Iphigénie en Aulide (Racine), Didot, 1854/Acte III

Iphigénie en Aulide (Racine), Didot, 1854
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ACTE TROISIÈME.





Scène première.

AGAMEMNON, CLYTEMNESTRE.
CLYTEMNESTRE.

Oui, seigneur, nous partions ; et mon juste courroux
Laissait bientôt Achille et le camp loin de nous :
Ma fille dans Argos courait pleurer sa honte.
Mais lui-même, étonné d’une fuite si prompte,
Par combien de serments, dont je n’ai pu douter,
Vient-il de me convaincre, et de nous arrêter !
Il presse cet hymen qu’on prétend qu’il diffère,
Et vous cherche, brûlant d’amour et de colère :
Près d’imposer silence à ce bruit imposteur,
Achille en veut connaître et confondre l’auteur.
Bannissez ces soupçons qui troublaient notre joie.

AGAMEMNON.

Madame, c’est assez : je consens qu’on le croie.
Je reconnais l’erreur qui nous avait séduits,
Et ressens votre joie autant que je le puis.
Vous voulez que Calchas l’unisse à ma famille ;
Vous pouvez à l’autel envoyer votre fille :
Je l’attends. Mais, avant que de passer plus loin,
J’ai voulu vous parler un moment sans témoin.
Vous voyez en quels lieux vous l’avez amenée :
Tout y ressent la guerre, et non point l’hyménée.
Le tumulte d’un camp, soldats et matelots,
Un autel hérissé de dards, de javelots,
Tout ce spectacle enfin, pompe digne d’Achille,
Pour attirer vos yeux n’est point assez tranquille ;
Et les Grecs y verraient l’épouse de leur roi
Dans un état indigne et de vous et de moi.
M’en croirez-vous ? Laissez, de vos femmes suivie,
À cet hymen, sans vous, marcher Iphigénie.

CLYTEMNESTRE.

Qui ? moi ! que, remettant ma fille en d’autres bras,
Ce que j’ai commencé, je ne l’achève pas !
Qu’après l’avoir d’Argos amenée en Aulide,
Je refuse à l’autel de lui servir de guide !
Dois-je donc de Calchas être moins près que vous ?
Et qui présentera ma fille à son époux ?
Quelle autre ordonnera cette pompe sacrée ?

AGAMEMNON.

Vous n’êtes point ici dans le palais d’Atrée :
Vous êtes dans un camp…

CLYTEMNESTRE.

Vous êtes dans un camp… Où tout vous est soumis ;
Où le sort de l’Asie en vos mains est remis ;
Où je vois sous vos lois marcher la Grèce entière ;
Où le fils de Thétis va m’appeler sa mère.
Dans quel palais superbe et plein de ma grandeur
Puis-je jamais paraître avec plus de splendeur ?

AGAMEMNON.

Madame, au nom des dieux auteurs de notre race,
Daignez à mon amour accorder cette grâce.
J’ai mes raisons.

CLYTEMNESTRE.

J’ai mes raisons. Seigneur, au nom des mêmes dieux,
D’un spectacle si doux ne privez point mes yeux.
Daignez ne point ici rougir de ma présence.

AGAMEMNON.

J’avais plus espéré de votre complaisance.
Mais puisque la raison ne vous peut émouvoir,
Puisque enfin ma prière a si peu de pouvoir,
Vous avez entendu ce que je vous demande,
Madame : je le veux, et je vous le commande.
Obéissez.


Scène II.

CLYTEMNESTRE.

Obéissez. D’où vient que d’un soin si cruel
L’injuste Agamemnon m’écarte de l’autel ?
Fier de son nouveau rang, m’ose-t-il méconnaître ?
Me croit-il à sa suite indigne de paraître ?
Ou, de l’empire encor timide possesseur,
N’oserait-il d’Hélène ici montrer la sœur ?
Et pourquoi me cacher ? et par quelle injustice
Faut-il que sur mon front sa honte rejaillisse ?
Mais n’importe ; il le veut, et mon cœur s’y résout.
Ma fille, ton bonheur me console de tout !
Le ciel te donne Achille ; et ma joie est extrême
De t’entendre nommer… Mais le voici lui-même.


