Idées républicaines, augmentées de remarques/65

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LXV.

La tolérance eſt auſſi néceſſaire en politique qu’en religion ; c’eſt l’orgueil ſeul qui eſt intolérant. C’eſt lui qui révolte les eſprits en voulant les forcer à penſer comme nous ; c’eſt la ſource ſecrette de toutes les diviſions.

LXV.

La tolérance peut être une loi de politique, elle ne peut jamais devenir une loi de religion La vérité eſt une ; c’eſt un point indiviſible qui ne peut ſe trouver dans le oui & le non. La vraie religion ne peut donc recevoir à la fois la vérité & l’erreur ; elle eſt à cet égard auſſi ſevere que la pureté de la morale qui n’admet point d’exception ni de mélange dans ſes dogmes. Afin de prévenir les conſéquences outrées qu’on pourroit tirer diſtinguons deux ſortes d’intolérance, l’intolérance privée, l’intolérance publique. La premiere fixe invariablement la croyance du fidele & ne regarde que lui ſeul. Celle-ci revêtue d’une autorité légitime ne permet le libre exercice que d’une religion dans l’Etat, ou elle donne l’excluſion à celle qu’il lui plait ; ainſi en Angleterre, en Hollande toute eſpece de religion y eſt autoriſée, à l’exception de la Catholique, l’intolérance du particulier ne doit ſervir qu’à lui ſeul ; elle eſt une barriere néceſſaire à la conſervation de ſa foi ; mais elle ne doit point l’animer contre quiconque ne penſe pas comme lui. La religion réprouve un zele d’aigreur & d’amertume. Le Catholique éclairé pratique la tolérance envers les autres, & réſerve l’intolérance pour lui-même : il eſt jaloux de ſa religion & laiſſe les autres penſer comme il leur plait. Lorſque l’intolérance ſe trouve réunie à l’autorité, elle en uſe avec équité, avec modération ; ſi on ſe livre à des excès, l’on s’écarte des vrais principes ; l’on manque à la religion & à l’humanité. L’intolérance qui inſpire un zele de perſécution eſt condamnable & condamnée par toutes les loix. L’amour de la vérité s’inſinue par la voye de la douce perſuaſion, la ſeule qui lui ſoit analogue : les cœurs ſe ferment à la force & à la violence : venons aux Docteurs de la nouvelle ſapience.

Ils demandent la tolérance, perſonne n’en parle plus hautement ; mais qu’elle ſorte de tolérance exigent-ils ? & leur démarche eſt-elle juſte ?

Si l’on en juge par cet air d’intérêt qu’ils prennent, ne diroit-on pas que le bien général de l’humanité, la paix & la félicité de la ſociété civile, ſont le grand mobile du zele qui les anime ? Leurs vues ne ſont pas ſi déſintéreſſées qu’elles paroiſſent.

La Religion eſt un témoin irréprochable & incomode qui s’éleve contre leur maniere de vivre & de penſer ; ils ne peuvent l’aimer, ils cherchent à la détruire ; intérêt de haine : un ſyſtême accrédité, quel qu’il ſoit, fait voltiger leur nom dans les cercles des beaux eſprits, & leur fait des partiſans ; intérêt de vanité. Or comment donner quelque ſuccès à ce double intérêt, ſi ce n’eſt en ſortant des ténébres dans leſquelles ils périroient avec leur impiété ; le point eſſentiel pour eux eſt donc la liberté de ſe produire par leurs ouvrages, & d’être lus. Ne cherchons point ailleurs l’objet réel de la tolérance qu’ils affectent de reclamer pour le bonheur du genre humain, & ſous le voile de laquelle ils travaillent inſenſiblement à ſubſtituer leur nom à celui de Dieu même & à ériger ſur les ruines de la Religion un temple à la Philoſophie moderne.

Cette tolérance eſt-elle légitime, doit-elle leur être accordée ? cette queſtion eſt aſſès décidée par ce qui a été dit : le droit eſt clair contre nos Philoſophes ; mais le fait eſt pour eux : Londre, Paris, Geneve, la Hollande entiere montrent une émulation à la faveur de laquelle il n’eſt point de ſi mauvaiſe production qui ne voie le jour, & qui ne ſe répande avec une facilité admirable. Déja nos Caffés ſont devenus preſque autant de petites Académies dans leſquelles on lit, on dévore ; chacun fournit ſon contingent d’érudition & le petit maître qui ſe mêle de raiſonner ſe croit en droit de partager avec l’auteur le mérite d’avoir compoſé ce qu’il vient de lire : il s’en eſtime un dégré de plus. Ce genre de bibliomanie a paſſé juſqu’aux Dames ; les livres bleus ſe Uſent à la ruelle de leurs lits, ils ſe trouvent ſur leurs toilettes : ſi par malheur l’ouvrage eſt trop ſavant, on le laiſſe : s’il ne fait qu’amuſer aux dépens de la Religion & de la vertu, il eſt lu ; & l’on eſt en état de rendre compte à la converſation de la brochure du jour.

Après cela nos Auteurs mécréans ont-ils bonne grace de ſe plaindre ? on leur accorde plus qu’ils ne demandent. C’eſt à la ſociété à ſe plaindre : & prenant en main ſes intérêts, demandons par quelle fatalité il arrive que dans une Ville auſſi policée que Geneve, l’on ferme les yeux ſur la licence de la Preſſe & ſur la facile diffuſion des livres empoiſonnés qui en ſortent. L’on condamneroit un Marchand qui diſtribueroit indifféremment du poiſon préparé. Cependant des deux commerces quel ſeroit le plus dangéreux, le plus funeſte.

Nos prétendus ſages doivent-ils donc être exclus de toute eſpece de tolérance ? Nous ne le penſons pas : ils ſont hommes, qu’ils vivent parmi les hommes ; le vice de leurs opinions ne doit pas les dépouiller des droits eſſentiels de la ſociété ; mais qu’ils le renferment dans leur perſonne, & qu’ils reſpectent dans les autres les ſentiments que la religion & la vertu inſpirent. C’eſt à cette condition ſeule qu’ils peuvent être admis à la tolérance : l’eſprit d’incrédulité forme leur ſphere : qu’ils ſachent qu’il ne leur eſt pas permis de l’étendre s’ils le font, les loix divines & humaines s’élevent contre leur attentat ; ils méritent l’animadverſion des Magiſtrats, & de devenir l’horreur du genre humain. Qu’un téméraire laiſſe échapper quelque parole indiſcrette contre le gouvernement, contre la perſonne ſacrée du Prince, auſſitôt il eſt puni, il diſparoît : Dieu ſouverain maître de l’Univers eſt le ſeul contre qui l’on peut impunément parler & écrire.