande humblement pardon du poisson d’avril que je vous ai servi en vous annonçant de graves personnages inconnus.

— Ah ! je vous le pardonne de grand cœur, répondit la jeune fille ; mais j’admire votre astuce ! vous mentez avec un sang-froid !…

— C’est M. Arthur qu’il faut en accuser. Il m’avait tant recommandé d’être sur mes gardes ! il tenait tellement à vous surprendre !

— Oui, miss Mary, reprit sir Arthur avec son enjouement paisible et son parler lent. J’étais passionné contre vous depuis un jour de 1er avril où, étant toute petite, à votre couvent, vous m’aviez fait mille contes plus jolis les uns que les autres, en me riant au nez à chaque mot, ce qui ne m’empêchait pas de vous croire. À présent, c’est mon tour de vous mystifier.

— Êtes-vous bien sûr, sir Arthur, dit Marsillat en faisant un signe d’intelligence à mademoiselle de Boussac, que mademoiselle Marie ne pourrait plus vous servir aucun poisson d’avril ?

— C’est immepossible ! s’écria l’Anglais. Je ne crois plus à elle !

En ce moment, Guillaume se rapprocha de sa sœur et regarda Claudie sans la reconnaître. Elle était entrée au château longtemps après son départ pour l’Italie, et il ne l’avait vue qu’un jour dans toute sa vie, le jour qu’il avait passé à Toull-Sainte-Croix. Le déguisement achevait de dérouter ses souvenirs, et il ne fit attention à elle que pour se dire : J’ai vu, je ne sais où, une figure qui ressemblait à celle-ci. Mais dès qu’il eut aperçu Jeanne, il la trouva si belle et si à l’aise sous ce nouveau costume, qu’il ne put se persuader qu’elle le portait pour la première fois. Il s’imagina qu’en appréciant le caractère élevé de sa filleule, madame de Boussac l’avait tirée de l’humble condition de servante pour en faire une sorte d’égale, une demoiselle de compagnie, et il se sentit pénétré de joie et de terreur.

Il s’était préparé à revoir Jeanne avec des sentiments de protection paternelle. Ne la trouvant pas sur son passage dans la cour ni dans l’escalier du château, il s’était demandé si sa mère, qui était bien encore quelquefois sujette à des accès de colère et à des préventions capricieuses, n’avait pas renvoyé Jeanne à ses moutons et à sa montagne. Enfin il la retrouvait au salon sous les habits d’une demoiselle. Sans doute, on lui avait donné de l’éducation ; il allait entendre un langage épuré sortir de ses lèvres. Sa figure noble, sa tenue chaste et pleine de dignité, s’accordaient si bien avec ses suppositions ! Il s’approcha d’elle, lui prit la main, voulut lui parler, trembla, pâlit et balbutia. Cette main était devenue si blanche et si douce, cette manche de mousseline laissait voir un si beau bras, que Guillaume, troublé et ne sachant plus ce qu’il faisait, porta la main de Jeanne à ses lèvres. La pauvre fille éperdue prit l’embarras de son parrain pour de la froideur, et cette caresse respectueuse et inusitée, pour une raillerie que lui attirait son déguisement, comme les grandes révérences que Marsillat avait faites à Claudie. Ses yeux se remplirent de larmes, et elle s’esquiva bien vite avec Claudie pour aller reprendre ses habits de paysanne, et préparer le souper de son parrain.

Cependant sa beauté, sa candeur et sa grâce naturelle avaient vivement frappé sir Arthur. Il avait beaucoup de mémoire, et cependant il ne pouvait s’expliquer pourquoi cette figure angélique lui faisait l’effet d’une seconde apparition dans sa vie. L’avait-il vue dans ses rêves ? Était-ce là le type de prédilection de sa pensée ? Ressemblait-elle particulièrement à quelqu’une de ces madones de la Renaissance qu’il venait de contempler avec un religieux amour à Florence et à Rome ?

— Quelle est cette jeune Miss ? demanda-t-il à Marsillat.

— C’est la gouvernante anglaise de mademoiselle de Charmois, répondit tout haut Marsillat avec aplomb en faisant de l’œil appel à la gaieté de Marie ; c’est miss Jane ; l’autre est miss Claudia, la gouvernante de mademoiselle Marie.

— Miss Jane ! gouvernante ! répéta l’Anglais avec stupeur.

— Eh bien ! sir Arthur, reprit Marie en souriant, craignez-vous encore quelque poisson d’avril ? Vraiment, on ne pourra plus vous dire bonjour sans que vous soyez sur vos gardes.

