Jean-Daniel Dumas, le héros de la Monongahéla/Sa carrière — En France

G. Duchamps, libraire-éditeur (p. 41-47).

Sa carrière

EN FRANCE


Comme tous les officiers de son temps, M. Dumas a dû entrer dans l’armée de bonne heure. On sait que, au XVIIIe siècle, les jeunes gens se destinant à la carrière militaire obtenaient vers l’âge de quatorze ans la commission d’enseigne. C’était là le premier pas. Or nous ne savons ni en quelle année il est né, ni dans quel régiment il débuta.

Né dans l’Agenais et « élevé sur les bords de la Garonne », il n’est pas improbable que ce soit dans le régiment du pays natal qu’il fit ses premières armes.

Nous savons toutefois que, avant de venir au Canada, il avait servi longtemps comme capitaine au régiment d’Agenais et que, arrivé dans la colonie, il réclama le droit d’ancienneté sur MM. de Contrecœur et de Beaujeu ;[1] le marquis Duquesne ne semble pas avoir agréé sa requête. Nous n’avons pu trouver la raison de ce refus. Le fier marquis le trouvait-il de trop petite naissance, ou trop peu courtisan ? On ne peut que conjecturer sur ce point. On voit cependant par les lettres de M. Duquesne au Ministre, que ce gouverneur, dès le début de son administration, se montra prévenu contre la plupart des officiers de la colonie, en commençant par le baron de Longueuil, qui avait gouverné le pays depuis la mort du marquis de La Jonquière. Il accorda ses préférences à trois officiers, MM. Marin, Péan et Le Mercier, qu’il ne cessa de prôner et en faveur desquels il importunait constamment le Ministre de ses instances de grâces et d’honneurs.

« Le départ de Duquesne », dit M. Garneau, « ne causa aucun regret en Canada. Son caractère hautain l’avait empêché de devenir populaire. »

Nous ne pouvons résister à la tentation de reproduire ici la lettre qu’adressait le marquis Duquesne au Ministre, à la date du 15 juillet 1755. L’on y découvre un personnage gonflé d’orgueilleuses prétentions, se complaisant à faire la leçon à M. de Vaudreuil, son successeur, et à lui tracer une ligne de conduite administrative.


« Canada, 15 juillet 1755.

« Monseigneur,

« J’ai l’honneur de vous informer que Monsieur de Vaudreuil est monté à Montréal le 12 du courant pour accélérer les mouvemens qu’il doit faire du côté de Choeguen, qui deviennent toujours plus pressés par les forces que les Anglois envoient de ce côté là et les barques qu’ils construisent en toute hâte pour croiser dans le lac Ontario. Je ne mets point en doute que Monsieur le Baron Dieskaw qui est chargé de cette opération ne réussisse.

« Personne de la Colonie n’ignore que j’ai offert mes services à Monsieur de Vaudreuil pour une opération aussi importante et que je ne lui aie fait observer que tout Canadien qu’il était il n’auroit pas mes mêmes facilités soit pour rassembler promptement sa milice, soit encore pour la célérité du départ. Je n’ai eu d’autre réponse de lui ; qu’il alloit monter à Montréal. À ce refus je lui ai communiqué Monseigneur, la lettre que vous m’avés fait l’honneur de m’écrire du premier avril, il m’a encore répondu qu’il monteroit à Montréal. Je lui ai cependant dressé le projet de cette expédition en présence de Monsieur le Baron Dieskaw et l’ai déterminé à se servir des Sieurs Péan et Le Mercier pour l’arrangement et la prompte exécution de cette entreprise, ces deux officiers m’aiant donné des fortes preuves de capacité dans mes mouvemens.

« J’ai remis à ce nouveau Gouverneur des mémoires de ce que j’ai fait dans cette Colonie et sur tous les objets les plus intéressants qui exigent beaucoup d’attention pour entretenir l’ordre, la règle et l’épargne que j’y ai établi dans tout ce qui a été de mon ressort.

« Je lui ai donné de plus un mémoire sur ce que j’aurois fait si la Colonie avoit roulé sur moi dans la circonstance présente.

« Je ne puis m’empêcher Monseigneur, de vous témoigner ma sensibilité sur ce que vous n’avés pas eu agréable de faire rouler sur moi jusques en automne les opérations du Canada. Je m’attendois cependant à cet agrément, vu mon travail et les connoissances que j’ai acquis ; j’en ai été si vivement touché qu’après avoir rempli tout ce que je devois à mon successeur et me voiant inutile, j’ai demandé à Monsieur le Comte Dubois de la Motte, la frégate la Diane pour passer à Rochefort où il me convient d’aller par préférence.

Je suis avec un profond respect Monseigneur,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Duquesne.


