Idées républicaines, augmentées de remarques/64

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LXIV.

Sera-ce par des livres qui détruiſent la ſuperſtition & qui rendent la vertu aimable, qu’on parviendra à rendre les hommes meilleurs ? Oui, ſi les jeunes gens liſent ces livres avec attention, ils ſeront préſervés de toute eſpece de fanatiſme ; ils ſentiront que la paix eſt le fruit de la tolérance & le véritable but de toute ſocieté.

LXIV.

L’Auteur vient de toucher la ſociété par ſon intérêt le plus vif, l’inſtruction de la jeuneſſe. Elle lui a une obligation infinie de lui déſigner les livres les plus propres à cet objet. Il eſſaie même de lui donner de l’émulation en marquant le précieux bien qu’elle doit tirer de la lecture de ces ouvrages ſalutaires qui contiennent l’eſprit & les plus pures maximes de la philoſophie moderne. Par le ſecours d’une éducation puiſée dans de ſi bonnes ſources la ſuperſtition ſera détruite, la vertu des jeunes gens deviendra aimable, le fanatiſme n’aura plus d’accès à leur eſprit, ils tolereront tout & ils jouiront paix. O peres fortunés ! vous refuſeriez-vous au bonheur de voir dans la perſonne de ceux qui vous doivent le jour, des Citoyens formés des mains d’une ſageſſe nouvelle, & que vos ayeux ont eu le malheur de ne connoître pas ?

Cependant arrêtons-nous un moment pour connoître mieux les principes d’une éducation calquée ſur les maximes d’une Philoſophie ſi exaltée, & nous pourrons diſcerner la qualité des fruits qu’on doit en attendre. Comme ces Maîtres modernes ont changé le ſens des termes, afin d’éviter toute mépriſe, prenons en main leur Dictionnaire : l’on y voit que Religion & Superſtition ſont des mots ſynonimes, qui ſignifient indifféremment tout culte extérieur d’adoration rendu à l’Etre ſuprême[1] : que la Tolérance eſt le ſupport réciproque de toutes ſortes de foibleſſes & d’erreurs[2]. Qu’eſt-ce que vertu ? C’eſt, ſelon eux, bienfaiſance envers le prochain ; & parce que l’idée de bienfaiſance eſt ſuſceptible d’une certaine étendue, ils la reſtreignent à l’aumone faite à l’indigent, à la profeſſion de dire la vérité, aux ſecours de conſolation & d’inſtruction donnés à l’ignorant & l’affligé[3]. C’eſt-à-dire donc que nos jeunes-gens inſtruits à l’école de nos prétendus Sages, ſeroient vertueux & pourroient être à la fois impudiques, fornicateurs, adulteres, ivrognes, raviſſeurs &c. Voila ſans doute un genre de vertu des plus aimables ! C’eſt-à-dire que nos jeunes-gens ne ſeroient ni ſuperſtitieux ni fanatiques, parce que leurs paſſions vivroient ſans contrainte, & qu’ils auroient la liberté de choiſir entre les différents ſyſtêmes d’impiété, Pirroniſme, Matérialiſme, Déiſme &c. C’eſt-à-dire qu’ils verroient de ſang froid les vices & les égaremens de leurs ſemblables afin de pouvoir compter ſur une indulgence réciproque. De tels éleves ſeroient dignes de tels maîtres ; mais formeroient-ils une ſociété d’hommes ? Un Citoyen d’Athènes rencontrant un jour Ariſtipe ſur les bords de la mer, le pria de donner des leçons de ſageſſe à ſes deux fils ; très volontiers, répondit le Philoſophe ; l’Athénien lui ayant demandé de quelle Secte il étoit, vous allez le ſavoir, lui dit-il : regarder la volupté comme le ſouverain bien ; vivre ſelon les plaiſirs de la nature ; ne point gêner les paſſions des autres ; voila l’abrégé de ma Philoſophie. Comment ? malheureux, repartit le Citoyen tout en colere, veux-tu donner à ma maiſon & à la République des hommes ſans honneur, ſans vertu. Ariſtipe n’eut que le tems de ſe ſauver pour éviter le péril d’être jetté dans la mer.

  1. Dict. de V. pag. 335.
  2. Ibid. pag. 338.
  3. Ibid. pag. 342.