Jean-Daniel Dumas, le héros de la Monongahéla/Sa carrière — Au Canada, 1750-1756

G. Duchamps, libraire-éditeur (p. 49-54).

Sa carrière
au canada

M. Dumas fut nommé capitaine dans les troupes de la Marine au Canada vers le 20 avril 1750.[1] Quelques jours plus tard il s’embarquait à Bordeaux pour le Canada. Nous ignorons la date précise de son arrivée à Québec. Dès l’automne de la même année il commande au fort Gaspareaux, en Acadie, où il avait dû se rendre en même temps que M. Saint-Ours des Chaillons, chargé de relever M. de La Corne à Beauséjour (novembre 1750). Il y exerça ses fonctions l’espace d’un an environ, et se vit remplacé par le chevalier Poilvillain de la Houssaye.[2]

Le marquis de la Jonquière, alors gouverneur général de la Nouvelle-France, fut remplacé au mois de juillet 1752 par le marquis Duquesne de Menneville, arrière-petit-neveu du célèbre marin Abraham Duquesne. Il avait servi dans la marine et avait atteint le rang de capitaine de vaisseau. Louis XV le fit marquis en même temps que gouverneur général du Canada.

Avant de raconter les exploits du sieur Dumas dans la vallée de l’Ohio où il devait s’illustrer, jetons un rapide coup d’œil sur ce qui s’était passé dans ces régions lointaines de la Nouvelle-France.

La paix de 1748 se maintenait difficilement entre la France et l’Angleterre ; ce n’était guère qu’une trêve qui ne pouvait être de longue durée. En Amérique, en effet, la question des limites de l’Acadie d’un côté, celle des territoires au sud des Grands Lacs, de l’autre, restaient en litige.

La Virginie qui se sentait à l’étroit dans ses limites, resserrée entre l’Atlantique, à l’est, et la chaîne des Alléghanys, à l’ouest, et dont la population augmentait rapidement, avait senti naître de nouvelles ambitions. Ne pouvant accroître son territoire ni au nord ni au sud, à cause des chartes royales qui délimitaient les territoires des provinces limitrophes, elle jeta, avec une désinvolture tout américaine, son dévolu chez le voisin de l’ouest, c’est-à-dire, sur la vallée de l’Ohio, à laquelle elle n’avait pourtant aucun droit. Passant du dessein à l’action, elle avait même déjà envahi ce territoire et en avait cédé une grande partie à la Compagnie de l’Ohio qui y faisait la traite et y concédait des terres.

De son côté la France repoussait les prétentions de cette province ; elle revendiquait cette région par droit de découverte et de premier occupant, L’Ohio, précisément, avait été découverte en 1673 par Louis Jolliet et le P. Marquette, les intrépides découvreurs du Mississipi, et M. Céloron de Blainville avait pris possession solennelle de cette vallée au nom du roi de France, en 1749, après avoir parcouru la rivière dans la plus grande partie de son cours.

Ce vaste territoire, au delà des Alleghanys, que se disputaient les deux nations rivales, était d’une haute importance. La vallée de l’Ohio s’étend sur une longueur de plus de six cents milles. Étant bien arrosé, ce pays est très fertile. C’était aussi alors, un territoire de chasse fréquenté par de nombreuses tribus sauvages. Cette région ne représentait toutefois qu’une faible partie de l’immense étendue de territoire en litige, lequel s’étendait vers l’ouest jusqu’au Mississipi, dont l’Ohio est tributaire. L’enjeu de ce duel colossal était donc d’une valeur considérable.

En 1753, M. Duquesne, ayant reçu ordre de la Cour d’empêcher les Anglais de s’établir dans la vallée de la Belle-Rivière prit des mesures énergiques. Il envoya le sieur Marin à la tête d’un détachement d’environ mille hommes à l’endroit appelé la Presqu’île,[3] au sud-est du lac Érié, avec ordre de faire respecter les droits de la France dans cette région. M. Marin y construisit un fort, puis un second[4] fut élevé à la rivière aux Bœufs. Un troisième fort, bâti l’année suivante,[5] fut nommé Machault, en l’honneur du nouveau ministre de la Marine.

En novembre de la même année, M. de la Chauvignerie fut envoyé de ce dernier poste à Chipengué,[6] village des Chaouanons, pour y établir un autre fort.

M. de Contrecœur, ayant remplacé M. Marin, chassa, le 17 avril 1754, des miliciens anglais occupés, sous la direction de l’enseigne Ward, en l’absence du capitaine Trent, à la construction d’un fort au confluent de la Monongahéla et de l’Alléghany, à vingt lieues à peu près des Appalaches, et éleva le fort Duquesne à cet endroit.[7]

Le mois suivant, le sieur de Jumonville fut envoyé par M. de Contrecœur, avec une petite escorte, destinée à le protéger contre les Sauvages, pour sommer le colonel Washington de se retirer de la vallée de l’Ohio. On sait comment le parlementaire canadien fut surpris et assassiné par les miliciens du colonel Washington le 28 mai. M. Coulon de Villiers, frère de la victime, reçut l’ordre d’aller venger sa mort. Il attaqua le colonel Washington enfermé dans le fort Nécessité ; après un violent combat qui dura dix heures, celui-ci dut capituler. Ce fait d’armes se passait le 3 juillet 1754.

L’année suivante le général Braddock arrivait en Virginie au mois de janvier et convoquait aussitôt en conférence les gouverneurs de province. « Il fut arrêté, » dit M. Garneau[8] « qu’il irait en personne avec les troupes réglées s’emparer du fort Duquesne et de toute la vallée de l’Ohio ».

On sait comment ce général tint sa promesse. Il avait vendu la peau de l’ours avant de l’avoir pris.

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la France et l’Angleterre étaient encore officiellement en paix, malgré les combats de l’année précédente dans ces régions, et que les négociations pour le règlement des limites se poursuivaient mollement entre les deux Cours qui se préparaient sous main à la guerre devenue inévitable. Le voile d’hypocrisie qui couvrait les pourparlers des agents diplomatiques — lesquels ne trompaient cependant personne — fut enfin brusquement déchiré par l’Angleterre, qui déclara la guerre à la France le 18 mai 1756. Celle-ci répondit par une contre-déclaration, le 9 juin. C’était là pures formalités puisqu’on se battait depuis plus de deux ans en Amérique.

Rivière Monongahela et positions occupées par les troupes sur le champ de bataille.
  1. Knox’s Historical Journal, vol. I. Deuxième note de l’éditeur, p. 418. Aussi Archives publiques du Canada, séries B., vol. 91, et D-2, vol. 4.
  2. Les derniers Jours de l’Acadie, par M. Gaston du Boscq de Beaumont, pp. 30-31.
  3. Ces forts sont devenus : La ville d’Érié.
  4. Le village de Lebœuf ;
  5. La ville de Venango ;
  6. Le village de Shenango ;
  7. La ville de Pittsburg ; en Pennsylvanie. La rivière aux Bœufs est devenue French Creek.
  8. Histoire du Canada, 4ème éd., 1882, vol. II, p. 211.