H. Laurens (p. 83-96).

X

Types d’autrefois et gens d’aujourd’hui.

Jean-qui-Lit est au comble de la joie : on lui a donné un grand album sur lequel sont reproduits des costumes de toutes époques. Mais c’est un volume qu’il ne pourra jamais fourrer dans sa poche, le format de l’ouvrage ne le permet vraiment pas.

Un dessinateur fantaisiste a illustré cette histoire de l’habillement et, parmi les images, certains tableaux comparatifs, montrent d’une façon amusante et instructive comment la manière de se vêtir s’est transformée au cours des années, comment aussi des ajustements qui passent pour nouveaux ont été portés déjà dans des temps très anciens.

Ainsi, un habitant des cavernes au temps où l’on ne savait pas encore faire usage du fer, où la pierre dont on fabriquait les pointes des lances et le tranchant des haches n’était même pas polie (les gens non plus, paraît-il) passerait facilement pour un automobiliste contemporain, n’était que l’automobiliste a, en outre, une paire de lunettes qui lui font une tête de poisson.

Et cet autre lointain ancêtre (pareil d’ailleurs aux Océaniens de certaines îles où la civilisation vraiment n’a pas fait beaucoup de progrès), coiffé d’un oiseau aux ailes éployées, avec son manteau de peaux de bêtes et ses colliers de cailloux brillants, ressemble curieusement à quelque mondaine en grand tralala de promenade, au mois de décembre, dans les allées du bois de Boulogne.

Les anciens Gaulois, les jours de pluie, jetaient sur leurs épaules une pèlerine à capuchon pareille à celle des gardiens de la paix ou des petits garçons qui vont à l’école primaire.


On peut admirer avec quelle gracieuse facilité les dames savent, suivant les exigences de la mode, changer leur taille de place, portant la ceinture tantôt sur les hanches, comme au temps de Charlemagne, tantôt sous les bras, comme à l’époque de Napoléon Ier.


Voici les nobles chevaliers bardés de fer.

Et, c’est très comique de découvrir que sous les armures de jadis, à gros mollets, à ventres considérables, sous ces lourdes carapaces de gigantesques langoustes, se cachaient parfois des guerriers à cuisses de héron et à taille de guêpe.

On voit des preux couverts d’écailles du front aux talons ainsi que des lézards, et des élégants du moyen âge qui ressemblent à des autruches avec leurs jambes en maillot collant et leur petit bonnet sur les oreilles.

D’autres, en chapeaux à plumes, se promènent enveloppés dans de longues houppelandes et chaussés de souliers à la poulaine, si longs, si longs qu’ils sont obligés d’en attacher l’extrémité par une chaînette pour pouvoir marcher.

D’autres ont des pantoufles en forme de pattes de canard et portent un smoking à revers de fourrures ouvert sur un corsage de dame.

Et puis, des toques de tous les modèles, rondes, carrées, octogonales, des chaperons pareils à la crête des coqs.

Et les coiffures des dames aussi pointues que les tourelles

de leurs châteaux ou cornues ainsi que des têtes de gros insectes.

Toute l’histoire passe comme un défilé dans une grande féerie : les Francs moustachus, les Gallo-Romains, les troubadours, les seigneurs de la Renaissance avec leurs grosses manches en ballons, les mêmes manches que les Parisiennes trouvaient à la dernière mode il y a quelques années.

Les austères huguenots du temps de Charles IX, peu badins et aigus de caractère, tout en lignes droites et en angles, et les joyeux joueurs de bilboquet de la cour de Henri III, tout en lignes courbes, qui semblent montés sur des ressorts, avec une panse busquée comme la bosse de Polichinelle.

Voici les cavaliers empanachés de la suite du roi Louis XIII, toujours bottés, qui mettaient des éperons même pour aller en bateau et ne quittaient jamais leur longue rapière, puis les courtisans de Versailles à l’époque de Louis XIV, au xviie siècle. Ils sont comiques et ressemblent au Mascarille de Molière avec leurs jupons par-dessus leur culotte, leurs formidables perruques tombant plus bas que les jarrets et leurs vestes trop courtes.

Il est vrai que la mode, capricieuse, change souvent et qu’au siècle suivant on s’est mis à porter des gilets jusqu’aux genoux et de petites perruques.

Puis, sous Louis XVI, le gilet diminue de longueur, il diminue encore à l’époque de la Révolution. Sous le Directoire et au temps du Consulat il n’en reste presque plus.

Pour faire compensation à ce « decrescendo », la culotte s’allonge suivant un « crescendo » contraire et finit par couvrir les chevilles, tandis que la cravate monte, monte et cache le bout du nez.

À une autre page, voici les robes à énormes paniers des dames qui accompagnaient la reine Marie-Antoinette à Trianon, et leurs petites têtes souriantes sur lesquelles des coiffeurs, juchés en haut d’un escabeau, bâtissaient des édifices invraisemblables de boucles, de plumes, de fleurs et de rubans avec, parfois, au sommet, un petit vaisseau à trois mâts, toutes voiles dehors, pavillons flottant au vent.

Le dessinateur a aussi représenté une collection de chapeaux à haute forme, depuis le bonnet cylindrique des Pharaons de l’ancienne Égypte jusqu’au tube à huit reflets d’aujourd’hui, en passant par le poêle mobile qui servait de casque aux guerriers des croisades, les tromblons, les bolivars et les tuyaux de cheminée de nos grands-pères.

Jean-qui-Lit tourne les pages avec délices. De temps à autre il revient en arrière pour constater une différence ou noter un rapprochement, et un détail le frappe.

Il remarque que les pauvres gens ont toujours porté le même costume, qu’un chemineau de la grand’route au vingtième siècle et un mendiant vagabond du lointain autrefois, pliés sous la lourde besace, bâton en main, souvent nu-pieds mais jamais nu-tête, se ressemblent comme deux frères de misère.


La dernière gravure de l’album représente un monsieur et une dame du second Empire.

Le monsieur a une figure bien comique ; il porte deux boules de cheveux frisés de chaque côté du front, des bandeaux, et réunit à la fois sur son visage tous les genres de barbes connus : une moustache, une impériale d’officier de cavalerie, un collier de porteur d’eau auvergnat et des favoris de garçon de café.

Pour la dame, elle ressemble à une grosse sonnette ; sa robe à volants s’étale sur le dôme d’une vaste crinoline, elle tient à la main une ombrelle minuscule et son volumineux chignon est surmonté d’un chapeau tout petit, petit.

— Il me faudrait, pense Jean, pour compléter cet ouvrage, mettre en face une Parisienne de maintenant, avec son colossal chapeau en forme de baquet et sa robe aussi étroite qu’un fourreau de parapluie : ça ferait un contraste intéressant.

Et j’aimerais aussi avoir le portrait d’un monsieur très élégant à la mode de cette année-ci.

À cet instant, Snobinet fait une entrée sensationnelle…