Sir Arthur avait déjà mordu à l’hameçon avec une confiance sans bornes, et il se réjouissait de pouvoir enfin parler anglais tout à son aise pendant le souper.

On se hâta de servir. Les deux voyageurs étaient affamés, et sir Arthur, malgré les supplications et les reproches de la famille, était dans la résolution inébranlable de partir immédiatement après. Il était appelé par des affaires pressantes, indispensables, à Orléans, où il avait des propriétés. Il avait défendu aux postillons de dételer ; mais il s’engageait sur l’honneur à revenir dans huit jours.

Autour de la table où le souper venait d’être servi, s’agitaient Claudie et Cadet, l’une poussant l’autre, le grondant à demi-voix, le dirigeant, et se moquant de lui du geste et du regard. Claudie, en paysanne, ne frappa pas plus sir Arthur qu’elle ne l’avait fait en demoiselle. Il n’y fit d’autre attention que de lui dire merci, selon une habitude de courtoisie qui lui était particulière, chaque fois qu’il voyait une main de femme lui changer lestement son assiette, au lieu des grosses pattes brunes et calleuses du flegmatique Cadet.

Guillaume reconnut enfin Claudie, et se rappela qu’on lui avait annoncé son admission au château dans un de ces post-scriptum de lettres intimes où l’on entasse en masse les détails de la vie domestique.

— Claudie était donc déguisée tout à l’heure ? demanda-t-il à Marie, placée près de lui.

— Sans doute, répondit-elle. Nous avions fait notre mascarade du 1er avril sans prévoir que nous serions trop heureuses ce jour-là pour avoir besoin de nous amuser.

— Et Jeanne était donc déguisée aussi ?

— Sans doute. Est-ce que tu ne l’as pas reconnue ?

— Pas très-bien ! dit Guillaume préoccupé.

— Allons donc ! tu lui as baisé la main avec toutes sortes de cérémonies ! Nous avons cru que tu nous secondais pour attraper sir Arthur.

— Je n’y pensais pas, reprit Guillaume.

— Ah ! tu ne t’es donc pas corrigé de tes distractions ?

Pendant ce dialogue à voix basse, madame de Charmois avait entrepris, à haute voix, sir Arthur sur l’article mariage.

— Il y a quelques années que j’ai eu l’honneur de vous rencontrer à Paris chez madame de Boussac, et chez mesdames de Brosse et de Clairvaux, lui disait-elle. Dans ce temps-là vous n’étiez pas marié ; vous étiez incertain si vous achèteriez des propriétés en France ou si vous retourneriez vous fixer en Angleterre : c’était peu de temps après le retour de nos princes bien-aimés, et quoique vous ne fussiez pas militaire, nous vous regardions comme un de nos libérateurs. Maintenant, vous êtes établi, je crois… ou veuf ? Je vous demande pardon si je ne me souviens pas bien.

Marsillat haussa les épaules involontairement au mot de libérateur, que l’Anglais reçut d’un air très-froid. Madame de Boussac, observant le manège de son amie à l’endroit du mariage présumé de sir Arthur, la poussa du genou comme pour l’avertir que c’était bien maladroit ; mais la Charmois n’en tint compte, persuadée que tous les moyens étaient bons pour arriver à ses fins.

— Ainsi, vous êtes encore garçon ? reprit-elle lorsque l’Anglais lui eut fait observer que sa vie errante depuis trois ans eût été peu conciliable avec les liens de l’hyménée. Mais songez-vous qu’il est temps de vous y prendre, sir Arthur ? Vous voilà encore dans la fleur de l’âge. Cependant, quand on a passé la trentaine, croyez-moi, on commence à devenir vieux garçon.

— Vous avez raison, Madame, répondit M. Harley ; on devient égoïste, on prend des manies, on est chaque jour moins propre à rendre une femme heureuse. Aussi, suis-je bien décidé à me marier plus tôt que plus tard.

— À la bonne heure ! J’ai toujours eu mauvaise opinion d’un homme qui ne se marie pas. Et votre choix est fait, sans doute ?

— Non, pas précisément.

— Ah ! vous êtes incertain ?

— Très-incertain, répondit l’Anglais d’un ton positif.

— Je comprends ! vous n’êtes pas bien sûr d’être amoureux.

— Je ne suis pas amoureuse, dit l’Anglais, mais je pourrais bien le devenir. Et il promena autour de lui des regards candides comme s’il eût cherché quelqu’un.

