Traduction par P.-J. Stahl, Lermont.
Bibliothèque d’éducation et de récréation J. Hetzel (p. 63-78).


CHAPITRE VI

LES SURPRISES


« Fait-il beau ? s’écria Jane le matin du jour de Noël, avant même d’avoir complètement ouvert les yeux.

— Oui, ma chérie, aussi beau que possible, lui répondit sa mère. Vous allez d’abord commencer par tâcher de manger un peu, et puis nous ferons vite notre toilette, afin que vous soyez prête de bonne heure à jouir de tous les plaisirs qui vous attendent. Pourvu que cela ne vous fatigue pas trop ! »

Mme Peck était inquiète au milieu de son bonheur ; on devait transporter Jane chez Mme Minot, et cette première sortie l’effrayait.

Il semblait que neuf heures ne sonneraient jamais. Jane, tout habillée, avait presque la fièvre, d’impatience ; le docteur tardait à venir ; cependant il avait bien recommandé qu’on l’attendit, et il ne fallait pas songer à partir sans lui.

Il apparut enfin, examina sa petite malade, déclara que tout se passerait à merveille, l’enveloppa dans des couvertures, et, avec l’aide de Frank, la transporta dans une chaise longue jusque chez Mme Minot.

En un clin d’œil, miss Jane fut déposée dans l’antre des garçons, sans avoir eu le temps de sentir le moindre froid ou d’éprouver la moindre fatigue.

Mme Minot était là. Elle accueillit sa petite amie de la manière la plus cordiale, mais Jane ne l’entendait même pas : elle poussa un grand cri et resta muette de surprise et de bonheur.

Cette chambre était transformée. On eût dit un jardin d’hiver ; on se fût cru dans un de ces endroits féeriques qui figurent dans les rêves de tous les enfants, et qui réunissent à la fois les agréments de l’extérieur et de l’intérieur.

Le plafond était peint en bleu azuré comme la voûte du ciel et étoilé comme un firmament ; les murs étaient recouverts d’un papier représentant un treillis rustique, le long duquel s’enroulaient si naturellement des volubilis de toutes nuances, que leurs clochettes paraissaient se balancer au gré du vent. Des oiseaux et des papillons voltigeaient au milieu des fleurs. Ce monde ensoleillé formait un contraste frappant avec le paysage d’hiver que l’on apercevait au dehors. Les fenêtres, entourées de guirlandes de houx, n’avaient pour rideaux que des fleurs naturelles, et le regard s’étendait au loin sur la campagne couverte de neige. Le plancher était recouvert d’étoffe verte, formant comme un tapis de gazon ; des tables et des chaises de jardin étaient disséminées partout, et un magnifique sapin, planté dans une immense caisse verte, trônait au milieu de la chambre en attendant sa cargaison de cadeaux et de bougies. Une énorme bûche flambait dans l’âtre, la cheminée était entourée, de fleurs, et on y lisait ces mots formés avec du houx aux baies rouges : Un joyeux Noël à tous !

« Comment trouvez-vous cela, ma chérie ? demanda Mme Minot à Jane. Voilà la surprise que nous vous réservions, ainsi qu’à Jack. Nous espérons que vous passerez ici tous les deux des jours heureux.

— C’est si joli que je ne sais comment vous remercier, » lui répondit l’enfant en lui tendant les bras et lui offrant ses baisers les plus reconnaissants.

Le bonheur de Jane récompensait largement Mme Minot de ses peines.

« Désirez-vous encore quelque chose ? reprit-elle.

— Il me manque encore Jack, répondit Jane avec un sourire et un éclair de malice dans ses grands yeux.

— Vous avez raison, chérie, dit Mme Minot en souriant aussi. Je vais me hâter de vous l’amener, car sans cela je crois vraiment qu’il viendrait à cloche-pied. »

En effet, on entendait un vacarme infernal dans la chambre de Jack. Des cris, des éclats de rire et des coups de sifflet d’appel prouvaient clairement que le prisonnier attendait son tour avec impatience.

Ce fut à grand’peine que Jane put rester tranquille en entendant rouler dans le corridor la chaise longue de Jack. Enfin il arriva sur le seuil de la porte.

« Voilà ce que j’appelle quelque chose de réussi ! » s’écria-t-il.