Scène III.

ACHILLE, CLYTEMNESTRE.
ACHILLE.

Tout succède, madame, à mon empressement :
Le roi n’a point voulu d’autre éclaircissement ;
Il en croit mes transports ; et sans presque m’entendre,
Il vient, en m’embrassant, de m’accepter pour gendre.
Il ne m’a dit qu’un mot. Mais vous a-t-il conté
Quel bonheur dans le camp vous avez apporté ?
Les dieux vont s’apaiser : du moins Calchas publie
Qu’avec eux, dans une heure, il nous réconcilie ;
Que Neptune et les vents, prêts à nous exaucer,
N’attendent que le sang que sa main va verser.
Déjà dans les vaisseaux la voile se déploie,
Déjà sur sa parole ils se tournent vers Troie.
Pour moi, quoique le ciel, au gré de mon amour,
Dût encore des vents retarder le retour,
Que je quitte à regret la rive fortunée
Où je vais allumer les flambeaux d’hyménée,
Puis-je ne point chérir l’heureuse occasion
D’aller du sang troyen sceller notre union,
Et de laisser bientôt, sous Troie ensevelie,
Le déshonneur d’un nom à qui le mien s’allie ?


Scène IV.

ACHILLE, CLYTEMNESTRE, IPHIGÉNIE, ÉRIPHILE, ÆGINE, DORIS.
ACHILLE.

Princesse, mon bonheur ne dépend que de vous ;
Votre père à l’autel vous destine un époux :
Venez y recevoir un cœur qui vous adore.

IPHIGÉNIE.

Seigneur, il n’est pas temps que nous partions encore.
La reine permettra que j’ose demander

Un gage à votre amour, qu’il me doit accorder.
Je viens vous présenter une jeune princesse :
Le ciel a sur son front imprimé sa noblesse.
De larmes tous les jours ses yeux sont arrosés ;
Vous savez ses malheurs, vous les avez causés.
Moi-même (où m’emportait une aveugle colère !)
J’ai tantôt, sans respect, affligé sa misère.
Que ne puis-je aussi bien, par d’utiles secours,
Réparer promptement mes injustes discours !
Je lui prête ma voix, je ne puis davantage.
Vous seul pouvez, seigneur, détruire votre ouvrage :
Elle est votre captive ; et ses fers, que je plains,
Quand vous l’ordonnerez tomberont de ses mains.
Commencez donc par là cette heureuse journée.
Qu’elle puisse à nous voir n’être plus condamnée.
Montrez que je vais suivre au pied de nos autels
Un roi qui, non content d’effrayer les mortels,
À des embrasements ne borne point sa gloire,
Laisse aux pleurs d’une épouse attendrir sa victoire,
Et par les malheureux quelquefois désarmé,
Sait imiter en tout les dieux qui l’ont formé.

ÉRIPHILE.

Oui, seigneur, des douleurs soulagez la plus vive.
La guerre dans Lesbos me fit votre captive ;
Mais c’est pousser trop loin ses droits injurieux,
Qu’y joindre le tourment que je souffre en ces lieux.

ACHILLE.

Vous, madame !

ÉRIPHILE.

Vous, madame ! Oui, seigneur ; et sans compter le reste,
Pouvez-vous m’imposer une loi plus funeste
Que de rendre mes yeux les tristes spectateurs
De la félicité de mes persécuteurs ?
J’entends de toutes parts menacer ma patrie ;
Je vois marcher contre elle une armée en furie ;
Je vois déjà l’hymen, pour mieux me déchirer,
Mettre en vos mains le feu qui la doit dévorer :
Souffrez que, loin du camp et loin de votre vue,
Toujours infortunée et toujours inconnue,
J’aille cacher un sort si digne de pitié,
Et dont mes pleurs encor vous taisent la moitié.

ACHILLE.

C’est trop, belle princesse : il ne faut que nous suivre.
Venez ; qu’aux yeux des Grecs Achille vous délivre ;
Et que le doux moment de ma félicité
Soit le moment heureux de votre liberté.


