Traduction par Léon de Wailly.
À l’enseigne du pot cassé (p. 43-58).




CHAPITRE PREMIER


INSTRUCTIONS AU BUTLER


Dans mes instructions aux domestiques, je vois, d’après ma longue expérience, que vous autres butlers vous êtes les principaux intéressés.

Votre besogne offrant la plus grande variété et exigeant la plus grande exactitude, je vais, autant que je pourrai m’en souvenir, parcourir les diverses branches de votre service, et régler mes conseils en conséquence.

Dans vos fonctions au buffet, prenez tout le soin possible d’économiser votre peine et les verres de votre maître. Ainsi, puisque ceux qui dînent à la même table sont supposés être amis, faites-les boire tous dans le même verre, sans le laver, ce qui vous évitera beaucoup de travail, ainsi que la chance de les casser. Ne donnez à boire à personne qu’il ne l’ait demandé trois fois au moins ; de cette façon, les uns par mauvaise honte, et d’autres par oubli, le demanderont moins souvent, et ce sera autant d’économisé pour votre maître.

Si quelqu’un désire un verre d’ale en bouteille, secouez d’abord la bouteille, pour voir s’il y a quelque chose dedans ; puis goûtez, pour voir ce que c’est, afin de ne pas vous tromper, et enfin, essuyez le goulot avec la paume de votre main, pour montrer votre propreté.

Ayez bien soin d’avoir le bouchon plutôt dans le ventre de la bouteille que dans le goulot ; et si le bouchon est moisi, ou qu’il y ait des fleurs sur votre liquide, votre maître en économisera d’autant plus.

Si un humble personnage, un chapelain, un précepteur, ou un cousin pauvre, se trouve être à table, et vous paraisse obtenir peu d’attention du maître et des autres convives (ce que personne n’est plus prompt à découvrir et à observer que vous autres domestiques), votre devoir, à vous et au valet de pied, est de suivre l’exemple de vos supérieurs, en le traitant de plusieurs degrés plus mal que les autres ; et vous ne sauriez mieux plaire à votre maître, ou du moins à votre maîtresse.

Si quelqu’un demande de la petite bière vers la fin du dîner, ne vous donnez pas la peine de descendre à la cave, mais recueillez ce qui reste dans les divers gobelets, verres et soucoupes. Tournez le dos à la compagnie, toutefois, de peur d’être remarqué. Au contraire, quand quelqu’un demande de l’ale vers la fin du dîner, remplissez-en jusqu’au bord le plus grand pot que vous ayez ; de la sorte il vous en restera la plus grande partie pour obliger vos camarades, sans commettre le péché d’en dérober à votre maître.

Il est un expédient tout aussi honnête, par lequel vous avez la chance d’avoir pour vous chaque jour la meilleure partie d’une bouteille de vin, car vous devez supposer que des gens comme il faut ne se préoccuperont pas du reste de la bouteille ; c’est pourquoi mettez-en toujours une fraîche devant eux, après dîner, quoiqu’ils n’aient pas bu plus d’un verre de l’autre.

Ayez particulièrement soin que vos bouteilles ne soient pas moisies avant de les emplir ; pour ce faire, soufflez avec force dans chaque goulot, et si vous ne sentez que votre haleine, emplissez immédiatement.

Si l’on vous fait descendre en hâte pour tirer n’importe quel liquide, et que vous voyiez qu’il ne coule pas, ne vous donnez pas la peine de faire un trou de fausset, mais soufflez avec force dans la cannelle, et vous verrez immédiatement le liquide vous couler dans la bouche, ou bien retirez le fausset. Mais ne perdez pas votre temps à le remettre, de peur que votre maître n’ait besoin de vous.

Si vous êtes curieux de goûter quelques-unes des bouteilles de choix de votre maître, videz-en au-dessous du goulot autant qu’il en faudra pour faire la quantité dont vous avez besoin ; mais alors ayez soin de les remplir d’eau propre, afin que votre maître n’ait pas moins de liquide.

Il y a une excellente invention, trouvée depuis peu d’années, pour le maniement de l’ale et de la petite bière au buffet : par exemple, un convive demande un verre d’ale et n’en boit que la moitié ; un autre demande de la petite bière : vous versez immédiatement le reste de l’ale dans le pot, et remplissez le verre de petite bière ; et ainsi de l’un à l’autre tant que le dîner dure, et par là vous atteignez trois buts : premièrement, vous vous épargnez la peine de laver, et conséquemment le danger de casser vos verres ; secondement, vous êtes sûr de ne pas vous tromper en donnant la boisson qu’on demande ; et enfin, par cette méthode, vous êtes certain que rien n’est perdu.