— Il est tout à fait naïf et ouvert, pensa la grosse Charmois, et c’est plaisir que de le pousser un peu. Vous regardez, lui dit-elle en baissant la voix pendant que les jeunes gens parlaient entre eux d’autre chose, s’il y a quelqu’un ici qui vous rappelle l’objet de vos pensées ?

— Mes pensées ne sont pas encore des souvenirs, Madame, dit l’Anglais en riant.

— Est-ce qu’il voudrait me faire la cour ? se demanda la sous-préfette. Quel dommage que je ne sois pas à marier ! Et cette Elvire, qui fait justement la moue dans ce moment, au lieu de montrer qu’elle a de belles dents ! Que les petites filles sont sottes ! Je suis sûre, monsieur Harley, reprit-elle par un douloureux retour sur son peu de fortune, que vous avez de l’ambition ?

— Beaucoup, Madame !

— Vous êtes comme tous les hommes riches de ce temps-ci : vous voulez être plus riche encore.

— Oh ! je suis beaucoup plus ambitieux que cela !

— Vous voulez un grand nom ?

— Je voudrais qu’elle eût un joli nom, très-facile à prononcer.

— Vous êtes un plaisant, je vois cela. Moi, je vous conseille de prendre une femme bien née. Vous êtes d’une famille noble, mais non illustre ; si vous voulez vivre en France sur un certain pied de considération, il faut vous allier à une famille dont le nom… sans être des premiers, car enfin vous ne pouvez prétendre à une Montmorency… soit du moins…

— J’ai, Madame, encore plus d’ambition que cela, reprit l’Anglais sans se déconcerter.

— Eh ! mon Dieu ! quelle ambition avez-vous donc ? Vous êtes donc immensément riche ?

— Je suis un honnête homme, et je voudrais être aimé et estimé de mon femme. Voilà mon ambition.

— Ah ! le drôle de corps ! mais vous êtes tout à fait charmant. On n’a pas plus d’esprit que cela. On dit qu’il n’y a que les Français pour avoir de l’esprit ! mais vous en avez à revendre, mon cher !

— Vous êtes beaucoup trop bon, Madame.

— C’est vous qui êtes bon ! Je suis sûre que vous seriez le plus charmant et le plus excellent mari de la terre. Mariez-vous ! vrai ! vous ne demandez qu’à être aimé ; vous méritez trop de l’être pour qu’une femme digne de vous ne soit pas facile à rencontrer.

— C’est beaucoup plus difficile que vous ne croyez, Madame. Une femme digne d’être aimée et capable d’aimer loyalement, fidèlement, c’est très-rare en France, où les femmes ont tant d’esprit !

— Eh bien, vous vous trompez ! j’en connais qui ont plus de cœur encore que d’esprit, et si vous revenez dans huit jours, je vous prouverai cela.

— Dans houit jours ! c’est bien long, dit l’Anglais avec une tranquillité remarquable.

— Ah ! que vous êtes pressé ! Il paraît que le voyage d’Italie vous a peu satisfait, et que vous comptez trouver mieux chez nous. Allons ! j’espère que vous attendrez bien huit jours. Je suis femme de bon conseil, je connais le cœur humain, et je m’intéresse à vous… vrai ! comme si vous étiez mon fils.

— Vous êtes bien bon ! répéta l’Anglais, avec un imperceptible sourire d’ironie.

On était au dessert. C’était le département de Jeanne. Elle entra apportant des corbeilles de pommes, de poires et de raisin admirablement conservés et arrangés avec art dans la mousse. Habillée en paysanne, avec beaucoup de propreté, les manches retroussées jusqu’au coude pour être plus adroite, elle allongea ses beaux bras blancs pour poser, au milieu de la table, un large fromage à la crème qu’elle venait de battre et de délayer à la hâte. Son teint était animé. Elle se pencha pour servir la table, sans méfiance et sans affectation, tantôt près de Guillaume et tantôt près de l’Anglais. Mais Guillaume remarqua qu’elle évitait de s’approcher de Marsillat, bien qu’il eût insensiblement écarté sa chaise de celle d’Elvire pour laisser un passage près de lui à la belle canéphore. Guillaume en détacha ses yeux avec effort et parla avec sa sœur de tout ce qui pouvait en détacher sa pensée. Mais Jeanne était destinée ce soir-là à fixer l’attention en dépit d’elle-même.