Scène V.

ACHILLE, CLYTEMNESTRE, IPHIGÉNIE, ÉRIPHILE, ARCAS, ÆGINE, DORIS.
ARCAS.

Madame, tout est prêt pour la cérémonie.
Le roi près de l’autel attend Iphigénie ;
Je viens la demander : ou plutôt contre lui,
Seigneur, je viens pour elle implorer votre appui.

ACHILLE.

Arcas, que dites-vous ?

CLYTEMNESTRE.

Arcas, que dites-vous ? Dieux ! que vient-il m’apprendre ?

ARCAS, à Achille.

Je ne vois plus que vous qui la puisse défendre.

ACHILLE.

Contre qui ?

ARCAS.

Contre qui ? Je le nomme et l’accuse à regret :
Autant que je l’ai pu j’ai gardé son secret.
Mais le fer, le bandeau, la flamme est toute prête ;
Dût tout cet appareil retomber sur ma tête,
Il faut parler.

CLYTEMNESTRE.

Il faut parler. Je tremble. Expliquez-vous, Arcas.

ACHILLE.

Qui que ce soit, parlez, et ne le craignez pas.

ARCAS.

Vous êtes son amant, et vous êtes sa mère :
Gardez-vous d’envoyer la princesse à son père.

CLYTEMNESTRE.

Pourquoi le craindrons-nous ?

ACHILLE.

Pourquoi le craindrons-nous ? Pourquoi m’en défier ?

ARCAS.

Il l’attend à l’autel pour la sacrifier.

ACHILLE.

Lui !

CLYTEMNESTRE.

Lui ! Sa fille !

IPHIGÉNIE.

Lui ! Sa fille ! Mon père !

ÉRIPHILE.

Lui ! Sa fille ! Mon père ! Ô ciel ! quelle nouvelle !

ACHILLE.

Quelle aveugle fureur pourrait l’armer contre elle ?
Ce discours sans horreur se peut-il écouter ?

ARCAS.

Ah ! seigneur, plût au ciel que je pusse en douter !
Par la voix de Calchas l’oracle la demande ;
De toute autre victime il refuse l’offrande ;
Et les dieux, jusque-là protecteurs de Pâris,
Ne nous promettent Troie et les vents qu’à ce prix.

CLYTEMNESTRE.

Les dieux ordonneraient un meurtre abominable !

IPHIGÉNIE.

Ciel ! pour tant de rigueur, de quoi suis-je coupable ?

CLYTEMNESTRE.

Je ne m’étonne plus de cet ordre cruel
Qui m’avait interdit l’approche de l’autel.

IPHIGÉNIE, à Achille.

Et voilà donc l’hymen où j’étais destinée !

ARCAS.

Le roi, pour vous tromper, feignait cet hyménée :
Tout le camp même encore est trompé comme vous.

CLYTEMNESTRE.

Seigneur, c’est donc à moi d’embrasser vos genoux.

ACHILLE, la relevant.

Ah ! madame !

CLYTEMNESTRE.

Ah ! madame ! Oubliez une gloire importune ;
Ce triste abaissement convient à ma fortune :
Heureuse si mes pleurs vous peuvent attendrir !
Une mère à vos pieds peut tomber sans rougir.
C’est votre épouse, hélas ! qui vous est enlevée ;
Dans cet heureux espoir je l’avais élevée.
C’est vous que nous cherchions sur ce funeste bord ;
Et votre nom, seigneur, l’a conduite à la mort.
Ira-t-elle, des dieux implorant la justice,
Embrasser leurs autels parés pour son supplice ?
Elle n’a que vous seul : vous êtes en ces lieux
Son père, son époux, son asile, ses dieux.
Je lis dans vos regards la douleur qui vous presse.
Auprès de votre époux, ma fille, je vous laisse.
Seigneur, daignez m’attendre, et ne la point quitter.
À mon perfide époux je cours me présenter :
Il ne soutiendra point la fureur qui m’anime.
Il faudra que Calchas cherche une autre victime :
Ou si je ne vous puis dérober à leurs coups,
Ma fille, ils pourront bien m’immoler avant vous.