Comme les butlers sont sujets à oublier de monter à temps leur ale et leur bière, rappelez-vous bien d’avoir les vôtres en haut, deux heures avant le dîner ; et mettez-les au soleil dans la chambre, pour faire voir que vous n’avez pas été négligent.

Quelques butlers ont une manière de décanter (comme ils l’appellent) l’ale en bouteille, qui leur fait perdre une bonne partie du fond. Que votre méthode soit de tourner la bouteille sens dessus dessous, ce qui doublera la quantité en apparence : par ce moyen, vous serez sûr de ne pas perdre une seule goutte, et la mousse empêchera de voir que l’ale est trouble.

Nettoyez votre argenterie, essuyez vos couteaux, et frottez les tables sales avec les serviettes et les nappes qui ont servi ce jour-là ; car ce n’est toujours qu’un blanchissage, et, en outre, cela épargne vos torchons, et en récompense d’une si judicieuse économie, mon avis est que vous pouvez légitimement employer les plus belles serviettes damassées comme bonnet de nuit.

Quand vous nettoyez votre argenterie, laissez voir du blanc dans toutes les rainures, de peur que votre maîtresse ne croie pas que vous ne l’ayez nettoyée.

Il n’est rien où l’habileté d’un butler se montre mieux que dans le maniement des chandelles, qui, bien que les autres domestiques puissent y entrer pour leur part, vous concerne principalement. C’est à vous seul que j’adresserai mes instructions sur cet article, laissant à vos camarades le soin de s’y conformer dans l’occasion.

D’abord, pour éviter de brûler le jour et épargner les chandelles de votre maître, ne les montez jamais qu’une demi-heure après qu’il fait nuit, quel que soit le nombre de fois qu’on les ait demandées.

Que vos bobèches soient pleines de suif jusqu’au bord, avec l’ancienne mouchure en haut, et alors mettez par-dessus vos chandelles neuves. Il est vrai que cela les expose à tomber, mais elles en paraîtront d’autant plus longues et plus belles au salon. D’autres fois, pour varier, laissez-les balloter dans les bobèches, pour montrer que celles-ci sont propres jusqu’au fond.

Quand votre chandelle est trop grosse pour la bobèche, faites-la fondre, devant le feu, à la dimension convenable ; et pour cacher la fumée, enveloppez de papier à la moitié.

Vous n’êtes pas sans avoir observé, dans ces dernières années, l’extravagance de la gentry en fait de chandelles, et un bon butler doit la décourager par tous les moyens : ceci, vous pouvez le faire de plusieurs manières, quand vous avez reçu l’ordre de mettre des chandelles dans les candélabres.

Les candélabres sont de grands gaspilleurs de chandelles, et vous, qui devez toujours considérer l’avantage de votre maître, il faut faire votre possible pour les décourager : c’est pourquoi votre devoir est de forcer des deux mains la chandelle dans la bobèche, et de la faire pencher de telle sorte que le suif tombe tout sur le plancher, si la coiffure de quelque dame ou la perruque de quelque homme n’est là pour l’intercepter : vous pouvez également laisser la chandelle si lâche qu’elle tombe sur le verre et le mette en pièces ; cela sauvera à votre maître plus d’un sol dans l’année, tant en chandelles qu’en verres, et à vous-même beaucoup de peine ; car les candélabres détériorés ne peuvent plus servir.

Ne laissez jamais brûler les chandelles trop bas, mais donnez-les comme profit légitime à votre amie la cuisinière, pour augmenter ce qu’elle retire de la cuisine ; ou, si cela n’est pas souffert dans votre maison, faites-en la charité aux pauvres voisins qui font souvent vos commissions.

Quand vous faites griller du pain, ne perdez pas votre temps à le surveiller, mais posez-le sur le charbon, et vaquez à vos autres affaires : puis revenez, et si vous le trouvez grillé de part en part, grattez le côté brûlé, et servez.

Quand vous dressez le buffet, mettez les plus beaux verres aussi près du bord que possible ; par suite de quoi ils jetteront un double lustre, et feront plus belle figure ; et tout ce qu’il en peut résulter au plus c’est qu’il s’en casse une demi-douzaine, ce qui est une bagatelle pour la poche de votre maître.

Lavez les verres avec votre eau, pour épargner le sel de votre maître.

Quand il a été répandu du sel sur la table, ne le laissez pas perdre, mais le dîner fini, pliez la nappe, avec le sel dedans, puis secouez-en le sel dans la salière pour vous en servir le lendemain ; mais le plus court et le plus sûr est, quand vous enlevez la nappe, d’y envelopper les couteaux, fourchettes, cuillers, salières, croûtes de pain et débris de viande ; comme cela vous serez certain de ne rien perdre, à moins que vous ne préfériez secouer le tout par la fenêtre, afin que les mendiants puissent manger plus commodément les restes.

