Traduction par Léon de Wailly.
À l’enseigne du pot cassé (p. 123-127).




CHAPITRE X


INSTRUCTIONS

À LA FILLE DE SERVICE


Si votre maître et votre maîtresse vont à la campagne pour une semaine ou plus, ne lavez la chambre à coucher ou la salle à manger que juste une heure avant celle où vous attendez leur retour : de cette façon, les chambres seront parfaitement propres pour les recevoir, et vous n’aurez pas la peine de les relaver si tôt.

Je suis très irrité contre ces dames qui sont si fières et si paresseuses qu’elles ne se donnent pas la peine d’aller au jardin cueillir une rose, mais tiennent un odieux meuble, parfois dans leur chambre même, ou du moins à côté dans un cabinet sombre, pour s’en servir à soulager leurs pires besoins ; et vous êtes habituellement chargée d’emporter le vase, qui rend non seulement la chambre, mais leurs habits même, très désagréables à tous ceux qui en approchent. Or, pour les guérir de cette horrible habitude, laissez-moi vous donner, à vous dont c’est l’office d’emporter cet ustensile, le conseil de le faire ouvertement par le grand escalier, et en présence du laquais ; et si quelqu’un frappe, d’ouvrir la porte de la rue tandis que vous avez le vase plein dans les mains ; ceci, si quelque chose en est capable, fera prendre à votre maîtresse la peine de faire ses évacuations dans le lieu qui convient, plutôt que d’exposer ses vilenies aux regards de tous les hommes de la maison.

Laissez un seau d’eau sale avec une mop dedans, une boîte à charbon, une bouteille, un balai, un pot de chambre et autres choses désagréables à voir, soit dans un passage obscur ou sur la partie la plus sombre de l’escalier de derrière, afin qu’on ne les voie pas ; et si les gens se rompent les jambes en marchant dessus, c’est leur faute.

Ne videz jamais les pots de chambre qu’ils ne soient pleins ; si cela arrive le soir, videz-les dans la rue ; si c’est le matin, dans le jardin, car ce serait à n’en pas finir que d’aller une douzaine de fois des mansardes et des chambres d’en haut à l’arrière-cour ; mais ne les lavez jamais que dans leur propre liquide : quelle fille aimant la propreté voudrait barbotter dans l’urine d’autrui ? Et d’ailleurs, cette sorte d’odeur, ainsi que je l’ai déjà fait observer, est admirable contre les vapeurs, et il y a cent à parier contre un que votre maîtresse en a.

Enlevez les toiles d’araignées avec un balai humide et sale, ce qui fera qu’elles s’y attacheront mieux, et que vous les ferez tomber plus complètement.

Quand vous nettoyez la cheminée du parloir, le matin, jetez les cendres de la veille dans un tamis, et ce qui passera à travers, en le descendant, sablera les chambres et l’escalier.

Quand vous avez récuré les cuivres et fers de la cheminée du parloir, posez le torchon sale et mouillé sur la chaise voisine, afin que votre maîtresse voie que vous n’avez pas négligé votre ouvrage ; observez la même règle quand vous nettoyez les serrures de cuivre, seulement avec cette addition, de laisser les marques de vos doigts sur les portes, pour montrer que vous n’avez rien oublié.

Laissez toute la journée le pot de chambre de votre maîtresse prendre l’air sur sa fenêtre.

Ne montez que de gros morceaux de charbon de terre dans la salle à manger et dans la chambre de votre maîtresse : ils font le meilleur feu, et si on les trouve trop gros, il est aisé de les casser sur le marbre de la cheminée.

Quand vous vous couchez, prenez bien garde au feu : soufflez donc sur la chandelle, puis fourrez-la sous votre lit. Nota : L’odeur de la mouchure est très bonne contre les vapeurs.

Persuadez au laquais qui vous a engrossée, de vous épouser avant les six premiers mois ; et si votre maîtresse vous demande pourquoi vous avez pris un garçon qui n’a pas un sou vaillant, que votre réponse soit : « Service d’autrui n’est pas un héritage. »

Quand le lit de votre maîtresse est fait, mettez le pot de chambre dessous, mais de façon à y prendre aussi les pentes, afin qu’il soit bien en vue, et à la disposition de votre maîtresse quand elle en aura besoin.

Enfermez un chat ou un chien dans quelque chambre ou cabinet, de façon à faire un tel bruit dans toute la maison que les voleurs en soient effrayés si quelqu’un d’eux tentait de s’y introduire par ruse ou par force.

Quand vous lavez le soir une des chambres de devant, jetez l’eau sale par la porte de la rue ; mais ayez soin de ne pas regarder devant vous, de peur que ceux que vous éclaboussez ne vous accusent d’impolitesse, et de l’avoir fait exprès. Si la victime casse les carreaux par vengeance, et que votre maîtresse vous réprimande et vous donne l’ordre positif de descendre le seau et de le vider dans le puisard, vous avez une ressource facile : quand vous lavez une chambre d’en haut, descendez le seau de façon à ce que l’eau dégoutte tout le long de l’escalier jusqu’à la cuisine ; non seulement votre charge en sera plus légère, mais vous convaincrez votre maîtresse qu’il vaut mieux jeter l’eau par les fenêtres ou par la porte de la rue ; outre qu’il sera très divertissant pour vous et pour la maison, un soir qu’il gèlera, de voir une centaine de personnes sur leur nez ou sur leur cul, devant votre porte, quand l’eau sera prise.

Polissez et faites reluire les foyers et cheminées de marbre avec un torchon trempé dans la graisse : rien ne les fait aussi bien briller ; et c’est aux dames à prendre soin de leurs jupes.

Si votre maîtresse est assez recherchée pour vouloir que la chambre soit récurée avec du grès, ne manquez pas de laisser les marques du grès à six pouces de haut tout autour du bas de la boiserie, afin que votre maîtresse voie que vous avez obéi à ses ordres.