Scène VI.

ACHILLE, IPHIGÉNIE.
ACHILLE.

Madame, je me tais, et demeure immobile.
Est-ce à moi que l’on parle, et connaît-on Achille ?
Une mère pour vous croit devoir me prier !
Une reine à mes pieds se vient humilier !
Et me déshonorant par d’injustes alarmes,
Pour attendrir mon cœur on a recours aux larmes !
Qui doit prendre à vos jours plus d’intérêt que moi ?
Ah ! sans doute on s’en peut reposer sur ma foi.
L’outrage me regarde ; et quoi qu’on entreprenne,
Je réponds d’une vie où j’attache la mienne.
Mais ma juste douleur va plus loin m’engager :
C’est peu de vous défendre, et je cours vous venger,
Et punir à la fois le cruel stratagème
Qui s’ose de mon nom armer contre vous-même.

IPHIGÉNIE.

Ah ! demeurez, seigneur, et daignez m’écouter.

ACHILLE.

Quoi, madame ! Un barbare osera m’insulter !
Il voit que de sa sœur je cours venger l’outrage ;
Il sait que le premier lui donnant mon suffrage,
Je le fis nommer chef de vingt rois ses rivaux ;
Et pour fruit de mes soins, pour fruit de mes travaux,
Pour tout le prix enfin d’une illustre victoire
Qui le doit enrichir, venger, combler de gloire,
Content et glorieux du nom de votre époux,
Je ne lui demandais que l’honneur d’être à vous :
Cependant aujourd’hui, sanguinaire, parjure,
C’est peu de violer l’amitié, la nature ;
C’est peu que de vouloir, sous un couteau mortel,
Me montrer votre cœur fumant sur un autel ;
D’un appareil d’hymen couvrant ce sacrifice,
Il veut que ce soit moi qui vous mène au supplice ;
Que ma crédule main conduise le couteau ;
Qu’au lieu de votre époux je sois votre bourreau !
Et quel était pour vous ce sanglant hyménée,
Si je fusse arrivé plus tard d’une journée ?
Quoi donc ! à leur fureur livrée en ce moment,
Vous iriez à l’autel me chercher vainement ;
Et d’un fer imprévu vous tomberiez frappée,
En accusant mon nom qui vous aurait trompée !
Il faut de ce péril, de cette trahison,
Aux yeux de tous les Grecs lui demander raison.
À l’honneur d’un époux vous-même intéressée,
Madame, vous devez approuver ma pensée.
Il faut que le cruel qui m’a pu mépriser
Apprenne de quel nom il osait abuser.

IPHIGÉNIE.

Hélas ! si vous m’aimez ; si pour grâce dernière,
Vous daignez d’une amante écouter la prière,
C’est maintenant, seigneur, qu’il faut me le prouver :
Car enfin, ce cruel que vous allez braver,
Cet ennemi barbare, injuste, sanguinaire,
Songez, quoi qu’il ait fait, songez qu’il est mon père.

ACHILLE.

Lui, votre père ! Après son horrible dessein,
Je ne le connais plus que pour votre assassin.

IPHIGÉNIE.

C’est mon père, seigneur, je vous le dis encore ;
Mais un père que j’aime, un père que j’adore,
Qui me chérit lui-même, et dont jusqu’à ce jour
Je n’ai jamais reçu que des marques d’amour.
Mon cœur dans ce respect élevé dès l’enfance
Ne peut que s’affliger de tout ce qui l’offense,
Et loin d’oser ici, par un prompt changement,
Approuver la fureur de votre emportement ;
Loin que par mes discours je l’attise moi-même,
Croyez qu’il faut aimer autant que je vous aime
Pour avoir pu souffrir tous les noms odieux
Dont votre amour le vient d’outrager à mes yeux.
Et pourquoi voulez-vous qu’inhumain et barbare
Il ne gémisse pas du coup qu’on me prépare ?
Quel père de son sang se plaît à se priver ?

Pourquoi me perdrait-il, s’il pouvait me sauver ?
J’ai vu, n’en doutez point, ses larmes se répandre.
Faut-il le condamner avant que de l’entendre ?
Hélas ! de tant d’horreurs son cœur déjà troublé
Doit-il de votre haine être encore accablé ?