Puis il poussa un cri de joie en voyant Jane qui lui tendait les bras et lui criait joyeusement :

« Me voilà ! me voilà ! Oh ! venez vite ! »

Les deux chaises longues furent mises côte à côte au coin du feu, et les deux amis s’écrièrent d’un commun accord :

« Est-ce assez joli ! »

Ralph et Frank exécutèrent autour de l’arbre une sorte de fandango ; Mme Minot et Mme Peck contemplèrent leurs enfants les larmes aux yeux, et le Dr Whiting les regardait d’un air bénin, Quant à Jack et à Jane, ne sachant s’ils devaient rire ou pleurer, ils firent un peu tous les deux, et ils battirent des mains avec frénésie, en criant comme de vrais petits fous :

« Un joyeux Noël à tout le monde ! »

C’était à ne plus s’entendre.

Quand cette première effusion de bonheur fut passée, on laissa les malades se reposer et jouir en paix de leur présence mutuelle.

« J’espère que vous vous êtes fait beau ! s’écria Jane après avoir admiré la jolie chambre dans ses moindres détails.

— Et vous donc ! » répondit-il en la regardant de la tête aux pieds.

Le fait est qu’ils étaient très beaux tous les deux. Cependant le bonheur y avait une part beaucoup plus grande que leurs habits de fête.

Jane avait mis une robe de fin cachemire rouge, cadeau de Mme Minot, ornée d’une collerette blanche. À son cou étincelait un collier de perles. Ses cheveux noirs étaient réunis dans un filet rouge, et ses petits pieds, qui n’avaient pas marché depuis tant de longues journées, étaient emprisonnés dans des pantoufles aussi jolies et aussi mignonnes que celles de Cendrillon.

Jack s’était mis en frais. Sa robe de chambre d’étoffe turque lui allait à ravir. Il avait une chemise d’une blancheur immaculée, des boutons d’or et une cravate bleu de ciel. Un mouchoir, si bien imbibé d’eau de Cologne qu’il en était ruisselant, sortait de sa poche de côté et lui donnait l’air habillé, malgré le grand châle gris qui lui enveloppait les jambes. Ses cheveux blonds étaient ramenés sur son front pour cacher la cicatrice de sa blessure ; ses joues avaient pâli, mais ses yeux étaient aussi bleus que sa cravate, et son sourire tout aussi radieux qu’autrefois.

« Ah ! que je suis heureux de vous revoir ! s’écria-t-il. J’imagine, Jane, qu’à présent nous avons passé le plus mauvais moment et que nous allons avoir du bon temps. Comme ce sera amusant d’être ici tous les deux !

— La journée sera si vite passée, soupira Jane. Ma chambre va me sembler encore plus triste demain.

— Mais vous n’y retournerez pas, vous resterez ici jusqu’à ce que vous soyez guérie. Maman ne vous l’a donc pas dit ?

— Est-ce possible ? Oh ! quel bonheur ! Mais non… On ne m’en a même pas parlé. Où coucherai-je ? »

Et se reprenant :

« Mais que deviendra maman sans moi ? Et moi que deviendrai-je sans elle ?

— Rassurez-vous ; ce que maman fait n’est jamais fait à moitié, lui dit Jack ? votre mère restera avec vous. Vous coucherez toutes les deux dans la chambre à côté. Maman m’avait bien dit qu’elle me laisserait le plaisir de vous annoncer moi-même cette bonne nouvelle, mais je craignais qu’elle n’eût pas eu le courage de tenir sa promesse. J’avais bien tort. Je la remercierai de m’avoir gardé cette joie. Allons-nous nous amuser assez, Jane !… »

Avant que Jane fût revenue de sa stupéfaction, Frank et Ralph rentrèrent avec deux énormes paniers pleins des trésors destinés à être attachés sur le sapin. Pendant qu’ils fixaient les bougies dans les branches, les enfants leur firent mille questions.

« Qui est-ce qui a eu l’idée de tout ça ? demanda Jane.

— C’est maman, répondit Frank, mais c’est nous deux Ralph qui l’avons mise à exécution. C’est Ralph qui a imaginé de coller des oiseaux et des papillons dans les fleurs. C’est moi qui ai mis ces serins là-bas dans les liserons bleus. Regardez comme ils font bien dans le paysage. »

Frank leur désigna fièrement des volatiles jaunes, qu’avec beaucoup de bonne volonté on pouvait en effet reconnaître pour des serins. Ils étaient si drôlement placés qu’on se demandait comment ils faisaient pour se tenir ainsi perchés ; mais n’importe, ils n’en faisaient pas moins très bon effet.

