Ingres d’après une correspondance inédite/XLVIII

◄  XLVII.
XLIX.  ►

XLVIII
Paris, 30 décembre 1843.

Je ne veux pas passer l’année sans t’écrire et t’embrasser avec cette tendresse et ferveur d’amitié que tu connais, pour toi et pour ta fille qui est ta seconde vie et bien à juste titre. T’en entendre parler est pour nous un charme…

Pourquoi vivre ainsi séparés ? C’est bien ma position qui fait mon tourment puisqu’elle m’ôte toute liberté dans la vie, et nie prive de mon ami !… Au bout de soixante-trois ans et les mois de nourrice, je suis parvenu, par un rude travail, à acquérir mon indépendance et je ne pourrai aller planter des choux où je voudrai ! C’est une lâcheté. L’on mérite alors de ronger son frein…

Me voici de retour de Dampierre où le paradis continue et y est à moitié ébauché. Je suis donc ici afin d’exécuter encore huit figures pour les vitraux du tombeau de Dreux, hélas ! et faire un portrait en plus, celui du Duc de Nemours, les deux portraits de femme qui ne sont qu’ébauchés et la cinquième copie du portrait du Duc d’Orléans. Tu sais combien j’aime faire des portraits. Vois comme je suis heureux. Et tout cela, sans compter que nous vivons dans les ténèbres et que ma vie de Paris… mais tu la connais.

Le jeune Debia m’apporte ta dernière lettre… Quand te reverrai-je, cher ami ? Patience ! Je voudrais traiter Dampierre au pas accéléré, mais il y a bien à faire. C’est un travail bien délicat et qui sera, je crois, bien long…