Laissez le dépôt du vin, de l’ale, et autres boissons dans les bouteilles : les rincer n’est qu’une perte de temps, puisque tout cela se fera à la fois dans un lavage général ; et vous aurez une meilleure excuse pour les casser.

Si votre maître a beaucoup de bouteilles moisies, ou très sales, ou encrassées, je vous conseille, comme un cas de conscience, que ce soient les premières que vous troquiez au cabaret voisin contre de l’ale ou de l’eau-de-vie.

Quand on envoie un message à votre maître, soyez aimable pour le camarade qui l’apporte ; faites-lui boire du meilleur que vous ayez en garde, pour l’honneur de votre maître ; et, à la première occasion, il vous rendra la pareille.

Après souper, s’il fait nuit, emportez votre argenterie et votre porcelaine dans le même panier pour épargner la chandelle, car vous connaissez assez bien votre office pour les ranger dans l’obscurité.

Quand on attend du monde à dîner ou en soirée, soyez sûr d’être dehors, afin qu’on ne puisse rien avoir de ce que vous avez sous clef ; par là votre maître épargnera sa cave, et n’usera pas son argenterie.

J’arrive ici à une partie très importante de votre service : la mise en bouteille d’une pièce de vin, où je recommande trois vertus, propreté, frugalité et fraternité. Que vos bouchons soient le plus longs possible, ce qui épargnera du vin dans chaque goulot : quant à vos bouteilles, choisissez les plus petites que vous pourrez trouver, ce qui augmentera le nombre des douzaines, et fera plaisir à votre maître ; car une bouteille de vin est toujours une bouteille de vin, qu’elle tienne plus ou moins ; et si votre maître a son nombre voulu de douzaines, il ne peut pas se plaindre.

Chaque bouteille doit d’abord être rincée avec du vin, de peur qu’on n’ait laissé de la moisissure en la lavant. Quelques personnes, par une économie mal entendue, rinceront une douzaine de bouteilles avec le même vin ; mais je vous conseillerais, pour plus de sûreté, de changer le vin toutes les deux bouteilles ; un demi-verre peut suffire. Ayez des bouteilles toutes prêtes pour le mettre de côté ; et ce sera un bon profit, soit pour le vendre, soit pour le boire avec la cuisinière.

Ne videz pas trop votre pièce, et ne la penchez pas, de peur de troubler le vin. Quand il commence à couler lentement, et avant qu’il devienne trouble, secouez-la et portez-en un verre à votre maître, qui vous louerai de votre prudence et vous donnera tout le reste comme, un profit de votre place : vous pouvez pencher la pièce le lendemain, et dans une quinzaine de jours tirer une ou deux douzaines de bouteilles de bon vin clair pour en disposer comme il vous plaira.

En mettant le vin en bouteille, remplissez votre bouche de bouchons, en compagnie d’une grosse chique, qui donnera au vin le vrai goût de la plante, si délicieuse à boire pour tous les connaisseurs.

Avez-vous ordre de décanter une bouteille suspecte ? quand vous êtes à moitié, donnez à votre main une adroite secousse, et montrez dans un verre que le contenu commence à être trouble.

Quand une pièce de vin ou de tout autre liquide doit être mise en bouteille, lavez vos bouteilles immédiatement avant de commencer ; mais ayez soin de ne pas les sécher : par cette heureuse combinaison, vous économiserez à votre maître plusieurs gallons par pièce.

C’est alors que, pour faire honneur à votre maître, vous devez faire acte de bienveillance envers vos camarades, et spécialement la cuisinière ; car que signifient quelques bouteilles sur une pièce entière ? Mais faites-les boire en votre présence, de peur qu’elles ne soient données à d’autres, et que votre maître ne soit lésé. Mais conseillez-leur, s’ils se grisent, de se mettre au lit, et de faire dire qu’ils sont malades : cette dernière précaution, je la recommande à tous les domestiques, tant mâles que femelles.

Si votre maître trouve que sa pièce n’a pas donné tout ce qu’il attendait, quoi de plus simple que de dire : le tonneau fuyait ; le marchand de vin ne l’avait pas rempli en temps convenable ; le marchand de futailles lui en avait vendu une qui n’était pas de mesure.

Quand il vous faut de l’eau pour le thé après dîner (ce qui, dans bien des maisons, fait partie de votre besogne), pour épargner le combustible et aller plus vite, remplissez la bouilloire avec celle du chaudron dans lequel le chou ou le poisson a bouilli, ce qui la rendra beaucoup plus saine, en corrigeant l’acide et la qualité corrosive du thé.