« Votre mère a dit que c’était une véritable volière, reprit Ralph du haut de son échelle. Le premier oiseau vivant que nous y avons mis est un joli petit rouge-gorge, ajouta-t-il en jetant un bonbon à Jane, qui, blottie dans sa chaise longue, semblait vraiment un oiseau frileux dans son doux nid.

— Bravo ! s’écria Jack, le petit rouge-gorge restera prisonnier dans sa jolie cage, jusqu’à ce que nous puissions nous envoler ensemble. Dites donc, Jane, nous aurons de bonnes places quand nous retournerons ensemble en classe.

— Nous serions évidemment à la queue si nous continuions à ne rien faire, répondit Jane, mais ce n’est pas mon intention. Le docteur a dit que je pourrais travailler un peu si je voulais, et Merry m’a promis de venir tous les jours me donner les devoirs. Si je suis malade, ce n’est pas une raison pour que je perde mon rang ! »

La petite fille accompagna ces paroles d’un mouvement de tête si décidé, que plusieurs boucles de cheveux s’échappèrent de sa résille et vinrent flotter sur son front.

« Frank m’a promis de m’aider pour mon latin, dit Jack, mais j’ai été paresseux jusqu’ici et je n’ai rien fait. Voyons, faisons un grand effort ! Nous commencerons avec la nouvelle année, voulez-vous ? »

Jack n’apportait pas dans ses études la même ardeur que sa petite amie, mais il ne voulait se laisser dépasser par elle en rien.

« Convenu, répondit Jane. En travaillant pendant que les autres sont en vacances, nous les aurons bien vite rattrapés. Ah ! vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point je regrette mon vieux pupitre ! ajouta-t-elle en poussant un long soupir.

— Voilà nos œuvres, Jane ! Voyez donc que c’est joli, lui dit Jack, pendant que Mme Minot suspendait après l’arbre les cornets de bonbons, les noix dorées, les pommes et les oranges enveloppées de papier de couleur, les colliers de perles et les guirlandes de fleurs et de fruits secs qui avaient fait passer tant de bons moments aux enfants.

— Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau que cet arbre, s’écria Jane d’un ton d’admiration. Est-ce tout ? demanda-t-elle lorsque le dernier paquet entouré de papier blanc et de ficelle rose ou bleue fut mis à sa place.

— C’est tout, répondit Mme Minot. Il ne manque plus à tout cela que le public auquel c’est destiné. »

Quand les malades se trouvèrent seuls de nouveau, Jack dit gravement à Jane :

« Il faudra être extraordinairement sage jusqu’à ce que nous soyons guéris. Cela ne peut pas tarder beaucoup, et nous allons être si heureux ensemble que ce ne sera pas difficile. Tout le monde est si bon pour nous que je ne vois pas d’autre moyen de prouver à nos mères et à Frank et à Ralph, à tous enfin, notre reconnaissance.

— Ce n’est pas facile d’être sage quand on est malade, dit Jane d’un air pensif. Je suis souvent si lasse d’être immobile que je m’impatiente malgré moi. Quelquefois j’ai si mal que cela me ferait du bien de crier. Je ne le fais pas pour ne pas effrayer maman, mais je pleure en demandant à Dieu d’être plus patiente. Et vous Jack, pleurez-vous ?

— Les hommes ne pleurent jamais. Quelquefois, je m’ennuie trop, moi aussi, et j’ai besoin de me mettre en colère, mais je me retiens. Quand Frank est là, il me dit : « Bats-moi, cela te fera du bien. » Et je le bats, mais c’est pour rire. Quel bon frère il a été pour moi pendant tous ces temps-ci !

— J’imagine que nous ne pouvons cependant pas avoir de peine à devenir très sages dans cette jolie chambre, dit Jane, ce serait trop mal d’y être méchante.

— Avec tout cela savez-vous que je meurs de faim, s’écria Jack tout à coup. Je n’ai pas déjeuné ce matin. Oh ! j’ai été terrible, j’étais si pressé de vous voir et de connaître le secret. Frank me disait tant pour me taquiner que je ne devinerais jamais la surprise, que, dans un mouvement dont je me suis bien repenti, j’ai fini par lui jeter mon œuf à la tête. Est-ce assez abominable, cela ?