ACHILLE.

Quoi, madame ! parmi tant de sujets de crainte,
Ce sont là les frayeurs dont vous êtes atteinte !
Un cruel (comment puis-je autrement l’appeler ?)
Par la main de Calchas s’en va vous immoler ;
Et lorsqu’à sa fureur j’oppose ma tendresse,
Le soin de son repos est le seul qui vous presse !
On me ferme la bouche ! on l’excuse ! on le plaint !
C’est pour lui que l’on tremble, et c’est moi que l’on craint !
Triste effet de mes soins ! Est-ce donc là, madame,
Tout le progrès qu’Achille avait fait dans votre âme ?

IPHIGÉNIE.

Ah ! cruel ! cet amour, dont vous voulez douter,
Ai-je attendu si tard pour le faire éclater ?
Vous voyez de quel œil, et comme indifférente,
J’ai reçu de ma mort la nouvelle sanglante :
Je n’en ai point pâli. Que n’avez-vous pu voir
À quel excès tantôt allait mon désespoir,
Quand, presque en arrivant, un récit peu fidèle
M’a de votre inconstance annoncé la nouvelle !
Quel trouble, quel torrent de mots injurieux
Accusait à la fois les hommes et les dieux !
Ah ! que vous auriez vu, sans que je vous le die,
De combien votre amour m’est plus cher que ma vie !
Qui sait même, qui sait si le ciel irrité
A pu souffrir l’excès de ma félicité ?
Hélas ! il me semblait qu’une flamme si belle
M’élevait au-dessus du sort d’une mortelle !

ACHILLE.

Ah ! si je vous suis cher, ma princesse, vivez.


Scène VII.

ACHILLE, CLYTEMNESTRE, IPHIGÉNIE, ÆGINE.
CLYTEMNESTRE.

Tout est perdu, seigneur, si vous ne nous sauvez.
Agamemnon m’évite, et craignant mon visage,
Il me fait de l’autel refuser le passage :
Des gardes, que lui-même a pris soin de placer,
Nous ont de toutes parts défendu de passer.
Il me fuit. Ma douleur étonne son audace.

ACHILLE.

Eh bien ! c’est donc à moi de prendre votre place.
Il me verra, madame : et je vais lui parler.

IPHIGÉNIE.

Ah ! madame !… Ah ! seigneur ! où voulez-vous aller ?

ACHILLE.

Et que prétend de moi votre injuste prière ?
Vous faudra-t-il toujours combattre la première ?

CLYTEMNESTRE.

Quel est votre dessein, ma fille ?

IPHIGÉNIE.

Quel est votre dessein, ma fille ? Au nom des dieux,
Madame, retenez un amant furieux :
De ce triste entretien détournons les approches.
Seigneur, trop d’amertume aigrirait vos reproches.
Je sais jusqu’où s’emporte un amant irrité ;
Et mon père est jaloux de son autorité.
On ne connaît que trop la fierté des Atrides.
Laissez parler, seigneur, des bouches plus timides.
Surpris, n’en doutez point, de mon retardement,
Lui-même il me viendra chercher dans un moment :
Il entendra gémir une mère oppressée ;
Et que ne pourra point m’inspirer la pensée
De prévenir les pleurs que vous verseriez tous,
D’arrêter vos transports, et de vivre pour vous ?

ACHILLE.

Enfin vous le voulez : il faut donc vous complaire.
Donnez-lui l’une et l’autre un conseil salutaire :
Rappelez sa raison ; persuadez-le bien,
Pour vous, pour mon repos, et surtout pour le sien.
Je perds trop de moments en des discours frivoles ;
Il faut des actions, et non pas des paroles.

(À Clytemnestre.)
Madame, à vous servir je vais tout disposer :

Dans votre appartement allez vous reposer.
Votre fille vivra, je puis vous le prédire.
Croyez du moins, croyez que, tant que je respire,
Les dieux auront en vain ordonné son trépas :
Cet oracle est plus sûr que celui de Calchas.