Soyez économes de vos chandelles, et laissez celles des candélabres, du vestibule, de l’escalier et de la lanterne, brûler dans les bobèches jusqu’à ce qu’elles s’éteignent d’elles-mêmes. Votre maître et votre maîtresse loueront votre économie, dès qu’ils en sentiront l’odeur.

Si un convive laisse une tabatière ou un étui à cure-dents sur la table après dîner, une fois sorti, regardez la chose comme une partie de vos profits, car cela est admis par tous les domestiques, et vous ne faites pas de tort à votre maître ou maîtresse.

Si vous servez un campagnard, quand il vient dîner chez vous des messieurs et des dames, ne manquez pas de griser leurs domestiques, et surtout le cocher, pour l’honneur de votre maître, que vous devez particulièrement avoir en vue dans toutes vos actions, comme en étant le meilleur juge ; car l’honneur de chaque famille repose aux mains de la cuisinière, du butler et du groom, comme je le démontrerai ci-après.

À souper, mouchez les chandelles sur la table ; c’est la méthode la plus sûre, parce que si la mouchure s’échappe des mouchettes, vous avez la chance qu’elle tombe dans une soupière, un chaudeau, un riz au lait, etc., où elle s’éteindra immédiatement avec très peu d’odeur.

Quand vous avez mouché la chandelle, laissez toujours les mouchettes ouvertes, car la mouchure se réduira d’elle-même en cendres, et ne pourra pas tomber et salir la table quand vous remoucherez les chandelles.

Pour bien unir le sel dans la salière, pressez-le avec votre paume humide.

Quand un convive de votre maître se retire, ayez bien soin de vous tenir en vue et de le suivre jusqu’à la porte, et, quand vous en avez l’occasion, regardez-le en plein visage, cela peut vous valoir un shilling ; mais si ce monsieur a passé la nuit chez vous, dites à la cuisinière, à la fille de service, au palefrenier, à la laveuse de vaisselle, et au jardinier de vous accompagner et de se tenir sur son passage, dans le vestibule, sur deux rangs de chaque côté de lui : s’il se conduit bien, cela lui fera honneur, et ne coûtera rien à votre maître.

Vous n’avez pas besoin d’essuyer votre couteau pour couper le pain de la table, parce qu’en en coupant une tranche ou deux il s’essuiera de lui-même.

Fourrez votre doigt dans chaque bouteille pour tâter si elle est pleine ; c’est le moyen le plus sûr, car le toucher n’a pas son égal.

Quand vous descendez à la cave pour tirer de l’ale ou de la petite bière, prenez soin de suivre exactement la méthode suivante : tenez le vase entre l’index et le pouce de votre main droite, la paume en dessus ; puis tenez la chandelle entre vos doigts, mais un peu penchée vers l’ouverture du vase ; alors ôtez le fausset de la main gauche, et mettez-en la pointe dans votre bouche, et gardez votre main gauche pour veiller aux accidents ; quand le vase est plein, ôtez le fausset de votre bouche, bien aiguisé par la salive, qui étant d’une consistance visqueuse, le fera tenir plus solidement dans le trou : s’il tombe du suif dans le vase, vous pouvez aisément (si vous y pensez) l’enlever avec une cuiller.

Enfermez toujours un chat dans le cabinet où vous gardez votre porcelaine, de peur que les souris ne se glissent dedans et ne la cassent.

Un bon butler brise toujours la pointe de son tire-bouchon au bout de deux jours, en essayant ce qui est le plus dur de la pointe du tire-bouchon ou du goulot de la bouteille : en ce cas, à défaut de tire-bouchon, après que ce qui en reste a mis le bouchon en pièces, servez-vous d’une fourchette d’argent, et quand les débris du bouchon sont presque retirés, promenez très vite le goulot trois ou quatre fois dans la fontaine, jusqu’à ce qu’il soit tout-à-fait dégagé.

Si un gentleman dîne souvent avec votre maître, et ne vous donne rien en s’en allant, vous pouvez employer plusieurs méthodes pour lui témoigner quelque chose de votre mécontentement et lui rafraîchir la mémoire : s’il demande du pain ou à boire, vous pouvez faire semblant de ne pas entendre, ou en envoyer à un autre qui en a demandé après lui ; s’il demande du vin, faites-le attendre un peu, puis envoyez-lui de la petite bière ; donnez-lui toujours des verres sales ; envoyez-lui une cuiller quand il veut un couteau ; faites signe au valet de pied de le laisser sans assiette : par ces expédients et autres de ce genre, vous pouvez probablement être plus riche d’une demi-couronne avant qu’il quitte la maison, pourvu que vous guettiez l’occasion de vous trouver là lorsqu’il sort.