— C’est très laid, dit Jane. Mais est-ce que Frank l’a reçu, votre œuf ?

— Non, il a heureusement baissé la tête, et l’œuf est allé s’écraser contre le mur. Ce n’était pas beau non plus. »

Le papier de la chambre de Jack portait la marque ineffaçable du défaut dominant du petit garçon, la colère.

« N’est-ce pas honteux, une chose pareille ?

— Ce n’est pas une jolie chose, dit Jane.

— Frank m’a pardonné. Il est trop bon. Je ne méritais pas son pardon.

— Vous méritiez une punition, dit Jane.

— Je l’ai eue, répondit Jack. J’ai dû me passer de déjeuner, et c’était bien fait. Mais j’ai faim, oh, faim !… »

Les enfants partirent d’un éclat de rire. Mme Minot entra, tout, heureuse d’entendre ce joyeux rire et de voir deux mines souriantes, au lieu de la figure morne et triste qu’avait habituellement son fils.

« Vous voyez que mon ordonnance fait déjà de l’effet, dit-elle à Mme Peck, qui la suivait avec un grand plateau sur lequel était le déjeuner des deux amis.

— Ah ! madame, répondit celle-ci, cela fait de l’effet à tout le monde. Pour ma part, je ne me suis jamais senti l’esprit aussi libre qu’aujourd’hui. »

Vraiment Mme Peck semblait avoir laissé tout ses soucis dans le cottage, car elle était si gaie, si calme et si fraîche sous son bonnet blanc, que Jane la reconnaissait à peine.

« Les choses sont bien meilleures quand on ne les mange pas tout seul, fit observer Jack en dévorant ses sandwiches.

— Ne mangez pas trop, mes enfants, fit Mme Minot, si vous voulez jouir d’une autre surprise qui vous attend encore.

— Encore une surprise, s’écria Jane, oh ! quel bonheur ! »

Pendant tout le reste de la matinée, dans l’intervalle des causeries et des jeux, les deux amis s’efforcèrent de deviner quelle pouvait bien être la nouvelle surprise qu’on leur ménageait.

Ils l’apprirent à deux heures de l’après-midi en voyant servir le dîner dans leur chambre, Mme Minot n’ayant pas voulu être séparée d’eux un jour de fête pareille.

Elle leur avait préparé un vrai festin, auquel ils prirent part, couchés comme des Romains sur leur chaise longue. Frank présidait le repas et il mangeait de manière à effrayer sa mère, si elle n’eût pas été absorbée, ainsi que Mme Peek, par la tâche de servir les malades.

« Merry et Molly me disaient qu’on ne s’amuserait pas à Noël cette année, dit Jane, en grignotant une noisette. Elles changeront d’avis quand elles verront tout ça.

— Voilà ce que j’appelle savoir rendre les maladies agréables, dit Jack à son tour. Je n’ai jamais passé de plus beau jour de Noël.

— Quel jour de tristesse il eût été pour tous sans votre mère, s’écria Mme Peck avec chaleur.

— Je propose un toast à nos mères, dit Frank en levant son verre.

— Hip, hip, hourrah ! cria Jack, tandis que Jane envoyait des baisers à sa mère et à Mme Minot.

— À présent, il ne nous reste plus guère de temps à attendre les invités, » fit Jack en voyant arriver le crépuscule.

La fête du soir devait commencer de bonne heure pour finir de même afin de ménager les forces des invalides.

« J’espère que mes amis seront contents de leurs cadeaux, dit Jane. C’est moi qui ai dit leurs goûts, car je les connais bien. Mais je ne sais pas ce qu’on me donnera à moi, et je meurs d’envie de le savoir.

— En tout cas, vous aimerez l’un de vos cadeaux, dit Jack : le mien. Ça, j’en suis sur.

— Oh ! Est-ce que j’en aurai plusieurs ?

— Je crois bien. Regardez plutôt. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept. Les voyez-vous ? Hier on a apporté toute la journée des paquets à votre adresse.