Dès qu’elle fut sortie, sir Arthur, que les provocations matrimoniales de la Charmois fatiguaient beaucoup, changea la conversation en s’adressant à mademoiselle de Boussac :

— C’est bien ! mademoiselle Marie, lui dit-il en riant, vous croyez m’avoir donné du poisson à souper, mais je n’y ai pas touché, ne vous en déplaise.

Marie avait déjà oublié le conte de la gouvernante anglaise ; elle regarda sir Arthur d’un air étonné.

— Miss Jane est fort bien déguisée, reprit l’Anglais ; mais elle est aussi belle d’une façon que de l’autre, et je n’ai pas été attrapé un seul instant.

— Je vous demande bien pardon, dit Marie ; vous avez pris notre belle laitière pour une gouvernante anglaise ; et Dieu sait si je songeais à vous attraper. C’est M. Marsillat qui a fait ce conte-là.

— Vous jouez très-bien la comédie, répliqua l’Anglais, obstinément déterminé à prendre Jeanne la laitière pour miss Jane travestie.

— Ah ! c’est trop fort ! s’écrièrent les jeunes filles en éclatant de rire. Je parie qu’il croit que c’est à présent que nous le trompons !

— Bonne comédie ! répéta sir Arthur en riant à son tour de bon cœur.

Il fut impossible de savoir clairement ce que pensait l’Anglais mystifié ; mais il est certain qu’il ne voulait point croire, tout exempt de préjugés qu’il était, à tant de majesté chez une laitière, et qu’il s’en tint à sa première impression, son admiration sympathique pour la belle compatriote qu’on lui avait montrée en robe blanche et en cheveux d’or tressés à l’anglaise. « Elle est bien vraiment la plus belle femme du monde, dit-il à Marsillat, qui s’amusait à l’interroger en sortant de table, car elle est, s’il est possible, plus belle en cornette qu’en cheveux. » Aussitôt que l’Anglais eut englouti six tasses de thé que Marie lui prépara avec soin et lui versa avec la grâce d’une bonne sœur, reconnaissante des soins qu’il avait pris de son frère, il fit avertir les postillons, résista à de nouvelles prières, renouvela son serment de revenir dans huit jours, et partit après avoir pressé dans ses bras son cher Guillaume, qu’il regardait comme un fils adoptif. Au moment où il montait en voiture, la grosse Charmois qui l’avait reconduit jusque-là avec toute la famille et qui s’acharnait après lui, lui dit d’un air futé, à demi-voix : — Ah çà ! vous m’avez promis de me consulter ! N’allez pas vous embarquer dans votre grand projet sans m’en faire part. Je connais tout le monde, moi, et je suis plus à même que qui que ce soit de vous donner des informations et de vous empêcher de tomber dans quelque piége.

— Soyez tranquille, Madame, répondit sir Arthur d’un air un peu railleur, en s’enveloppant de son carrick de voyage, qu’il boutonna méthodiquement sur sa poitrine ; dans houit jours, nous parlerons de cela, et peut-être vous en écrirai-je avant houit jours, car je suis un homme très-immepatiente.

Cette dernière parole laissa dans l’âme de la grosse Charmois les plus doux rêves d’établissement pour sa fille : elle n’en dormit pas de la nuit. Il m’en écrira avant huit jours ! répétait-elle en agitant sur son oreiller sa grosse tête pleine de projets. C’est à moi qu’il compte écrire et non à madame de Boussac ! Donc c’est à ma fille qu’il pense. Certainement il l’a regardée, beaucoup regardée. Toutes les fois que je lui conseillais le mariage, il regardait Elvire d’une façon étrange. Il a une drôle de physionomie. On ne sait trop s’il plaisante ou s’il parle sérieusement ; mais c’est un original. Je lui ai plu. Combien d’hommes ne se décident pour une jeune personne que par entraînement pour l’esprit de la mère ! D’ailleurs Elvire éclipse complétement Marie. Marie a de beaux yeux, mais elle est si maigre ! elle a l’air d’un enfant, et l’idée du mariage ne vient pas en la regardant.

Que devinrent les douces illusions de la sous-préfette de Boussac lorsqu’elle reçut dès le lendemain le billet suivant :

« Madame,

« Dans mon impatience de suivre vos bons conseils et de m’établir suivant mon goût, je viens vous prier d’être mon intermédiaire auprès de miss Jane, la gouvernante anglaise de votre fille, pour lui offrir humblement la main, le nom et la fortune d’un honnête homme, très-amoureux d’elle. Je suis avec respect, etc.

« Arthur Harley. »