Si votre maîtresse aime le jeu, votre fortune est assurée ; un jeu modéré sera pour vous un profit de dix shillings par semaine, et dans une pareille maison j’aimerais mieux être butler que chapelain, ou même qu’intendant ; c’est tout argent comptant, et gagné sans travail, à moins que votre maîtresse ne se trouve être une de ces femmes qui vous oblige, soit à fournir des bougies, soit à partager avec quelques domestiques favoris ; mais, au pis aller, les vieilles cartes vous reviennent, et si les joueurs jouent gros ou prennent de l’humeur, ils changeront si souvent de cartes, que les vieilles seront un avantage considérable, en les vendant aux cafés, ou aux familles qui aiment le jeu, mais qui n’ont le moyen que d’avoir des cartes de seconde main. Quand vous êtes de service, ne manquez pas de laisser des jeux neufs à la portée des joueurs ; ceux qui perdent ne seront pas longs à les prendre pour changer leur fortune, et de temps en temps un vieux jeu mêlé au reste passera facilement. Faites attention d’être très officieux les soirs où l’on joue, et tout prêt avec vos chandelles à éclairer ceux qui sortent, et ayez des plateaux de vin sous la main pour leur donner quand ils en demandent ; mais entendez-vous avec la cuisinière pour qu’il n’y ait pas de souper, parce que ce sera autant d’épargné dans le ménage de votre maître, et parce qu’un souper diminuerait considérablement vos profits.

Après les cartes, il n’y a rien de si avantageux que les bouteilles ; et dans ce genre de profits, vous n’avez pas d’autres compétiteurs que les valets de pied, qui sont sujets à les dérober et à les vendre pour des pots de bière ; mais vous êtes tenu de prévenir de tels abus chez votre maître : les valets de pied ne sont pas responsables de la casse lors de la mise en bouteilles, et elle peut être aussi considérable que vous jugerez dans votre sagesse.

Le profit des verres est si peu de chose, que ce n’est guère la peine d’en parler ; il ne consiste qu’en un petit cadeau fait par le marchand, et environ quatre shillings par livre ajoutés au prix, pour votre peine et votre habileté à les choisir. Si votre maître en a une grande provision, et qu’à vous ou à vos camarades il arrive d’en casser quelques-uns à son insu, gardez le secret jusqu’à ce qu’il n’en reste pas assez pour le service de la table ; alors dites à votre maître qu’ils n’existent plus : ce ne sera qu’une vexation pour lui, ce qui vaut beaucoup mieux que de s’impatienter une ou deux fois par semaine : c’est le devoir d’un bon serviteur de troubler aussi rarement qu’il peut le repos de son maître et de sa maîtresse ; et ici le chat et le chien seront d’un grand secours pour vous décharger du blâme. Notez que, des bouteilles qui manquent, une moitié a été volée par les gens qui vont et viennent et les autres domestiques ; et l’autre, cassée par accident, et lors du lavage général.

Repassez le dos de vos couteaux jusqu’à ce qu’il coupe autant que le tranchant ; ce qui aura cet avantage que lorsque les convives les trouveront émoussés d’un côté, ils pourront essayer de l’autre ; et pour montrer que vous n’épargnez pas votre peine en aiguisant les couteaux, repassez-les si longtemps que vous usiez une bonne partie du fer, et même la garde du manche d’argent. Cela fait honneur à votre maître, car cela prouve un ménage bien tenu, et l’orfèvre peut quelque jour vous faire un cadeau.

Votre maîtresse, si elle trouve la petite bière ou l’ale plate, vous blâmera de ne pas vous être souvenu de mettre le fausset dans son trou. C’est une grande erreur, car il est parfaitement clair que le fausset retient l’air dans le fût, ce qui gâte le liquide, et que par conséquent il doit être ôté ; mais si elle insiste, pour éviter la peine de retirer le fausset et de le remettre une douzaine de fois par jour, ce qui n’est pas supportable pour un bon domestique, laissez la cannelle à moitié ouverte la nuit, et vous verrez qu’en perdant deux ou trois quartes de liquide, le reste coulera librement.

Quand vous apprêtez vos chandelles, enveloppez-les de papier blanc et enfoncez-les ainsi dans la bobèche ; que le papier monte à la moitié de la chandelle ; cela a bonne mine, s’il entre quelqu’un.

Faites tout dans l’obscurité, pour épargner les chandelles de votre maître.