— Eh bien, moi aussi, je vais vous apprendre un secret, s’écria Jane. Ce gros paquet que vous voyez sous l’arbre, c’est quelque chose que vous désirez depuis très longtemps. Serez-vous content quand vous l’ouvrirez ! C’est moi qui ai dit à Frank de vous le donner. Il est rouge et or à l’extérieur, et de toutes sortes de couleurs à l’intérieur !… Ce petit rouleau est pour vous aussi. C’est l’œuvre de mes propres mains, ajouta-t-elle en lui montrant du doigt un petit paquet entouré d’une faveur bleue, dans lequel étaient des mitaines qu’elle lui avait tricotées.

— J’aurai bien la patience d’attendre, » dit fièrement le petit garçon.

« Ce chien en carton est pour Boo, continua Jane. Ce petit traîneau jaune aussi. C’est afin que Molly puisse le mener en classe quand le chemin est trop glissant pour lui. Vous savez comme il tombe souvent.

— Ne me parlez pas de traîneau, pour l’amour de Dieu ! Je ne veux plus en entendre parler ni en toucher de ma vie ! Vous penseriez de même s’il vous fallait avoir la jambe prise dans des barres de fer.

— Il me semble que des moxas, des ventouses, et toutes sortes de choses pareilles, ne sont pas plus amusantes que des barres de fer. Vous n’avez pas pu souffrir autant que moi.

— Vous ne diriez pas cela si vous aviez été martyrisée comme je l’ai été lorsqu’on m’a remis la jambe. Je frissonne rien que d’y penser.

— J’ai eu encore bien plus mal, car je me suis évanouie quand le docteur a voulu tâter mes vertèbres. »

Jane, comme bien des malades, tenait à prouver que ses propres souffrances étaient supérieures à celles des autres.

« Bah ! les filles s’évanouissent pour des riens, reprit Jack inspiré par le même désir.

— Vous avez crié, vous, et le docteur me l’a dit. »

Les plaisirs et les émotions du jour avaient énervé les deux amis, et, aux agréables surprises qu’ils avaient eues jusque-là, ils en auraient ajouté une autre plus triste, celle d’une dispute, si Ralph n’était entré à ce moment même. Il venait allumer les bougies de l’arbre, et donner un dernier coup d’œil à la chambre des oiseaux.

« Eh bien, jeunes gens, leur dit-il en montant à l’échelle, son allumette à la main. Comment vous trouvez-vous ce soir ? Vous êtes-vous bien amusés tous les deux ?

— Oui, répondit Jane d’un ton sec, » mais Jack ne dit mot.

Leurs figures rouges et maussades étaient cachées dans l’ombre. Ils regardèrent pensivement les bougies s’allumer une à une et scintiller dans les branches vertes. Enfin le dernier cercle de lumière fut allumé, et tous les coins de la chambre en furent éclairés.

« Jack va me voir maintenant, et je dois avoir l’air désagréable, » se dit Jane.

Jack pensa de même. Il tâchait d’effacer du revers de sa main les rides que la colère avait formées sur son front, lorsque Ralph s’approcha de la cheminée et y jeta une énorme bûche. La joyeuse flamme qui s’en éleva aussitôt vint briller devant les petits grognons, de manière à éclairer leur figure presque malgré eux.

Puis on entendit des coups de sonnette se succéder sans interruption et des voix d’enfants s’élever dans le corridor. Je vous demande un peu comment il eût été possible de rester fâché en écoutant la marche triomphale que jouait Édouard et la voix aiguë de Molly criant :

« Où est Jane ? »

Jack battit la mesure avec sa tête, et Jane sourit involontairement.

La joyeuse procession conduite par Frank arriva enfin. Un cri général s’échappa de vingt poitrines d’écoliers lorsqu’ils aperçurent l’arbre, la chambre féerique et ses habitants dans toute leur splendeur.

« Oh ! que c’est beau ! » s’écrièrent-ils avec unanimité.

V

OH ! QUE C’EST BEAU !


Ralph fut chargé de distribuer les cadeaux. Il le fit avec tant de plaisanteries et de discours comiques, que les rires ne discontinuaient pas, et que les passants s’arrêtaient surpris devant la maison illuminée en se disant que, là du moins, on fêtait dignement la grande fête de Noël.

Il serait absolument impossible de décrire toutes les surprises et le bonheur de chacun. Il suffit de dire que tout le monde fut ravi de son lot, et que le roi et la reine du jour furent tellement comblés de cadeaux que leur chaise longue semblait un petit bazar.