Québec, le 15 juillet 1755.




Inutile d’insister : l’insolence du marquis de fraîche date perce à chaque mot.

La ligne de démarcation entre Canadiens et Français était déjà bien dessinée à cette époque. Ceux-ci regardaient ceux-là comme des inférieurs et les Canadiens payaient leurs cousins de France en même monnaie. La même mentalité, du reste, existait dans les colonies anglaises où l’antagonisme était peut-être encore plus prononcé. Des faits nombreux et variés, qu’il serait superflu de rappeler ici, prouvent amplement cette disposition d’esprit des deux peuples, laquelle alla toujours croissant et atteignit son point culminant dans les dernières années du régime français. La conduite de M. Duquesne, du baron de Dieskau et de M. de Montcalm envers M. de Vaudreuil et les Canadiens en général, et que ceux-ci ressentaient vivement, est une preuve frappante de cet état, d’esprit regrettable dont nous parlons. Il est juste d’ajouter que le chevalier de Lévis fut une des rares exceptions à cette règle ; il fut toujours l’ami et le protecteur des Canadiens qui, en retour, l’aimaient et l’estimaient. Il en était de même pour M. Dumas.

Mais laissons cette digression. M. de Contrecœur avait été fait capitaine en 1748, après dix-neuf ans de service. Le sieur Dumas était plus ancien dans le grade, ayant « longtemps servi en France en qualité de capitaine d’infanterie », il avait suivi le régiment d’Agenais dans ses différentes campagnes, en Allemagne, en Corse, en Bavière et sur les Alpes, théâtres où il trouva maintes occasions de se distinguer et de gagner ses promotions.

On sait que le marquis de Montcalm fit, lui aussi, ces différentes campagnes, à partir du siège de Philipsbourg (1734), jusqu’à la paix de 1748. Ces deux hommes servant dans des régiments différents n’avaient probablement pas eu l’occasion de se rencontrer avant de venir au Canada. Néanmoins, lors du désarmement qui suivit le traité de paix d’Aix-la-Chapelle, le régiment d’Agénais, après de nombreux et brillants états de service, fut démembré et incorporé, le 10 février 1749, partie dans les Grenadiers de France, partie dans le régiment de Berry. Le capitaine Dumas paraît alors avoir été destiné au service des colonies et attaché aux troupes de la Marine.

Nous extrayons de l’Histoire de l’Ancienne Infanterie française de M. Louis Susane (Paris), 1853, vol. 8, p. 271, la liste suivante des services et des campagnes de ce beau régiment d’Agenais, qui eut en tout temps comme colonels commandants des officiers de distinction et de mérite.

« Agenois. — Créé sous ce titre, 4 octobre 1692, et donné à Antoine Clériadus, comte de Choiseul-Beaupré. Armée d’Allemagne jusqu’en 1694. Campagnes de 1695, 1696 et 1697 en Flandre ; siège d’Ath. Armée de Flandre en 1701. Combat de Nimègue en 1702. Passe à l’armée du Rhin, bataille de Friedlingen. Siège de Kehl. Campagnes de Bavière en 1703. Bataille d’Hochstedt en 1703 ; le 1er bataillon y est pris. Donné le 2 mars 1705 à Henri-Louis de Choiseul, marquis de Meuse. Armée de Flandre, bataille de Ramilies en 1706. Bataille d’Audenaerde en 1708. Bataille de Malplaquet en 1709. Bataille de Denain en 1712 ; le colonel y est très grièvement blessé. Donné le 17 octobre 1717 à Gilles de Carné, marquis de Trécesson, 1er février 1719 à Louis-Auguste, comte de Bourbon-Malauze, et 1er août 1731 à Armand, comte de Bourbon-Malauze, frère du précédent. Armée du Rhin, siège de Philipsbourg en 1734. Combat de Klausen en 1735. Campagnes en 1739 et 1740 en Corse. Armée de Bavière en 1742, secours de Braunau, défense de Deckendorf. En garnison à Bitche en 1743. Armée des Alpes en 1744 ; le colonel est tué à l’attaque des retranchements de Montalban. Donné 15 mai 1744 à Louis-François, marquis de Monteynard. Sert sur les Alpes jusqu’à la paix. Incorporé 10 février 1749, les Grenadiers dans les Grenadiers de France, et le reste dans le Berry. Les deux drapeaux d’ordonnance d’Agénois étaient jaune et violet, dans chaque carré, ces couleurs séparées par une diagonale festonnée. Habit complet gris-blanc, parements rouges, boutons et galon d’argent. »



  1. Voir sa lettre du 24 juillet 1756, ainsi que la recommandation de M. de Vaudreuil, déjà citées.