Impressions d’une femme au salon de 1859/07

A. Bourdilliat et Cie, éditeurs (p. 107-112).


VII

SIGNOL. — LOYER. — JANMOT. — DUVAL LE CAMUS. — VIDAL. — AMAURY DUVAL. — MADAME CAMILLE ISBERT. — MADEMOISELLE DE WEILMER. — BIDA. — BELLANGER. CARAUD. — TRAYER. — KNAUS. — DELFOSSE. — BRONGNIART. — ALFRED DE DREUX. — DE BALLEROY. — HEIM. — BONHOMMÉ. — FROMENTIN. — LOUIS BROWNE.


On ne voit plus d’œuvres originales inspirées par le christianisme. Quelques-uns, comme Hyp. Flandrin, continuent avec talent la tradition des écoles du seizième siècle ; mais ils n’inventent pas. Ary Scheffer est peut-être le dernier peintre chrétien : qu’on se rappelle le Christ consolateur, Saint Augustin et Sainte Monique. Les maîtres ont épuisé cette sublime source d’inspirations, de pensées élevées : Le catholicisme aura été pour la peinture ce que la mythologie a été pour la sculpture antique.

Après avoir été divine la peinture se fait humaine. L’homme a pris la place de ses Dieux ! Notre époque positive veut un art positif : l’imagination baisse ; — on est en mal d’idéal ! Et le vent du siècle souffle ailleurs…

Quelle pauvreté dans cette galerie des peintures d’église ! Quelle imagerie insignifiante, plate et poncive. Comme on voit bien que les tableaux de religion se font avec des personnages connus, à barbes rousses, vêtus de manteaux bleu Thénard, bleu d’outre-mer, bleu du lac de Genève, bleu comme le soufre qui s’allume, bleu à faire verdir le ciel pur sur le sommet des Alpes ; de robes rouges à mettre en fureur tous les bœufs de l’univers, d’écarlate dûment plaqué, de jaune en délire. Il faut savoir gré à M. Signol de ne pas tomber dans ces exaspérations de couleurs crues et de nous montrer des tableaux pleins de réserve, modérés dans la forme, de tons tranquilles et d’une assez belle ordonnance ; le Saint Vincent de Paul de M. Loyer se distingue par des qualités réelles : de l’étude, du sentiment, des modèles bien choisis, des expressions vraies. Il faut remarquer d’une façon particulière les compositions religieuses de M. Janmot ses figures ont du mouvement et de l’expression.

Le Jésus au mont des Oliviers de M. Duval Le Camus peut être mentionné au milieu de tant de saintes médiocrités.

Les frais et légers caprices de M. Vidal fleurissent chaque printemps aussi veloutés, aussi délicats que les premières fleurs de la saison ; un souffle les effacerait. On dirait l’œuvre d’un sylphe qui a estompé, du bout de ses ailes de papillon, ces visions vaporeuses comme un rêve du matin. Ces figures brillent non-seulement par l’esprit et par la grâce, mais encore par le dessin, qui est correct et simple ; par le modelé, qui est plus rendu qu’on ne le suppose.

Signalons les portraits de M. Amaury-Duval ; j’en aime le style, l’expression vraie, et la concision élégante.

Les portraits en miniature de Mme Camille Isbert sont charmants, vrais, d’un dessin élégant, touchés adroitement, et l’on y reconnaît une constante préoccupation de la couleur.

Il me faut parler aussi de Mlle Caroline de Weilher, qui a exposé deux portraits très-habilement peints.

Les dessins de M. Bida sont remarquables. Quelle exécution soignée, achevée, et comme on est surpris d’apprendre que cet artiste est élève d’Eugène Delacroix.

M. Bellangé est infatigable ; c’est le frère spirituel de Charlet et de Raffet. Ses scènes militaires de petites dimensions sont toujours intéressantes.

M. Caraud est un peintre de genre en progrès ; il entreprend l’anecdote historique. On se plaît aux tableaux intimes de M. Trayer. Quant à M. Knaus, je trouve son succès un peu surfait ; la Cinquantaine est faite pour rire, c’est du Paul de Kock.

Je me dédommage de cette peinture bruyante devant les scènes intimes et bien rendues comme m’en offre une M. Delfosse, peintre modeste, coloriste fin, attentif, correct sans affectation. La Grand’mère endormie, voilà un intérieur des plus charmants ; il y a là tout un poëme plein de grâce ; les détails sont soignés sans nuire à l’ensemble.

Je me plais à mentionner la Convalescence, par M. Brongniart ; les fashionable peintures de MM. de Dreux et de Balleroy ; les remarquables portraits d’académiciens par M. Heim, dessin spirituel, ressemblance sans banalité ; voilà une précieuse collection.

M. Bonhommé se fait remarquer par une suite de peintures originales représentant des scènes industrielles dans la métallurgie. Cela doit décorer une salle de l’École des mines.

Il me faudrait un article tout entier pour parler des toiles de M. Fromentin, coloriste qui peint si bien avec sa plume et avec son pinceau. Dans des sujets pris en Algérie, il a su mettre un intérêt tout particulier d’art et de curiosité. Il a su décrire non-seulement des costumes, mais encore des physionomies, des caractères et des mœurs. Tous ces personnages étranges sont peints de la manière la plus remarquable, avec une rare finesse d’intention, la couleur est puissante sans exagération, ces bonshommes sont bien des Arabes, des bateleurs orientaux, des esclaves, des soldats. La nature du paysage est rendue avec une sincérité d’impression tout à fait saisissante.

L’exposition est un véritable kaléidoscope ; les impressions y sont multiples, elles changent promptement, et les yeux se repaissent de sensations variées à l’infini.

Je viens de ressentir la vivacité charmante de Fromentin, sa brillante palette m’a fait comprendre et goûter l’Afrique. Me voici maintenant en présence d’un tableau des plus étranges par la forme et par le style. J’y vois un mélange saisissant de réalisme et d’idéalisme : deux expressions, l’une douce et ineffable, l’autre profonde, grave et songeuse. Une antithèse en peinture. Mais quelle tristesse dans ce cadre ! Quelle tonalité fantastique ! Et quel est le titre de cette singulière composition ? Vision d’un penseur : le Génie de l’avenir. Titre effrayant fait pour séduire un littérateur. On se figure une thèse de métaphysique toute nue, le pinceau à la main, mais on se rassure bien vite. L’auteur, M. Louis Browne, évidemment, ne s’est pas tout à fait astreint aux rigueurs de la réalité matérielle. Son tableau, créé sous l’empire d’une libre imagination, se distingue par l’idée poétique contemporaine, par une exécution large et généreuse, et par la spontanéité de la sensation produite.