Jack ne se lassait pas de feuilleter le bel album contenant des timbres-poste de tous les pays et qu’il désirait depuis si longtemps. C’était le cadeau de Frank. Jane était de son côté en extase devant un couteau en argent, une jolie boîte à ouvrage et — quels remords pour elle ! — devant une bague que lui donnait Jack. C’était un bijou bien modeste, un simple cercle d’or avec un tout petit ne m’oubliez pas en turquoises, mais quelque chose comme une goutte de rosée tomba dessus, pendant que personne ne regardait Jane.

La petite fille eût donné volontiers la moitié de ce qu’elle avait reçu pour pouvoir s’approcher de son ami et lui dire : « Pardon, Jack, je regrette d’avoir été si peu gentille, » C’était impossible en ce moment. Elle soupira et admira ses autres cadeaux qui étaient les petits chaussons de Merry, les jacinthes et les géraniums que Gustave et ses sœurs lui avaient envoyés, le gâteau de forme bizarre apporté par Molly, et la guitare qu’Édouard lui avait donnée en lui promettant de lui apprendre à en jouer.

L’arbre une fois dépouillé de ses fruits de toutes sortes, les enfants commencèrent par se montrer réciproquement leurs trésors et par faire des échanges de friandises, après quoi ils jouèrent à différents jeux. On ne dansa pas à cause des invalides, et on se sépara à neuf heures après des poignées de main et des bonsoirs sans fin.

Jack fut emporté dans sa chambre si précipitamment qu’il eut à peine le temps de crier : « Bonne nuit ! » à Jane, et, cinq minutes après, celle-ci se trouvait couchée dans le grand lit blanc qui allait être son lit dans sa nouvelle chambre.

La maison semblait devenue muette. On entendait à peine un léger pas dans le corridor, un murmure indistinct de voix d’enfants, et, au loin, le tintement des clochettes des traîneaux qui emmenaient les invités.

Jane, trop agitée pour penser à dormir, rêvait aux plaisirs qu’elle avait eus. Sa mère était partie emportant la lumière, mais, par la porte entrouverte, la petite fille pouvait voir la jolie chambre des oiseaux à demi éclairée par la bûche de Noël. Ses yeux restèrent longtemps fixés sur les fleurs, sur l’arbre abandonné.

Cela lui rappela les résolutions qu’elle avait prises alors, et la rapidité avec laquelle elle les avait oubliées.

Des larmes de regret jaillirent de ses yeux.

« Je croyais que je ne pourrais jamais être méchante dans cette jolie chambre, pensa-t-elle. Et voilà que j’ai été maussade et ingrate, après tout ce qu’on a fait pour maman et pour moi. Ce pauvre Jack a eu encore plus de mal que moi, et son mal il l’a eu par ma faute. Voilà qui gâte ma journée. »

Un grand sanglot l’empêcha de continuer.

Tout à coup une porte s’ouvrit, et un nouveau mystère vint faire diversion à son chagrin. C’était Frank qui entrait avec précaution et qui installait quelque chose dans la chambre des oiseaux. Qu’est-ce que cela pouvait être ? Il tenait à la main une longue corde terminer par une sorte de cornet, et il riait tout seul de ce qu’il faisait.

« C’est sans doute un petit pétard ou quelque chose comme cela pour m’effrayer, pensa Jane. Je crierai bien fort quand cela partira ; Jack croira que j’aurai eu très peur et il sera ravi. »

Elle ne s’imaginait guère que c’était une dernière surprise.

Frank s’approcha d’elle.

« Dormez-vous ?

— Non.

— Êtes-vous seule ?

— Oui.

— Eh bien, prenez ceci, posez-le tout contre votre oreille, et écoutez attentivement. »

Jane obéit, non sans une certaine appréhension. Jugez de sa stupéfaction en entendant assez distinctement ces paroles touchantes :

« Je suis fâché de ce qui s’est passé. Pardonnez et oubliez. Nous réparerons cela demain. »

Jane, ravie, lut un instant sans pouvoir parler, puis elle répondit de sa voix la plus douce :

Je suis fâchée aussi, j’ai eu plus de tort que vous, je ne recommencerai plus jamais, jamais ! C’est fini à présent, j’ai votre bague, elle ne me quittera plus. Bonsoir. »

Frank partit, satisfait du succès de son téléphone, et Jane s’endormit, la joue appuyée sur la main qui portait sa petite bague, en se répétant encore :

« Je n’oublierai pas, je serai sage. »